LE REVENU D'ASSERVISSEMENT UNIVERSEL (vidéo) (vendredi, 22 mai 2020)
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Dans cette vidéo, nous allons traiter un sujet dont il a commencé à être question il y a de cela des années, qui a même fait l’objet d’une proposition formelle de la part du candidat soi-disant socialiste à l’élection présidentielle de 2017 et que tous les gouvernements capitalistes agitent maintenant à l’issue de la pseudo crise du coronavirus. Je veux parler de l’idée d’un revenu universel, dit aussi revenu de base ou revenu d’existence. Sans doute y a-t-il différentes formules, d’un point de vue pratique, mais toutes ont fondamentalement les mêmes vices.
Déjà, mon Réquisitoire contre Largent, écrit en 2000, rejetait comme absurde toute idée d’égaliser les revenus (voir p. 58-59). Depuis, j’ai consacré deux textes à ce sujet précis : un en juin 2013, l’autre en juin 2018. J’y ai fait aussi allusion dans une note de mon ouvrage Révolution, sorti en octobre 2015 (voir p. 132). — Pour que vous puissiez retrouver ces textes, je vous mets les liens en dessous de la vidéo. — Sur mon facebook, j’ai également publié, en 2014, 2015, 2016 et 2017, sous forme de vignettes, des sentences sans équivoque. Je les insèrerait à la fin de cette vidéo pour ne pas anticiper mon propos. En 2015, donc, dans Révolution, j’écrivais : « Il semble que l’idée d’un revenu universel ou de base ou d’existence (émise par Thomas Paine en 1797) soit le dernier miroir aux alouettes que le système ait décidé d’agiter pour détourner les masses du véritable combat révolutionnaire. » En 2018, dans Revenu de base ou universel : l’anticapitalisme capitaliste, le texte dont j’ai parlé, j’écrivais : « Le capitalisme accueillera d’ailleurs de plus en plus favorablement leurs propositions [c’est-à-dire les fausses bonnes idées des capitalistes qui s’ignorent, notamment l’idée d’un revenu universel]… jusqu’à les faire lui-même. » Nous y sommes.
Je ne fais pas mystère de mon hostilité à l’égard de ce genre de proposition ; il s’agit maintenant d’en comprendre la raison. Vous savez que je ne vais pas me contenter de dire : « C’est pas bien de donner de l’argent aux gens ! » Nous touchons à une question essentielle qui mérite d’aller au fond des choses. Un revenu universel serait un dispositif « social ». Pour savoir s’il serait une bonne ou une mauvaise chose, d’un point de vue social, il faut donc commencer par s’interroger sur ce que devrait être une Société digne de ce nom. Il s’agit, en outre, d’une mesure éminemment monétaire. Il faut donc aussi nous demander ce qu’est la monnaie, quel est son rôle social, et si elle le tient ou pourrait le tenir convenablement. Pour ce faire, je vais reprendre un exposé que j’ai déjà fait dans ma vidéo sur la fin de l’argent liquide et que je serai amené à reprendre, de même, pour tous les sujets qui touchent à la Société et exigent de prendre de la hauteur avant de les traiter. C’est un peu long, mais ce n’est pas hors de propos. Si vous ne voyez pas vous-mêmes les rapports avec le sujet, ici le revenu universel, ils vous sauteront aux yeux après, quand j’établirai des parallèles pour appuyer mes critiques.
Qu’est-ce donc qu’une Société ?
Les Sociétés sont constituées d’être vivants qui, pour accroître leurs chances de survie, unissent librement leurs forces… librement, sans quoi la Société, loin d’être un havre de paix, serait elle-même un danger. La Société naît donc de l’instinct de conservation et a pour raison d’être d’assurer, autant qu’il est en elle, la sécurité de ses membres. Autrement dit, les Citoyens ont le devoir de se protéger mutuellement pour garantir à chacun la sécurité en tant que droit. Au fondement de la Société, que j’appelle « Cité », il y a donc le Principe d’Égalité des Citoyens en devoirs et en droits. Tous les besoins individuels et collectifs que la Cité a pour mission de satisfaire, ou se charge de satisfaire, font de la satisfaction de ces besoins un droit du Citoyen, et des actions qui contribuent à les satisfaire un devoir du Citoyen, envers ses Concitoyens et la Cité. Il ne faut pas perdre de vue qu’un Citoyen n’a que les droits que la Cité lui reconnaît et que ses Concitoyens lui garantissent par les devoirs qu’ils remplissent envers lui. Un Citoyen ne génère directement pas ses propres droits, mais il jouit des mêmes droits que ceux qu’il reconnaît et garantit à ses Concitoyens en remplissant envers eux les mêmes devoirs que ces derniers ont envers lui. Au final, c’est en s’acquittant d’un faisceau de devoirs qu’un individu devient et demeure Citoyen, et c’est la Citoyenneté qui, une fois reconnue, lui confère les droits du Citoyen.
Nous avons parlé de la Sécurité, mais, si celle-ci est le premier besoin, ce n’est évidemment pas le seul, et, d’ailleurs, les besoins s’étendent à mesure que les capacités individuelles et collectives s’accroissent. Ainsi, au-delà du devoir passif de ne pas agresser ses Concitoyens, et du devoir actif de les protéger, les Citoyens, pour faire face à l’ensemble des besoins de la Cité, doivent s’acquitter d’une multitude de tâches qui relèvent d’un devoir que l’on pourrait résumer par cette formule : « participer à la vie de la Cité, selon ce que celle-ci considère comme une participation ». En retour de ce devoir, tous les Citoyens ont également le droit de profiter des bienfaits de leur Cité. Or une partie de ces bienfaits consiste en biens et produits destinés à un usage personnel, dont les Citoyens ne peuvent donc profiter individuellement que s’ils ont sur eux le droit de propriété. Ce droit ne peut leur être conféré que par la Cité. Toute la question est de savoir comment ces biens ou produits peuvent être répartis entre les Citoyens.
Il y a deux cas, deux situations : soit ces biens et produits, désirés par tous, ne sont disponibles qu’en faible quantité, auquel cas la Cité doit organiser leur partage et en attribuer une part relativement égale à chaque Citoyen ou établir une sorte de rationnement ; soit ces biens et produits existent en grande quantité, auquel cas la Cité n’a pas besoin de se mêler de la répartition et peut autoriser tous les Citoyens à y accéder librement, l’égalité portant alors, non sur les parts, mais, plus logiquement, sur le droit. Dans ce second cas, le partage pourrait être égal en théorie, puisque tous les Citoyens ont le même droit, la même force pour ainsi dire, mais la part de chacun est en réalité différente, puisque tous n’ont pas les mêmes goûts ni les mêmes envies et usent de leur droit chacun à leur manière. Ces différences en propriétés résultent alors de la Liberté, tandis qu’une égalité en la matière révèlerait une tyrannie.
À l’heure de la production industrielle, et des biens et produits courants en abondance, partage et rationnement n’ont aucune raison d’être (sauf cas particuliers). Le mode de répartition qui doit prévaloir est le libre accès. Chaque Citoyen doit avoir le droit d’accéder librement au marché du fait même qu’il soit Citoyen. En d’autres termes, à l’heure de la production industrielle, le droit d’accéder au marché, et d’y accéder librement, doit être conféré par la Citoyenneté. Tel est, de nos jours, le mode d’échange conforme aux Principes de l’Ordre social. Tel n’est pas du tout le mode d’échange actuel.
Aujourd’hui, et depuis des lustres, l’accès au marché est conféré par la monnaie. C’est la monnaie qui incarne ce droit et tous ceux qui passent par lui. C’est, en effet, par l’accès au marché, donc via la monnaie, que les individus jouissent du droit de manger, de se loger, de s’habiller, de se chauffer, de circuler, etc. Quasiment tous les droits passent par la monnaie. Je rappelle qu’un droit ne consiste pas à user de ses facultés naturelles mais à profiter des bienfaits de la Cité en retour de son propre dévouement. Par ailleurs, la monnaie est une unité de valeur qui sert à payer les hommes et à établir ainsi la soi-disant valeur des choses. Les hommes sont donc payés différemment. Leur droit d’accéder au marché est non seulement limité, mais encore inégal. En outre, on ne peut jouir des droits incarnés par la monnaie qu’en se dépouillant d’elle, c’est-à-dire en payant, de sorte qu’un même individu a de moins en moins de droits et est inégal par rapport à lui-même dans le temps. Inversement, il appartient à chacun de se procurer, aux dépens d’autrui, et par quelque moyen que ce soit, cet élément vital, ce qui insuffle l’individualisme et suscite la guerre de chacun contre tous. Enfin, la monnaie circule ; elle passe de main en main et ne peut pas se répartir également, de par le jeu des valeurs. Comme, en plus, elle incarne les droits, c’est-à-dire du pouvoir, les hommes entre les mains desquels elle se concentre ont plus de pouvoir que les autres, du pouvoir pour s’allouer tous les services, graisser toutes les pattes, imposer leurs prix et capter toujours plus de monnaie. Le système monétaire, par quelque bout qu’on le prenne, est inégalitaire et tend vers toujours plus d’inégalité. S’il a sa logique, ce n’est en rien celle de la Société. Il bafoue tous les Principes de l’Ordre social.
Les hommes ne recourent pas à la monnaie par hasard. Ils croient que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger. Cette croyance est ce que le Civisme appelle « Largent », qui s’écrit « L » majuscule, « argent » tout attaché. Je n’entrerai pas ici dans le débat de savoir d’où vient cette croyance. Le fait est qu’elle met en œuvre la logique du troc, dont elle est, à mon sens, le produit, fut-il pratiqué initialement entre communautés. Je m’explique.
Le troc est un mode d’échange dans lequel les individus s’échangent entre eux un ou des biens dont ils sont propriétaires, et mettent de ce fait ces biens en équivalence. Si on pense à l’échange d’un bien contre un bien, on ne comprend pas. Mais imaginez quelqu’un qui échange une chose contre trois quelque chose. La première chose vaut trois quelque chose ; ce quelque chose est l’unité qui sert à mesurer ou plutôt à établir la valeur de la première chose. Ainsi, les notions de valeur et d’unité de valeur sont présentent dans le troc direct, pour ne pas dire qu’elles en naissent. Le troc indirect, via des biens utilisés potentiellement ou exclusivement en tant qu’unités de valeur, c’est-à-dire de monnaie d’échange, n’est qu’une évolution. Les monnaies, telles que nous les connaissons, rendent plus pratique cette forme d’échange, mais aggravent encore son caractère asocial et antisocial. Car, sous prétexte d’être pratiques pour échanger, elles sont aussi plus pratiques pour voler, escroquer, spolier, spéculer, exploiter, opprimer, persécuter, etc. Quoi qu’il en soit, on recourt à une monnaie, à une unité de valeur, parce qu’on croit que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger ; et cette croyance condamne à échanger sur le mode du troc (monétaire ou non) et à ne pas concevoir d’autre mode d’échange que lui, c’est-à-dire un échange de propriétés entre individus. Cette croyance porte donc en elle le troc, la monnaie, le système monétaire, tout ce qui en découle, tout ce que nous avons sous les yeux. Tant que cette croyance perdure, le système reste entier ou est appelé à ressusciter.
Deux petites remarques.
Premièrement, nous avons vu que l’échange monétaire est individualiste. Pourtant le fait même que les individus soient obligés d’échanger montrent qu’ils sont dépendants les uns des autres et complémentaires, comme le sont des Citoyens. Autrement dit, les individus formeraient vraiment Société si la monnaie, qui n’est qu’une fiction, mais dont les conséquences sont bien réelles, n’enveloppait de sa logique antisociale, tel un brouillard, une réalité fondamentalement sociale.
Deuxièmement : Si les individus ne peuvent échanger ou vendre que des propriétés, il faut qu’ils soient propriétaires de ce qu’ils produisent ; il faut qu’ils produisent pour eux. Dans ces conditions, produire n’est pas un devoir envers la Société. C’est une forme de participation à la vie de la Cité mais qui, ici, n’a pas la dimension d’un devoir. Et puisque la monnaie, qu’il appartient à chacun de gagner comme il peut, incarne les droits, la Société est dispensée de garantir ces droits, elle n’a plus à jouer son rôle, elle perd sa raison d’être, elle n’existe plus qu’en apparence.
Enfin, et ce point est particulièrement en rapport avec notre sujet, il faut bien comprendre que la monnaie, qui repose sur la notion de valeur marchande et met en œuvre la logique du troc, est née à une époque où les individus étaient pour la plupart des producteurs, qu’elle est donc relativement adaptée au contexte de production artisanale, caractérisé par de faibles rendements. Il ne faut pas perdre de vue que la monnaie est un moyen d’échange qui fonctionne sur un certain mode, et qu’il y a nécessairement un lien entre le mode d’échange, les biens échangés, les biens produits et le mode de production. Autrement dit, le mode d’échange est lié et doit être adapté au mode de production. Or nous sommes passé, progressivement mais définitivement, au mode de production industrielle. Cette observation indéniable conduit à la conclusion évidente que la monnaie, en tant moyen et mode d’échange, n’est plus adaptée à notre époque et que, désormais, ses inconvénients l’emportent sur ses avantages. Si on a pu croire qu’elle était de l’huile pour la machine, aujourd’hui elle n’est plus que sable. Mais pourquoi n’est-elle pas adaptée à l’ère industrielle, et comment cela se traduit-il ? Cela tient nécessairement à ce qui distingue la production artisanale de la production industrielle, à savoir la différence de rendements, donc le volume de la production et la quantité de produits à vendre à l’instant T. Mais il y a un autre facteur : le fait que la Demande réelle globale soit toujours faible dans un système monétaire, en raison de la tendance de la monnaie à se concentrer. Quelques personnes ont plus d’argent qu’elles n’en peuvent dépenser ; la masse, elle, en a moins que le nécessaire. Quand il y a peu à acheter, la production est malgré tout écoulée. Mais quand la production devient massive, il manque des clients. Un pays produit plus que sa population n’a les moyens financiers d’absorber la production. Entreprises et pays se lancent alors dans une course sans fin pour trouver des clients ou en fabriquer, pour accroître la Demande en augmentant les salaires ou en baissant les coûts de production. Mais rien ne fonctionne. Ils tentent tout et son contraire. Ils font d’un côté ce qu’ils défont de l’autre, et vice versa. Et de désastre en désastre, ils ravagent tout. Et nous ne sommes pas encore à l’ère de la production entièrement robotisée voire autonome qui mettra les travailleurs en masse au chômage et les privera de revenu. La capacité de production sera immense, mais il n’y aura plus de consommateurs ou presque. La contradiction sera à son paroxysme ; le système sera un bord de la rupture.
Ce qui nous amène enfin à notre sujet : le revenu universel, ou de base, ou d’existence.
Il existe différentes formules, toutes plus ridicules les unes que les autres. Je vous avoue que je ne les ai pas approfondies et que je ne ferai pas cet effort tant elles sont ineptes dans leur principe. On ne débat pas, avec ceux qui ne voient pas un piège, pour savoir s’il faut y mettre un pied ou les deux ! Il faut s’abstenir de marcher dedans et le signaler aux autres. Le piège, vous l’aurez compris, c’est de ne pas sortir du système monétaire et de l’illusion qu’il pourrait être une bonne chose pour les hommes moyennant quelques arrangements. Vous devez intégrer, une fois pour toute, que la logique monétaire n’est pas et ne sera jamais la logique sociale, que Largent et l’Égalité sont absolument incompatibles, et que ceux qui vous font miroiter des lendemains monétaires qui chantent n’ont rien compris ou vous prennent pour des idiots ; si ce ne sont pas ouvertement vos ennemis, ce sont, pour le moins, de faux amis ; les uns veulent votre perte, les autres ne peuvent rien pour votre salut. Retenez donc bien cette formule : « Toute mesure monétaire est contre-révolutionnaire. » Même si vous ne comprenez pas le pourquoi du comment, même si les dehors de telle ou telle idée vous paraissent séduisants, dès lors qu’une mesure proposée est monétaire ou suppose l’existence de la monnaie ou de Largent (la notion de valeur marchande), sachez y reconnaître un piège, quelles que soient, par ailleurs, les intentions de leur promoteur. Je ne dis pas, du reste, que vous devez renoncer à gagner de l’argent ou refuser celui que l’on vous propose ; je dis simplement que vous ne devez pas être dupes : ce qu’il vous faut faire individuellement pour vivre dans ce système, tant qu’il est monétaire, est une chose ; ce qu’il nous faut faire collectivement pour changer le cours des choses en est une autre.
Et ce qu’il nous faut faire n’a absolument rien à voir avec ce qui nous est proposé et qui n’a pas pour but de changer les choses mais, au contraire, de les perpétuer, consciemment ou non.
Encore une fois, il existe différentes formules de revenus dits universel, de base ou d’existence. Toutes consistent à donner de l’argent, de manière égalitaire, à un large panel de gens, sans contrepartie. Les différences, entre les unes et les autres, résident dans leurs modalités particulières. La première différence concerne les bénéficiaires. Ce revenu sera-t-il assuré à toute personne présente sur le territoire ? Seulement aux nationaux ? Seulement aux chômeurs ? La deuxième différence concerne la hauteur de ce revenu. Sera-t-il suffisant pour vivre ou survivre ou constituera-t-il simplement un complément ? La troisième différence concerne les modalités de financement : À qui et comment l’État prendra-t-il cet argent ? Toutes les combinaisons possibles, mettant en œuvre des philosophies différentes, donnent lieu à autant de formules et de chapelles rivales. Pour moi, elles ne sont différentes qu’à la marge et, quoique certaines soient plus délirantes que d’autres, elles méritent toutes le même mépris.
Toutes comprennent que quelque chose de fondamental passe par la monnaie, sinon pourquoi proposer une mesure monétaire et y accorder autant d’importance ? À ce premier stade, on reconnaît déjà les philosophes en carton. Que sont d’autre ceux qui ne comprennent pas et n’arrivent pas à dire que cette chose fondamentale, qui dépend de la monnaie, n’est ni plus ni moins que les droits ? Que croient-ils que c’est ? Il est probable qu’ils ne se posent pas plus la question de sa nature qu’ils ne se soucient de la nommer. Mais ceux qui franchissent ce premier cap, c’est-à-dire ceux qui font le lien entre la monnaie et les droits, n’en sont pas moins des charlatans. Ils admettent que les droits passent par la monnaie, qu’il faut donc distribuer de l’argent pour assurer des droits minimums (au passage, ils se flattent d’être justes et pourvus d’une haute conscience sociale) ; mais il ne leur vient pas à l’esprit : 1) que les inégalités monétaires qu’ils veulent corriger sont inhérentes au système monétaire lui-même ; 2) qu’il n’y a pas de Société digne de ce nom dans l’inégalité ; 3) que ce n’est en rien corriger l’inégalité que d’établir un revenu de base égal, tout en permettant à chacun d’accroître par ailleurs ses revenus et de rétablir ainsi l’inégalité ; 4) que des Citoyens doivent être égaux en devoirs et en droits, notamment en droit d’accéder librement au marché ; 5) que les droits incarnés et conférés par la monnaie ne sont pas et ne seront jamais les droits du Citoyen ; 6) que des Citoyens n’ont pas droit seulement à un minimum, mais que tous ont droit au maximum de ce que la Société peut procurer ; 7) qu’un Citoyen a autant de droits que de devoirs, qu’il a même des devoirs avant d’avoir des droits, et qu’accorder des droits sans leur contrepartie en devoirs anéantit la Citoyenneté et, par-là même, la Société ; 8) que l’on ne peut échapper à toutes ces aberrations et contradictions qu’en sortant du système monétaire lui-même. Cela ne leur vient pas à l’esprit parce qu’ils sont prisonniers de la logique monétaire et que, ne leur en déplaise, ils ignorent tout de la logique sociale. Ils se croient raisonnables et modérés en donnant l’impression de chercher le juste milieu, alors qu’ils ne connaissent qu’un parti : celui de Largent. Comment pourraient-il servir la Société dont ils ignorent tout ? Et, s’ils connaissaient les Principes de l’Ordre social, en quoi serait-ce raisonnable de les rogner en partie au profit de Largent ? En quoi consisterait d’ailleurs un tel compromis ? En réalité, la chose serait impossible : deux logiques ne peuvent pas cohabiter ; c’est tout l’une ou tout l’autre. Dans le cas présent, c’est Largent qui l’emporte.
Et cela n’a rien d’étonnant. Ces idées ont été conçues, d’abord, par des bourgeois qui, quoique pleins de bons sentiments, ne raisonnaient pas en Citoyens, qui ne se voyaient pas comme les égaux de ceux auxquels ils voulaient assurer des droits via la monnaie et pour qui la Société devait moins garantir, à tous les Citoyens, les droits du Citoyen que faire la charité aux plus déshérités. À ma connaissance, le premier qui ait émis l’idée d’un revenu universel était Thomas Paine, en 1797. Or, rappelons-nous ce que nous avons dit plus haut, à savoir que le système monétaire est lié au mode de production artisanale. C’est la possibilité de produire en masse, offerte par l’industrialisation, qui rend concevable le droit, pour tout Citoyen, d’accéder librement au marché et, donc, de ne plus avoir besoin de recourir à une monnaie. Mais, à l’époque de Thomas Paine, la production était encore artisanale : la monnaie était incontournable sur le plan économique et dans les idées politiques. Autrement dit, il avait des excuses. Quelles excuses ont ceux qui, 200 ans plus tard, ont encore ce genre d’idées ? Aucune, si ce n’est qu’ils sont toujours sous l’emprise de Largent, c’est-à-dire de la croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger, chose qu’ils ne s’avoueront jamais. Tout a changé autour d’eux ; rien n’a évolué dans leurs têtes.
On comprend que Paine ait pu avoir ces idées-là. On comprend comment il y est arrivé. On comprend aussi pourquoi des gens de moindre condition y adhèrent : soit par intérêt personnel, soit parce qu’ils font les mêmes erreurs au nom des mêmes préjugés. Et j’ai déjà suggéré la raison pour laquelle ces idées, jusque-là marginales, font florès aujourd’hui.
Le chômage et la misère, que les progrès techniques auraient dû éradiquer, explosent. Les chômeurs ont droit a des allocations un certain temps, et des « minima sociaux » ont été mis en place pour les misérables. De fait, le revenu de base existe déjà, très bas, certes !, mais il existe, et, comme je le disais, ce qui change avec les projets en question, et d’un projet à l’autre, ce sont notamment les montants. Mais, au fond, le principe est déjà appliqué. Ces projets n’ont rien de révolutionnaires. Ils sont même contre-révolutionnaires.
Hormis pour ceux qui croient que c’est faire preuve d’une grande humanité que de garantir des miettes à tous, en lieu et place des droits du Citoyen, et qui sont des contre-révolutionnaires par défaut, pour ne pas dire par bêtise, la véritable raison d’être de ces projets, la véritable raison pour laquelle les capitalistes notoires les mettent soudain à l’ordre du jour, c’est qu’il en va de la survie du capitalisme lui-même. Dans un système monétaire, inégalitaire, la Demande réelle est globalement faible et, à l’ère technologique, elle s’effondre du fait qu’une masse toujours plus importante de gens tend à être privée de travail, donc de revenus. À quoi bon produire si personne ne consomme, si la consommation est du moins très en deçà de la production ? Mais l’évolution technologique ne permet pas de revenir à des modes de production moins productifs. En l’état actuel des choses, le système monétaire va au-devant d’un paradoxe insoutenable et mortel pour lui. S’il ne s’effondre pour des raisons économiques, c’est-à-dire, en réalité, monétaires, il déchaînera, tôt ou tard, contre lui la masse des affamés. D’une manière ou d’un autre, sa fin est inéluctable. C’est pour la repousser, autant qu’ils le peuvent, que les capitalistes trouvent soudain pertinent d’assurer un revenu universel, non par respect des droits, dont ils ne se sont jamais souciés, mais pour soutenir la Demande et acheter la paix sociale, comme on dit. Ils jettent aux chiens un os à ronger. Mieux ! Ils s’assurent ainsi de les tenir en laisse. Ils espèrent, en effet, qu’en faisant dépendre leur revenu de base de l’État, ils n’oseront pas se retourner pour mordre la main qui les nourrit, fut-ce mal. Mais combien de temps ce petit jeu pourra-t-il durer ? Combien de temps l’État pourra-t-il payer les gens à ne rien faire, soit en ponctionnant le travail, ce qui le soumettra à une pression insupportable, soit en injectant de l’argent fictif, qui achèvera de déstabiliser le système monétaire ? Une fois consommé ce nouveau fiasco, que reste-t-il comme solution ? Comment fausser davantage le système ? L’idée d’un revenu universel est la dernière cartouche du capitalisme. Pas seulement la dernière en date, mais bien la dernière tout court.
La technologie d’aujourd’hui rend déjà possible de s’engager dans une nouvelle voie, celle préconisée par le Civisme, celle des Principes de l’Ordre social. Il serait possible d’attacher le droit d’accéder librement au marché à la Citoyenneté. Une carte à puce suffit pour appliquer ce Principe. En outre, le devoir de participer à de la Cité, pour mériter la Citoyenneté et avoir ainsi accès au marché, est une notion beaucoup plus large que le travail et, plus encore, que le travail tel qu’il est conçu dans le système monétaire. Au fond, il n’y a donc aucun problème. C’est l’argent qui en crée un. Mais les valets de Largent iront jusqu’au bout de sa logique, jusqu’à l’épuisement de tous les expédients possibles. En reprenant à leur compte l’idée d’un revenu universel, en maintenant les esprits dans la logique monétaire, ils écartent cette alternative révolutionnaire qui, si elle venait à être connue et prônée, structurerait la colère populaire et lui donnerait un but pour lequel elle aurait les moyens. Là encore, on voit à quel point les chantres de toute forme de revenu de base sont des contre-révolutionnaires et les complices objectifs du capitalisme.
Dans la mesure où aucune force n’est actuellement capable de contrer réellement le capitalisme, pas même sur le plan des idées, il est fort probable qu’un revenu de base sera instauré dans les années à venir, comme c’est déjà le cas dans certains pays (Espagne). Tout ce que nous pouvons espérer, c’est que son mode d’attribution ne sera pas trop démagogique, afin qu’il ne lobotomise pas plus les gens qu’ils ne le sont déjà, et qu’il soit moins difficile d’attacher les droits économiques et sociaux à la Citoyenneté le moment venu.
Pour terminer, je voudrais mettre en parallèle ces idées de revenus, garantis par l’État, avec celle des droits du Citoyen garantis par la Cité. D’aucuns pourraient leur trouver les mêmes vices. J’ai dit qu’un des dangers des premières était de permettre à l’État de tenir en laisse les allocataires. On pourrait tout aussi bien considérer que la Cité aura tout autant la main mise sur les Citoyens. Mais il faut bien voir, tout d’abord, que quel que soit le montant de ces revenus, il sera toujours ridicule comparé au droit du Citoyen d’accéder librement au marché ; ensuite, que, s’il est facile d’augmenter ou de baisser arbitrairement des revenus, puisque personne n’a conscience que la monnaie n’est rien d’autre que des droits, et même si tout le monde en avait conscience, puisque la monnaie condamne à jouer avec elle, et donc avec les droits, il n’en serait pas de même des droits conférés par la Citoyenneté, qu’il serait impossible de rogner en tout ou partie sans remettre en cause la Citoyenneté elle-même, chose beaucoup plus difficile ; enfin, que la Cité ne serait pas l’État, que la démocratie ne serait plus le mot creux qu’elle est dans un système monétaire, que les lois seraient l’ouvrage des Citoyens, qui auraient à cœur l’intérêt général, et non plus de puissances obscures, qui servent des intérêts inavouables. Même en admettant que le principe soit le même, il en irait tout autrement de son application. Il y aurait la même différence qu’entre être attaché à un piquet, par une corde plus ou moins courte, et être libre de tous ses mouvements dans un espace vaste quoique limité. Il faut bien, à un moment donné, que la Citoyenneté soit reconnue par la Cité qui est aussi la garante des droits du Citoyen et donc de leurs limites, égales pour tous dans le cas présent. Sans quoi, il n’y a ni Société, ni Citoyens, ni droits, ce qui est, en effet, l’idéal prôné par certains, sous divers prétextes, mais un idéal sans queue ni tête, dépourvu de la moindre once de bon sens, un idéal sans portée pratique voué à demeurer à l’état de chimère.
00:58 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |