LA MARSEILLAISE : Mon chant d’amour (lundi, 20 juin 2011)

REDIF

Il est de bon ton, aujourd’hui, de jouer les vierges effarouchées devant la violence, quelle qu’elle soit, et tout ce qui l’évoque ; il est encore plus tendance d’être indulgent pour les auteurs de violence gratuite ou criminelle que d’autres subissent et de condamner implacablement ceux qui, abandonnés de tous, en usent de manière légitime, fut-ce dans des actes désespérés. Cette position oblige à prétendre que, acculé de même à réagir violemment, on s’interdirait toute réaction violente et que l’on continuerait à tenir le même discours lénifiant. Mais c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Or, à bien y regarder, les démagogues, les apôtres du laxisme et de la fraternité universelle — inutile de les désigner plus précisément, ils se nommeront eux-mêmes — ne sont pas moins sectaires et violents que les autres ; ils tendraient même à l’être davantage, que ce soit en pensées, en paroles ou en actes. Ils ne se battent pas pour leurs voisins et leur pays, mais contre, que ce soit au nom de leur prochain ou de la planète ou sans autre raison que leur répugnance pour l’ordre, la discipline, le patriotisme. Par une étrange tournure d’esprit, ils s’identifient moins à leurs compatriotes qu’aux étrangers. Ils accueillent tout ce qui favorise les intérêts de ces derniers, fut-ce aux dépens de ceux de leur Peuple, ils encouragent tout ce qui affaiblit et ruine manifestement leur pays et rejettent tout ce qui lui permettrait de se raffermir. Bien sûr, ils subissent d’une manière ou d’une autre les conséquences directes ou indirectes des politiques démentes qu’ils soutiennent et s’en plaignent, mais sans jamais reconnaître les causes réelles des problèmes et leurs responsabilités ni réviser leurs positions.   

Ces individus lâches ou tarés, fléaux de toutes les civilisations, se prétendent néanmoins civilisés et, confisquant cet épithète, font de leurs détracteurs, c’est-à-dire des gardiens de leur liberté et de l’honneur de leur pays, des barbares sous le nom de racistes, fascistes, nazis ou, ce qui dans leur bouche équivaut à la même chose, de souverainistes, nationalistes, populistes, réactionnaires. Parce qu’ils parlent haut, ils croient qu’ils méritent d’être écoutés ; parce qu’ils soutiennent sans honte les idées les plus incohérentes, ils croient qu’ils ont de l’audace intellectuelle ; parce qu’ils pensent en individus égoïstes ou en citoyens du monde (1), ils croient qu’ils sont affranchis des réalités ; parce qu’ils ont toujours bonne conscience, ils croient qu’ils ne paieront jamais leur inconséquence, et s’il arrivait néanmoins qu’ils la payent, ils se poseraient encore en victimes.

Parmi leurs idées brillantes figure celle de modifier les paroles de la Marseillaise voire de changer d’hymne national. Ainsi ces bisounours qui se prennent souvent pour des révolutionnaires ne supportent pas ce chant guerrier hérité de la Grande Révolution. Ils lui préfèrent une musique plus douce et des paroles mièvres. Mais ont-ils réfléchi à ce qu’est un hymne national ? Et que leur importe d’ailleurs l’hymne d’une nation dont ils n’ont que faire ?

Il est naturel que le patriotisme s’émousse chez beaucoup en temps de paix et que certains en oublient qu’ils sont Français (du moins aux yeux du reste du monde) et que la France est leur patrie. Dans ce contexte, un chant qui exalte le patriotisme peut paraître incongru. Mais un hymne national n’a alors que peu d’utilité. Il ne retentit que lors de cérémonies officielles et d’événements sportifs. Ce n’est que dans l’épreuve, à l’heure du péril, à un moment où la nation a besoin de se rassembler pour affronter un ennemi ou un danger mortel et surmonter des souffrances indicibles qu’il se charge de sens. Il est alors un moyen de tendre le ressort du patriotisme et rien ne convient mieux qu’un chant guerrier. C’est d’ailleurs au début de la guerre entre la France révolutionnaire et l’Europe monarchique (1792) que le Chant de guerre pour l’armée du Rhin a été composé par Rouget de Lisle (à Strasbourg), répandu peu après par les fédérés marseillais en marche pour Paris, et bientôt adopté par tous les Français comme l’hymne de la Liberté ou le chant des Marseillais, d’où la Marseillaise. Il n’aura fallu que quelques mois pour que le Peuple Français se reconnaisse dans ce chant ; et il s’y reconnaît depuis deux siècles. Décrété hymne national le 14 juillet 1795, il fut interdit sous le 1er Empire, la Restauration, le 2nd Empire et Vichy. Qui donc peut vouloir ajouter son nom à la liste de ses proscripteurs et s’associer à eux ? Qui peut croire que l’Histoire est finie, la paix, éternelle, et ignorer que, dans l’adversité, le Peuple Français l’entonnera de nouveau d’instinct, fut-elle interdite ? Qui ignore que l’âme française vibre au son de la Marseillaise ?    

Il n’est pas étonnant que des individus qui ont non seulement perdu toute notion de patriotisme mais se flattent encore de n’avoir pas de patrie rejettent la Marseillaise. Il n’est pas étonnant non plus que des individus qui se prennent pour des élites détestent par principe ce que la « populace » aime ; cela est déjà plus surprenant quand on sait qu’ils se disent démocrates, socialistes, amis du Peuple. Du reste, s’ils étaient aussi intelligents qu’ils le pensent, ils comprendraient qu’en cherchant à ravir au Peuple Français ce qu’il a de plus cher, au lieu de lui laisser ce qui n’est au fond qu’une chanson, ils le heurtent de plein fouet et ne peuvent dès lors rien espérer de lui. S’ils étaient aussi cultivés qu’ils sont censés l’être, ils connaîtraient un peu mieux l’Histoire en général et sauraient pourquoi et à quel point le Peuple Français est attaché à ce chant en particulier. S’ils étaient aussi sensibles qu’ils le clament, ils ressentiraient l’émotion qui soulève un Français et les frissons qui le parcourent quand il l’étend. S’ils étaient aussi généreux qu’ils veulent le faire accroire, ils sentiraient à quels actes de générosité suprême il peut porter. S’ils étaient compatissants, ils n’insulteraient pas la mémoire de tant de héros anonymes qui chantaient la Marseillaise en marchant vers la mort et tombaient en criant Vive la France ! S’ils avaient tant de respect pour les Peuples, ils commenceraient par respecter les sentiments du leur, à défaut de les partager.

Il va sans dire que les mots qui les dérangent le plus dans la Marseillaise sont les premiers : « Allons enfants de la patrie ». Le concept de patrie, qui les dépasse, leur est décidément odieux. Quoique rien de grand, rien de juste n’ait jamais été accompli que par des patriotes, eux ne veulent voir dans l’idée de patrie qu’une source de division de l’Humanité et de guerre entre les Peuples, comme si leur idée de fraternité universelle pouvait seule en préserver ! S’il suffisait d’ignorer ses ennemis pour ne pas en avoir ou de prêcher la paix pour les désarmer, il y a beau temps que la Terre serait un Paradis. (Le cas de l’Inde est l’exception qui confirme la règle. Mais les Indiens pouvaient utiliser la non-violence contre les Anglais, car leur force était dans leur nombre et ils luttaient contre des gens civilisés ; cette arme ne leur aurait servi à rien contre les Nazis. Les Indiens n’ont d’ailleurs pas tardé à se déchirer entre eux, entre Hindous et Musulmans.)

Cela dit, aussi insupportable que soit pour eux la patrie, ils sentent que s’en prendre au patriotisme les discréditerait. Ils ont donc besoin d’un autre angle d’attaque et pensent le trouver dans le refrain : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ». A la guerre, le sang coule. Et contre des nobles qui se croyaient supérieurs à leurs semblables, qui disaient avoir le sang bleu et qui étaient impurs d’un point de vue révolutionnaire (contrairement aux purs), l’expression sang impur s’imposait naturellement. Cette expression peut aussi avoir l’explication inverse : le sang impur ne serait pas celui des nobles, pur comme chacun sait, mais celui des révolutionnaires, prêts à se sacrifier pour défendre la patrie et dont la devise était « vivre libre ou mourir ». Plusieurs passages de la Marseillaise semblent confirmer cette version : « Tout est soldat pour vous combattre. S'ils tombent, nos jeunes héros, La France en produit de nouveaux, Contre vous tout prêts à se battre. » « Nous entrerons dans la carrière Quand nos aînés n'y seront plus. Nous y trouverons leur poussière Et la trace de leurs vertus. Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil, Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre ! »

Mais, deux siècles plus tard, cette référence au sang, mise en lumière, renvoie aux Nazis, à leur obsession d’une nation de race pure (et non seulement d’une race pure, puisque toute race est pure par définition, puisque n’appartient à une catégorie que ce qui répond à ses critères), à leurs crimes, à la Shoah. Bien sûr, ils ne se risqueraient pas à assimiler ouvertement les révolutionnaires aux Nazis (d’autres s’y essaient cependant en appelant génocide l’interminable guerre dite de Vendée), mais c’est sur le malaise que peuvent susciter ces sous-entendus que les détracteurs de la Marseillaise comptent pour en imposer. Force est néanmoins de constater que la mayonnaise ne prend pas.

Devant la solidité des défenses de la Marseillaise, ses détracteurs, renonçant au triomphe, espèrent au moins remporter un lot de consolation. Faute de mieux, quelques changements dans le texte leur conviendraient. Mais ces changements porteraient non seulement sur les passages cités mais encore sur tous les mots et passages violents (étendard sanglant, féroces, égorger, armes) ; le sens en serait fatalement changé, le texte perdrait de son authenticité, le chant, de sa vigueur. Cela ressemblerait à la Marseillaise, mais ce ne serait qu’une mélasse. Il ne fait aucun doute que les Français se soucieraient de ce galimatias bien-pensant comme d’une guigne et continueraient à chanter les véritables paroles.

La seule solution acceptable serait d’adopter un des six autres couplets (la horde d’esclaves, les cohortes étrangères, les tyrans, les guerriers magnanimes, la liberté, la carrière). Mais, bien qu’aucun ne soit aussi entraînant et approprié pour un hymne national que le plus connu, celui des enfants de la patrie, tous sont empreints du même patriotisme, du même souffle guerrier. En somme, l’authenticité serait préservée, mais l’intérêt, nul. Cette solution ne satisferait d’ailleurs pas les apatrides déclarés, d’autant plus que leur plus grand grief contre la Marseillaise porte sur le refrain qui serait conservé tel quel.

Mais ce chant, indépendamment de sa forme, suscite l’hostilité pour deux autres raisons.

La première, c’est que, hormis son côté anti-monarchique, la Marseillaise est neutre politiquement. Elle ne véhicule aucune idéologie, elle ne prône pas la lutte des classes, elle n’appelle pas les pauvres à faire rendre gorge aux riches à l’instar de l’Internationale. (Inutile de préciser qui recourt à ces arguments.) Mais cette critique est ridicule. Un hymne national n’est pas le chant d’un parti, mais celui d’un Peuple ; son objet n’est pas de dresser les citoyens les uns contre les autres, mais de les unir quand la patrie est en danger. Que les partis politiques adoptent des chants qui expriment leurs convictions particulières est légitime ; qu’ils prétendent faire d’un chant partisan un hymne national est prétentieux et insensé. (Remarquons, à propos de l’Internationale, écrite par Eugène Pottier en 1871 durant la Commune de Paris, que son message politique est des plus simplistes, ce qui ne justifie guère la préférence qui lui est accordée sur la Marseillaise, alors que sa qualité tient au fait qu’elle utilise les mêmes procédés qu’elle et fait ainsi vibrer les mêmes cordes, sans parler du fait qu’elle fut écrite sur le même air, qu’il s’agissait donc d’une parodie. « Debout les damnés de la terre » au lieu de « Allons enfants de la patrie » ; « C’est la lutte finale » au lieu de « Aux armes citoyens ».) Une autre erreur hautement impolitique que les partis politiques ne doivent pas faire, et que ceux de gauche font souvent, est de délaisser l’hymne national (et le drapeau). Qu’il ne soit pas leur premier chant est une chose ; qu’ils refusent de le chanter en est une autre. Si cette réticence n’est pas due à un manque de patriotisme, elle finira par assécher les sentiments patriotiques du parti et de ses militants, ce qui, dans tous les cas, indispose les électeurs. Il est en effet étrange et même suspect que des gens qui prétendent gouverner un pays, en l’occurrence la France, n’affichent jamais leur fierté d’être Français et semblent au contraire avoir honte de l’être.

La seconde raison de l’hostilité envers la Marseillaise, c’est que, précisément, elle est devenue un hymne national et donc le symbole d’un Etat. Or l’idée d’un Etat est aussi insupportable à certains que celle de patrie. Aucun chant, aucune musique ne pourrait donc contenter ces derniers puisqu’ils rejetteraient de même tout hymne national. Ils oublient cependant que la Marseillaise est devenue un hymne national parce que c’était un chant populaire et que les siècles passés ne lui ont rien fait perdre de sa popularité, que sa qualité d’hymne national a d’ailleurs ajouté au respect qu’elle inspire. Ainsi, en conspuant la Marseillaise sous prétexte de mépriser l’Etat, c’est avant tout le Peuple Français qu’ils offensent. Cela dit, cet argument ne les touche sans doute pas, car ces adeptes de l’individualisme, ces passionnés de cultures du monde, ces défenseurs de l’Humanité n’ont que mépris pour leur Peuple.

Philippe Landeux

Publié par Riposte Laïque

 

Allons enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé
Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féroces soldats?
Ils viennent jusque dans vos bras.
Égorger vos fils, vos compagnes !

Aux armes citoyens !
Formez vos bataillons !
Marchons, marchons,
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons.

Que veut cette horde d'esclaves
De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves
Ces fers dès longtemps préparés ?
Français, pour nous, ah! quel outrage !
Quels transports il doit exciter ?
C'est nous qu'on ose méditer
De rendre à l'antique esclavage !

Quoi ! ces cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers !
Grand Dieu ! par des mains enchaînées
Nos fronts sous le joug se ploieraient,
De vils despotes deviendraient
Les maîtres des destinées.

Tremblez, tyrans et vous perfides
L'opprobre de tous les partis !
Tremblez, vos projets parricides
Vont enfin recevoir leurs prix !
Tout est soldat pour vous combattre
S'ils tombent, nos jeunes héros
La France en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre.

Français, en guerriers magnanimes
Portez ou retenez vos coups !
Épargnez ces tristes victimes
À regret s'armant contre nous.
Mais ces despotes sanguinaires,
Mais ces complices de Bouillé,
Tous ces tigres qui, sans pitié,
Déchirent le sein de leur mère !

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus.
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre !

Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
Liberté, Liberté chérie
Combats avec tes défenseurs!
Sous nos drapeaux, que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !

(1) Voir l’analyse d’Alain Soral sur les détracteurs de la Marseillaise.

 

18:30 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer |