LES PRÉJUGÉS MONÉTAIRES (vendredi, 20 juillet 2018)
Les hommes actuels n’ont pas inventé le système dans lequel ils vivent ; ils sont nés dedans, ils ne connaissent que le monde façonné par lui et ils croient à la fois qu’il n’y a pas d’autre système possible et que ce qu’ils observent est dans la nature des choses, donc immuable. Ne voyant pas ce qu’ils observent comme des conséquences du système, ils n’en cherchent pas la cause ou ne vont pas jusqu’à en accuser le système lui-même, mais l’imputent à tout autre chose et, faisant ainsi erreur sur la cause, ils en commettent de nouvelles, ajoutant à la confusion. Il est pourtant indéniable que le système est monétaire et que, en dernière analyse, tout tourne autour de l’argent dans ce système. Ce sont donc les mécanismes et les effets du système monétaire qui, étant considérés comme naturels et immuables, vont devenir des postulats inconscients et incontestables, autrement dit des « préjugés ». Pour découvrir la nature et l’origine de ces préjugés, il suffit d’étudier le fonctionnement du système monétaire.
Le système monétaire n’est pas apparu tel quel un beau matin ; il évolue (au moins dans sa forme) et fut lui-même le fruit d’une évolution. L’impulsion initiale fut donnée par des échanges entre individus ou communautés sur le mode du troc. Le troc consiste, pour des individus ou des communautés, à échanger des objets entre eux, donc à mettre, d’abord inconsciemment, puis volontairement, ces objets en équivalence. Que le troc ait été une pratique courante ou marginale, peu importe ; lui seul a pu amener les hommes à penser que les objets pouvaient avoir une valeur marchande, puis à croire qu’ils doivent en avoir une. Cette notion de valeur implique le recours à une unité de mesure, laquelle consista d’abord en objets divers, puis en objets de référence, puis en monnaies primitives ou modernes, enfin en chiffres abstraits, preuve que tout autre support était superflu et n’était donc qu’un prétexte. A partir d’ici, nous pouvons dérouler les diverses facettes du système pour saisir au fur et à mesure les préjugés qu’elles engendrent.
1) Le troc est un échange d’objets.
Le premier préjugé consiste donc à croire qu’il n’y a échange que si des objets sont échangés les uns contre les autres ; le deuxième préjugé, à croire que les objets sont le seul enjeu de l’échange, d’où le matérialisme inhérent à ce mode d’échange.
2) Le troc est un échange entre individus.
Le troisième préjugé consiste donc à croire que l’échange se pratique nécessairement entre individus, lesquels doivent donc s’échanger directement quelque chose. Ce système, intrinsèquement individualiste, insuffle donc l’individualisme et le sans-frontiérisme.
3) Le troc met les objets en équivalence.
Le quatrième préjugé consiste donc à croire que les objets et les choses en général ont une valeur marchande. Ce qui engendre le cinquième préjugé qui consiste à croire qu’une unité de valeur est nécessaire pour mesurer la valeur des objets et permettre l’échange sur le mode du troc indirect ; ce qui engendre le sixième préjugé qui consiste à croire qu’établir la soi-disant valeur des choses prime sur toute autre considération, si bien que les échanges qui sont au cœur des rapports sociaux deviennent une finalité en soi et n’ont, dans cette conception de l’échange, aucune dimension sociale, pas plus que ses protagonistes.
4) Le troc est un échange d’objets.
Il s’ensuit que la monnaie, qui représente des objets, doit elle aussi être échangée ; c’est pourquoi elle circule, pourquoi elle passe de main en main. Mais la monnaie incarne aussi des droits : celui d’accéder au marché et tous ceux qui passent par celui-là. Le septième préjugé consiste donc à croire qu’il n’y a échange que si les individus se dépouillent de quelque chose, et que le droit d’accéder au marché ne s’exerce donc qu’en s’en dépouillant petit à petit, au fil des dépenses. Le huitième préjugé consiste à croire que les droits ne s’obtiennent que d’un tiers, via les échanges que l’on fait avec lui (quoique l’on puisse aussi le voler), qu’ils ne relèvent pas de la Société et qu’il est normal de n’en avoir aucun en tant que Citoyen (au vrai, on ne se pose même pas la question). Le neuvième préjugé consiste à croire que les droits se conquièrent sur les autres et que les hommes, même en Société, sont condamnés à une perpétuelle guerre de tous contre tous. Le dixième préjugé consiste à trouver normal que l’État, dont le rôle devrait être de garantir les droits, dépouille lui aussi les « citoyens » de leur argent, c’est-à-dire de leurs droits, via les impôts, taxes, amendes, etc., pour ses propres besoins.
5) Le troc est un échange d’objets dont les premiers propriétaires sont les producteurs.
Le onzième préjugé consiste donc à croire que produire rend propriétaire de sa production ou, à défaut, que le travail doit être échangé contre de la monnaie. Ce qui entraîne deux autres préjugés : le douzième, qui consiste à croire que le travail n’est pas un Devoir envers la Société mais une obligation envers soi-même, soit pour en consommer directement les fruits, soit pour en retirer de la monnaie (des droits) en les vendant ou en se faisant payer ; le treizième, qui consiste à trouver naturel que la Société garantisse le droit de Propriété sur leur production à des producteurs qui ne produisent pas pour elle, qui devrait donc s’en laver les mains. Personne pour s’étonner que la Société ne joue pas son rôle et qu’on lui en fasse jouer un qui n’est pas le sien ! En fait, personne ne sait plus ce que doit être une Société.
6) La monnaie facilite le troc.
Le quatorzième préjugé consiste donc à croire que la monnaie facilite les échanges et qu’elle est indispensable aux échanges eux-mêmes. Ce préjugé opère ainsi un glissement : de la facilitation du troc, il passe à la facilitation des échanges et, de là, à l’impossibilité d’échanger autrement ; il passe d’une évidence à un sophisme qu’il prend pour un truisme. Il donne l’impression d’avoir comparé le troc ou le système monétaire, qui sont fondamentalement la même chose, à un autre mode d’échange, et rejeté ce dernier après avoir pesé le pour et le contre, sauf qu’il a seulement comparé le troc avec lui-même (troc direct ou troc indirect via la monnaie). Dans une autre version, il dirait que « la monnaie est pratique ». Là encore, « pratique » par rapport à quoi, sinon au troc ? Bien sûr que la monnaie est pratique dans un système fonctionnant selon le schéma du troc ; bien sûr, encore, que ce système ne peut pas fonctionner sans monnaie. Mais une pièce indispensable dans un système n’a plus de raison d’être dans un système fonctionnant selon d’autres principes.
7) La monnaie permet de faire du troc qui est supposé être un échange équitable, quoique la valeur marchande ne soit, en dernière analyse, que l’expression d’un rapport de force.
La monnaie réintroduit dans l’état Social, fondé sur les rapports de droit, les rapports de force qui prévalent dans l’état de Nature. Mais il est interdit de penser que le système monétaire est antisocial.
Le quinzième préjugé consiste donc à croire que les prix consentis sont toujours justes et les échanges équitables, que riches et pauvres méritent chacun leur sort, que les exploités ont le tort de ne pas mieux se défendre, que les crapules ont le mérite d’être malins, etc. Ce qui engendre le seizième préjugé qui, pour justifier le système monétaire, consiste à croire que les riches ont toutes les qualités (talents, beauté, intelligence, gentillesse) et les pauvres tous les défauts (bêtise, paresse, laideur, méchanceté). Ainsi, les riches accaparent toutes les richesses matérielles, et il faut encore leur prêter toutes les vertus morales. C’est du reste ce qui explique l’aura qui, dans ce système, entoure la Propriété : posséder au-delà du nécessaire est signe de « réussite » et de vertus ; d’où le besoin d’avoir pour paraître vertueux et désirable, à défaut de l’être réellement ; d’où l’épate, la jalousie, le mépris, le désespoir, etc.
8) La monnaie repose sur la notion de valeur marchande, qui n’a de sens que s’il y a des différences de valeur.
Vu que la monnaie, qui incarne des droits, ne peut pas se répartir également, de par sa nature et son fonctionnement, un système monétaire est inégalitaire par définition. Le dix-septième préjugé consiste donc à croire qu’il est normal qu’il y ait des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités, des profiteurs et des affamés, des maîtres et des esclaves, tout cela dans le cadre d’une même Société, entre soi-disant Concitoyens. Le paradoxe est que les pauvres qui n’ont rien à gagner au système monétaire partagent aussi ce préjugé ; eux aussi trouvent normal d’être moins bien payés que d’autres, d’avoir moins de droits que d’autres, donc que l’inégalité règne ; s’ils déplorent les conséquences extrêmes de ce système, dont ils pâtissent, ils n’en cautionnent pas moins le principe de l’inégalité qui les rend possibles et même inévitables, puisqu’un système fondé sur l’inégalité tend vers toujours plus d’inégalités. Le dix-huitième préjugé consiste donc à croire qu’il est normal d’être bridé, de se priver, d’économiser, d’être sans cesse aux abois et soumis au supplice de Tantale pendant que d’autres profitent et dilapident les richesses de la Terre ; autrement dit qu’il est normal que la « société » soit injuste et terrible, comme si la vie ne réservait pas assez d'épreuves et de souffrances.
De la même cause découle le dix-neuvième préjugé qui consiste à croire que le système (monétaire) est inégalitaire parce que l’inégalité est avant tout dans la nature des choses, et que les inégalités (en argent, donc en droits) ne sont jamais que le reflet des différences naturelles entre les individus.
Cette justification de l’inégalité n’est rien d’autre qu’une capitulation devant le système monétaire. Il s’ensuit que ceux qui ont malgré tout l’intuition de l’Égalité, sans voir dans le système monétaire la cause des inégalités, prônent une absurde égalisation tous azimuts et suscitent chez les autres un légitime rejet de leurs conceptions dénaturées et catastrophiques de l’Égalité, ni les uns ni les autres ne sachant ce qu’est la véritable Égalité. Imaginez des gens disant : « Nous, on veut jouer au foot. » Ils proposent alors des règles. D’autres, n’aimant pas ces règles, déclarent : « Nous, on ne veut pas jouer au foot. » Or les règles en question étaient celles du basket. En somme, les premiers n’ont pas plus proposé de jouer au foot que les autres n’ont refusé d’y jouer. Il en est de même de l’Égalité : ceux qui invoquent son nom ne savent généralement pas plus ce qu’elle est que ceux qui, considérant que l’Égalité est ce que les premiers en disent, en rejettent le Principe.
Le vingtième préjugé consiste donc à nier ou à ne tenir aucun compte du fait que le système monétaire soit précisément monétaire, à nier de même qu’il soit intrinsèquement inégalitaire alors que nul n’ignore que l’inégalité règne, ceci afin de pouvoir croire que les conséquences du système (monétaire) sont étrangères à la monnaie, notamment que l’inégalité entre riches et pauvres n’a rien à voir avec l’argent, voire, comble de l’ineptie !, que riches et pauvres sont malgré tout égaux (en quoi ?) alors même qu’il est admis qu’il n’y a pas d’Égalité. De là le vingt-et-unième qui consiste à croire que la monnaie, indispensable pour jouir du moindre droit, n’est pas du droit elle-même, qu’elle n’est rien sinon quelque chose d’insaisissable, et que la cause de l’inégalité est tout aussi mystérieuse.
Les hommes se partagent entre ceux qui justifient l’inégalité et ceux qui la déplorent. Aucun n’ignore que l’inégalité règne dans ce système. Pour autant, aucun n’ose faire le lien avec sa nature monétaire. Mais il ne faut pas gratter beaucoup pour comprendre que ceux qui rejettent l’Égalité le font au nom des préjugés monétaires, et voir que ceux qui veulent aller vers l’Égalité ou moins d’inégalités, en proposant des mesures monétaires, démontrent eux-mêmes ce qu’ils nient par ailleurs.
9) La monnaie sert à établir des prix.
Le vingt-deuxième préjugé consiste donc à croire que les choses ont nécessairement un prix, que la monnaie est nécessaire pour les acquérir (ce qui est vrai dans le cadre de ce système) et que le système monétaire est le seul possible.
10) La monnaie est échangée en contrepartie de biens ou de travail.
Le vingt-troisième préjugé consiste donc à croire que tout travail (non considéré comme un Devoir) mérite salaire (en monnaie) ; que ce salaire doit soi-disant être fixé d’après divers critères (années d’étude, pénibilité, responsabilités, ancienneté, âge du capitaine), le seul n’entrant jamais en ligne de compte étant la Citoyenneté ; qu’un salaire est une bonne chose en soi quand bien même il ne représente jamais que des miettes par rapport aux Droits du Citoyen.
Un autre aspect de ce système ne débouche pas sur ce que l’on peut à proprement parler appeler un préjugé, c’est le fait que, si la monnaie représente tous les objets ou le travail qu’elle permet d’acheter ou de payer, tout ce qui peut être vendu représente de la monnaie. Or, comme il est vital pour tous de se procurer de la monnaie, les limites de ce qui est vendable reculent jusqu’à disparaître, jusqu’à ce que tout devienne marchandise. La « marchandisation » du monde est la conséquence inéluctable de Largent. Dénoncer Largent, c'est donc dénoncer aussi la « marchandisation » du monde ; l'inverse n'est pas nécessairement vrai.
11) La monnaie sert à acheter, donc à s’approprier ce qui est retiré du marché par son biais.
Dans la mesure où la monnaie est un moyen d’appropriation, elle est aussi un moyen de dépossession puisque dépouiller quelqu’un de son argent, par quelque moyen et pour quelque raison que ce soit, revient à le déposséder de tout ce qu’il aurait pu acheter et posséder, donc à le déposséder avant même qu’il ait eu l’occasion d’être propriétaire. C’est donc également être dépossédé via la monnaie que de ne pas être payé davantage ; dans ce cas, il y a dépossession par omission, dépossession de tout ce qu’aurait permis d’acheter l’argent dont on n’a pas même vu la couleur.
La monnaie est le moyen d’appropriation par excellence. Le lien entre la monnaie, la Propriété et les possessions ou propriétés est évident et indiscutable. Les grandes disparités matérielles sont évidemment et indiscutablement le fait des inégalités monétaires, lesquelles sont elles-mêmes le fait, d’une part, de la nature monétaire du système, d’autre part, du caractère intrinsèquement inégalitaire de ce système (voir point 8). Paradoxalement, le vingt-quatrième préjugé consiste à croire que l’appropriation exige de la monnaie ou que la monnaie est la condition de la Propriété, et, en même temps, à nier que les grandes disparités en biens soient une conséquence de la nature monétaire et inégalitaire du système. Ainsi les hommes veulent bien combattre les inégalités à coups de mesures monétaires, mais pas reconnaître que la monnaie est du droit et que le système monétaire est inégalitaire. Le vingt-cinquième préjugé consiste à croire qu’il n’y aurait pas de Propriété dans l’Égalité ou que tous les Citoyens auraient les mêmes biens, deux choses absolument impossibles en pratique, idées absurdes de l’Égalité que l’esprit agite pour se conforter dans ses préjugés monétaires.
Dans la mesure où la monnaie est le moyen d’appropriation, elle est aussi, pour certains, le moyen de s’approprier les moyens de production qui leur servent à exploiter les travailleurs (citoyens). D’autres ont donc l’idée de collectiviser ou nationaliser lesdits moyens. Mais ils sont aussi pour l’« abolition de l’argent ». Il y a donc une contradiction dans leurs aspirations. Ils veulent à la fois abolir l’argent, ce qui devrait en soi résoudre les problèmes qu’ils déplorent (sinon, pourquoi le vouloir ?), et collectiviser les moyens de production pour qu’ils ne soient plus des moyens d’exploitation à des fins privées, comme si ce problème ne devait pas être réglé par l’abolition de l’argent. En fait, ils focalisent sur cette question parce qu’ils ne raisonnent pas en termes de Société, parce qu’ils n’envisagent pas d’abolir l’argent au nom de l’Égalité, parce qu’ils ne voient pas les travailleurs comme des Citoyens ayant le droit d’accéder librement au marché et se souciant bien peu de savoir qui a réuni et à qui appartiennent les moyens de production (en l’occurrence à la Cité).
12) La monnaie sert à être payé et à payer soi-même, ce qui plonge les hommes dans un cercle vicieux.
Le vingt-sixième préjugé consiste donc à croire que la monnaie est vitale, ce qui est absolument vrai dans le cadre du système monétaire mais n’est pas une vérité absolue.
13) La monnaie est la pièce maîtresse du système monétaire ; elle est vitale aussi bien pour le système que pour les individus et toutes les collectivités.
Le vingt-septième préjugé consiste donc à croire qu’il est impossible de se passer de monnaie, qu’il faut la conserver à toute force, ce qui amène à ne pas chercher à savoir ce qu’elle est ni quelles sont ses conséquences, et même à prétendre qu’elle n’est rien, sinon neutre et sans effets. Notons qu’il n’est pas question ici des unités monétaires (qui ne sont d’ailleurs pas aussi neutres que cela), mais de la monnaie dans son principe ou, disons, du système monétaire. C’est d’ailleurs sur cette distinction que s’appuie, en la faisant mal, le vingt-huitième préjugé qui consiste à croire que le système monétaire est neutre, donc qu’il est inutile de prendre en considération la nature monétaire du système, sous prétexte que les unités monétaires seraient neutres aussi.
14) En tant que moyen d’échange, la monnaie est, par définition, au cœur des rapports “sociaux”.
Le vingt-neuvième préjugé consiste donc à croire que la monnaie est compatible avec la Société, sans chercher à savoir ce que sont des rapports sociaux harmonieux et une Société digne de ce nom, en rejetant même les Principes de l’Ordre social au nom de la logique monétaire.
15) Chaque unité monétaire incarne du droit de participer aux échanges et d’accéder au marché.
Le trentième préjugé consiste donc à croire que le droit d’accéder au marché doit être extérieur à soi, matérialisé et divisible ; partant, qu’il est cumulable, perdable, volable, jouable, gagnable, transmissible, héritable, etc. (L’idée qu’il soit constant et inaliénablement attaché à la Citoyenneté est inconcevable.) Cette propriété, combinée à d’autres, engendre des préjugés déjà énoncés.
16) Chaque individu a le droit d’accéder au marché en proportion des unités monétaires dont il dispose à l’instant “T”, par quelque moyen qu’il les ait gagnées.
Un individu n’est donc jamais égal à lui-même d’un instant à l’autre ; les individus peuvent d’autant moins être égaux entre eux. Le trente-et-unième préjugé consiste donc à croire que le droit vital d’accéder au marché est nécessairement mesurable et limité ; qu’il faut en repousser les limites autant que faire se peut ; que cela est possible ; que tous les moyens sont bons (vu que l’argent n’a pas d’odeur) ; qu’à défaut de gagner de l’argent, il faut en dépenser le moins possible ou faire payer les autres. Tout ceci façonne la mentalité des hommes, et fait d’eux des êtres vicieux, voleurs, menteurs, calculateurs, mesquins, flambeurs, etc. D’où le trente-deuxième préjugé qui, devant ce spectacle, consiste à considérer l’Homme comme mauvais de nature, ce qui dispense de s’interroger sur le système monétaire et condamne soit au renoncement soit à la démagogie.
17) La monnaie est indispensable pour toute chose dans un système monétaire, en particulier dans un contexte de haute technologie et de spécialisation extrême.
Le trente-troisième préjugé consiste donc à croire que, pour faire quoi que ce soit, il faut de « l’argent » et qu’un système non-monétaire, au demeurant impensable, n’est ni possible ni souhaitable ; ce qui empêche de s’interroger sur ce que ce dernier pourrait être ou amène à en rejeter d’emblée l’idée quand on y est confronté. Le trente-quatrième préjugé consiste à croire que nous devons tout à Largent, que c’est lui seul qui fait tout, que tout existe grâce lui, que rien n’existerait sans lui, que les hommes ne seraient rien sans lui. Le trente-cinquième préjugé consiste à croire que Largent apporte la Liberté, alors qu’il en est le facteur limitant (et des droits individuels et de l’action collective), car s’il accorde ses faveurs à quelques riches, il les refuse aux masses. On voit toujours ce que l’argent « permet de faire » ou, plus exactement, ce qu’il « n’empêche pas de faire » ; on oublie que, dans un système monétaire, le fait de ne pas avoir d’argent affecte bien plus de gens et a des conséquences plus nombreuses et plus graves.
18) Le système monétaire est individualiste, inégalitaire et oligarchique.
Le trente-sixième préjugé consiste donc à croire que l’Égalité, le civisme (patriotisme) et la Démocratie sont des utopies, ce qui est en effet le cas dans le cadre du système monétaire et dans la bouche de quiconque les prône sans envisager de sortir de celui-ci.
19) La monnaie, qui n’est plus aujourd’hui qu’une abstraction, a longtemps été matérielle.
Le trente-septième préjugé, hérité de longue date, consiste donc à croire non seulement que la monnaie a une réalité, qu’elle existe ailleurs que dans nos têtes, mais encore qu’elle est neutre au même titre que n’importe quel objet, comme si elle ne faisait pas courir les hommes obligés de lui courir après, comme si les hommes fixaient les règles du jeu auquel elle les condamne à jouer. Sous prétexte qu’elle ne serait soi-disant qu’un objet neutre, les hommes, pour lui épargner toute remise en cause, prétendent « qu’elle n’est qu’un outil », comme si n’importe quel outils pouvait remplir correctement n’importe quelle fonction.
20) Le système est monétaire.
Le trente-huitième préjugé consiste donc à croire que, puisque l’on vit dedans, on sait évidemment ce qu’est la monnaie et comment elle fonctionne, un peu comme si un poisson rouge savait évidemment ce qu’est un aquarium. De là le trente-neuvième préjugé qui consiste à croire que, puisque l’on sait tout du système et qu’on ne le remet pas en cause (préjugés obligent), il n’y a rien à comprendre d’autre et rien à chercher en dehors ; que, quoique tout tourne autour de l’argent, il n’y a pas lieu de se poser la moindre question à son sujet. De là le quarantième préjugé qui consiste à croire que, hors de Largent, point de salut. En somme, les hommes sont tellement impliqués dans le système qu’ils en deviennent un rouage malgré eux. Ils n’ont pas assez de recul pour saisir leur monde et encore moins pour en apercevoir un autre.
Je m’arrête ici, mais je pourrais en trouver d’autres. De manière générale, les préjugés monétaires consistent à considérer comme des vérités absolues toutes les données relatives au système monétaire et au troc.
07:31 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |