LETTRE OUVERTE A M. HOLLANDE, PRESIDENT (mercredi, 19 juin 2013)

Monsieur le Président,

Quand je vous ai entendu dire que tout le monde devrait faire des efforts, mon sang n’a fait qu’un tour ! Mesurez-vous la portée de vos paroles ? Comprenez-vous ce que cela signifie pour la plupart des Français qui se serrent la ceinture à longueur d’année, depuis des années ? Manifestement, vous n’en avez pas la moindre idée. Permettez que je vous éclaire.

J’ai 40 ans, célibataire et je vis en région parisienne dans un palace de 28 m². Avec mon salaire oscillant entre 1400 et 1500 €/mois, nettement au-dessus du SMIC, je suis sans doute un privilégier à vos yeux. C’est en effet le salaire moyen en France. Autant dire que, si certains gagnent plus, beaucoup plus encore gagnent et survivent avec moins. Mais restons sur mon cas.

Cette déclaration de salaire est trompeuse. Bien que ce salaire soit relativement correct, que représente-t-il en réalité ? Je ne vis pas avec 1500 €. Je n’ai pas 1500 € à dépenser pour satisfaire, au jour le jour, mes besoins et mes envies.

Sur ces 1500 €, il faut enlever 640 € de loyer (42 %), auxquels s’ajoutent 42 € de taxe d’habitation, 40 € d’EDF, sans compter l’assurance habitation et la facture d’eau dont je n’ai pas le montant sous la main. A ceci s’ajoutent, en termes de frais fixes et de prélèvements automatiques : 32 € d’abonnement Internet, 40 € de forfait téléphonique, 65 € de carte orange (transports), 40 € de mutuelle santé et 72 € d’impôts sur le revenu (mensualisés). Autrement dit, ce sont environ 350 € de plus, par rapport à mon loyer, qui sortent tous les mois de ma poche avant même que j’en ai vu la couleur. Ce n’est donc pas de 1400 ou 1500 € dont je dispose pour vivre au quotidien, mais de 400 à 500 € seulement. Et encore !

Je suis un privilégier. Je vis dans le luxe : j’ai Internet et un téléphone portable. En revanche, pas de télévision, je l’ai jetée voilà déjà plusieurs années, ce qui explique pourquoi la redevance n’apparaît pas dans cette énumération. Je pourrais rogner sur ces dépenses-là qui n’ont peut-être pas pour vous un caractère incompressible. Mais faut-il également que je m’abstienne de manger ? Ce poste s’élève, sans forcer, à environ 200 €/mois. Parlerai-je également de la cigarette, puisque je suis fumeur, poste qui, du fait de l’État insatiable, mobilise environ 100 €/mois ?

Que me reste-t-il donc réellement pour sortir, pour m’habiller, pour me faire plaisir, pour voyager, pour faire des cadeaux, pour faire face aux dépenses imprévues, en un mot pour vivre ? Au grand maximum 200 €, c’est-à-dire à peu près rien. Faut-il préciser que, dans ces conditions, la vie est une succession de privations, que je suis en permanence à découvert et qu’il est impossible de mettre un sous de côté.  

Ainsi, moi qui travaille, moi qui n’ai jamais manqué un jour pour maladie, moi qui ai servi mon pays et le défendrai encore jusqu’à la mort, que suis-je sinon une sorte d’esclave ? quel effort (financier) dois-je encore faire pour remplir les caisses d’un État qui me méprise et me pressure déjà au-delà du supportable ? Nous devons tous faire des efforts ! Mais comment puis-je en faire davantage ? comment les riches pourraient-ils jamais en faire autant que moi et la France d’en bas ? Et je n’entre pas dans le débat du « pour quoi » et du « pour qui » qui me ferait sortir de mes gonds, le scandale le disputant à l’odieux !

Vous ne savez pas de quoi vous parlez, M. le Président, vous qui touchez des dizaines de milliers d’euros par mois, payés par les contribuables que nous sommes. Vous ignorez tout des difficultés quotidiennes et des angoisses des Français. Vous ne réalisez pas à quel point il est indécent de votre part d’appeler à faire des efforts, lesquels pèseront toujours sur les mêmes, sur nous.

Vous envisagiez, pour amuser la galerie, d’imposer les très riches à hauteur de 75 % : vous feriez mieux d’examiner les moyens permettant aux pauvres de garder leur emploi et de jouir du fruit de leur travail, voire d’augmenter leurs revenus. Jusqu’à présent, vous avez fait le contraire. Comprenez donc que, pour nous, les marges sont très étroites. La moindre augmentation de taxe, d’impôt ou de prix, insignifiante pour vous, est un drame pour nous. Que dis-je un drame ? C’est un attentat, une trahison de plus ! Mais, surtout, n’oubliez pas que le peuple français est lent à réagir. Il subit, il encaisse et, un jour, il explose et rase gratis.

Pardonnez-moi, M. le Président, si je ne vous adresse pas mes salutations distinguées, trop de choses que je me suis gardé de dire pour ne pas noyer mon propos me restent en travers de la gorge.

Philippe Landeux
19 juin 2013

12:02 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer |