LE JUSTE ET L'INJUSTE, LE BIEN ET LE MAL (samedi, 20 novembre 2010)

Le bien et le mal, comme le juste et l’injuste, ne se définissent pas d’emblée l’un par rapport à l’autre — surtout si l’un ou l’autre est décrété par sensiblerie voire pour défendre des intérêts inavouables, ces décrets étant dans les deux cas des opinions personnelles sans valeur. Dire que le mal est le contraire du bien, ou vice versa, l’injuste celui du juste, ou vice versa, n’apprend rien sur ce qu’ils sont chacun en eux-mêmes. Il n’est possible de définir le bien par rapport au mal, par exemple, que si le mal a été défini par rapport à une constante. Or la xénophobie, le racisme et la discrimination concernent directement ou indirectement des citoyens et sont des préoccupations sociales. Dans l’état de Nature, dans un contexte de chacun pour soi, de tels dilemmes n’ont pas de sens. Pour tout ce qui a trait à la Société, le bien et le mal, le juste et l’injuste se définissent donc par rapport aux Principes de l’ordre social.

Toute pensée, tout acte conforme aux Principes, qui concourt à reconnaître ou à garantir les droits des Citoyens, qui tend à renforcer la Cité est légitime et juste ; toute pensée, tout acte qui constitue une négation ou une violation des droits des Citoyens et entraîne l’affaiblissement physique ou moral de la Cité est nécessairement contraire aux Principes, illégitime et injuste. (Les droits dont il est question ici ne sont pas ceux qui n’existent que par les lois humaines, mais ceux qui découlent de l’acte d’association politique.) Le juste et l’injuste sont, pour ainsi dire, mécaniques. Pourtant, il n’est pas aussi simple que cela d’opter pour l’un ou l’autre ou plutôt d’opter assurément pour le juste (car même les injustices sont commises au nom de la justice). La première difficulté est de connaître les Principes et de savoir ce qu’ils prescrivent. La seconde difficulté est liée au contexte. Dans l’Egalité (Cf. Principes de l'ordre social, III, De l’Egalité), les Principes sont partout, il est impossible de les ignorer et il est facile d’être juste. Dans l’inégalité, où le combat pour les droits est pressant, les Principes sont bafoués et méconnus pour la plupart et tout est renversé : ce qui semble social ou juste peut être fondamentalement antisocial ou injuste, et vice versa, si bien que, faute de boussole fiable, il est difficile d’être juste concrètement. On admettra qu’être juste ne consiste pas à se croire tel, mais à avoir des pensées et des actes qui se révèlent justes en pratique. Ce sont les résultats, et non les intentions, toujours bonnes, qui décident du caractère juste ou injuste des pensées et des actes. On notera enfin que le summum de la justice est d’instaurer ou de maintenir l’Egalité, autrement dit d’œuvrer pour le respect absolu des Principes de l’ordre social.

Le bien et le mal ne sont pas non plus seulement affaire d’intention, mais avant tout d’effet. Faire mal en voulant bien faire ou avec l’intention de mal faire revient au même. Du reste, le mal est toujours fait sous un prétexte positif et imposant, c’est-à-dire au nom du bien. Là s’arrêtent les similitudes entre le bien et le juste, entre le mal et l’injuste. Il va de soi que le bien contient le juste, comme le mal contient l’injuste. Mais ces concepts vont plus loin : ils ne sont plus mécaniques mais moraux. Ils ne s’arrêtent pas aux portes de la Cité : ils n’existent vraiment, ils ne se distinguent réellement du juste et de l’injuste, qu’une fois qu’ils en franchissent le seuil. Or qu’y a-t-il au-delà de la Cité et des Principes ? Rien en théorie. Qui peut parler quand le Citoyen n’a plus rien à dire ? L’homme à l’intérieur du Citoyen. Mais au nom de quoi l’homme peut-il s’intéresser à des choses qui ne sont rien aux yeux de la Citoyenneté, de la Cité et des Principes ? Au nom de son humanité. C’est donc dans l’humanité que résident le bien et le mal.

Les individus sont Citoyens avant d’être hommes. Il est vrai que l’on ne naît pas Citoyen, mais qu’on le devient. Mais c’est aussi la Société qui fait des hommes. C’est elle qui apprend à marcher, à parler, à penser, à se définir, à philosopher et même à déraisonner ; c’est elle qui reconnaît et garantit des droits. Sans elle, abandonné au berceau, un être humain serait à peine vivant si tant est qu’il survive. Les hommes doivent tout à la Société (celle dans laquelle ils ont grandi, celle dans laquelle ils vivent) dont ils font partie en tant que Citoyens ou enfants de Citoyens. Ils existent à travers elle comme elle existe à travers eux. Ils ne peuvent l’ébranler sans scier la branche sur laquelle ils sont assis. Or c’est précisément le danger auquel leur humanité les expose.

Les individus sont à la fois hommes et Citoyens. Ils peuvent donc penser en homme (être humain) ou en Citoyen (être social). Six combinaisons sont possibles selon leur caractère : l’homme est étouffé et seul le Citoyen parle, ou l’inverse ; les deux parlent mais avec une priorité accordée à l’un ou à l’autre ; le Citoyen et l’homme font contrepoids ; tous deux sont bâillonnés et mis en avant, à l’occasion, tantôt l’un tantôt l’autre, comme prétexte (individualisme). Deux combinaisons seulement préservent le juste : le Citoyen parle seul ou en priorité. Dans les deux cas, les intérêts de la Cité passent avant tout. Une seule combinaison laisse une place à l’humanité sans que celle-ci nuise à la Cité : le Citoyen parle en priorité. C’est donc la seule combinaison dans laquelle l’humanité peut relever du bien. Les autres combinaisons, dans lesquelles le Citoyen et avec lui la Cité, les Principes, l’Egalité, les droits sont plus ou moins piétinés au nom de l’Homme, l’humanité est consciemment ou non un mal — la pire combinaison étant bien évidemment celle dans laquelle le Citoyen est nul. On ne peut en effet concevoir que s’opposer à l’instauration de l’Egalité ou l’anéantir, ignorer les Principes ou les saper, altérer la Cité ou la détruire, bafouer les droits des Citoyens voire menacer leur existence soit un bien. Oublier que les Citoyens sont aussi des hommes et n’avoir de considération que pour le caractère humain porte à opprimer les Citoyens et à faire, par humanité, le malheur des hommes que sont ces mêmes Citoyens.

Remarquons que des positions ayant de telles conséquences sont considérées comme mauvaises quand elles sont celles de Citoyens vis-à-vis de leur propre Cité. En revanche, chercher à miner une autre Cité que la sienne est légitime à défaut d’être judicieux, car les différentes Sociétés (et leurs Citoyens respectifs) sont entre elles dans un rapport de force dans lequel les notions de bien et de mal n’existent pas. Ceci oblige à se demander si des Citoyens qui pensent et agissent comme des ennemis de leur propre Cité sont dignes de demeurer Citoyens de cette Cité. En toute logique, la réponse est non.

Remarquons ensuite que la Cité n’a pas besoin d’humanité en interne. Les rapports entre Citoyens doivent être régis par les Principes et non par la bonté. Les sentiments bons ou mauvais ne prévalent sur les Principes que dans l’inégalité qu’ils instaurent ou perpétuent sous prétexte d’en atténuer certains effets. Il s’ensuit que l’humanité dont les Citoyens peuvent faire preuve ne concerne pas leurs Concitoyens mais seulement les étrangers. Le risque est donc grand que, à force de n’être jamais l’objet de leur attention, les humanistes tarés finissent par exclure de facto leurs Concitoyens du genre humain. ( 23) Ceci explique pourquoi ceux qui se gargarisent d’humanité sont si prompts à dévaster « leur » Société, à fouler aux pieds les droits de « leurs » Concitoyens au nom de prétendus « droits de l’Homme », au profit d’étrangers. Mais les étrangers n’existent pas en tant qu’entité ; ils ne forment pas une famille idéale si ce n’est dans l’imagination de certains. Ils n’ont généralement de consistance qu’à travers les immigrés qui, dans des conditions normales d’immigration, sont des travailleurs et donc des Citoyens envers lesquels l’humanité est non seulement sans objet mais encore insultante, discriminatoire, contre-productive. En plus d’être une trahison envers la Cité, les bonnes intentions en faveur des immigrés ne sont même pour eux qu’un cadeau empoisonné.

Remarquons également que la démagogie des humanitaristes est paradoxalement à la mesure de la puissance de la société dont ils font officiellement partie, de cette société qu’ils sapent et outragent à qui mieux mieux. C’est parce que « leur » société est puissante qu’ils ont du poids, que leurs paroles et leurs actes peuvent peser et qu’ils se prennent pour le nombril du monde. C’est parce qu’elle est riche qu’ils dilapident ses richesses comme si elles étaient inépuisables. C’est parce que leurs arrières sont assurés qu’ils se croient intouchables et ne craignent pas les conséquences de leur irresponsabilité, qu’ils sont donc insouciants, individualistes (1) et arrogants. C’est parce qu’ils n’ont pas vraiment à se battre pour eux-mêmes qu’ils se préoccupent tant des autres, qu’ils en font leur raison de vivre. Bref, l’humanité est un luxe dont abusent les enfants gâtés. Mais tout se paye un jour. Tout ce qui vole finit par atterrir, et d’autant plus brutalement qu’il tombe de haut. Quand on marche aveuglé par une idéologie, tôt ou tard on se cogne à la réalité.

Remarquons enfin que ce que nous appelons ici l’humanité n’est pas en soi positive. L’humanité est la capacité propre aux hommes à pouvoir dépasser leur condition et les considérations animales, à s’intéresser aux autres hommes (autres que les Citoyens) pour des motifs purement intellectuels. Mais, si s’intéresser aux autres est le contraire d’être indifférents à leur endroit, cela ne signifie pas nécessairement avoir de la compassion pour eux et être bienveillant : cela peut aussi vouloir dire avoir du mépris pour eux, donc leur être ouvertement hostile ou leur nuire inconsciemment. L’humanité peut donc être positive ou négative. Par ailleurs, quand l’homme pense en tant que Citoyen ses pensées peuvent être justes ou injustes d’un point de vue social. De sorte que les six combinaisons citoyenneté/humanité énoncées plus haut donnent lieu à de nouvelles combinaisons parmi lesquelles une seule allie le juste et le positif (l’humanité objectivement positive) et tend vers le bien — quand le Citoyen parle en priorité dans le sens de l’Egalité (patriotisme bien compris) et fait preuve à l’occasion de compassion vis-à-vis des étrangers (altruisme modéré). Il est donc possible d’être juste ou injuste en étant indifférent, altruiste ou même agressif vis-à-vis des « autres ». Etre juste ou injuste en étant indifférent aux autres, être concentré exclusivement sur la Cité, être isolationniste, n’est ni un bien ni un mal. Par contre, toutes les combinaisons qui induisent l’injustice sous prétexte d’humanité positive ou négative sont un mal.

En résumé :

Le juste consiste à respecter scrupuleusement les Principes de l’ordre social ou du moins à aller autant que possible dans leur sens afin d’établir ou de conserver la Cité, l’Egalité, les droits des Citoyens. Le summum de la justice est l’Egalité (égalité des Citoyens en devoirs et en droits). Plus les pensées et les actes tendent vers l’Egalité, plus elles sont justes.

L’injuste consiste à bafouer volontairement ou inconsciemment les Principes de l’ordre social et les droits des Citoyens, donc à ébranler la Cité et à s’éloigner de l’Egalité.

Le bien consiste à être bienveillant envers des individus auxquels le Cité ne doit rien d’après les Principes de l’ordre social et à aller, pour eux, par humanité, au-delà desdits Principes sans dénaturer ceux-ci ni considérer lesdits individus comme les égaux des Citoyens.

Le mal consiste à s’intéresser positivement ou négativement aux individus auxquels le Cité ne doit rien d’après les Principes de l’ordre social et à leur sacrifier la Cité, en les considérant comme des Citoyens ou en comptant pour rien ses propres Concitoyens. 

Philippe Landeux

 

NOTE

(1) Les humanitaristes qui se targuent d’être philanthropes sont en réalité des individualistes de la pire espèce. Ils aiment l’Homme qui n’existe pas et sont indifférents aux hommes réels qui les entourent, leurs Concitoyens. Ils se disent fièrement « citoyens du monde » mais ne conçoivent pas la fierté d’être Citoyen quelque part. Ils insultent la nation, la patrie, parce qu’ils n’en ont pas, parce qu’ils ne se sentent appartenir à aucune, parce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils défendent l’Humanité en parole mais ne lèvent le petit doigt pour personne, si ce n’est à l’occasion pour donner le change aux autres et parfois à eux-mêmes. Bref, leur philanthropie ostentatoire est sans objet ; elle n’est qu’un trompe-l’œil, un masque, un attrape-nigaud. Même les immigrés dont ils prétendent faire grand cas et qu’ils servent si mal ne sont pour eux que des faire-valoir.

 

06:33 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |