GÉNÉRAL TURREAU vs COMITÉ DE SALUT PUBLIC (samedi, 27 février 2016)
Tous les documents qui suivent, absolument authentiques, sont tirés de « guerres des Vendéens et des Chouans » de Jean-Julien Savary (qui contient toutes les lettres des généraux impliqués dans cette guerre, sorte d’équivalent du travail d’Alphonse Aulard sur les actes du Comité de salut public), disponibles sur Internet (lien plus bas). Ils sont, à mon sens, la réponse définitive à l’affirmation récurrente selon laquelle le général en chef Turreau n’aurait fait qu’exécuter un plan conçu ou approuvé par le Comité de salut public, lequel aurait même projeté d’exterminer toute la population de la région (aux pourtours fluctuants), baptisée « vendée militaire » (à cheval entre les départements de la Vendée, de la Loire-Inférieure, du Maine-et-Loire et des Deux-Sèvres).
Je livre ces documents à votre jugement, me permettant toutefois quelques commentaires par-ci par-là. J’apprécierais que ceux qui auront pris la peine de les lire me fassent part, dans les commentaires, de leurs propres conclusions.
13 janvier 1794. — Lettre du Comité de salut public (sans précision) au général en chef Turreau :
« Nous avons reçu ta dépêche du 11, datée d'Angers par laquelle tu nous proposes tes observations sur le retour que nous avions ordonné [le 4 janvier] de plusieurs bataillons de la Charente. — Le comité ne s'est déterminé à cette mesure, que par des considérations de la plus haute importance, et tu n'aurais pas dû te permettre de suspendre, au mépris de la loi, l'exécution de cet arrêté car ce sont les infractions de ce genre qui ont occasionné la plupart des revers qui ont affligé la république. Ton armée est considérable, TU N’AS PLUS QU’UN TRÈS PETIT NOYAU À COMBATTRE, et tu parais vouloir cantonner une partie de tes troupes. Il semblerait, d'après cela que les bataillons de la Charente, qui, au rapport des députés de ce département, sont dans le dénuement le plus absolu, sans armes, presque désorganisés, et qui font partie de la réquisition prescrite par la loi du 12 août, ne te sont pas absolument nécessaires et qu'il serait indispensable, pour en tirer parti, de les laisser aller chez eux quelque temps se vêtir et s'organiser. Cependant, sur tes observations, nous nous décidons à suspendre l'exécution de notre arrêté. Hâte-toi du moins d'exterminer le dernier des brigands. » (In extenso) (Savary, tome III, p. 37)
Commentaire.
1) Cette lettre était la première lettre du Comité à Turreau en tant que général en chef de l’armée de l’Ouest. — Turreau, envoyé de la Vendée à l’armée des Pyrénées-Occidentales pour y prendre le commandement en chef, avait été chassé de cette armée par les représentants en mission sur place. Le 4 novembre, à sa demande, le Ministre de la guerre l’avait retiré de cette armée, et, le 22, l’avait nommé commandant en chef de l’armée de l’Ouest, ce que le Comité de salut public n’avait fait que confirmer le 27.
2) Début janvier, le général Kléber, alors à Nantes et qui commandait la division du Nord, estimait les rebelles à environ 6.200 hommes, la plupart sur la rive gauche de la Sèvre, à la frontière entre la Vendée et la Loire-Inférieure (3.000 sous les ordres de Charette, 2.000 sous ceux de La Cathelinière). C’est sur eux qu’il aurait voulu que porte l’effort principal, et il envisageait une concentration des forces dans ce but. Ce plan correspondait à la tactique que le CSP avait toujours prônée : agir en masse contre les rebelles, les insurgés, les ennemis armés, finir cette guerre au plus vite pour pouvoir envoyer les troupes sur les frontières (voir plus bas au 30 janvier et au 13 février). Kléber avait soumis son plan au général en chef Turreau qui, le 7 janvier, l’avait rejeté. « Ce n’est pas là mon plan… », avait-il déclaré. (Savary, tome III, pp. 22 et 25.)
3) Sous la plume du CSP, le terme brigands ou rebelles désignait les insurgés au vrai sens du terme, les bandes armées qui existaient bel et bien et qui alors ne formaient plus qu’un « très petit noyau ». Ainsi, quand le Comité parle « d’exterminer les brigands » qui ne sont plus qu’un « très petit noyau », il est clair qu’il ne parle pas de la population de ces régions en général (environ 800.000 âmes à l’origine, selon Reynald Secher), mais bien des derniers insurgés.
17 janvier 1794. Le général en chef Turreau arrête ses ordres (voir à la fin, le commentaire 3 de la lettre du 23 juillet 1794).
19 janvier 1794. — Lettre du général en chef Turreau au CSP :
« Vous êtes sans doute étonnés que l’Armée de l’Ouest soit encore en pleine activité contre les rebelles de la Vendée dont on vous a annoncé tant de fois l’entier anéantissement. Ils n’existeraient plus effectivement si l’exécution DU PLAN QUE J’AVAIS CONÇU n’eut été entravée et retardée par des ordres contraires. En voici l’analyse : vous jugerez vous-mêmes citoyens représentants que j’ai été dans l’impossibilité d’exécuter plutôt le plan que j’exécute aujourd’hui. — Les différents rapports qui m’ont été faits après la victoire du Mans de la force des rebelles placés sur la rive droite de la Loire m’avaient convaincu que la division détachée de l’Armée du Nord était inutile de ce côte-là et que je devais l’employer dans le sein de la Vendée où des rassemblements alors considérables sous les ordres de La Rochejaquelein, Stofflet, Charette etc. enfin du fameux d’Elbée, qui depuis est tombé en notre pouvoir [à Noirmoutier, Ndla] pouvaient recommencer une guerre sérieuse, balancer nos succès et compromettre peut-être encore longtemps la tranquillité de cette partie de la République. Je donnai ordre en conséquence à la division du Nord alors à Alençon de se porter à Angers lorsqu’un ordre contraire et postérieur au mien du général divisionnaire Marceau lui fit prendre la route de Rennes. Je la ramène à Nantes et la quitte momentanément pour l’expédition de Noirmoutier [où Turreau arriva après la bataille. Ndla]. A mon retour, je la trouve morcelée par l’ordre du représentant Carrier qui avait détaché environ trois mille hommes que je n’ai pu encore réunir. Cependant j’entre dans la Vendée et j’y commence l’opération QUE J’AVAIS PROJETÉE MÊME AVANT D’ÊTRE GÉNÉRAL EN CHEF. — Douze colonnes parties de différents points et embrassant seize lieues de pays marchant toujours à la même hauteur et ayant toutes les facilités pour se secourir mutuellement entrent dans la Vendée et poussent l’ennemi du coté de la mer. Haxo et Dutruy placés sur les côtes avec des forces suffisantes les poussent également sur moi ; de manière que si les ordres que j’ai donnés sont strictement exécutés, il me paraît impossible qu’ils ne soient pas entièrement cernés. Chaque chef de colonne a son instruction particulière ; tous ont l’ordre d’incendier les villages, métairies, forêts etc., mesure que j’ai cru indispensable et que vous-mêmes citoyens représentants vous avez indiquée dans votre arrêté du mois d’août (vieux style). J’ai excepté cependant de l’incendie général quelques villes ou bourgs dont l’existence est absolument nécessaire pour y placer des garnisons. Cette promenade militaire sera finie le 15 ou 16 pluviôse (3 ou 4 février) après quoi j’aurai au moins douze mille hommes de bonnes troupes dont on pourra disposer pour une autre armée ; le reste me suffira pour assurer la défense de la partie des côtes confiées à mon commandement et pour contenir le pays. […] » (Savary, tome III, p. 48)
Commentaires :
1) Turreau prétend appliquer l’arrêté du Comité décrété le 1er août 1793. Ainsi, son plan ne serait jamais que l’exécution des ordres de la Convention. Mais, en janvier 1794, la situation n’est plus celle de l’été 1793. Les rebelles ont été vaincus à Cholet et écrasés lors de la virée de Galerne. Les civils républicains qui avaient fui sont revenus et contrôlent de nouveau l’essentiel de ce que l’on appelle « la Vendée militaire », en particulier la partie Est. Or c’est précisément sur cette partie que Turreau va lancer ses colonnes dont les atrocités vont rallumer la guerre.
2) Cette lettre prouve non seulement que le plan des colonnes était bien celui de Turreau seul, mais encore qu’il l’avait imaginé, comme il le déclare, bien avant d’avoir le commandement de l’armée de l’Ouest. Il revendiquera la paternité du plan qu’il exécutait dans quasiment toutes ses lettres au Comité de salut public. Il suffit de les lire pour n’en pas douter. Un spécialiste de la guerre de l’Ouest ne peut ignorer ces documents et, par conséquent, soutenir, sans mentir, que le plan des colonnes infernales était celui du Comité. Certains sont cependant d’assez mauvaise foi pour le faire, et les dissimuler, cherchant ainsi à discréditer le Comité, Robespierre et la République… et, à cette fin, ils utilisent la lettre ou un extrait de la lettre du Comité (Carnot) au général Turreau du 6 février 1794 (voir plus bas).
24 janvier 1794. Lettre du général en chef Turreau au CSP :
« J’ai commencé l’exécution du plan que J'AVAIS CONÇU de traverser la Vendée sur douze colonnes. [...] » (Savary, tome III, p. 74)
30 janvier 1794. — Rapport de Carnot au Comité de salut public sur « le système général des opérations militaires de la campagne prochaine ». Après avoir passé toutes les armées en revue, il indique, concernant les opérations à l’Ouest :
« […] Il reste à parler des opérations que doivent faire les armées de l’Ouest, des côtes de Brest et des côtes de Cherbourg, qu’on peut regarder comme n’en faisant qu’une. — Ces armées ont trois objets à remplir, 1° finir la guerre de la Vendée ; 2° garder les côtes ; 3° opérer la descente projetée sur les côtes d’Angleterre. — Il faut pour le premier de la cavalerie légère, quelques corps d’infanterie bien en masse et très-peu d’artillerie. [Le général Turreau avait annoncé qu’une promenade militaire de huit ou quinze jours au plus lui suffirait pour terminer la guerre de la Vendée ; de son côté, Rossignol annonçait la destruction prochaine des chouans. Ainsi ces guerres de l’Ouest inquiétaient peu le gouvernement. (Note de Savary.)] — Pour le second, de bonnes garnisons dans les ports et de bons corps-de-garde sur les côtes. — Pour le troisième, les mêmes dispositions que pour le second, avec une flotte nombreuse toujours prête. — Il est à remarquer, au sujet de cette descente [sur Jersey. Ndla] que lors même qu’elle ne pourrait pas s’exécuter cette année les seuls préparatifs tiendraient en échec toutes les forces navales anglaises pendant la campagne, et les empêcheraient de rien tenter de considérable ailleurs. Cet appareil forcerait les Anglais à tenir une armée considérable sur pied, ce qui met leur constitution dans un grand danger, ensuite leurs finances, et les empêche de porter des secours dans les Pays-Bas ; il est donc essentiel de pousser les préparatifs avec toute la vigueur possible, et de se tenir en mesure de profiter de la première occasion pour l’exécuter. — Au système qui vient d’être exposé, il faut joindre quelques règles générales qui ont été prises pour base dans tous les arrêtés du comité de salut public sur les opérations militaires. — Ces règles générales sont d’agir toujours en masse et offensivement ; d’entretenir une discipline sévère et non minutieuse dans les armées ; de tenir toujours les troupes en haleine sans les excéder ; de ne laisser dans les places que ce qui est absolument indispensable pour leur garde ; de faire de fréquentes mutations dans les garnisons et les résidences des états-majors et commandants temporaires pour rompre les trames qui ne manquent pas de se nouer par un trop long séjour dans le même lieu, et d’où procèdent les trahisons qui livrent les défenseurs à l’ennemi ; d’apporter la plus grande vigilance ; d’obliger les officiers-généraux à les visiter eux-mêmes très-fréquemment ; d’engager en toutes occasions le combat à la baïonnette et de poursuivre constamment l’ennemi jusqu’à sa destruction complète. — Il est évident que nous ne pouvons terminer la guerre [étrangère. Ndla] dans cette campagne sans de grandes batailles car, quand par des opérations partielles nous serions venus à bout de détruire la moitié de l’armée ennemie, il lui resterait encore les moyens de nous attaquer de nouveau l’année prochaine, et de prolonger ainsi l’état violent où nous sommes. Il faut donc une campagne des plus offensives, des plus vigoureuses et c’est ce qui a été recommandé, à tous les généraux et surtout à celui de l’armée du Nord, qui doit porter les coups les plus décisifs. » (Savary, tome III, p. 125)
Commentaire :
1) Le Comité (Carnot) dictait la conduite pour mener une guerre, en Vendée comme ailleurs… et ses mesures étaient parfaitement légitimes. A l’Ouest, le souci était de terminer la guerre au plus vite et de mettre les côtes en état de défense contre un coup des Anglais. Il n’est ni question de massacrer tous azimuts ni de réprimer ce genre d’atrocités, car le Comité (qui, le 27 juillet 1793, avait fait décréter la peine de mort pour les soldats pillards et violeurs) n’imaginait pas alors qu’elles puissent être commises, surtout dans les proportions qu’elles prirent sous le commandement de Turreau. Malgré les rumeurs, longtemps il ne sut qui croire sur ce sujet, craignant toujours d’être trompé par les uns ou les autres. Et Turreau n'était pas le dernier à le tromper ! Ses lettres (voir Savary) abordent les choses d'un point de vue strictement militaire, donnent à penser que ses troupes traquent (avec plus ou moins de succès) les rebelles au sens propre... mais jamais il ne signale les horreurs auxquelles elles se livrent. En le lisant, le Comité, qui n'approuve pas sa tactique, pense néanmoins qu'il conduit une guerre alors que nous savons qu'il massacrait tous azimuts.
31 janvier 1794. Lettre du général en chef Turreau au CSP :
« [...] Croyez que si l’on retirait les forces qui me sont nécessaires pour exécuter le plan que J'AI CONÇU, cette guerre renaîtrait au printemps et le projet des chefs était bien d’employer l’hiver à se reposer. [...] Gardez-vous surtout, citoyens Représentants, de croire que je puisse chercher à prolonger le pouvoir dont vous m’avez investi. L’intérêt public est mon unique but et si tout autre que moi peut être plus utile au poste que j’occupe, je renoncerai sans peine à un grade que je n’ai point demandé et dont je n’ai jamais plus senti les désagréments qu’aujourd’hui. L’éloignement des Représentants en est une des principales causes. J’ai été contraint, dans une opération aussi importante, de tout prendre sur ma responsabilité ; je n’ai pas même eu l’avantage de recevoir votre approbation et je compromettrais la réussite de MON PROJET si j’attendais pour agir que je l’eusse obtenue... Cruelle alternative !... mais qu’importe J’AI FAIT CE QUE J’AI CRU DEVOIR FAIRE ; ma conscience n’a rien à se reprocher et je ne doute point que vous ne rendiez justice à la pureté de mes intentions. […] » (Savary, tome III, p. 111)
6 février 1794. — Lettre du Comité de salut public au général en chef Turreau, en réponse à la lettre ci-dessus :
« Tu te plains, citoyen général, de n’avoir pas reçu du Comité une approbation formelle à tes mesures. Elles lui paraissent bonnes et pures ; mais, éloigné du théâtre des opérations, il attend les grands résultats pour se prononcer dans une matière sur laquelle on l’a déjà trompé tant de fois aussi bien que la Convention nationale. Les intentions du Comité ont dû t’être transmises par le ministre de la Guerre. Nous nous plaignons nous-mêmes de recevoir trop rarement de tes nouvelles. Extermine les brigands jusqu’au dernier, voilà ton devoir. Nous te prescrivons SURTOUT de ne pas laisser une seule arme à feu dans les départements qui ont participé à la révolte et qui pourraient s’en servir encore. Armes-en les soldats de la liberté. Nous regarderons comme traîtres tous les généraux, tous les individus qui songeraient au repos avant que la destruction des rebelles soit entièrement consommée. ENCORE UNE FOIS, recueille toutes les armes et fait passer ici sans délai toutes celles qui ont besoin de réparation. Nous t’envoyons un arrêté (document suivant) propre à seconder tes vues. » (In extenso) (Savary, tome III, p. 151 ; Reynald Secher, Vendée, du génocide au mémoricide, p. 141)
Commentaires :
1) Cette lettre était la deuxième et la dernière lettre du Comité à Turreau en tant que général en chef. Quand il lui écrivit de nouveau (je n’ai pas cette lettre, mais peut-être ne lui écrivit-il pas directement, peut-être Turreau n'a-t-il reçu qu'une copie de l'arrêté dont il est question), ce fut pour lui apprendre sa suspension arrêtée le 13 mai et sa nouvelle affectation, près la garnison de Belle-Isle, arrêtée le 20 mai. Ce long silence est étrange, je me l’explique difficilement, mais une chose est sûre : le Comité n’avait pas approuvé la conduite de Turreau, il ne l’a jamais félicité, il a blâmé sa tactique publiquement (12 février) et confidentiellement (13 février), il est longtemps resté dubitatif à son sujet, puis il l’a suspendu. Comme marque enthousiaste d’approbation, on fait mieux !
2) A cette date, le plan de Turreau devait, d’après Turreau lui-même, avoir achevé la guerre (« Cette promenade militaire sera finie le 15 ou 16 pluviôse (3 ou 4 février) » Lettre du 19 janvier.), mais il n’avait fait que la rallumer partout, ce à quoi le Comité ne semblait pas s’attendre, puisqu’il prenait des mesures pour un pays « pacifié ».
3) Le Comité écrivit à Turreau ce jour précis pour lui transmettre l’arrêté qu’il venait de prendre concernant le désarmement, qui était une des dispositions du plan de Turreau. Il s’agissait donc de le seconder sur ce point-là, d’où l’expression « propre à seconder tes vues ». D’où aussi le mot « surtout ». « Nous te prescrivons surtout de ne pas laisser une seule arme à feu… » ou « Encore une fois, recueille toutes les armes… » Ainsi, quoi que le Comité ait dit dans cette lettre, c’est sur ce point qu’il voulait que Turreau fixe son attention.
4) « Tu te plains, citoyen général, de n’avoir pas reçu du Comité une approbation formelle à tes mesures. » — Cette phrase, par laquelle commence la lettre, nous apprend que le Comité écrivait peu à Turreau. Comme je l’ai dit, il ne lui écrivit que deux fois, le 13 janvier et ce jour, 6 février. Et le Comité dit qu’il n’a jamais approuvé formellement SES mesures, les mesures de Turreau. En fait, il ne les a jamais approuvées tout court, ni officiellement, ni autrement. Pas plus ici qu’ailleurs ! C’est ce dont se plaint précisément Turreau dans sa dernière lettre.
5) « Elles [tes mesures] lui paraissent bonnes et pures ; mais, éloigné du théâtre des opérations, il attend les grands résultats pour se prononcer dans une matière sur laquelle on l’a déjà trompé tant de fois aussi bien que la Convention nationale. » — Le Comité qui n’a alors aucune idée de la situation sur le terrain et des effets de la tactique de Turreau, lui dit que ses mesures (sur le papier) lui PARAISSENT bonnes et pures. Il ne dit pas qu’elles le sont, mais qu’elles lui semblent… (Le terme « pures » est sans doute utilisé en réponse à Turreau qui, dans sa lettre précédente, du 31 janvier, avait protesté de la « pureté de mes intentions » (expression qu’il utilisera à nouveau le 14 février dans une lettre au ministre de la Guerre).) Et il le dit lui-même : il est « éloigné du théâtre des opérations », il ne sait pas ce qu’il se passe réellement, et comme il a été trompé maintes fois, ainsi que la Convention, il attend la réalisation des grands résultats annoncés pour se prononcer. En un mot, il attend de voir… Voilà ce que certains présentent comme une approbation des plans de Turreau ! Voilà la lettre par laquelle certains font même du Comité l’auteur des plans mis en œuvre par Turreau ! Et sans doute qu’à force de répéter que cette lettre le prouve, beaucoup, bien conditionnés, bien suggestionnés, ne croient pas ce qu’ils lisent mais lisent ce qu’ils croient.
6) « Extermine les brigands jusqu’au dernier, voilà ton devoir. » — Ici, je renvoie au commentaire 2 sur la lettre du 13 janvier. J’ajoute que cette expression, de circonstance (c’est la guerre, une guerre à mort), offre encore un moyen à certains d’user et d’abuser du procédé que je viens de signaler. Ils font mine de croire le terme « brigands » désigne, non pas les rebelles armés, mais « tout habitant », et, par conséquent, affirme que le Comité voulait exterminer toute la population… Mais la population de quelle région, de quelle zone exactement ? Jamais cela n’est précisé pour la simple raison que cela n’a jamais été l’idée, qu’aucun document n’en porte le début d’une trace. L’idée était d’écraser les rebelles où qu’ils soient et d’où qu’ils soient. C’était une guerre, une guerre civile, qui a donné lieu à des abus et à des atrocités que nul ne nie, mais ce n’était pas un « génocide », concept qui n’a aucun sens dans le cas présent, mais terme employé à dessein selon le fameux procédé de la « reductio ad hitlerum ».
7) Reynald Secher introduit cette lettre comme suit : « Le Comité de salut public aurait pu se rétracter et opter pour le plan du général Kléber [voir le 2e commentaire sur la lettre du 13 janvier.] qui avançait des mesures d’apaisement « pour se concilier les Vendéens, hommes bons et généreux ». Non seulement il ne le fait pas, mais il donne son aval à Turreau, le 6 février, par l’intermédiaire de Lazare Carnot, membre du Comité de salut public surnommé par le général Danican « le monstre », « le terreur des malheureux Français ». — Chacun jugera…. J'ajoute que c'est à Turreau et non au Comité que Kléber avait envoyé son plan et ses réflexions, conformément à la voie hiérarchique.
6 février 1794. Arrêté du Comité de salut public (Carnot).
« Le Comité de salut public délibérant sur la situation actuelle de la Vendée, arrête : 1° Il sera proposé à la Convention nationale de décréter [ce qu’elle fit le 10 février] que TOUS LES CITOYENS des pays qui ont participé à la révolte de la Vendée et qui ne font point partie des troupes soldées, seront tenus de déposer sous vingt-quatre heures leurs armes à feu, de quelque espèce qu’elles soient, entre les mains des agents nationaux, et ceux-ci entre celles de l’autorité militaire dans l’espace d’une décade. Les citoyens ou agents nationaux réfractaires à cette loi seront punis de mort par une Commission militaire. – 2° Chaque bataillon conservera une seule pièce de canon. On fera placer toutes les autres dans les places fortes. Il sera conservé seulement un quart au plus de l’artillerie légère et de celle de position ; un autre quart sera envoyé sur les derrières de l’armée dans les places fortes, et tout le reste sera envoyé sans délai à l’armée des Pyrénées occidentales. – 3° Les ennemis seront poursuivis sans relâche jusqu’à leur entière destruction. Les généraux qui ne mettraient pas dans cette expédition toute l’activité possible seront dénoncés comme ennemis de la patrie. Les subsistances seront saisies partout et envoyées aux armées et dans les places fortes. Il en sera de même des bestiaux et des chevaux propres au service des troupes et de tout ce qui peut être utile à leur entretien. – 4° Il sera proposé à la Convention nationale de faire remplacer Carrier, qui demande son rappel [?], par un autre représentant ; Prieur (de la Marne) sera chargé de le remplacer. Le rapport sur la conduite de Westermann sera fait dans le plus court délai. » (In extenso) (Aulard, tome X, p. 724)
Commentaires :
1) L’article 1er de cet arrêté, qui menaçait de mort quiconque (autre que les soldats) ne déposerait pas les armes dans les 24 heures, était-il une façon indirecte de proposer une « amnistie » à tous les citoyens qui avaient porté les armes, de quelque camp qu’ils soient ? Cela avait déjà été proposé le 19 mars 1793 et allait l’être encore le 2 décembre 1794.
2) L’envoi d’une partie de l’artillerie de l’armée de l’Ouest à l’armée des Pyrénées occidentales s’inscrit dans l’obsession du Comité d’employer ailleurs les ressources mobilisées en Vendée. Le 12 avril, il renvoyait à l’armée des Pyrénées occidentales le détachement de 10.000 hommes envoyés en novembre en Vendée. Le 31 mai, considérant la guerre comme à peu près terminée, il envisagea de retirer 25.000 hommes pour les envoyer sur le Rhin, soit un quart de l’effectif (près de la moitié de l’effectif actif), avant de réduire ce retrait à 15.000 hommes (2 juillet).
3) Une rumeur, démentie le 13 février par les représentants Turreau et Francastel (Aulard, XI, p. 126), accusait Westermann d’avoir distribué 30.000 fusils pris aux brigands.
4) Il y avait un monde entre ce que voulait le Comité et ce qui se faisait ou était possible sur le terrain. C’est néanmoins par ses arrêtés, que l’on peut et que l’on doit juger les intentions du Comité en général et de Carnot en particulier, Carnot qui fut le principal décisionnaire dans les affaires de Vendée et le principal interlocuteur des représentants en mission à l’Ouest.
5) Le même jour, Carrier, le bourreau de Nantes, dénoncé à Robespierre par l’agent du Comité Marc-Antoine Jullien, était donc rappelé. Alors je pose la question : Est-il possible que le Comité ait eu en horreur les crimes de Carrier et ait applaudi à ceux de Turreau ?
9 février 1794. Le général en chef Turreau répond à la dernière du CSP :
« [...] Le désarmement s’exécute, les subsistances abondent dans nos magasins ; et, sans la négligence des employés, les intentions du Comité de Salut Public eussent été bien mieux secondées. — J’ai reçu avec plaisir l’approbation que vous avez donnée aux mesures que j’ai prises. Rien ne pourra jamais altérer mon attachement à la cause sacrée que j’ai résolu de défendre jusqu’à la mort. [...] » (Savary, tome III, p. 167)
Commentaires :
1) Reynald Secher commente ainsi : « Turreau, comme il l’écrit, a douté et a eu peur. Il a cru pendant quelques jours que la Convention et le Comité de salut public avaient changé d’avis et donc de plan d’où sa joie manifeste lorsqu’il répond au Comité : « J’ai reçu avec plaisir l’approbation que vous avez donnée aux mesures que j’ai prises. » Turreau n’est pas, contrairement à ce qu’affirment les négationnistes, un élément autonome qui aurait agi de son seul fait, mais un exécutant zélé du Comité de salut public. » — Le le document cité est bien authentique, mais M. Secher n’en est pas moins un affabulateur qui croit en imposer en traitant ses détracteurs de négationnistes comme d’autres abusent de l’épithète « fasciste ». Ce n’est pas parce que Turreau prétend que la lettre du Comité était une approbation, qu’elle en était une. Je vous ai mis cette lettre sous les yeux… Le Comité ne donnait pas d’approbation (il ne l’avait pas fait avant et ne le fit pas davantage après) ; il annonçait rester dans l’expectative. En outre, il est très culotté de citer cette phrase de Turreau et d’en conclure qu’il n’était que l’exécutant du Comité, alors même que Turreau disait encore ici comme partout ailleurs « les mesures que J’AI prises ». Enfin, M. Secher se garde bien de signaler les deux documents suivants (ci-après).
2) Turreau était suffisant, arrogant, pathétique, menteur, barbare et incapable. Il minimisait ses échecs, transformait en victoires sur les rebelles d’abominables massacres de civils, rejetait ses torts sur ses subordonnés, calomniait et cassait les officiers qui le contrariaient, protestait enfin de ses bonnes intentions. Il fallut du temps au Comité pour en revenir. 200 ans plus tard, certains donneurs de leçons sont toujours ses dupes !
3) Un document qui pourrait apporter de l’eau au moulin de M. Secher. Le 14 février, Turreau écrivit au Ministre de la Guerre : « Et l’on disait qu’il n’y avait plus de brigands,…et depuis que je suis entré dans la Vendée, en voila plus de douze mille qui sont exterminés,... et je ne cesse de faire brûler partout et de tuer ces coquins,... et l’on dit que je cherche à prolonger cette guerre et qu’il n’y a que Marceau ou Westermann qui puisse la finir !..... — Je braverai la malveillance, citoyen ministre, quand j’aurai ta confiance et que je serai sûr de n’avoir pas démérité auprès de toi et du Comité de Salut Public. — Tu sais que, SANS AUTORISATION j’ai pris les mesures les plus rigoureuses pour terminer cette guerre affreuse. Le Comité de salut public a bien voulu depuis y donner sa sanction ; mais j’étais tranquille, je me reposais, qu’il me soit permis de le dire, sur la pureté de mes intentions. » (Savary, tome III, p. 199) — Turreau avouait donc lui-même, une fois de plus, que son plan était le sien, qu’il l’avait mis de lui-même à exécution. Quant à l’approbation du Comité….
Le 12 février, au nom du Comité, Barère déclare à la Convention :
« [Le Comité] se reposait surtout, pour les mesures de l’intérieur de la Vendée, sur l’esprit et les termes des décrets qui ordonnent de détruire et d’incendier les repaires des brigands et non pas les fermes et les demeures des bons citoyens. — Il espérait surtout que l’armée de l’Ouest, fidèle aux maximes et aux ordres du gouvernement national, ne disséminerait jamais ses forces, et s’occuperait bien plus de détruire le noyau des rebelles et les rassemblements des brigands qui pouvaient se former de nouveau, que de sacrifier les habitations isolées, les fermes utiles et les villages fidèles ou non dangereux. — Cependant, lorsque le comité, après quelques jours de silence [lettre du Comité à Turreau du 6 février, ci-dessus], a voulu vérifier les faits, et connaître quelle était la véritable exécution donnée à ses arrêtés, quel a été son étonnement de voir des forces morcelées dans la Vendée, des troupes républicaines disséminées sur les divers points de la Vendée [lettre du 11 février aux représentants Bourbotte et Turreau] ; des rassemblements de brigands se reformer, s’organiser et relever une tête insolente ; et la troupe royaliste, éparse et fugitive naguère sous les ordres de La Rochejacquelein, de Stofflet et de Charette, s’ameuter et se grossir de tous les mécontents que la barbare et exagérée exécution des décrets avait formés de nouveau dans un pays qu’il ne fallait plus que désarmer, garnisonner de cavalerie, repeupler d’habitants fidèles, et administrer avec le bras nerveux d’une administration militaire et révolutionnaire ! » (Archives Parlementaires, tome 84, p. 646)
Commentaires :
1) Le Comité qui n’avait pas approuvé le plan de Turreau le blâmait ici ouvertement. Il disait clairement que Turreau avait donné aux décrets un tour barbare et exagéré (qu’ils n’avaient donc pas), qu’il était allé bien au-delà de ce que la Convention et le Comité attendaient d’un général en chef de l’armée de l’Ouest. Encore ne savait-il pas tout des atrocités qui étaient alors perpétrées…
2) Pour une raison qui m’échappe, le Comité prit ce jour la décision de ne plus entretenir la Convention des affaires de la Vendée, comme si elles étaient réglées et que la guerre étrangère devait seule retenir l’attention. Il ne prit pas davantage la décision de suspendre immédiatement Turreau, sans doute parce que, informé par Turreau lui-même, ou plutôt désinformé par lui, il ne mesurait pas l’étendue du désastre en cours. Peut-être faut-il ajouter à cela que l’heure était à la lutte des factions et que (supposition) la destitution de Turreau aurait alors fait prêter au Comité le flanc aux hébertistes.
13 février 1794. Lettre du Comité de salut public au général de division Dembarrere :
« C’est par les mauvaises dispositions des généraux qui commandent les forces de la république dans la Vendée et dans les départements environnants que les débris de l’armée de Charette relèvent une tête insolente, et qui menace les villes de la Vendée et de Maine-et-Loire. Les brigands ont fait des attaques contre de petites colonnes ; on a trop disséminé nos troupes, on a trop divisé les cantonnements. Au lieu de conserver deux masses considérables de forces pour atterrer tous les rebelles, les généraux ont eu la maladresse ou le crime de n’avoir que des colonnes de mille à douze cents hommes, encore même ils les divisaient en de plus petites parties. Le moyen de ne pas rehausser le courage des brigands avec de pareilles mesures !… — C’est sur toi, général, que le comité repose l’espérance que tu iras sur-le-champ, dès la lettre reçue, à Nantes te concerter avec le général en chef Turreau, voir l’état de toutes les forces, combiner un grand plan ferme et exécutable subitement. Il faut rassembler les forces, réunir les moyens, tuer les brigands au lieu de brûler des fermes, faire punir les fuyards et les lâches, et écraser totalement cette horrible Vendée. — La politique de nos ennemis du dehors et du dedans est d’éterniser la Vendée, d’occuper dans l’intérieur nos forces utiles, de faire diversion à nos travaux maritimes et de tourmenter l’opinion publique. Eh bien, c’est à toi que le comité confie le soin de combiner avec le général Turreau les moyens les plus assurés de tout exterminer dans cette race de brigands. Est-il possible que, lorsque nous battons les diverses troupes de l’Europe, nous nous voyons sans cesse tourmentés par des brigands et des rebelles sans moyens ? Lis, et pars sur-le-champ. La patrie t’appelle à terminer la Vendée avant l’ouverture de la campagne : c’est l’objet le plus important. — Signé : Barère, Jean-Bon Saint-André, Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne. » (In extenso) (Savary, tome III, p. 194)
Commentaires :
1) « Au lieu de conserver deux masses considérables de forces pour atterrer tous les rebelles, les généraux ont eu la maladresse ou le crime de n’avoir que des colonnes de mille à douze cents hommes… » « Il faut rassembler les forces, réunir les moyens… » On retrouve ici la critique du plan de Turreau qui avait divisé ses forces (ce qui, au passage, favorisait le système d’exactions) alors que le Comité voulait que l’armée opère en masse. Cette critique maintes fois réitérée prouve à elle seule que le plan mis à exécution par Turreau n’était pas celui du Comité qui jamais non plus ne l’approuva.
2) « écraser totalement cette horrible Vendée ». Il est facile de voir et surtout de transformer ce genre d’expression en proclamation génocidaire. Mais l’expression « Vendée » ne désigne ici ni le département de la Vendée ni ses habitants ; c’était le nom donné à l’insurrection au sud de la Loire et à ce type s’insurrection populaire contre-révolutionnaire. « Écraser la Vendée » signifiait « écraser l’insurrection, les insurgés, les rebelles, les brigands » au sud de la Loire, et non massacrer tout le monde indistinctement, comme le firent trop souvent, malheureusement, les colonnes infernales. (La chouannerie, au nord de la Loire, en Mayenne, était une autre Vendée, et c’est la naissance plus tardive des « Chouans » qui amena à utiliser le terme « Vendéens » pour désigner et distinguer les rebelles du sud de la Loire.)
3) « tout exterminer dans cette race de brigands » Ici encore, cette expression vague est plus une marque exaspération contre « les brigands », qui déchirent le sein de la patrie et mobilisent des forces utiles ailleurs, que le révélateur d’un projet génocidaire.
4) « La patrie t’appelle à terminer la Vendée avant l’ouverture de la campagne : c’est l’objet le plus important. » Le Comité voulait en finir le plus vite possible avec la Vendée, que la situation s’apaise le plus vite possible à l’Ouest, pour ne plus avoir à distraire (contre des Français) des moyens militaires précieux pour la défense des frontières. Pour terminer, la Vendée, le Comité ne voyait qu’un moyen : tendre toutes les forces contre les chefs, les enragés, les jusqu’au-boutistes, qui n’étaient qu’une poignée avant que Turreau ne lance ses opérations, et rendre ainsi possible de restaurer le calme et l’ordre. Mais une poignée d’individus suffit à créer un climat d’insécurité et à provoquer l’état d’urgence. Alors quand des atrocités jettent des milliers de citoyens dans l’insurrection, quand la vengeance répond à la barbarie, un cercle infernal s’ouvre et c’est la guerre civile… Le moyen d’y mettre un terme ?
13 février 1794. Lettre du général en chef Turreau au CSP :
« [...] Vous recevrez sous peu, citoyens représentants, un journal de mes opérations depuis que j’ai pénétré dans la Vendée avec douze colonnes agissantes. Vous y verrez les raisons qui m’ont obligé de changer MON PLAN et de réduire le nombre de mes colonnes pour les rendre plus fortes, parce que l’ennemi devenait plus fort lui-même ; vous y verrez que, même en changeant mon plan primitif, la marche n’a pas été moins militaire et révolutionnaire ; vous y verrez, non pas des victoires éclatantes, mais des succès réels et quelques légers échecs. Je vous y dirai enfin toute la vérité, je ne n’en suis jamais écarté. [...] » (Savary, tome III, p. 191)
15 février 1794. Lettre du général en chef Turreau au CSP :
« [...] Je suis toujours MON PLAN, qui est d’avoir deux colonnes agissantes, poursuivant l’ennemi sans relâche, et de forts postes d’observation qui le retiennent dans un cercle étroit. [...] » (Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 151, 19 février 1794 ; ne figure pas dans Savary.)
28 février 1794. Lettre du général en chef Turreau au ministre de la Guerre :
« [...] On peut avoir une mauvaise idée de mes talents militaires ; sans doute, en servant la chose publique, je suis désespéré de la faiblesse de mes moyens ; mais il est affreux pour moi de voir suspecter mon zèle et mes opinions. Environné d’ennemis, de traîtres, d’envieux, d’intrigants, abandonné par les représentants du peuple, alors près de l’armée de l’Ouest, J’OSAI CONCEVOIR UN PROJET HARDI, J’OSAI PRENDRE SUR MOI des mesures révolutionnaires que l’intérêt public nécessitait. [...] » (Savary, tome III, p. 239)
22 mars 1794. Lettre du général en chef Turreau au ministre de la Guerre :
« [...] Je n’en finirais pas, citoyen ministre, si je te faisais part de toutes les contradictions que j’ai éprouvées, des entraves que l’on a mises de toutes parts à l’exécution de MON PLAN, du peu de subordination de la plupart des officiers généraux, accoutumés dans cette armée à délibérer sur les ordres et à agir isolément. J’espère que les représentants du peuple près cette armée m’en feront raison en en destituant quelques-uns, mais il m’en reste fort peu. [...] » (Savary, tome III, p. 307)
SUPPLÉMENT
Je n’ai pas présenté ici tous les documents qui démentent les intentions et le caractère génocidaires de cette guerre. S’il est vrai que certains massacres commis par les colonnes de Turreau peuvent, en braquant le projecteur sur eux, donner lieu à cette accusation, celle-ci ne tient plus dès lors que l’on prend de la hauteur, que l’on a une vue d’ensemble et que l’on connaît les arrêtés du Comité de salut public et des représentants en mission. Il ne faut pas non plus oublier qu’il s’agissait d’une guerre qui pouvait s’avérer extrêmement périlleuse pour la République, laquelle devait donc la gagner coûte que coûte et le plus vite possible… mais que, pour autant, les autorités républicaines n’ordonnèrent jamais un massacre général, d’une part parce qu’il n’y avait ni territoire ni population définis, que cela n’avait donc aucun sens, d’autre part parce les républicains ne sont pas les sanguinaires pour lesquels certains voudraient les faire passer … au contraire, elles essayèrent autant que possible d’éloigner du théâtre de la guerre les populations inoffensives, soit pour qu’elles ne soient pas victimes des rebelles, soit pour qu’elles ne leur viennent pas en aide ou leur servent de bouclier. Le 26 juillet 1793, le Comité de salut public avait ainsi arrêté l’évacuation des femmes, des enfants et des vieillards, sans omettre d’assurer leur subsistance et leur sûreté « avec tous les égards dus à l’humanité ». Cette mesure et les autres contenues dans cet arrêté ne concernaient pas un territoire donné ; il était sous-entendu qu’elles seraient exécutées par l’armée au fur et à mesure de son avance. Cet arrêté fut décrété le 1er août. Mais la victoire de Cholet le 16 et 17 octobre (qui fit croire un moment que cette guerre était finie), suivie par le passage de la Loire par le gros des rebelles, rendirent caduc les dispositions de ce décret. Les républicains locaux qui avaient d’eux-mêmes évacué revinrent. Mais les exactions des colonnes infernales rallumèrent la guerre et, cette fois, les représentants en mission (Garrau, Hentz et Francastel) ordonnèrent l’évacuation des habitants, le 20 février 1794. Le 19 mars, le Comité en prenait acte en ordonnant d’empêcher ces réfugiés d’approcher à moins de 20 lieues de Paris (tome XII, p. 53). Le 27 mars, le Comité arrêtait encore : « Lorsqu’il se fait par vos ordres, citoyens collègues, des émigrations de citoyens de la Vendée, vous devez dans votre sagesse aviser aux moyens de leur assurer, dans les départements où ils passent et où ils arrivent, des moyens de subsistance, et ces moyens, les extraire des départements d’où ils sortent. » (In extenso) (Aulard, tome XII, p. 226) On pourrait multiplier ainsi les documents attestant de manière directe ou indirecte la volonté du Comité de salut public de faire la part des choses, de distinguer les rebelles (les hommes armés) du reste de la population et de ménager autant que possible ce dernier. (Voir L'imposture du génocide vendéen.) Je ne citerai ici qu'un document :
23 juillet 1794. Le Comité de salut public (Carnot) aux représentants près l’armée de l’Ouest, Bo et Ingrand, à Niort :
« Nous vous renvoyons, chers collègues, une lettre des membres de la Commission militaire séante à l’Île de la Montagne, par laquelle vous verrez à quel excès de malveillance est porté l’abus d’une proclamation faite par les agents préposés à la surveillance des récoltes. Où donc a-t-on pris que le gouvernement voulait faire grâce aux auteurs, fauteurs et instigateurs des outrages faits à la souveraineté du peuple dans la Vendée ? Hâtez-vous, au contraire, chers collègues, de livrer au glaive vengeur tous les promoteurs et chefs de cette guerre cruelle, et que les scélérats qui ont déchiré les entrailles de leur patrie reçoivent enfin le prix de leurs forfaits. Les femmes, les enfants, les vieillards, les individus entraînés par la violence ne méritent pas sans doute le même sort que les monstres qui ont ourdi la révolte, qui l’ont servie de leur volonté comme de leurs bras, et l’on peut prendre à leur égard des mesures de sûreté moins rigoureuses. Mais ce serait abandonner le pays aux horreurs d’une guerre nouvelle et la vie des patriotes à la merci des brigands que d’user envers ceux-ci d’une indulgence absurde et meurtrière. Vous voudrez donc bien, sans perdre un moment, chers collègues, ordonner que la justice révolutionnaire reprendra son cours, et ne pas perdre de vue que nous n’avons qu’un seul but, celui de terminer enfin l’horrible guerre de la Vendée, objet dont on s’écarte également, soit par une lâche indulgence, soit par des exécutions qui, en frappant sur la faiblesse, ne pourraient que révolter la justice et l’humanité ». (Aulard, tome XV, p. 379 ; Archives nationales, carton AF II 269)
Commentaires
1) Les phrases importantes à retenir sont les suivantes : « Les femmes, les enfants, les vieillards, les individus entraînés par la violence ne méritent pas sans doute le même sort que les monstres qui ont ourdi la révolte, […] et l’on peut prendre à leur égard des mesures de sûreté moins rigoureuses. […] nous n’avons qu’un seul but, celui de terminer enfin l’horrible guerre de la Vendée, objet dont on s’écarte également, soit par une lâche indulgence, soit par des exécutions qui, en frappant sur la faiblesse, ne pourraient que révolter la justice et l’humanité. » — Il est question ici du sort des prisonniers. Quiconque sait lire et comprend le français, comprend que le Comité demande que les femmes, les enfants, les vieillards et les individus entraînés dans la révolte par la violence ne subissent pas le même sort, c’est-à-dire la mort, que les responsables de la rébellion et les irréductibles ; qu’ils ne soient pas exécutés mais traités de manière juste et humaine. Ceci confirme tout ce que j’ai dit plus haut. Et c’est bien ainsi que les représentants Ingrand et Bo comprirent eux aussi cette lettre, puisque, le 5 août, Ingrand, de Niort, répondit au Comité : « Comme votre lettre [du 23 juillet] prescrit de distinguer l’homme faible et trompé du véritable brigand, nous avons suivi votre vœu dans notre arrêté [du 30 juillet] » (Aulard, tome XV, p. 686) Limpide !
2) J’ai cité ce document parce que M. Secher le cite aussi à l’appui de sa thèse (« Vendée, du génocide au mémoricide », p. 125), en tronquant, comme par hasard, la dernière phrase des derniers mots « objet dont on s’écarte également, soit par une lâche indulgence, soit par des exécutions qui, en frappant sur la faiblesse, ne pourraient que révolter la justice et l’humanité ». Et il introduit cette lettre comme suit : « Lorsque le Comité de salut public, par l’intermédiaire de Carnot, soulève enfin le problème des femmes, des enfants et des vieillards, le 5 thermidor an II (23 juillet 1794), soit cinq jours avant la chute de Robespierre, leur sort [la mort] est confirmé ». (« La mort » n’est pas dans sa phrase, mais c’est ce que le lecteur comprend d’après la phrase précédente.) Après une telle introduction, le lecteur n’arrive plus à lire le texte qu’il a sous les yeux et ne se rend plus compte que la lettre du Comité dit tout autre chose. Je le sais, je m’y suis laissé prendre aussi. Mais, sachant que cette politique suggérée par M. Secher n’était pas celle du Comité, et ne m’expliquant pas ce revirement, j’ai relu cette lettre avec attention. Alors tout s’est éclairé : les intentions du Comité n’avaient pas varié ; les manipulations de M. Secher non plus.
3) Enfin, pour faire le lien avec le sujet général, nous voyons que la politique du Comité de salut public n’était pas de massacrer à tour de bras, mais au contraire de cibler les véritables rebelles. Et le Comité pouvait croire que, bien que durs, et en effet dans l’esprit du décret du 1er août, les ordres de Turreau visaient aussi et seulement à ce but. Voici ces ordres, datés du 17 janvier (Saumur) :
« [La première partie fixe la zone d’opération de chacune des six colonnes qui seront subdivisées en deux.] On emploiera tous les moyens de découvrir les rebelles ; tous seront passés au fil de là baïonnette ; les villages métairies, bois, landes, genêts, et généralement tout ce qui peut être brûlé seront livrés aux flammes. — Pour faciliter cette opération, on fera précéder chaque colonne par 40 ou 50 pionniers ou travailleurs qui feront les abattis nécessaires dans les bois ou forêts, pour propager l’incendie. — Aucun village ou métairie ne pourra être brûlé qu’on n’en ait auparavant enlevé tous les grains battus ou en gerbes, et généralement tons les objets de subsistance ; et supposant que l’enlèvement de ces objets éprouvât quelque retard, et empêchât qu’on ne brûlât sur-le-champ les villages et métairies qu’on doit incendier, les colonnes les épargneront pour ne pas différer leur marche ; mais quelque chose qui arrive, les chefs de chaque colonne ne pourront se dispenser d’être rendus le 27 janvier au dernier lieu qui leur est indiqué. — Seront exceptés de l’incendie général les communes et bourgs ci-après indiqués : Clisson, Saint-Florent, Montaigu, La Chataigneraie, Sainte-Hermine, Machecoul, Chalonnes, Chantonnay, Saint-Vincent, Cholet, Bressuire, Argenton-le-Peuple, Fontenay-le-Peuple.» (Savary, tome III, p. 42)
Le 19 janvier, le général Cordellier (colonne n° 5) fit délivrer à chacun de ses chefs de corps l’instruction suivante : « Tous les brigands qui seront trouvés les armes à la main, ou convaincus de les avoir prises pour se révolter contre leur patrie, seront passés au fil de la baïonnette. On en agira de même avec les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas. Les personnes, seulement suspectes, ne seront pas plus épargnées, mais aucune exécution ne pourra se faire sans que le général l’ait préalablement ordonnée. — Tous les villages, métairies, bois, genets, et généralement tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes, après cependant que l’on aura distrait des lieux qui en sont susceptibles, toutes les denrées qui y existeront ; mais, on le répète, ces exécutions ne pourront avoir leur effet que quand le général l’aura ordonné. Le général désignera ceux des objets qui doivent être préservés de l’incendie. — Il ne sera fait aucun mal aux hommes, femmes et enfants en qui le général reconnaîtra des sentiments civiques, et qui n’auront pas participé aux révoltes des brigands de la Vendée ; il leur sera libre d’aller sur les derrières de l’armée, pour y chercher un asile, ou de résider dans les lieux préservés de l’incendie. Toute espèce d’armes leur sera cependant ôtée, pour être déposée dans l’endroit qui sera indiqué par le général. » (Savary, tome III, p. 56)
Les ordres de Turreau étaient nécessairement terribles, guerre oblige !, et il était normal qu’ils soient étendus, revêtant ainsi les généraux subalternes de pouvoirs immenses, car ces derniers allaient être livrés à eux-mêmes et devaient pouvoir faire face à toutes les situations. (C’est pour la même raison que les représentants en mission étaient revêtus de « pouvoirs illimités ».) Mais on voit, d’après leur répercussion par Cordellier, qu’ils ordonnaient de faire des distinctions dans la population, ce qui fut fait en effet, mais ni partout ni tout le temps. Autrement dit, ces ordres ne présumaient pas la manière dont ils seraient exécutés. Aussi, quand le Comité répondit à Turreau le 6 janvier qu’il attendait de voir ce qu’il allait faire réellement, il pouvait à bon droit croire que, quoique excessifs sur le papier, l’armée appliquerait ces ordres avec discernement, et même craindre qu’elle soit trop en deçà, tant il était habitué aux généraux qui brassaient du vent. Les mêmes ordres exécutés par d’autres généraux, sous un autre commandant en chef, auraient pu l’être de manière très différente, mieux ciblée et moins barbare, comme le souhaitait le Comité (rapport de Barère du 12 février, par exemple), comme le firent d’ailleurs certains généraux (car l’histoire n’a évidemment retenu que les pires). Enfin, disons une dernière fois que le Comité est resté longtemps (et peut-être même toujours) dans l’ignorance de ce qu’il se passait réellement sur le terrain. Nous en savons aujourd’hui plus que lui… On ne peut le juger d’après des informations qu’il n’avait pas, pour des intentions qu’il n’a jamais eues et des ordres qu’il n’a jamais donnés, contrairement aux affirmations de certains.
CONCLUSION :
En 1795, le général Turreau a affirmé qu’il n’avait été que l’instrument passif du Comité. Mais entre ce qu’il a déclaré à une époque où il était convenu que le Comité de salut public et Robespierre en particulier avaient été responsables de tout, et les lettres de Turreau au Comité de salut public, à l’époque des faits, dans lesquelles il revendique hautement la paternité des colonnes « infernales », que croire ? Pour ma part, la réponse est évidente.
Pour moi, la vraie question est la suivante : Pourquoi le Comité, qui n’approuvait pas la tactique de Turreau de diviser les forces, et en a blâmé les résultats sans même connaître l’étendue du drame en cours, ne l’a-t-il pas destitué plus tôt, ou fait condamner pour crimes contre l’humanité (je sais, la notion n’existait pas encore), comme le fut plus tard Carrier ? (Le cas Carrier, rappelé mais non inquiété, soulève la même question.) La réponse est sans doute dans le fait que la situation était alors dramatique et compliquée à tous les niveaux (économique, politique, social, etc.). Le Comité dirigeait la France, une France en guerre contre toute l’Europe, il n’avait pas que la Vendée sur les bras (dont il méconnaissait la réalité) et il était dans un jeu de bascule permanent où le moindre faux pas était la mort assurée.
Retrouvez tous ces documents et des milliers d’autres dans mon ouvrage : « La Guerre de l’Ouest dite de Vendée ».
22:33 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |