LIBERTE : limites à la liberté d’opinion et d’expression (lundi, 22 août 2011)

Un lecteur a eu l’amabilité et la patience de commenter ou critiquer de nombreuses propositions de mon essai de programme présidentiel pour 2012. Comme chaque point mérite des développements et que le tout serait très long, je publie séparément ma réponse à chacun des objets, en rappelant la proposition en question et la position dudit lecteur.

31. Reconnaissance de la liberté absolue d’opinion et d’expression


Brath-z :

En lisant ceci, je me demande si vraiment j'ai affaire à un citoyen français. Vous ne me semblez guère pénétré de nos traditions, vraiment ! Notre droit repose sur quelques principes fort simples :
- la loi sanctionne l'acte délictueux
- seule la loi sanctionne
- nul ne peut se faire justice lui-même
- la peine est adaptée à l'acte (cette disposition étant relativement récente puisque datant de 1789 seulement)

Vous réalisez, je pense, que votre étrange disposition sur les insultes et leur réaction (qui n'est pas légitime : la violence n'est légitime que si elle sert l'intérêt général ou bien permet la défense par un individu ou un groupe de ses droits naturels, qui sont imprescriptibles et inaliénables) va totalement à l'encontre de certaines de nos traditions les plus anciennes (« nul ne peut se faire justice lui-même » étant un édit royal de Louis IX, au XIIIème siècle). Pour ce qui est des insultes à la France et au peuple français (ce que, je crois, vous qualifiiez plus haut « d'outrage à la France », on voit comment la formulation change d'un point à un autre...), j'ai déjà donné mon opinion plus haut.

Réponse :

Je vous rassure, vous avez bien à faire à un Français, un vrai de vrai, un révolutionnaire. Je connais aussi bien que vous les sophismes de nos lois et je les récuse. On ne fait pas la révolution avec l’ancien code pénal à la main ! On ne change pas un système en conservant ses lois et ses absurdités !

Oui, seule la loi doit sanctionner les actes reconnus comme des délits. Par contre, il faut arrêter de confondre « faire justice » et « se défendre ». Se défendre dans l’instant n’à rien à voir avec traquer un coupable pour le châtier soi-même. Vous auriez pu ajouter, puisque c’est la loi actuelle, que « la défense doit être proportionnelle ». J’ai montré (De la légitime défense) que ce principe est une absurdité qui n’a d’autre résultat que d’interdire d’abolir le droit à la légitime défense. (A ce sujet, je vous rappelle les principes des Robespierre : « Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits. Art. 30 […] assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression est le dernier raffinement de la tyrannie. Art. 31)

De même, une peine adaptée à l’acte ne veut pas dire égale, proportionnelle ou de même nature, ce qui, bien souvent ne veut rien dire, mais « de nature à le réparer, à faire regretter de l’avoir commis, à empêcher la récidive et à dissuader les autres de le commettre ». Voilà tous les buts que doivent si possible atteindre les peines. Si elles ne les atteignent pas, elles sont inutiles.

Pour en venir à la question des insultes personnelles et des outrages à la nation, ce n’est pas que je sois obsédé par le sujet, mais il est question ici de liberté d’expression. Avouez que les limites que je trace sont peu de chose. Je considère en effet que l’insulte n’est pas seulement une parole mais, dans certains cas (j’ai modifié la formulation), un acte, une provocation, une agression et même une indignité dans le cas d’une insulte à la nation. Dans le cas d’une insulte personnelle, je ne dis pas qu’il faut réagir violemment, mais je comprends que certains aient dans certains cas une réaction violente et je ne vois pas pourquoi la loi les punirait eux alors que c’est eux qui ont été provoqués et en quelque sorte agressés. Je ne dis pas non plus que la loi doit permettre d’étriper un malotrus, mais simplement qu’elle ne peut pas blâmer les réactions légitimes un peu vives. Ceux qui profèrent des insultes et tombent sur un os n’avaient cas se taire. La loi ne les punit pas, mais s’ils se sont fait corriger, elle ne les plaint pas non plus. La liberté de la langue implique d’en faire bon usage. Quand on ne sait pas se comporter en société, on va vivre dans les bois, parmi les animaux.

Avec vos « traditions », on peut insulter, cambrioler, violer, racketter, assassiner sans trop redouter la réaction de sa victime (ni même celle de la loi), car, outre le fait que l’agresseur la choisit pour sa faiblesse et a sur elle l’avantage de la surprise, la loi la traite en coupable si d’aventure elle triomphe de lui par des moyens jugés nécessairement illégaux. Tout est fait pour que les citoyens ne se défendent pas avec la dernière énergie même s’ils en ont l’opportunité et les moyens. (En réalité, se défendre n’est pas un « droit naturel », puisqu’une agression rompt le pacte social et plonge les protagonistes de l’affaire dans l’état de nature dans lequel il n’y a pas de lois, donc pas de droits, chacun pouvant faire tout ce qu’il peut pour assurer sa survie. Ce n’est donc pas que la victime a le « droit » de se défendre mais que rien ne peut lui interdire de le faire, accepté la force supérieure de son agresseur. Si par chance elle triomphe, la société qui devait le protéger a failli et ne peut la poursuivre au nom de la loi. L’agresseur, lui, doit être poursuivi parce qu’il a violé les lois et attenté aux droits d’un citoyen.) Or il est évident que la société, dont la fonction première est d’assurer aux citoyens une sécurité plus grande que s’ils étaient dans l’état de nature, ne peut se confondre avec la police, puisqu’il ne peut pas y avoir un policier derrière chaque citoyen. (De fait, la police a moins pour fonction de protéger les citoyens que de poursuivre après coup les coupables.) La police contribue à la sécurité des citoyens dans une certaine mesure, mais le droit à la sécurité ne peut dépendre intégralement d’elle. La sécurité d’un citoyen est, en premier lieu, à la charge de tous ses concitoyens. Tous les citoyens ont le devoir de se défendre mutuellement (d’où le devoir d’assistance à personne en danger qui, sans cela, est un sophisme). Maintenant, lorsqu’un citoyen est seul face à un danger et qu’il ne peut compter que sur ses propres forces pour le conjurer, loin de lui reprocher de s’être défendu, la société doit au contraire l’en féliciter. Ainsi, au lieu de transformer ses citoyens en agneaux sacrificiels et d’exciter les loups, c’est-à-dire de faire l’inverse de ce qu’elle doit, la société en fait des tigres et décourage autant que faire se peut les chiens.

Avouez que cet état d’esprit donne davantage de sens à cet article : « Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. Art. 29. » Croyez-vous, en effet, que des citoyens castrés, désarmés, efféminés, amorphes, soient capables de s’insurger, de défier les forces de la tyrannie ? Je crois plutôt que vos « traditions » font au contraire partie de la stratégie des tyrans. 

11:45 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |