IDENTITE NATIONALE : des droits naturels (vendredi, 12 août 2011)
Un lecteur a eu l’amabilité et la patience de commenter ou critiquer de nombreuses propositions de mon essai de programme présidentiel pour 2012. Comme chaque point mérite des développements et que le tout serait très long, je publie séparément ma réponse à chacun des objets, en rappelant la proposition en question et la position dudit lecteur.
12. Etablissement de la préférence nationale dans tous les domaines (comme dans tous les pays du monde)
La préférence nationale ou la priorité pour les Français, par rapport aux étrangers, n'est pas de la discrimination. La discrimination consiste à "établir" une différence, c'est-à-dire à créer artificiellement une différence. Tenir compte d'une différence qui existe réellement n'est pas de la discrimination ; ne pas en tenir compte est, en revanche, de la démagogie. Il y a bien une différence entre un Français et un étranger. Qu'ils aient en commun le fait d'être hommes ne change rien, puisqu'il est ici question de droits, qu'il n'y a de droits qu'en société et que seuls les citoyens d'une société donnée ont des droits dans cette société et doivent être égaux entre eux. Les droits qu'une société accorde à des étrangers par humanité, non par principe, ne sont pas les droits du citoyen. Des étrangers, selon les principes, n'en ont aucun (si ce n'est dans leur propre société). Qu'une société leur en accorde par humanité n'autorise pas à nier la différence qui existe entre eux et les citoyens, que ce soit pour les traiter comme des citoyens ou pour traiter les citoyens comme des étrangers.
Brath-z :
Je m'étonne de lire ceci chez un admirateur de Robespierre. Si vous vous penchiez un peu plus sur l'œuvre de ce grand patriote, vous sauriez qu'il fut l'un des maîtres d'oeuvres de l'établissement du droit naturel, instauré en France par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, confirmé par celle de l'an I de la République Une & Indivisible, puis « oublié » par la Déclaration des Droits et Devoirs de l'Homme et du Citoyen de l'an III (déclaration thermidorienne) ainsi que par toute la législation qui a suivi, ce jusqu'en 1946. Alors ce « droit naturel », qu'est-ce que c'est ? Il s'agit d'une notion fort ancienne (on en trouve trace au XIIème siècle) qui a connu un vif essor à partir du XVIème siècle (école de Salamanque) et qui stipule qu'il existe des droits sacrés, imprescriptibles et inaliénables indéfectiblement liés à la personne humaine. Ces droits naturels sont antérieurs à toute organisation sociale et ne dispose donc d'aucune contrepartie. Ils sont la liberté, l'existence, la propriété et la sûreté, ainsi que toutes leurs conséquences logiques.
La liberté est le premier et le plus important des droits naturels de l'homme. Elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Elle a la justice pour règle, les droits d’autrui pour bornes et la loi pour sauvegarde. L'existence est le plus indispensable des droits naturels de l'homme. Elle consiste à pouvoir pourvoir à sa propre conservation. Elle a l'intégrité d'autrui pour borne et la loi pour sauvegarde. La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de bien qui lui est garantie par la loi. Elle est bornée par l'obligation de respecter les droits d'autrui, le bien public et l'intérêt général. Elle ne peut préjudicier ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété, ni à la sûreté d'autrui. Elle est garantie par la loi. La sûreté est le droit qu'a chaque citoyen de vivre sans crainte pour lui-même, ses biens ni ses droits. Elle n'est bornée qu'au respect des droits d'autrui. Elle est garantie par la loi.
En conséquence de quoi, les droits qu'accorde une société aux étrangers ne sont pas une obole faite par « humanisme » mais bien ces fameux « droits naturels » antérieurs à toute organisation sociale. En revanche, les droits sociaux ne concernent que les citoyens.
Réponse :
Je commence par une petite mise au point sur Robespierre. Oui, je suis un grand admirateur et un grand connaisseur de Robespierre. Il m’a énormément inspiré. Je lui dois plus que je ne saurais le dire. Je me suis juré de le faire réhabiliter. Je viens même d’écrire un livre sur lui qui devrait être publié en septembre. Pour autant, je ne partage pas toutes ses idées. Je dirais que je vais plus loin que lui. Je considère qu’il est celui qui a posé le plus justement les principes, mais avec les limites de son temps. Une de ces limites, c’est précisément l’idée de « droits naturels ». Je peux comprendre la nécessité, au XVIIIe siècle, de concevoir cette idée. Il n’en demeure pas moins qu’elle est absurde et dangereuse. C’est une diversion. Elle empêche de poser correctement tous les Principes et, partant, elle est révolutionnairement contre-révolutionnaire. L’autre faiblesse de Robespierre, commune à la plupart des hommes, fut son ignorance du rôle de la monnaie et de la véritable nature de Largent. Je ne le lui reproche pas, il n’aurait rien pu faire même s’il avait su. Il a cependant écrit cette phrase lumineuse : « Quand leur intérêt [celui des riches] sera-t-il confondu avec celui du peuple ? Jamais. » La réalité cachée derrière cette phrase l’a effrayé, au point qu’il l’a raturée, mais c’est la chose la plus importante qui ait été écrite à cette époque et depuis.
Pour en venir à votre commentaire, je maintiens que les « droits naturels » sont une foutaise. Vous dites qu’ils sont « sont antérieurs à toute organisation sociale et ne disposent donc d'aucune contrepartie. Ils sont la liberté, l'existence, la propriété et la sûreté, ainsi que toutes leurs conséquences logiques. » Le fait qu’ils doivent être proclamés est la preuve qu’ils n’existent pas sans société capable de les reconnaître et de les garantir. Hors de la Société, il n’y a aucun droit ; il n’y a que des rapports de force. Maintenant, je ne dis pas que la Société ne peut pas être plus que juste, c’est-à-dire bonne, mais il ne faut pas s’abuser : c’est n’est pas parce que la Société reconnaît par humanité des droits à des individus qui ne sont pas citoyens d’après les Principes que ces droits sont naturels. Remarquez que je dis que la Société peut être bonne, mais pas qu’elle le doit. Rien ne peut l’obliger à part elle-même ou une Société plus puissante qu’elle. Si rien ne la conduit à reconnaître et à garantir ces droits soi-disant naturels, ils n’existent pas. Un droit est, par définition, une possibilité, une liberté reconnue et garantie par d’autres. Sans autres, sans Société, point de lois, point de droits.
Quels droits un homme seul sur une île a-t-il ? Il dispose de tout mais il ne possède rien. S’il est malade, il crève. Si les poissons ne veulent pas se laisser attraper, il crève. S’il est attaqué par un fauve, il le tue ou se fait manger. Si un voleur plus fort que lui passe par là, il le dépouille ou le tue, à moins qu’il se cache. Etc. Où sont-ils, dans ces conditions, vos fameux « droits naturels » ? Si des droits n’existent qu’en présence de semblables non-cannibales, c’est qu’ils n’ont rien de « naturels ».
Ce concept de « droits naturels », qui suppose des droits indépendants de toute société, qui suppose donc qu’il y a des droits dans l’état de Nature, oblige à nier la réalité et les conséquences de cet état. Car c’est précisément parce qu’il n’y a aucun droit dans hors de la société que les hommes en constituent. L’état de Société est l’opposé de l’état de Nature. Elle naît en réaction à la violence et à instabilité de cet état. Tous les Principes de l’ordre social découlent de l’acte d’association politique, c’est-à-dire de l’union pour survivre. Si on défigure l’état de Nature, par suite on défigure l’état de Société. Si on impose des obligations au Saint Esprit, on en décharge la Société. Si on altère les devoirs et les droits du Citoyen et de la Cité au nom des « droits naturels » de l’Homme, on altère les Principes mêmes, on trouble l’harmonie sociale, on perpétue le désordre.
Vous me citez ensuite la Déclaration de Robespierre. Elle est belle, mais elle passe à côté de l’essentiel, à savoir le droit pour un Citoyen d’accéder au marché du fait même d’être Citoyen, c’est-à-dire d’avoir participé à la vie de la Cité selon ce qu’elle considère comme une participation (droit égal pour tous les Citoyens, car inquantifiable donc illimité en théorie). Du reste, elle n’expose rien que de près ou de loin ressemble à des droits naturels. Hors de la société, un individu fait ce qu’il peut : parler de « droit » est un abus de langage, et parler de « naturel » quand un individu est au milieu des hommes, confronté à « autrui », est un autre abus de langage. Relisez ces articles, vous verrez que tous supposent une société (autrui, loi) ou sont un non-sens en dehors.
Enfin, vous concluez que « les droits qu'accorde une société aux étrangers ne sont pas une obole faite par « humanisme » mais bien ces fameux « droits naturels » antérieurs à toute organisation sociale. En revanche, les droits sociaux ne concernent que les citoyens. » Dès lors que la Société reconnaît aux étrangers les droits qu’elle peut leur reconnaître sans saper les Principes de l’ordre social, je ne vois pas pourquoi vous tenez à prétendre que ces droits sont naturels plutôt que reconnus par humanité ? Cela ne change rien pour eux. Et si ladite société ne les garantit pas malgré toutes les Déclarations, la belle affaire ! Je ne vois pas non plus quel est le rapport de tout ce discours avec le principe de préférence nationale.
08:12 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook | | Imprimer |
Commentaires
Tout d'abord je tiens à vous remercier pour deux choses : me répondre aussi rapidement et dans le détail, et tenter de réhabiliter Robespierre.
Sur votre réponse en elle-même, je comprends que je me suis mal exprimé. C'est que, voyez-vous, je suis un historien moderniste et par déformation professionnelle j'ai tendance à ne pas expliciter des modes de raisonnement et de pensée hérités de cette période quand je les emploie. Ainsi du concept de "droit naturel", et spécialement de l'emploi dans cette expression du terme "naturel".
Contrairement à ce que l'on pourrait croire au premier abord, les "droits naturels" ne proviennent pas de l'état de nature. C'est la grande erreur de Rousseau que d'avoir prit au pied de la lettre les démarches intellectuelles des penseurs anglais de son temps, qui ont été nombreux à théoriser ce que l'historiographie et la philosophie ont retenu sous le nom "d'état de nature" (les deux plus célèbres des penseurs ayant entreprit cette démarche étant Hobbes et Locke). Il s'agit moins de prétendre à savoir ce qu'était réellement le monde dans l'état de nature (un état très théorique et qui n'a jamais existé) que de supposer une norme (par définition sociale) qui s'abstrait théoriquement sinon dans la pratique des contingences habituelles que sont les différences culturelles (ce que ces penseurs de l'époque nommaient la cosmopolitique et qu'on nomme aujourd'hui l'universalisme).
Cette reconstruction intellectuelle n'a pas non plus vocation à être une simple chimère (contrairement à l'Utopie de Thomas Moore, dont le seul objectif fut d'inspirer une certaine morale égalitaire et la recherche du bonheur individuel et collectif aux législateurs et magistrats de son temps) mais à influencer, par son existence même, si théorique soit-elle, le monde présent et futur. Tout ceci s'inscrit dans une démarche éminemment chrétienne (et même : catholique) de recherche de la rédemption, en l'occurrence par l'abstraction du pêché lui-même, ce qui peut nous sembler quelque peu étrange (mais ce fut l'une des raisons de la troisième guerre civile anglaise, donc on comprend l'importance qui y a été accordée).
Cette démarche intellectuelle s'apparente d'ailleurs à celle qui consiste à dire à des enfants que leurs ancêtres sont les Gaulois. Immigré ou de souche, aucun Français ne peut sérieusement prétendre descendre des Gaulois. D'abord parce que les "Gaulois" sont une invention romaine (ils ont appliqué le nom des Galattes, une peuplades celtique et germanique de l'actuel Toulousain dont une partie a traversé l'Europe et s'est pour l'essentiel installée au nord de l'actuelle Turquie au IIème siècle avant notre ère, à tous les peuples vivant sur un territoire s'étendant du Rhin et des Alpes à l'Atlantique, et des Pyrénées et de la Méditerranée à la mer de Bretagne, peuples qui étaient d'origines fort diverses : germaniques, celtiques, italiques, ibériques, sémites, etc.), ensuite parce que les Gaules, vue la position qu'elles occupaient ont vu s'établir de nombreuses populations au cours des siècles, depuis l'empire romain (territoire stratégique à proximité des pays germaniques, permettant d'isoler la péninsule ibérique et seul lien entre la Méditerranée et l'île de Bretagne, le deuxième "grenier de l'empire" avec l'Égypte) jusqu'à la période moderne (royaume le plus vaste et le plus peuplé comprenant rien moins que les trois régions les plus riches d'Europe - côte normande et artésienne, Flandres, bassin parisien - ainsi que de nombreux liens avec le principal axe commercial d'Europe - les Flandres et le Lyonnais - et une façade méditerranéenne).
Bref, quelle que soit la personne à qui l'on s'adresse, prétendre que ses ancêtres sont les Gaulois ne correspond à aucune réalité. Pourtant, pour les Français, c'est la vérité. On peut dire que c'est là une nécessité pour que la Nation existe (le mot "nation" vient du latin "natio" qui suppose une parenté de naissance), donc une convention sociale, ce n'en est pas moins la vérité. Je résume moi-même cette idée à partir de la formule : "la vérité n'a pas à se soucier de la réalité".
Ainsi, cette distinction entre "droits sociaux" et "droits naturels" ne tient pas à l'état dans lequel ces droits sont accordés (la société, c'est-à-dire, pour prendre une formule rousseauiste, l'état de culture) mais aux principes qui justifient leur proclamation et leur établissement. Les "droits sociaux" n'ont d'autre justification que le maintien de la paix civile et la défense de nos traditions et modes de vie. Les "droits naturels", eux, ont pour justification l'idée qu'une société civilisée doit parfois s'abstraire des contingences circonstancielles pour viser au bien. Cette idée est généralement nommée "principe de civilisation", et elle est restée présente dans l'imaginaire politique français jusque dans les années 1970, moment où les considérations matérielles et techniques ont prit le pas sur les principes, où la maxime "nécessité fait loi" a justifié petit à petit toutes les atteintes à la souveraineté et à nos traditions ("c'est la seule politique possible", A. Minc, La Mondialisation heureuse, 1997). Il s'agit de droits qui sont destinés à s'appliquer à toute l'humanité. Puisqu'il est évidemment impossible de prétendre à l'antériorité (puisque pendant longtemps, en droit, comme vous le savez, c'est l'antériorité qui a dicté sa règle) de ces droits sur les divers droits qu'ont forgé les sociétés au cours de l'histoire de l'humanité, ils sont proclamés "naturels", c'est-à-dire antérieurs à toute organisation sociale. La formule (plus exacte sémantiquement parlant) de "droits de l'homme" (toujours associés aux termes "et du citoyen", ce qui signe clairement l'appartenance des deux champs au même état, l'état de culture, sauf dans le cas de la stupide "déclaration universelle des droits de l'homme") ayant été dévoyée par Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy et consorts, je préfère employer la formule originelle de "droits naturels" tout en gardant à l'esprit que ces droits naturels sont bels et bien... artificiels !
Sinon, en effet, mon commentaire ne concernait pas directement la question de la préférence nationale.
Mon opinion sur le sujet est qu'il s'agit d'une mesure purement économique, dans laquelle doivent donc en priorité entrer en ligne de compte les considérations qui concerne l'efficacité. Efficacité technique évidemment mais pas seulement. La raison première de l'organisation sociale (attention, pas de la société en tant que telle mais des institutions qui l'encadrent et la réglementent) étant la préservation de la paix publique, c'est bien évidemment l'efficacité en termes de maintien de la paix publique qui doit être prioritaire dans l'esprit du législateur.
Ainsi, je pense qu'il serait sot de nous priver de la possibilité de pouvoir établir une préférence nationale dans tels ou tels secteurs de l'économie en cas de nécessité (et une période de crise, de troubles civils ou encore de pauvreté en est une), mais je pense qu'il serait tout aussi sot pour en faire une règle d'airain, y compris dans les cas où la situation sociale ne le nécessite pas. Évidemment, il existe des secteurs sensibles (les services publics, les domaines de la défense, les industries garantissant notre souveraineté, etc.) dans lesquels il n'est pas question qu'un étranger soit employé.
Écrit par : Brath-z | vendredi, 12 août 2011
Hé bien ! vous êtes encore plus prolixe que moi. Je ne répondrai pas longuement à vos réponses n'ayant pas encore achevé de répondre à vos premiers commentaires. Mais je comprends mieux, maintenant, vos incessantes digressions historiques qui vous éloignent du sujet, qui du moins m'en font perdre le fil.
Sur cette question des droits naturels, je pense que vous résumez tout par cette phrase : "Les "droits naturels", eux, ont pour justification l'idée qu'une société civilisée doit parfois s'abstraire des contingences circonstancielles pour viser au bien." Donc c'est bien ce que je dis, c'est une question d'humanité, laquelle dépend du degré d'humanisme de la société. Ceci explique pourquoi certains droits ne sont pas reconnus avant et pourquoi d'autres seront reconnus plus tard que nous ignorons aujourd'hui. Ils n'ont rien d'intangible ou d'absolu, ils dépendent de la bonne volonté de la société contrairement aux droits fondamentaux du citoyen qui, eux, découlent l'acte d'association politique.
Pour mieux saisir mes conceptions dans leur globalité, je vous invite à lire
http://philippelandeux.hautetfort.com/1-principes-de-l-ordre-social/
Écrit par : Philippe Landeux | samedi, 13 août 2011
Concernant la question de la préférence nationale, je ne vois pas la différence entre votre opinion est la mienne. Ma proposition n'est pas développée, mais il va de soi que nous avons sur ce sujet le même état d'esprit. Vous faites comme moi la différence entre préférence et exclusivité. Que les Français aient toujours la priorité ne veut pas dire qu'il n'y a pas de place pour d'autres, sauf s'il n'y a réellement plus de place pour eux.
Écrit par : Philippe Landeux | samedi, 13 août 2011