LA DECROISSANCE (mercredi, 07 mai 2014)

Un grand merci à monsieur Christian Laurut
qui m’a proposé et a réalisé cet entretien vidéo
Son site : Demain la Décroissance

LA DÉCROISSANCE :

LA BONNE CONSCIENCE DU CAPITALISME
OU
UN PIÈGE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE DE PLUS

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Demain la Décroissance N° 12 - Philippe Landeux

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Ce qui ne tue pas l’ennemi le rend plus fort. Ce qui ne tend pas à réaliser la révolution est contre-révolutionnaire.

L’ennemi, aujourd’hui, c’est Largent. La Révolution de demain consistera à renverser Largent, au nom de l’Égalité et de la nation.

La contre-révolution, c’est donc tout ce qui détourne de ce combat, tout ce qui empêche de le mener, tout ce qui, sous quelque prétexte que ce soit, cautionne  l’existence et la tyrannie de Largent, tout ce qui perpétue le capitalisme même sous des dehors anti-capitalistes, tout ce qui maintient l’ordre des choses au nom d’un quelconque changement.

Il est difficile de le reconnaître, il est délicat de le dire, il est sans doute douloureux de l’entendre, mais la quasi totalité des gens sont objectivement les complices du système. Ceci inclut les partisans de la décroissance.

Je m’explique.

Une Humanité de plus en plus nombreuse puise sans retenue dans des ressources naturelles limitées qui, fatalement, s’amenuisent d’année en année et qui, un jour, ne pourront plus suffire à ses besoins modernes. L’Homme dévaste la planète de son séjour ; il scie la branche sur laquelle il est assis. Ceci se manifeste de mille manières. (Il n’est ni de mon propos ni de mes compétences d’entrer dans le détail en la matière.)

Il est logique que cette situation alarmante et ces perspectives dramatiques suscitent des réactions diverses. La « décroissance » est l’une d’entre elles.  

La décroissance consiste à vouloir réduire l’impact de l’Homme sur les ressources et la planète en général et à chercher une solution pour chaque problème dans l’espoir de pouvoir les mettre en œuvre avant qu’il ne soit trop tard. Il s’agit d’envisager tantôt une baisse de la consommation, tantôt de nouvelles énergies ou de nouveaux moteurs, tantôt d’autres modes de production, tantôt de nouvelles techniques, etc.

Cette démarche est louable en soi, et il faudra en effet aller un jour dans cette voie. Mais, à l’heure actuelle, les « décroissants » négligent quatre choses, qui rendent vains leurs efforts et font de la décroissance une vue de l’esprit.

Tout d’abord, ils négligent de prendre en considération la nature profonde du système qui produit les effets qu’ils dénoncent et qui ne peuvent disparaître dans le cadre de ce système, sauf à croire au Père Noël. Or, par quelque bout que l’on prenne la question, notre système est monétaire, et tous les problèmes résultent de la course au profit. Comme « gagner de l’argent, chercher à en gagner toujours plus ou à en dépenser le moins possible » est la règle de base du système monétaire, vouloir que les hommes, les entreprises et les États suivent d’autres règles tout en continuant à jouer au même jeu (le Monopoly grandeur nature) est un vœu pieu.

Ensuite, ils négligent le fait que, dans un système monétaire, de par le fonctionnement de la monnaie, il y a nécessairement des riches et des pauvres ; que les riches qui ont par définition le pouvoir économique tiennent aussi, d’une manière ou d’une autre, le pouvoir politique ; que les riches sont à l’abri du sort commun alors que ce sont eux qui font les lois, et qui, s’ils ne les font pas pour eux, ont les moyens de s’y soustraire. Autrement dit, la décroissance est inspirée par les problèmes créés par ceux qu’ils enrichissent, qui pourraient les résoudre mais qui n’y ont aucun intérêt. La pénurie est un problème seulement pour les pauvres ! La décroissance, dans un contexte monétaire, est une aspiration d’honnête homme mais d’une grande naïveté !

Ils négligent encore, et ceci rejoint le dernier point, que ce ne sont eux-mêmes que de simples « citoyens », que c’est précisément pour cela qu’ils ont ce genre de préoccupations ; qu’ils n’ont pas plus le pouvoir qu’ils ne cherchent à en avoir ; que ceux qui réfléchissent ne sont pas ceux qui décident ; qu’ils n’ont aucun moyen d’imposer leurs vues si tant est qu’ils soient d’accord entre eux ; bref que leur bonne volonté fera d’autant moins le poids contre les intérêts financiers qu’ils ont intégré leur impuissance.

Leur penchant universaliste les voue d’ailleurs à l’impuissance, puisqu’il n’est que l’expression et la manifestation de cette impuissance. Il provient de leur conformisme, c’est-à-dire de leur incapacité à remettre en cause de manière radicale le système qu’ils prétendent combattre, à faire le lien entre Largent, l’individualisme et le mondialisme, autrement dit de leur soumission à l’idéologie capitalo-mondialiste dans sa version capitalo-gauchiste, plus politiquement correcte. Ils ne pensent pas « nation », c’est trop rétrograde ! Ils pensent « monde », c’est plus tendance ! Ils pensent comme leurs ennemis.

Enfin, ils négligent le fait qu’il est impossible de convertir à la décroissance les masses qui, certes, contribuent à l’épuisement des ressources, au gaspillage, à la pollution, etc., mais qui, en réalité, au niveau individuel, loin de vivre dans l’opulence, sont déjà à la limite de la survie ; qu’il est donc indécent et absurde de demander aux pauvres de se serrer la ceinture ; que cette indécence et cette absurdité ne peuvent échapper qu’à des ventres pleins à la bonne conscience, c’est-à-dire à ce que l’on appelle aujourd’hui des « bobos ». Il faut avoir abusé ou en avoir eu la possibilité pour accepter la modération ; il faut que tous aient eu cette possibilité, au lieu de n’avoir généralement connu que la frustration, pour que la décroissance (ou la réduction volontaire de la consommation) soit autre chose qu’une utopie.

La décroissance est d’ailleurs plus vaine encore au niveau du monde (échelle envisagée) qu’à celui des nations. Aussi nécessaire et urgente que soit une telle politique, elle n’est portée que par des occidentaux, par des profiteurs, qui ne peuvent reprocher aux pays émergents de vouloir profiter à leur tour, et encore moins les contraindre à se soumettre à leurs désirs.

En somme, les décroissants veulent sauver le monde sans tenir compte de toutes ses réalités. Ils se précipitent sur l’objet de leurs inquiétudes, comme si elles étaient partagées par tous, ce qui, à tort ou à raison, n’est pas le cas ; ils résolvent les problèmes sur le papier, d’un point de vue technique, en faisant fi des obstacles qui empêchent de les résoudre en pratique, donc en perpétuant les conditions qui les génèrent. Bref, le meilleur moyen de ne jamais mettre en œuvre une politique décroissante est d’être obnubilé par la décroissance. Pour tout dire, une politique décroissante ne peut être mise en œuvre dans une logique capitaliste. Partant, elle ne peut qu’être l’effet d’un système non-monétaire. Et sortir du système monétaire, anéantir ce que j’appelle Largent, est précisément l’objet de mes propres travaux.

Pour faire court :

Une société est en harmonie quand elle repose sur ses Principes fondamentaux. Le premier de ces Principes est l’égalité des Citoyens en Devoirs et en Droits. Un individu est Citoyen quand il est admis à faire partie de la Cité et qu’il participe en effet à la vie de la Cité selon ce qu’elle considère comme une participation. En retour, un Citoyen a, comme tous ses Concitoyens, le Droit de profiter de tous les bienfaits de sa Cité, ce qui implique le droit d’accéder au marché. C’est donc la Citoyenneté elle-même qui, attestée par une carte, confère le droit d’accéder au marché, d’y accéder librement sans autres limites que celle du produit commun, l’exercice par les autres de ce même droit, la nature des choses et éventuellement des lois restrictives sur certains produits (égales pour tous). Les Citoyens n’ont plus de limite à leur pouvoir d’achat que leurs propres désirs et la réalité des choses. Il en va de même pour les associations, les entreprises, les collectivités et l’État. Le raisonnement, dans ce système, n’est pas « Combien ça coûte ? Est-ce que je peux payer ? », mais « Est-ce que ce je veux existe sur le marché ? Est-ce qu’une entreprise est disponible pour satisfaire ma demande ? ». Ici, « consommer », c’est fournir aux autres l’activité dont ils ont besoin pour être Citoyens. Plus question de « C’est au-dessus de mes moyens ! ». La réalité des choses est la mesure du possible. Largent n’est plus. L’Homme (les considérations humaines) est au centre du monde (la Cité).

Les questions des retraites, du chômage, de la délinquance ne se posent plus (Si, si, réfléchissez !). La société est apaisée. Son premier défi est celui de la Demande. Comment répondre à une Demande colossale, très largement supérieure à l’Offre ? Par l’innovation tous azimuts. C’est là que réside la source du dynamisme de la Cité. Contrairement au système monétaire qui gère la pénurie de clients (et arrive au bout de sa contradiction), la Cité, elle, doit gérer l’abondance de clients, non pas en les faisant patienter (sauf exception), mais en évoluant techniquement.

Son second défi est celui de la production à moindre coût (au sens réel, pas au sens financier), à moindre impact. Comment répondre à la Demande sans dévaster la cité et, au-delà, la planète ? C’est ici qu’une démarche décroissante prend tout son sens et devient possible à mettre en œuvre, les acteurs économiques n’étant plus soumis aux lois de Largent mais à la loi tout court. Si la Cité — qui est par définition une démocratie, comme le système monétaire est par définition une oligarchie — se prononce pour ce genre de politique, si les Citoyens décident eux-mêmes qu’il est temps d’arrêter la gabegie dont tous subissent les effets, non seulement aucun intérêt particulier ne s’y oppose, mais l’intérêt de tous devient au contraire de s’y conformer.

Voilà à grands traits le système de la Cité ou la théorie du Civisme. Beaucoup de questions sont laissées en suspens mais qui toutes ont leur réponse. La plus courante des objections est qu’un système non-monétaire serait coupé du monde, que l’autarcie est impossible à l’heure actuelle, donc que ce système ne serait pas viable et qu’il faut de suite y renoncer. A ceux qui la font, je réponds que, en tant qu’individus, ils surmontent tous les jours ce problème et que ce n’est là qu’un prétexte parmi d’autres pour se complaire dans leurs préjugés. Je leur dis, en outre, qu’il n’y a pas de milieu : Largent et l’Égalité sont inconciliables ; qui ne se bat pas pour l'Égalité, bien comprise, défend Largent en dernière analyse. Enfin, j’ajoute que l'utopie n'est pas de s'attaquer à Largent pour changer le monde, mais de croire que l'on peut changer le monde sans s'attaquer à Largent.

Maintenant, comment fait-on cette révolution ? En la désirant soi-même et en en répandant l’idée jusqu’à ce que le fruit soit mûr. De toutes les choses à faire, celle-là est la plus utile. Et même la plus urgente. Car cette révolution exige une société (occidentale) en pleine possession de ses moyens techniques. Or l’effondrement économique qui menace, et qui pousse à envisager une politique décroissante, rendrait impossible la Révolution, qui seule permettrait de la mettre en œuvre, s’il intervenait avant qu’elle n’ait eu lieu. C’est donc une course de vitesse qui se joue et tout ce qui retarde l’heure de la Révolution la compromet et est contre-révolutionnaire.

Conclusion

Il est légitime de s’interroger, de creuser certains sujets, d’essayer de trouver des solutions, etc. Ceci n’est pas contre-révolutionnaire en soi. Cela le devient lorsque l’on dissocie le particulier du tout, que l’on se met des œillères, que l’on s’illusionne sur la possibilité de résoudre quoique ce soit dans le cadre du système qui engendre les problèmes en question, que l’on met la charrue avant les bœufs, et que, non content de priver de son concours la Révolution, on tourne ses forces contre elle.

Philippe Landeux
06 mai 2014

04:29 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |