ROBESPIERRE ET LE LIBRE-ECHANGE (lundi, 25 avril 2011)

La 2 décembre 1792, Robespierre prononça à la Convention un discours contre le « libre échange », invoqué pour justifier l’accaparement des denrées.  Opposé d'instinct au capitalo-libéralisme, c'est-à-dire au libéralisme faussé par Largent, il était libéral au sens noble du terme.


« [...] Quel est le premier objet de la société ? c’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? celui d’exister.

« La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là ; la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes.

« Les alimens nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle, et qui soit abandonné à l’industrie des commerçans. Toute spéculation mercantile que je fais aux dépens de la vie de mon semblable n’est point un trafic, c’est un brigandage et un fratricide.

« D’après ce principe, quel est le problême à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence ; aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend par ce mot le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables. Comment donc a-t-on pu prétendre que toute espèce de gêne, ou plutôt que toute règle sur la vente du bled était une atteinte à la propriété, et déguiser ce système barbare sous le nom spécieux de la liberté du commerce ? [...]

« Sans doute si tous les hommes étaient justes et vertueux ; si jamais la cupidité n’était tentée de dévorer la substance du peuple ; si dociles à la voix de la raison et de la nature, tous les riches se regardaient comme les économes de la société, ou comme les frères du pauvre, on pourrait ne reconnaître d’autre loi que la liberté la plus illimitée ; mais s’il est vrai que l’avarice peut spéculer sur la misère, et la tyrannie elle-même sur le désespoir du peuple ; s’il est vrai que toutes les passions déclarent la guerre à l’humanité souffrante, pourquoi les lois ne réprimeraient-elle pas ces abus ? Pourquoi n’arrêteraient-elles pas la main homicide du monopoleur, comme celle de l’assassin ordinaire ? pourquoi ne s’occuperaient-elles pas de l’existence du peuple, après s’être si long-tems occupées des jouissances des grands, et de la puissance des despotes ? [...]

« Que la circulation dans toute l’étendue de la république soit protégée ; mais que l’on prenne les précautions nécessaires pour que la circulation ait lieu. C’est précisément du défaut de circulation que je me plains. Car le fléau du peuple, la source de la disette, ce sont les obstacles mis à la circulation, sous le prétexte d la rendre illimitée. La subsistance publique circule-t-elle, lorsque des spéculateurs avides la retiennent entassée dans leurs greniers ? Circule-t-elle, lorsqu’elle est accumulée dans les mains d’un petit nombre de millionnaires qui l’enlèvent au commerce, pour la rendre plus précieuse et plus rare ; qui calculent froidement combien de familles doivent périr avant que la denrée ait atteint le tems fixé par leur atroce avarice ? Circule-t-elle, lorsqu’elle ne fait que traverser les contrées qui l’ont produite, aux yeux des citoyens indigens qui éprouvent le supplice de Tantale, pour aller s’engloutir dans le gouffre inconnu de quelque entrepreneur de la disette publique ? Circule-t-elle, lorsqu’à côté des plus abondantes récoltes le citoyen nécessiteux languit, faute de pouvoir donner une pièce d’or, ou un morceau de papier assez précieux pour en obtenir une parcelle ?

« La circulation est celle qui met la denrée de première nécessité à la portée de tous les hommes, et qui porte dans les chaumières l’abondance et la vie. Le sang circule-t-il, lorsqu’il est engorgé dans le cerveau ou dans la poitrine ? Il circule, lorsqu’il coule librement dans tous le corps ; les subsistances sont le sang du peuple, et leur libre circulation n’est pas moins nécessaire à la santé du corps social, que celle du sang à la vie du corps humain. Favorisez donc la libre circulation des grains, en empêchant tous les engorgemens funestes. Quel est le moyen de remplir cet objet ? Or à la cupidité l’intérêt et la facilité de les opérer. Or, trois causes les favorisent, le secret, la liberté sans frein, et la certitude de l’impunité. [...]

« Je sais bien que quand on examine les circonstances de telle émeute particulière, excitée par la disette réelle ou factice des blés, on reconnaît quelquefois l’influence d’une cause étrangère. L’ambition et l’intrigue ont besoin de susciter des troubles : quelquefois, ce sont ces mêmes hommes qui excitent le peuple, pour trouver le prétexte de l’égorger, et pour rendre la liberté même terrible, aux yeux des hommes faibles et égoïstes. Mais il n’en est pas moins vrai que le peuple est naturellement droit et paisible ; il est toujours guidé par une intention pure ; les malveillans ne peuvent le remuer, s’ils ne lui présentent un motif puissant et légitime à ses yeux. Ils profitent de son mécontentement plus qu’ils ne le font naître ; et quand ils le portent à des démarchent inconsidérées, par le prétexte des subsistances, ce n’est que parce qu’il est disposé à recevoir ses impressions, par l’oppression et par la misère. Jamais un peuple heureux ne fut un peuple turbulent. [...]

« Et vous législateurs, souvenez-vous que vous n’êtes point les représentants d’une caste privilégiée, mais ceux du peuple français, n’oubliez pas que la source de l’ordre, c’est la justice ; que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c’est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les Etats ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l’égoïsme contre l’intérêt général ; de l’orgueil et des passions des hommes puissans, contre les droits et contre les besoins des faibles. »

 

Voir : Le vrai libéralisme :

http://philippelandeux.hautetfort.com/archive/2011/04/04/...

19:16 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |