LE CIVISME : DU LIBÉRALISME SANS CAPITALISME (mercredi, 24 juin 2020)
Le Civisme est une théorie politico-économique encore peu connue, qui vise à asseoir la Société sur ses Principes éternels et qui, ce faisant, rend caduque la monnaie et anéantit ce que Philippe Landeux, son auteur, appelle Largent (la croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger). Alors que toutes les théories visant à abolir la monnaie prônent, à cette fin, le collectivisme ou l’abnégation et le don, sans poser un seul Principe, le Civisme fait la démarche inverse : il consulte les Principes de l’ordre social, les applique et constate que la monnaie disparaît, n’ayant plus de raison d’être. Nous verrons un peu plus loin comment s’opère ce « miracle ». Notons, pour le moment, que le Civisme rompt, à tous les niveaux, avec toutes les théories, aussi bien avec celles qui s’inscrivent dans le cadre monétaire qu’avec celles qui prétendent en sortir. Sa démarche inédite l’entraîne loin des sentiers battus et l’amène à révolutionner tous les concepts. Et le fait que le Civisme soit du libéralisme sans capitalisme n’est pas la moindre de ces révolutions conceptuelles.
Le libéralisme a mauvaise presse. Et pour une bonne raison : c’est qu’il n’existe pas au vrai sens du terme, que ce que nous appelons « libéralisme » n’est que du capitalo-libéralisme, c’est-à-dire du libéralisme faussé par l’argent. Tous les penseurs libéraux, quelle qu’ait été leur tendance, ont pensé le libéralisme dans le cadre monétaire, asocial et antisocial par définition (comme nous allons le voir). Sensibles aux effets de la monnaie, mais dans des domaines différents, ils en ont tous appelé à la Liberté pour les corriger, concoctant ainsi des remèdes variés et antithétiques mais tous viciés. À des aberrations, ils en ajoutèrent de nouvelles, chacun les siennes. Ainsi dissocièrent-ils le politique de l’économique, l’Égalité de la Liberté, la société du système monétaire. Les uns raisonnèrent comme si l’argent n’existait pas, mais sans chercher à l’anéantir, et avec lui ses effets ; les autres s’alignèrent sur lui mais sans admettre qu’il était leur maître, qu’ils n’étaient donc eux-mêmes rien d’autre que ses disciples ; aucun ne s’avisa que toute question sociale a sa réponse dans les Principes de l’ordre social et que le premier soin est de poser ces derniers.
Les doctrines libérales sont trop nombreuses pour que nous les rappelions toutes ici. Pour illustrer ce qui vient d’être dit, nous nous bornerons donc à quelques exemples.
La Liberté, appliquée au domaine politique, a débouché sur la sacralisation de l’individu, le concept de « droits naturels », la notion de « contrat social » et l’idée de « démocratie », autant de positions contradictoires entre elles et qui, toutes, sont soit absurdes en elles-mêmes, soit vaines dans le cadre du système monétaire. L’idée que des droits seraient innés, antérieurs à toute société ou indépendants de l’existence d’une société, alors même qu’ils supposent une société pour les penser, les déclarer et éventuellement les garantir, n’est jamais qu’une réaction à l’injustice du système monétaire et la manifestation d’une impuissance face à lui. Au lieu de dénoncer Largent et les dérèglements sociaux inhérents au système monétaire (individualiste, inégalitaire, oppressif et tyrannique), on invente des droits, on décrète qu’ils tombent du Ciel, on se félicite de tant de générosité. Cela ne leur confère pas une once de réalité. Pire ! En rejetant la notion de devoir, elle sape les fondements de la Citoyenneté, elle empêche de penser la Société. Le rejet inconscient du système monétaire, au nom des droits, n’amène pas, ici, à concevoir un modèle de société digne de ce nom mais à proposer des chimères. L’aberration ajoute à l’aberration. L’idée d’un « contrat social » est déjà plus sensée, mais quels devoirs et quels droits peuvent avoir des citoyens d’après un tel contrat quand les droits passent par la monnaie qu’il appartient à chacun de gagner comme il peut et quand la « société », qui ne garantit pas les droits essentiels et n’a donc plus de rôle majeur à jouer, ne peut dès lors imposer de devoirs ? Il n’est pas étonnant que Rousseau, le père du Contrat Social, n’en ait pas formulé les clauses. Idem pour l’idée de « démocratie » qui, dans un système monétaire, fatalement inégalitaire, tourne systématiquement à la ploutocratie sous le nom fallacieux de « démocratie représentative ». Dénoncer cette imposture sans en comprendre la cause n’aide pas à y mettre un terme mais contribue à la perpétuer ! Tout n’est pas à rejeter, mais tout est faussé à la base.
La Liberté, appliquée au domaine économique, débouche sur la sacralisation de la propriété, l’éviction de l’État de l’économie, la liberté d’entreprendre, la libre concurrence ou loi du marché, et l’idée que, dans ces conditions, tous les équilibres optimums sont atteints naturellement comme si les choses étaient guidées par une « main invisible ». Qu’est-ce que la sacralisation de la Propriété, quand la monnaie est le seul ou du moins le principal moyen de s’approprier, sinon une validation du système monétaire et une acception de toutes ses conséquences aussi iniques soient-elles, autrement dit une soumission totale à Largent ? On devine sans peine que cette conception est celle des riches qui seuls y ont intérêt et qui ont les moyens de la faire prévaloir. Ce sont eux, aussi, qui exigent que l’État n’intervienne en rien dans l’économie et leur laisse les coudées franches pour exploiter, spéculer, affamer et s’enrichir encore, mais qui le sollicitent sans vergogne pour obtenir des monopoles, des concessions et la répression de toute opposition populaire. Pour nos « libéraux », « libéralisme » n’a jamais signifié « liberté pour tous et retrait total de l’État », mais seulement « liberté totale pour les riches avec l’appui de l’État contre le peuple ». Quelle conception ont donc de la Société ceux qui justifient que des individus exploitent leurs supposés « concitoyens », qu’ils aient tout pendant que leurs frères n’ont rien ? Au vrai, la Société leur importe peu… Ils sont les heureux gagnants du système monétaire, et font des lois de Largent leur dogme. La monnaie est le biais des droits, et ceux qui en ont le plus ont tous les droits, aussi contraire que cela soit à la plus élémentaire logique sociale. De même, ils ne rougissent pas de prétendre que l’économie dont les droits et la vie des citoyens dépendent, que des entreprises qui emploient des citoyens et qui produisent pour « la cité », que tout cela ne regarde en rien l’État, donc la « cité » elle-même ! Que l’État ne gère pas l’activité économique est une chose ; mais que les entreprises lui échappent totalement comme si elles étaient étrangères à la société en est une autre. Quant au reste (liberté d’entreprendre, liberté de consommer, concurrence libre et non faussée, etc.), ces idées sont bonnes dans l’absolu… mais on ne peut faire abstraction de la monnaie tant que le système est monétaire. La Liberté est un vain mot quand toute liberté passe par l’argent et que les acteurs économiques ne sont pas également libres.
Nous ne nous arrêterons pas de la même manière sur la question du « capitalisme » que le Civisme pourrait définir comme le règne absolu de Largent dans un contexte de production industrielle. En fait, le terme « capitalisme » est surtout utilisé pour faire pendant à « libéralisme » et donner lieu à une formule choc. Il ne doit pas être pris dans son acception étroite mais au sens large de « système monétaire ».
Voyons maintenant en quoi consiste le Civisme ou théorie de la Cité.
Le Civisme postule que des Citoyens doivent être égaux en devoirs et en droits, en devoir notamment de participer à la vie économique et sociale de la Cité, selon ce que celle-ci considère comme une participation, en droit notamment de profiter des bienfaits de la Cité. Dans la mesure où nombre de ces bienfaits (fruits de la combinaison des efforts des Citoyens) consistent en biens et services accessibles sur le marché, tous les Citoyens doivent avoir le droit d’accéder librement au marché du fait même qu’ils soient Citoyens. Autrement dit, le droit d’accéder librement au marché est conféré par la Citoyenneté. (Il n’y a donc pas de monnaie, pas de prix, pas de valeur marchande.) Les Citoyens sont donc dotés par la Cité d’une carte à puce dite « carte civique » pour pouvoir attester leur Citoyenneté auprès des commerçants, valider leurs « achats » et attester du même coup, aux yeux de la Cité, l’activité des commerçants. N’oublions pas que toutes les entreprises sont des commerces, que les Citoyens sont tour à tour producteurs et consommateurs, que les entreprises emploient des Citoyens, qu’elles ont donc comme eux le « devoir de participer à la vie économique et sociale de la Cité, selon ce que celle-ci considère comme une participation », qu’elles ont donc des résultats minimums ou significatifs à atteindre, c’est-à-dire une Demande minimale à satisfaire, pour que leur activité soit jugée utile et justifie la Citoyenneté de leurs employés.
Le droit d’accéder librement au marché correspond à un pouvoir d’achat indéfini et illimité en théorie. Mais la Liberté en général et celle-là en particulier a toujours des bornes en pratique. L’exercice de ce droit est limité par la réalité de l’Offre (des biens et services disponibles sur le marché), par les envies et les goûts des Citoyens, par l’exercice par les autres Citoyens de ce même droit et, éventuellement, par la loi (certains biens pouvant faire l’objet d’un rationnement ou d’une réglementation). Quoi qu’il en soit, jamais ce droit ne pourra être plus étendu et plus justement borné ; jamais les Citoyens ne seront plus libres de consommer ; jamais la consommation n’aura d’effets plus dynamiques que dans ces conditions ; jamais les équilibres optimums ne pourront être mieux atteints et s’établir aussi naturellement.
Le premier effet remarquable de cette Demande globale théoriquement illimitée (sommes des pouvoirs d’achat individuels), c’est évidemment la stimulation de l’Offre (de produits, donc d’emplois) jusqu’à ce qu’elle atteigne son maximum qui sera toujours inférieur à la Demande, de sorte que ce déséquilibre sera le garant du plein emploi. Autant les relances par la Demande sont systématiquement faussées par le jeu des prix et des salaires dans le système monétaire, autant rien ne peut empêcher la Demande de produire ses heureux effets dans la Cité. Les Citoyens ont donc le devoir de participer à la vie de la Cité et il se présente à eux mille occasions de le remplir. En supposant qu’ils ne trouvent pas de suite chaussure à leur pied, tout emploi assure les mêmes droits (ceux du Citoyen), de sorte que rien ne justifie d’en refuser un en attendant de trouver mieux. Dans la Cité, plus d’excuse, plus de chômage, plus d’assistanat (pour les personnes valides).
Le deuxième effet est multiple. La liberté de consommer pousse évidemment les Citoyens à préférer le meilleur en matière de biens et services. Les entreprises étant en concurrence et étant tenues de satisfaire une Demande significative, sous peine de sanctions voire de liquidation, n’ont d’autre choix, pour rester dans la course, que de parfaire en permanence leur offre, c’est-à-dire améliorer la qualité de leurs produits et leurs méthodes de production. La recherche est stimulée. L’innovation est à l’ordre du jour.
Un mot sur les résultats minimums que les entreprises doivent atteindre, appelés « conventions », et sur les « sanctions » auxquelles elles sont exposées en cas de manquement (sauf causes extérieures). Ces résultats ne sont qu’un indicateur pour la Cité, qui doit bien établir des critères pour constater l’activité d’une entreprise, juger la pertinence de son existence et déceler les arnaques éventuelles ; ils ne sont en rien une finalité pour les entreprises qui doivent s’ingénier à gagner des clients, au-delà de ce qui est exigé d’elles, pour ne pas susciter la dynamique inverse, risquer d’être en deçà du minimum requis et être sanctionnées voire liquidées. Les sanctions en question consistent essentiellement en « Temps négatif », infligé également à chacun des employés, qui voient ainsi le moment où ils pourront prendre leur retraite repoussé d’autant. Cela ne leur fait rien perdre en terme de droits, mais le caractère collectif de cette sanction, légère en soi, garantit que les employés se sentent solidaires et font tout pour ne pas l’encourir. Si, malgré tout, une entreprise décline irrémédiablement, soit parce qu’elle est mal gérée, soit parce qu’elle ne répond plus à une demande, elle est liquidée au bout d’un certain nombre d’années négatives, comme l’est une entreprise perpétuellement déficitaire dans le système monétaire. Ainsi la Cité met en place des mécanismes qui, sans qu’elle intervienne, stimulent l’activité et éliminent les branches mortes. Du reste, la Cité peut toujours intervenir pour maintenir des activités démodées et sauver ainsi des savoir-faire qui participent du patrimoine et peuvent un jour se révéler utiles.
La Cité n’est pas un système étatique. Nous allons voir, ci-après, comment les entreprises fonctionnent. Mais il est inutile d’entrer dans ce sujet pour le comprendre. Le Civisme ne rejette pas la notion d’État, même s’il est réduit à sa plus simple expression : police, justice, armée, gouvernement. Nombre de fonctions administratives ne relèvent plus de lui mais sont assurées par des organismes appelés « Commissions », composés de Citoyens (nationaux) tirés au sort. La Cité est administrée et représentée par les Citoyens. Du reste, plus personne ne doit d’argent à l’État ni n’en reçoit. Ce lien, pour ne pas dire ces chaînes, n’existe plus. Toutes les parties de l’empire sont aussi indépendantes que le permettent l’unité nationale et la loi commune. Mais la question de l’étatisme de la Cité est tranchée par un élément plus décisif encore : Les Citoyens ont le droit d’accéder librement au marché et se répartissent la production par l’exercice de ce droit. L’État n’intervient donc pas dans la répartition. Or c’est pour intervenir à ce niveau-là que des systèmes sont étatiques. C’est pour organiser la répartition sans recourir à une monnaie que nombre de théories préconisent le collectivisme qui, à grande échelle, tourne au totalitarisme. Le Civisme n’est pas collectiviste et est moins étatique que les systèmes monétaires qui le sont peu ou prou par définition et par la force des choses. Car, sous Largent, l’État est soit l’instrument des riches, au profit desquels il intervient si besoin est, malgré toutes les fables, soit l’instrument d’une idéologie opposée (consciemment ou non) au règne de Largent, lequel ne peut être contenu qu’en intervenant tous azimuts.
Le Civisme considère que toutes les parties de la Cité (individus et entreprises) sont la Cité, qu’elles ont des devoirs envers elle et des droits grâce à elle, qu’elles doivent être libres d’agir à leur guise tant qu’elles servent la Cité, comme elles s’y sont engagées, et que tout ce dont elles usent à cette fin est, en apparence seulement, leur propriété. Les entreprises, en particulier, existent avec l’autorisation de la Cité, elles utilisent les ressources matérielles et humaines de la Cité pour produire, elles produisent pour le marché, c’est-à-dire pour la Cité, pour les Citoyens, et, pour couronner le tout, tous les Citoyens peuvent accéder à leurs produits. Elles ont, de fait, une fonction publique ; elles sont des organes de la Cité. Partant, il est inutile de collectiviser, c’est-à-dire de tout confisquer et tout soumettre à la gestion d’une autorité centrale, possiblement démocratique à petite échelle, fatalement étatique à grande échelle, chose liberticide et calamiteuse dans tous les cas. Contester aux entreprises le droit de gérer elles-mêmes leur activité serait, en outre, les dispenser de devoirs et de responsabilités, ce qui n’est pas la philosophie de la Cité. Bref, le Civisme est attaché à la liberté individuelle et connaît les vertus de l’initiative privée, pour peu qu’elles soient encadrées et incapables de nuire à l’intérêt général.
Tout Citoyen a droit à trois tentatives infructueuses de création d’entreprise. (Un échec peut être instructif ; trois indiquent une incompétence.) Il lui suffit de préparer sérieusement un projet et de le présenter à la Commission qui, après s’être assurée de sa légalité, établit ses conventions (résultats minimums à atteindre en terme de clients et de produits écoulés) et lui délivre les diverses autorisations et carte d’accès dont son entreprise a besoin. La Commission ne juge pas les projets ; elle se borne à indiquer à l’entrepreneur les obligations de son entreprise, estimées d’après la nature de son activité, sa localisation et le nombre de ses employés. Une fois l’entreprise installée, l’embauche est ouverte si besoin est. Le créateur de l’entreprise, qui en est alors le patron, est libre d’employer et de renvoyer qui il veut.
Tous les employés d’une entreprise sont l’entreprise aux yeux de la Cité. Tous méritent la Citoyenneté et la validation de leur carte civique du fait de faire partie d’une entreprise dont l’existence a été autorisée. Tous sont aussi solidaires des éventuelles sanctions, comme il a été dit plus haut. La Cité reconnaît donc le créateur d’une entreprise comme son chef ou son patron, mais, en liant le sort des employés aussi bien dans le bonheur que dans l’adversité, elle pousse chacun d’eux à s’impliquer et suscite un véritable « esprit d’entreprise » ; une forme d’autogestion s’instaure. Il appartient à chaque entreprise de résoudre rapidement ses problèmes internes et de trouver la forme de gestion la plus efficace pour satisfaire les attentes de la Cité et, surtout, pour faire face à la concurrence, car la Cité ne la ménagera pas sous prétexte de ses cafouillages, tandis que la concurrence en tirera au contraire profit.
Lorsque l’entreprise s’agrandit, ses conventions évoluent (selon la grille prévue), les exigences de la Cité s’élèvent logiquement. Notons, toutefois, que les retraités employés, qui n’ont plus besoin de travailler pour être Citoyens et disposent d’une carte civique valide en permanence, n’entrent pas en ligne de compte. Les entreprises ont donc intérêt à en employer, afin d’avoir un potentiel humain supérieur à ce qu’il paraît et s’assurer ainsi de remplir leurs conventions. Inversement, elles peuvent prévenir une baisse systémique d’activité en licenciant du personnel, ce qui provoque automatiquement une révision à la baisse de leurs conventions. Dans la Cité, les entreprises ont, comme les Citoyens, accès libre au marché ; elles n’ont aucune difficulté sur le plan matériel. Ce qui distingue une entreprise d’une autre, ce qui fait les bons ou mauvais résultats, ce sont les hommes, leurs choix, leur gestion, leur énergie, leurs qualités. La Cité fournit aux entreprises tous les moyens de remplir la fonction qu’elles se sont elles-mêmes assignées (plus exactement, elle leur permet de se fournir) : il est juste qu’elle les tienne pour responsables de leurs défaillances. Il n’y a à cette règle qu’une seule exception : les catastrophes. Il va de soi qu’une entreprise frappée par une catastrophe, de quelque nature et origine que ce soit (sauf l’accident dû à une négligence coupable), n’est plus en mesure de remplir ses conventions et doit en être momentanément dispensée au lieu d’être doublement accablée. La Cité le peut et le fait.
Les théories non-monétaires, qui prescrivent le collectivisme, rejettent aussi la notion de « propriété privée » ou, pour le moins, la propriété privée concernant les moyens de production. Elles focalisent sur un effet de la monnaie, qui est le moyen d’appropriation, donc le tuteur de la Propriété, alors qu’elles aspirent à la disparition de la monnaie elle-même, oubliant qu’avec elle devraient aussi disparaître ses effets. Elles s’opposent tellement au système monétaire qu’elles pensent en fonction de lui. Le Civisme, lui, ne traite même pas le sujet, tant il est dérisoire. Mais d’aucuns peuvent néanmoins se demander quelles sont ses positions en la matière.
Une propriété est un bien dont la possession est légale et dont le détenteur peut user en exclusivité et en toute liberté, dans le respect des lois. Telle est la nature des biens que les Citoyens se procurent en accédant au marché : les Citoyens sont propriétaires des biens qu’ils retirent du marché en exerçant leur droit d’accès et qui sont en effet destinés à satisfaire des besoins ou désirs individuels. Telles sont, en définitive, les seules véritables propriétés, les seuls biens susceptibles d’êtres des propriétés au vrai sens du terme, les seules personnes réelles susceptibles d’être propriétaires. Tout le reste ne peut être une Propriété ou n’appartient à personne en particulier ou est la propriété théorique de la Cité.
Ainsi en est-il de la terre, du sol, c’est-à-dire de toute portion du territoire de la Cité. Bien sûr, Citoyens, entreprises et autres organismes doivent pouvoir disposer d’un terrain à différentes fins, et tous sont regardés, par les autres, comme les propriétaires du terrain dont ils disposent, mais la Cité est toujours en droit de le récupérer soit parce qu’elle en a besoin, soit parce que son occupant en fait mauvais usage, de sorte qu’elle en est la véritable propriétaire en dernière analyse. Le cas des paysans est emblématique. La terre est leur outil de travail. Ils en ont besoin pour cultiver et nourrir leurs Concitoyens. C’est à cette fin que la Cité la leur confie ou les autorise à en disposer. Mais pourquoi en disposeraient-ils encore s’ils cessent de l’exploiter ? Qu’adviendrait-il si tous les paysans cessaient de même leur activité ? La Cité mourait de faim au milieu de ses terres délaissées. Inacceptable ! Intolérable ! Les paysans sont libres de se reconvertir et de mériter la Citoyenneté autrement, mais, dans ce cas, ils n’ont plus besoin des terres qu’ils exploitaient et que la Cité doit confier à d’autres qui en feront bon usage. Que la Cité soit propriétaire du sol ne veut donc pas dire qu’elle se joue des paysans et leur enlève « leurs terres » pour un oui, pour un non ; cela ne veut même pas dire que les paysans ne peuvent pas les transmettre à leurs héritiers, pourvu que ces derniers les exploitent à leur tour. Eux ou d’autres, peu importe à la Cité tant que le blé pousse !
Ainsi en est-il, aussi, des moyens de production dans la Cité. Dans le système monétaire, l’argent donne à des particuliers le pouvoir d’acheter les moyens de production et d’en être propriétaires à titre privé. Quand les capitaux appartiennent à une entreprise, les moyens de production appartiennent à l’entreprise, mais l’entreprise elle-même appartient à un ou plusieurs particuliers. Les employés eux-mêmes, payés par l’entreprise, font partie des meubles. En revanche, dans la Cité, les moyens de production (qui constituent un marché particulier) ne peuvent être acquis que par les entreprises, autrement dit par des personnes morales, grâce au moyen que leur fournit la Cité, et servent à remplir un devoir envers cette dernière. Tant qu’une entreprise remplit sa fonction ou sa mission, les moyens de production qu’elle utilise semblent lui appartenir. Mais elle ne peut pas plus être délocalisée à l’étranger qu’être liquidée à volonté par son patron, car elle est un organe de la Cité, et tout ce dont elle dispose pour servir la Cité appartient à la Cité en dernière instance. Le paradoxe est que la Cité, qui est théoriquement propriétaire de tout ce dont l’entreprise dispose, est garante que l’entreprise continuera à en disposer. L’entreprise est ainsi propriétaire de fait de ses moyens de production, même si elle n’en est pas propriétaire de droit. Et dans le cas où l’entreprise est mise en liquidation par la Cité, ses biens sont envoyés à la casse ou remis sur le marché pour servir à d’autres ; aucun employé ne peut se les approprier, aucun n’y a même intérêt, puisque les biens ne représentent pas d’argent, ni celui que l’on pourrait gagner avec, ni celui qu’il faudrait dépenser pour les acquérir, et que chacun peut se procurer ce dont il a besoin quand il en a besoin.
Alors, le Civisme, du libéralisme sans capitalisme ?
P.S. : Nous avons laissé de côté la question politique et celle plus technique des échanges internationaux qui auraient détourné de l’aspect essentiel du problème. Ceci étant, le Civisme explique comment la Cité continuera d’échanger avec le reste du monde, simplement en exportant, en vendant et en disposant dès lors de devises pour payer ses importations. Nous avons dit que les entreprises devaient satisfaire une certaine Demande ; nous pouvons ajouter que les clients étrangers compteront autant que les Citoyens, de sorte que les entreprises auront intérêt à ne pas délaisser cette clientèle, d’autant plus que la Cité pourra les y encourager, car c’est elle qui en récupèrera le produit financier.
Quant au système politique, l’Égalité suscite la démocratie — régime sous lequel les lois sont faites ou, pour le moins, ratifiées par le peuple — par la force des choses, comme l’inégalité est oligarchique par nature. Dans la Cité, les droits des Citoyens sont garantis indépendamment du système politique. La démocratie n’est donc pas un but en soi (le but de « citoyens » exploités et opprimés qui voient en elle le moyen de leur garantir des droits) ; elle va de soi. Cette conception est inédite. Le Civisme innove encore en dissociant la Citoyenneté de la Nationalité (chose impossible à faire quand les droits passent par la monnaie et que la Citoyenneté est vide de sens). La première confère les droits économiques et sociaux ; la seconde, qui s’acquiert par des devoirs particuliers, confère les droits politiques. Les droits politiques sont aussi étendus dans la Cité qu’ils sont illusoires sous Largent et doivent donc se mériter ; ils ne peuvent être accordés à des individus dont l’attachement sentimental à la Cité est douteux et qui n’auront peut-être pas à cœur de défendre ses intérêts.
17:55 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |