AU NOM DE LA DEMOCRATIE (mardi, 10 avril 2012)

Le mot « démocratie » est aujourd’hui mis à toutes les sauces alors que notre système n’est en rien démocratique. Ces abus de langage ont pour objectif de conférer une légitimité à des actes et des procédés qui n’en ont aucune. A l’heure où le principe de la souveraineté du peuple est reconnu, toute intervention populaire, même illusoire, surtout illusoire, est estampillée du label « démocratique », et toute action d’Etat, anti-démocratique ou anti-nationale, doit être entreprise au nom de la démocratie (viol d’un référendum, guerre en Libye, etc.). En revanche, ce qui s’approche le plus de la démocratie réelle est taxé de populisme voire de fascisme par l’oligarchie.

Mais qu’est-ce au juste la démocratie ? Tout le monde connaît la formule : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais cette formule ne dit pas l’essentiel. La démocratie est un système dans lequel les lois, toutes les lois et toutes les entreprises menées au nom du peuple, sont approuvées par le peuple. (Précisons que le peuple n’est pas la population, mais l’ensemble des individus qui ont mérité le droit de cité d’après les Principes de l’ordre social, et non d’après les lois qui peuvent étendre ou restreindre de manière arbitraire le corps politique, c’est-à-dire la Nation). Il ne suffit donc pas que le peuple intervienne à un moment ou un autre dans le processus législatif ou décisionnel pour que le procédé puisse être qualifié de démocratique ; il faut que le peuple en personne ait réellement le dernier mot, que rien ne se fasse contre sa volonté et sans son aval. C’est cela une démocratie. Tout système qui viole ce principe est anti-démocratique. Il s’ensuit que la « démocratie représentative » est une escroquerie.

La « démocratie » représentative confie à des élus (pas toujours) le soin de faire les lois et de prendre toutes les décisions au nom du peuple qui les a élus (souvent par défaut). Comme ils ont été portés à leurs fonctions par le peuple, le système se dit « démocratique ». On note que le peuple est ici en début de chaîne et non en bout. En réalité, le peuple ne fait que choisir ses maîtres ; il n’est pas plus consulté qu’il n’a les moyens de s’opposer aux décisions prises en son nom par les élus qui ne sont eux-mêmes tenus en rien de respecter leurs promesses électorales (pas de mandat impératif). La possibilité de ne pas réélire les traîtres à la nation, pour en choisir d’autres du même tonneau et repasser le même film, est une bien maigre consolation une fois que le mal est fait. Le système est si anti-démocratique que même les contre-pouvoirs constitutionnels n’ont aucune dimension populaire. En fait, dans ce système, le peuple est nul ; il ne sert que d’alibi et de marchepied.

Mais, dira-t-on, un peuple nombreux ne peut se gouverner directement et doit nécessairement déléguer des pouvoirs. Ceci n’est qu’un sophisme. Il est évident que des individus peuvent d’autant moins élaborer des projets en commun qu’ils sont nombreux. Mais c’est dénaturer  le problème que de formuler pareille objection. La question n’est pas de savoir si un peuple peut élaborer des projets en commun, mais si lesdits projets, quels que soient leurs concepteurs, doivent être soumis à son approbation et s’il peut lui-même se prononcer. Dans ce cas, la réponse est oui. La méthode pour le consulter est le référendum. Il est vrai néanmoins que le peuple ne peut être consulté dans son entier chaque fois qu’une décision politique ou législative est prise. Même si cela était techniquement possible, comme c’est le cas aujourd’hui, des consultations quotidiennes par Internet ou autre procédé informatique aviliraient la démocratie. Le vote doit être un acte sacré, solennel et réfléchi, et les électeurs doivent prendre le temps de la réflexion, ce qui ne peut être le cas s’ils sont bombardés de questions. Maintenant, ce n’est pas parce que la démocratie directe est impraticable, sauf occasionnellement, qu’il faut s’abandonner au système exclusivement représentatif qui est antidémocratique par nature, puisque les élus confisquent de fait la souveraineté qui n’appartient qu’au peuple. Il ne s’agit pas d’opter entre l’anarchie ou le despotisme, mais de trouver un juste milieu.

Quoique le débat soit clos aujourd’hui, les tenants du pouvoir se gardant bien de le rouvrir, ces considérations ont longtemps turlupiné les philosophes et engendré des système politiques variés. Il n’est pas possible d’évoquer ici tous les systèmes politiques connus dans l’Histoire depuis l’Antiquité. Disons simplement que beaucoup de systèmes intégraient et utilisaient chacun à leur manière un procédé qui a complètement disparu de nos jours en matière politique : le tirage au sort. La question que se pose : le sort est-il un procédé démocratique, c’est-à-dire garant de la démocratie ?

Il est certain que le tirage au sort ne relève pas en lui-même de la logique « aristocratique », qu’il est a priori dans l’intérêt du peuple contre celui de l’oligarchie. Mais la signification et les effets de ce procédé dépendent de l’objet auquel il est appliqué, du moment auquel il intervient dans le processus de sélection et des fonctions qui seront celles des « élus ». Il ne suffit pas qu’un système recoure au tirage au sort pour le qualifier de « démocratique » alors que le résultat peut être, sinon l’inverse, du moins nul. Pour comprendre à quelle fin et à quel moment le tirage au sort est utile d’un point de vue démocratique, il faut revenir à ce qu’est la démocratie.

La finalité de la démocratie est la souveraineté du peuple au sens littéral. Un procédé est démocratique quand il permet au système d’atteindre cette finalité ; il est anti-démocratique quand il tend à étouffer la voix du peuple ; il est neutre et insipide quand, au final, il ne pèse rien dans la balance et ne fait pencher le plateau ni d’un côté ni de l’autre. Ainsi, quand le tirage au sort n’est qu’une étape parmi d’autres dans le processus de sélection et n’apporte ni n’enlève rien, au niveau global, à la souveraineté du peuple, il est indifférent du point de vue de la démocratie ; ce procédé n’est alors ni démocratique ni anti-démocratique et employer ces qualificatifs à tort et à travers est au mieux une maladresse, au pire une perfidie. (On peut d’ailleurs dire la même chose du droit de vote.) De manière générale, la démocratie ne se loge pas dans les détails du système. Un système est ou n’est pas démocratique. Il l’est si les lois et les actes du gouvernement sont réellement l’expression de la volonté du peuple. Peu importe qui fait les lois et qui gouverne dès lors que rien ne peut se faire sans l’accord du peuple. Or, il n’y a qu’une manière de connaître l’opinion du peuple en dehors du référendum, c’est de constituer une assemblée de nombreux citoyens (nationaux) tirés au sort, sorte de jury national, dont la fonction première serait de ratifier à une large majorité (par exemple les deux tiers) les projets de lois élaborés par le parlement ou le gouvernement, sauf dans les cas où la constitution impose un référendum.
 
Dans le même ordre d’idée, le tirage au sort est souvent considéré comme un procédé « égalitaire ». C’est un sophisme de plus. L’épithète « égalitaire » fait référence à l’Egalité. Or il n’y a d’Egalité qu’en droits, en société, entre citoyens. Que tous les membres du corps social aient les mêmes chances, par le tirage au sort, d’être appelés à une fonction n’a rien à voir avec l’Egalité et établit même une sorte inégalité. En effet, dans le cadre de leurs fonctions, les « élus » seront revêtus de droits particuliers ou prérogatives, puisque c’est le but même de l’opération. Sous ce rapport, ils ne sont plus les égaux de leurs concitoyens. En réalité, les droits particuliers, nécessaires pour s’acquitter de quelque fonction que ce soit, n’entrent pas dans la balance de l’Egalité. L’Egalité se juge au niveau global ; elle n’existe que si les individus sont égaux en droits en tant que citoyens, c’est-à-dire si le statut de citoyen confère à chacun d’eux les mêmes droits, autrement dit si les droits du citoyen sont attachés à la citoyenneté. Or le tirage au sort, à quelque niveau qu’il intervienne et quelque poste qu’il serve à pourvoir, n’altère pas la nature égalitaire ou inégalitaire du système. En l’occurrence, le système monétaire est inégalitaire par nature et des tirages au sort à quelque fin que ce soit ne changeraient rien à l’affaire. Il y aura toujours une minorité de riches et une majorité de pauvres dans un système monétaire de par les lois de la monnaie, fondée sur Largent (notion de valeur marchande), et riches et pauvres ne sont pas et ne seront jamais égaux en droits, pour la simple raison qu’un des droits fondamentaux du citoyen est de pouvoir accéder librement au marché (où sont réunis une partie des bienfaits de la cité qu’il a lui-même contribué à générer) et que, dans un système monétaire, ce droit est conféré et limité par la monnaie qui ne peut pas se répartir également.

Il s’ensuit que des procédés sélectifs ne peuvent être égalitaires alors que le système est inégalitaire en dernière analyse. Si un procédé ne produit pas l’Egalité, la seule Egalité qui importe, en quoi est-il égalitaire ? On retrouve donc ce que nous avions dit précédemment sur la démocratie, à savoir qu’elle ne se loge pas dans les détails mais se mesure au niveau global. Il y a d’ailleurs un lien entre Egalité et Démocratie, comme entre inégalité et oligarchie. Il ne peut pas y avoir d’authentique démocratie dans l’inégalité. Même une organisation politique parfaite sur le papier débouche sur une oligarchie dans l’inégalité, car les profiteurs de l’inégalité ayant le pouvoir économique ne sont pas menacés par le pouvoir politique dont ils finissent par s’emparer de manière plus ou moins détournée. A l’inverse, dans un système égalitaire, donc non-monétaire, tel la Cité, rien ne pourrait dépouiller les citoyens de leurs droits, tous auraient le même poids politique et, par la force des choses, un système démocratique se mettrait en place. Pourtant, ce système ne serait démocratique que dans ce contexte ; il serait illusoire dans un contexte monétaire. Tant que les pauvres sont pauvres, la belle affaire ! Egalité et Démocratie sont des mots vides de sens.

Il faut donc se méfier des débats sur la nature plus ou moins démocratique ou plus ou moins égalitaire de tel ou tel procédé, dès lors qu’ils servent (même inconsciemment) à occulter la question fondamentale de Largent et de la monnaie dont dépend la nature inégalitaire et anti-démocratique du système. S’engager corps et âme dans de tels débats avant même d’avoir une idée correcte de ce que sont l’Egalité et la Démocratie, et de proposer les mesures qui seules peuvent les assurer, c’est se méprendre sur la véritable cause de l’inégalité et de l’oppression, donc contribuer à les maintenir, donc servir les intérêts suprêmes du système ; c’est mener, avec plus ou moins de talent, des combats périphériques pour remporter, au mieux, des victoires à la Pyrrhus.

Source : L'impossible aristocratie

14:46 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |