MARXISME vs CIVISME (samedi, 28 janvier 2012)

REDIF

Introduction : marxistes & capitalisme

Quiconque naît dans un système monétaire ou capitaliste est façonné par lui et pétri de préjugés monétaires ou capitalistes. En commençant par une analyse soi-disant critique du capital pour refonder la société, donc avant d’avoir le moindre projet social, les marxistes tombent dans le premier piège du capitalisme qui consiste à s’opposer à lui, donc à se situer sur le même plan et à accepter tout ou partie de ses règles. Plus concrètement, ils s’appuient sur des considérations capitalistes au sens le plus large du terme, autrement dit sur des préjugés monétaires non-identifiés, et, par suite, ne peuvent concevoir une réelle alternative au capitalisme. En fait, ils ne connaissent rien d’autre que le capitalisme et ne peuvent pas le dépasser malgré leurs efforts et leur bonne volonté. Ils n’en saisissent d’ailleurs pas l’essence. Leurs méthodes, leur vocabulaire, leurs conseils en attestent.

Une critique n’est pas une condamnation. En critiquant la forme capitaliste de la valorisation, les marxistes sous-entendent qu’il pourrait exister une autre forme de valorisation, une forme plus juste, plus humaine, et se promettent de la trouver. Or le problème n’est pas la forme de la valorisation mais la notion de valeur (marchande) elle-même. Le capitalisme dans toutes ses acceptions repose sur la monnaie qui, elle, de même que le troc dont elle est l’héritière, repose sur la notion de valeur (marchande). La critique du capitalisme et de la valorisation n’est pas une condamnation claire et nette du système monétaire et de la notion même de valeur (marchande) mais, en réalité et au contraire, un moyen indirect et inconscient de les conserver. C’est donc une critique de la forme, non du fond. Cela revient à contester certaines règles du Monopoly tout en continuant à y jouer. On pourrait aussi dire que cela revient à taper dans les branches ou encore à pisser sur un câble électrique.

Les marxistes ont cependant produit sur le capitalisme et la valeur des analyses poussées et souvent pertinentes. C’était la moindre des choses. Les meilleurs d’entre eux ont sans doute compris et exposé mieux que beaucoup d’autres « spécialistes » les mécanismes du capitalisme. Reste que, s’ils sont très performants sur des aspects secondaires (par rapport au but : la Révolution), ils sont médiocres sur tout ce qui touche à l’essentiel et nuls en tant que révolutionnaires.

Leur médiocrité sur les questions essentielles tient au fait qu’il leur manque deux choses : 1) une idée juste sur le véritable ressort du capitalisme, autrement dit la conscience de ce que le Civisme appelle « Largent » (croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger), 2) une véritable alternative au capitalisme, autrement dit un corps de Principes sociaux et le modèle de Société qui en découle, tel « la Cité » proposée par le Civisme.

La première lacune (ignorance du ressort fondamental) cantonne leur critique du capitalisme à des aspects superficiels (les mécanismes) et engendre la seconde lacune (pas d’alternative en vue), puisqu’on ne peut pas concevoir une véritable alternative au capitalisme sans avoir identifié le ressort à briser. Or cette seconde lacune est la conséquence inévitable de la méthode utilisée et engendre à son tour la première lacune, puisqu’on ne peut concevoir le véritable ressort du capitalisme sans avoir une alternative réaliste et authentiquement non-capitaliste à offrir et à laquelle se référer soi-même. Pour instaurer une Société harmonieuse et conforme aux Principes de l’ordre sociale, il faut d’abord maîtriser ces Principes, donc les retrouver, donc y réfléchir en toute objectivité, puis en tirer les conclusions quant au système à mettre en place et à celui en vigueur. C’est en connaissant le but à atteindre qu’apparaissent les obstacles à renverser et les moyens à employer.

Les marxistes font l’inverse. Ils analysent ce qui est pour découvrir les disfonctionnements qui, par contrecoup, leur dévoileront petit à petit le but à atteindre, à moins qu’ils l’aient préconçu et se soient d’emblée fourvoyés. Il s’ensuit que, n’ayant aucune idée de ce que doit être la Société « idéale », ne pouvant faire aucune comparaison entre un modèle théorique et la réalité, refusant même de se livrer à de pareilles spéculations au nom de la rationalité, ils peuvent certes repérer des disfonctionnements internes au capitalisme mais ne peuvent objectivement comprendre ce qui disfonctionne dans la « société ». A leur manière, ils raisonnent en capitalistes. Aussi, le summum de leur ambition est-il de réformer le capitalisme, donc de le perpétuer sous une forme ou une autre, une forme étatique, collectiviste et liberticide. Même si les circonstances favorisent leurs desseins, leur entreprise condamnée d’avance au fiasco ne peut être appelée « révolution » que par abus de langage.

Les nombreuses expériences communistes furent désastreuses. Les marxistes peuvent difficilement s’en réclamer et proposer ouvertement de les réitérer. La lumière de ces « avant-gardes éclairées », ou du moins ce qu’ils avaient pris pour telle, s’est éteinte. Mais ces donneurs de leçons impénitents sont toujours pris au piège de leurs éternelles contractions qui, par la force des choses, les poussent à servir les mêmes solutions éculées ou, au mieux, à admettre implicitement qu’ils n’en ont aucune. Dans les deux cas, ils sont obligés de dissimuler aux autres et à eux-mêmes leur néant. Pour ce faire, leurs prétentions intellectuelles les portent à recourir au charabia.

Les marxistes sont incompréhensibles pour l’homme de la rue. Ils sont incapables de dire les choses, vraies ou fausses, avec des phrases simples. C’est dommage pour les vérités, mais c’est bien pratique pour les sophismes. Ils préfèrent être courts que clairs. Ils synthétisent tout. Au lieu d’une phrase, un mot ; au lieu d’un mot commun, un mot plus savant. Au final, même si ce qu’ils disent est élémentaire, la façon de le dire en fait un mystère, un peu comme des paroles de rap en morse ! Il faut être un spécialiste, pour ne pas dire un initié, pour déchiffrer leur charabia. Aussi peuvent-ils s’extasier devant des banalités qui, formulées dans leur jargon, donnent l’impression qu’ils ont découvert le secret de la pierre philosophale, ou, à l’inverse, proférer des énormités que leur virtuosité transforme en évidences. Le profane ne peut qu’être humble, admiratif et obéissant devant ces surhommes, s’il oublie que, malgré leurs bonnes intentions, ils ont toujours été un fléau pour l’Humanité.

Robert Kurtz

Cet article en guise d’introduction m’a été inspiré par la lecture de « Vies et mort du capitalisme » (2011) de Robert Kurtz, économiste marxiste allemand. Ce n’est cependant pas une critique exclusive de ce livre, mais une critique du marxisme en général. Du reste, Kurtz dit beaucoup de choses très justes de mon point de vue, choses qui, d’une certaine façon, rejoignent les thèses du « Réquisitoire contre Largent » et du « Civisme ». Comme je le reconnais, les marxistes, lui en particulier, sont très performants dans l’analyse des mécanismes du capitalisme. L’explication inédite qu’il donne de la crise financière mondiale actuelle rejoint la mienne. Je n’ai cependant pu saisir son discours, du moins en partie, que parce que mes propres travaux m’ont conduit sur le même terrain. Sans cela, il aurait été pour moi comme pour la plupart des gens totalement hermétique.

Dans cette deuxième partie, véritable objet de cet article, je vais 1) citer les passages intéressants de ce livre afin de les porter à votre connaissance, 2) commenter et/ou citer des passages de mes propres écrits relatifs aux mêmes sujets afin que vous puissiez comparer les formes de l’expression et le fond des démarches, afin également d’illustrer les propos un peu rudes de l’introduction, 3) citer les passages avec lesquels je suis plus ou moins en désaccord et argumenter.

1. « Déjà, Marx avait dit à juste titre qu’un anti-industrialisme abstrait est réactionnaire, car il jette par dessus bord le potentiel de socialisation et que, tout comme les apologètes du capitalisme, il ne peut imaginer de structure universelle de reproduction sociale que dans les formes du capital. L’anti-industrialisme en tire la conclusion que l’autodétermination de l’homme n’est possible qu’au prix d’une « désocialisation » en petits réseaux fondés sur une économie de subsistance (small is beautiful). » (p. 21)

Le Civisme condamne lui aussi toute crispation et toute velléité de régression comme position utopique et contre-révolutionnaire. Il arrive à cette conclusion par l’analyse de la monnaie.

« Le troc est le seul mode d’échange possible à l’origine, entre « artisans » ou petits producteurs. La notion de valeur marchande est née dans un contexte de production artisanale et de rareté des produits, et est liée à ce contexte. […] L’évolution technologique condamne la monnaie et Largent qui ne peuvent plus être sauvés que par une régression technologique involontaire et catastrophique. La crise financière qui ébranle le monde est l’expression de la contradiction fondamentale entre les capacités techniques modernes et un mode d’échange archaïque, anachronique, individualiste, asocial et antisocial. » (Monnaie & crise financière)

« Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, que le troc direct ou indirect est à jamais dépassé, que la communauté primitive n’est qu’un songe bucolique, et que nous devons avancer en partant de là où nous sommes arrivés. Renoncer à un moyen d’échange est impossible ; conserver Largent est intenable ! Remarquons d’ailleurs que, si le fait d’attaquer Largent semble encore loufoque, chaque fois que les hommes cherchent à résoudre les problèmes sociaux et à améliorer leurs rapports, ils imaginent une nouvelle conception de l’échange, à tout le moins une nouvelle façon de manipuler la monnaie. Ils ont beau dire que Largent (au sens de monnaie) est neutre, quand ils fustigent la « Société » capitaliste et envisagent de réagir, ils prônent soit un changement de mentalité à son égard — chose impossible puisque cette mentalité est l’effet de son existence —, soit un commerce parallèle aux échanges monétaires, soit une vie en marge de la « Société », soit la fuite vers un pays où le troc rivalise encore avec la monnaie. Dans tous les cas, Largent est directement responsable de leur malaise et de leurs réactions qui manquent franchement de clairvoyance et d’ambition ! » (Réquisitoire contre Largent, p. 134)

« Enfin, sur l’idée de tester le Civisme à petite échelle, c’est encore un non-sens. Certes les Principes de l’ordre social sont les mêmes quelle que soit la taille de la communauté. Mais, au-delà d’une certaine évolution (population et technique) la monnaie, tout anti-sociale qu’elle soit, devient nécessaire. Or ce n’est qu’arrivé à un degré technologique élevé que la monnaie perd sa raison d’être et qu’il devient possible de fonctionner à nouveau sans elle. Ce degré technologique (production industrielle, électricité, informatique) ne peut pas être atteint par une petite communauté. On ne peut donc pas tester le Civisme au fond de l’Ardèche. C’est un peu comme si tu exigeais qu’avant de construire une fusée spatiale un village en construise une par ses propres moyens. Ce qui est possible dans certaines conditions ne l’est pas toujours dans d’autres. C’est le cas ici. Le futur de la société ne peut être expérimenté dans un contexte passéiste, car, alors, le passé aurait déjà accouché du futur. » (Dialogue de sourds avec un éditeur)

2. « Faisant suite au mouvement alternatif des années 1980 et à son échec, la métaphysique gauchiste de la vie quotidienne se réfère en partie aussi à des tentatives d’un autre mode de production et de vie à l’échelle plus petite de communauté particularistes, qu’elles soient légitimées de façon néo-utopiste ou pragmatique. Ces tentatives, par exemple, sous la forme d’une économie dite locale ou du mouvement numérique Open Source, ne peuvent pas atteindre la synthèse sociale, pas plus que les occupations d’entreprises. En tant que pseudo-alternative à un mouvement social de résistance et à partir de l’immanence capitaliste, elles menacent de virer à l’autogestion de la pauvreté. » (p. 169)

Même commentaire que précédemment.

3. « Le capitalisme n’est rien d’autre que l’accumulation d’argent comme fin en soi, et la substance de cet argent réside dans l’utilisation toujours croissante de force de travail humain. Mais, en même temps, la concurrence entraîne une augmentation de la productivité qui rend cette force de travail de plus en plus superflue. [...] Or, depuis les années 1980, la troisième révolution industrielle a entraîné un nouveau niveau de rationalisation qui a lui-même entraîné une dévalorisation de la force de travail dans des proportions encore jamais atteintes. » (p. 62)

Le Civisme ne parle pas de contradiction interne du capital mais d’anachronisme de la monnaie à l’ère de la technologie. Il va de soi que si la monnaie devient anachronique tout le système qui repose sur elle vacille, est pris de convulsions (appelées « crises ») et ne tardera pas à s’effondrer et rendre l’âme. C’est déjà ce qui transparaît dans les premiers « commentaires ». Voici maintenant des extraits du Réquisitoire contre Largent.  

« La monnaie perpétue nécessairement la logique du troc, mais il n’est pas logique de conserver la monnaie alors que les échanges ne constituent plus fondamentalement un troc, et que Largent n’a donc plus de raison d’être. » (p. 24)

« Ainsi, quoique la monnaie perpétue la conception individualiste des échanges et que le système monétaire soit en théorie un système d’échange individualiste, les individus, en pratique, n’échangent plus ni directement ni indirectement entre eux et la notion de valeur marchande n’a plus de raison d’être. Autrement dit, la façon dont les hommes échangent aujourd’hui ne correspond plus à leur conception de l’échange. La réalité a évolué plus vite que les mentalités, et Largent, fondement de l’échange individualiste, est devenu un anachronisme. Les hommes ne s’en sont pas rendus compte, mais une conception révolutionnaire de l’échange s’est développée sous Largent et malgré lui. Il ne s’agit plus d’échanges entre individus, mais d’échanges entre l’individu et la « Société ». Il ne s’agit plus d’échanger des objets contre d’autres, mais de remplir des devoirs envers la « Société », via les entreprises, afin d’obtenir des droits dans cette « Société ». Il y a donc une nette évolution dans le bon sens, vers la dimension sociale que l’échange n’aurait jamais du perdre. Certes, Largent et ses mécanismes ne permettent pas d’aller plus loin, c’est-à-dire de lier l’accès au marché à la Citoyenneté elle-même. Mais l’évolution ne s’arrêtera pas, alors que Largent, lui, arrive au terme de la sienne. La prochaine étape sera donc inévitablement l’anéantissement de Largent et la disparition de la notion de valeur marchande. » (p. 69)

4. « Les « nouvelles puissances » émergentes n’ont pas la moindre autonomie économique et font partie du circuit global de déficit. Leur dynamique tant admirée était un pur mirage dénué de tout moteur interne. Il n’y aura donc nulle part de retour à un capitalisme « sérieux » avec des emplois « réels ». Il faut plutôt s’attendre à un effet domino de la crise financière sur la conjoncture mondiale, à laquelle aucune région du monde ne peut échapper. Le capitalisme d’Etat et le capitalisme de « libre concurrence » se révèlent être les deux faces de la même médaille. Ce qui s’effondre, ce n’est pas un modèle qui pourrait être remplacé par un autre, c’est le mode dominant de production et de vie, base commune du marché mondial. » (p. 64)

« Le capitalisme d’Etat et le capitalisme de « libre concurrence » se révèlent être les deux faces de la même médaille. » Quand on dénonce Largent et le système monétaire, cela tombe sous le sens, l’un et l’autre système ayant fondamentalement la même nature monétaire. Il est donc non seulement inutile d’être un spécialiste des mécanismes du capitalisme pour parvenir à cette conclusion évidente, mais encore dangereux d’y parvenir par ce biais laborieux car cela détourne de choses plus importantes. Ce qui pour le marxisme est un point d’arrivée est pour le Civisme un point de départ. Les marxistes mobilisent toute leur énergie, leur science et leur temps pour, en quelque sorte, rédiger des manuels sur la façon d’enfiler les perles, alors que c’est l’enfance de l’art pour un Patricien.

« Largent ne peut exister sans régner. Il règne à la lumière ou dans l’ombre quel que soit le régime politique et le système économique. Il ne laisse aux hommes d’autre alternative que le capitalo-libéralisme ou le capitalisme d’Etat, c’est-à-dire une soumission totale ou une insubordination de façade sinon passagère. Dans tous les cas, les hommes trinquent. Quand Largent règne sans entrave, l’aristocratie des riches, la pire, est toute puissante ; quand un pouvoir politique fort le gène aux entournures, la masse subit à la fois la dictature et la misère qui résulte des dérèglements économiques. Autrement dit, que les lois de Largent soient respectées ou faussées, les hommes, dans leur ensemble, sont toujours perdants. Le drame est qu’ils ignorent aussi toujours la cause de leur malheur qu’ils imputent, par facilité, à leurs semblables et au régime. Quand ils sont sous une botte, ils veulent de la liberté ; quand ils ont la « liberté » et s’aperçoivent qu’elle ne profite qu’aux riches, ils veulent de l’Egalité et de l’Etat dont ils déchanteront tout autant. Ils sont ainsi pris dans un jeu de bascule : dictature ou démocrature. » (Largent, le tyran à abattre)

« Sous Largent, la seule alternative au capitalo-libéralisme est le capitalisme d’Etat. Il n’y a d’EGALITE ou de LIBERTE ni dans l’un ni dans l’autre. » (Manifeste des Patriciens, art. 86)

5. « Le totalitarisme du marché et le totalitarisme de l’Etat constituent les deux pôles de cette « autovalorisation de la valeur » (Marx) autonomisée qui est fermée à toute valeur d’ordre moral et qui, dans la nouvelle crise de l’économie mondiale, se heurte à sa barrière historique interne. » (p. 224)

Même commentaire que pour le point 4.

6. « En effet, au cours de l’histoire interne du capitalisme, l’espace de la valorisation va s’amenuisant. Le moteur de ce processus, c’est que la valorisation se libère de la force de travail qui est rendue superflue dans une mesure toujours croissante par des agrégats scientifico-technologiques. Or le travail constitue la substance du capital, car lui seul produit de la survaleur réelle. Cette contradiction interne, le capitalisme ne peut la compenser que par une expansion du système de crédit, donc en anticipant une augmentation future de la valeur. Mais ce système « boule de neige » est condamné à atteindre ses limites lorsque l’anticipation est reportée trop loin dans le futur. De ce point de vue, les crises n’assument pas une simple « fonction de nettoyage » ; tout au contraire, elles deviennent historiquement de plus en plus fortes et conduisent à une limite interne de la valorisation. » (p. 186)

En clair, l’évolution technique permet de produire toujours plus avec de moins en moins de travailleurs, donc de moins en moins de consommateurs. L’Etat peut taxer le travail pour redistribuer cette manne aux inactifs (au sens capitaliste) et aux travailleurs fictifs (fonctionnaires, chômeurs, bénévoles, retraités, femmes au foyer, étudiants, etc.) mais cet expédient a une limite puisqu’il tend à étrangler les travailleurs, autrement dit à tuer la poule aux œufs d’or. Que l’Etat emprunte pour financer sa politique n’est jamais que reculer pour mieux sauter. Comme l’évolution technique est a priori irréversible, l’économie ne peut plus continuer à fonctionner en mode monétaire. En fait, Kurtz na va pas aussi loin. Il démontre bien que l’économie telle qu’elle fonctionne est condamnée à s’effondrer et que nous sommes entrés dans cette phase d’effondrement, mais il ne souligne pas la nature monétaire du système et, partant, ne conçoit pas de système non-monétaire seul capable de permettre un rebond.

Il n’y a pas d’analyses de ce type dans le Civisme qui s’intéresse plus à la manière de rebondir qu’aux détails de la chute.

7. « Si aucun nouveau potentiel de valorisation réelle ne se fait jour, alors la théorie du « nettoyage » est une formule creuse. Or une production à forte intensité de travail n’apparaît nulle part. Pour ceux qui attendent, le réveil pourrait être brutal. La question à se poser serait alors celle-ci : qu’y a-t-il après le capitalisme ? La simple étatisation des catégories capitalistes n’est plus une option mais relève déjà du passé. Pour venir à bout de cette crise de façon civilisatrice, peut-être faudrait-il faire plus qu’attendre la prochaine reprise… » (p. 187)

Kurtz pose en effet LA question mais n’y répond pas lui-même, ni ici ni ailleurs. Les expériences communistes lui ont appris que le capitalisme d’Etat est une catastrophe et n’a en outre rien de révolutionnaire. Il serait de plus anachronique. C’est du moins ce qu’il dit. Or il écrit, page 82 : « Ce qu’il faudrait, ce serait un contre-mouvement social autonome au-delà des limites nationales. Un mouvement qui insisterait sur les besoins élémentaires contre l’avis des gestionnaires de la crise et qui nierait radicalement toute exclusion d’ordre social, sexuel, ethnique ou racial. » Ne sont-ce pas là les vieilles lubies communistes, internationalistes et collectivistes, qui conduisent au capitalisme d’Etat ?

8. « Cette paralysie montre que l’explication officielle de la crise est fausse. Il ne s’agit pas d’un mauvais développement autonome du système financier, mais d’une limite interne de l’économie dite réelle elle-même. Le système de crédit et de spéculation qui a gonflé pendant plus de vingt ans résulte d’un manque de production de profit réel, et non l’inverse. Voilà pourquoi l’économie mondiale, artificiellement alimenté par les bulles financières, s’est elle aussi heurtée à ses limites et doit désormais être alimentée avec de l’argent public. » (p. 205)

Même commentaire que pour le point 6.

9. « Dans la mesure où la limite historique du capitalisme est atteinte, on voit naître une très forte tension entre l’absence de possibilité de poursuivre la valorisation réelle et la conscience générale qui a intériorisé les conditions d’existence capitalistes et qui ne peut (ou ne veut) s’imaginer autre chose que de vivre dans ces formes. » (p. 94)

« la façon dont les hommes échangent aujourd’hui ne correspond plus à leur conception de l’échange. La réalité a évolué plus vite que les mentalités, et Largent, fondement de l’échange individualiste, est devenu un anachronisme. » (Réquisitoire contre Largent)

« Le troc est un mode d’échange primaire, celui auquel ont recours de petits producteurs. Sa logique sous-jacente correspond donc à un contexte particulier, un contexte où les produits sont rares. La monnaie suit la même logique et cela a un sens tant que la production demeure artisanale. Mais, à l’ère industrielle, un moyen d’échange reposant sur cette logique est à la fois anachronique et ubuesque. Dans ce nouveau contexte, la monnaie entretient l’idée que le mode d’échange est toujours individualiste, que les individus pratiquent toujours un troc indirect et qu’ils échangent leurs productions ou leur travail contre des salaires de valeurs équivalentes. En réalité,  il n’y a plus d’échanges entre individus puisque, sauf exception, plus personne ne produit rien seul, chacun n’étant qu’un maillon de la chaîne de production dans le cadre d’une entreprise (il serait donc impossible de revenir au troc proprement dit) ; les travailleurs ne sont plus payés à la pièce mais au mois et souvent selon des barèmes standards pour toutes les professions ; ce n’est plus le travail effectué qui est rémunéré, mais le poste occupé ; le droit d’accéder au marché est désormais une question de statut. Le mode d’échange actuel combine donc deux logiques : celle du troc, périmée, et celle de la Cité, en devenir. » (Qu’est-ce que Largent ?)

« La monnaie n'aurait pas de raison d'être si le Travail, au lieu d'être rémunéré avec des unités, conférait la Citoyenneté, donc les Droits du Citoyen dont celui d’accéder au marché, car alors les choses n'auraient ni coût ni prix et les hommes n’auraient pas besoin de monnaie. C'est ce besoin de monnaie auto-alimenté qui empêche les hommes de concevoir une autre forme de « salaire » et les enferment dans la logique monétaire. » (Manifeste des Patriciens, art. 57)

10. « Les Etats, en faisant marcher la planche à billets directement pour amortir le désastre déflationniste, préparent une nouvelle grande poussée inflationniste, qui dévalorisera radicalement l’argent en général, l’argent en tant que « moyen de subsistance » capitaliste universel. La cause profonde en est que la troisième révolution industrielle a évidé, dans une proportion encore jamais atteinte, la substance-travail dans toutes les cristallisations de la valeur. C’est pourquoi le capital mondial va au-devant d’une situation où l’inflation et la déflation ne se succèdent plus, mais où toutes les formes de la valeur sont également et simultanément dévalorisées : force de travail, capital productif, capital-marchandise, capital-crédit, et l’argent en tant que médium universel. La question à laquelle est confrontée l’humanité, c’est de savoir si, faute de possibilités offertes à la valorisation, elle doit volontairement cesser de vivre, ou si elle choisit d’en finir avec le « mode de production fondé sur la valeur ». (Marx). » (p. 122)

A lire la dernière phrase, on pourrait croire que Kurtz dénonce la monnaie, qui véhicule et inculque la notion de valeur marchande, et envisage sa suppression. Mais, si tel était le cas, il dénoncerait la monnaie elle-même. Il n’en est rien. Si telle est néanmoins son intention inavouée, il ne dispose pas du logiciel social permettant la suppression de la monnaie et l’anéantissement de Largent. Car, contrairement à la monnaie qui véhicule une conception de l’échange, un moyen d’échange non-monétaire doit véhiculer les Principes de l’ordre social. En consacrant tous leurs efforts à l’analyse des mécanismes du capitalisme, Kurtz et les marxistes en général délaissent l’étude des Principes de l’ordre social comme si leur connaissance allait de soi, ce qui n’est pas plus le cas dans ce domaine que dans un autre. De fait, les termes droits, devoirs, égalité, citoyenneté, etc., n’apparaissent jamais dans le discours marxiste. Or comment construire une société sans maîtriser les paramètres sociaux élémentaires ? C’est la preuve que, quoi qu’ils en disent, les marxistes sont enfermés plus qu’ils ne croient dans les considérations capitalistes et ne peuvent ni concevoir ni offrir d’alternative au capitalisme. « En finir avec le mode de production fondé sur la valeur » est une bonne intuition quoique, en définitive, un vœu pieux de leur part. Les grands mots et les belles citations n’y changent rien. Elles ne font que noyer le poisson, c’est-à-dire cette triste vérité que les marxistes sont eux-mêmes dans l’impasse.

On peut dire la même chose de cette autre phrase : « Il s’agit d’une crise de l’argent tout court, en tant qu’« équivalent général », et non d’une simple faiblesse de la monnaie centrale (dollar) dans la concurrence habituelle entre tous les noms que portent les monnaies des diverses nations. » (p. 181)

11. « Pour ne pas être condamnée à mourir de faim sur les ruines de ces catégories économiques — alors que toutes les ressources sont disponibles —, il faudra que l’humanité affronte la tâche de l’« administration des choses » évoquée par Marx : une planification sociale n’a « du sens » que lorsqu’elle se réfère au contenu matériel et social et qu’elle n’enferme plus les produits alimentaires et les biens culturels dans la forme de l’objectivité-valeur, rendue inaccessible faute de capacité à payer. » (p. 201)

Même commentaire que pour le point 10. Quant à l’expression « administration des choses », voir le commentaire du point 7.

12. « La vraie tâche, c’est de bouleverser les conditions de la reproduction matérielle au niveau de la société tout entière, et d’ériger en finalité les besoins et la conservation des bases naturelles de la vie. » (p. 23)

Tout à fait d’accord. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit. Tous les humanistes veulent « replacer l’Homme au centre du système ». Cela ne les rend pas pour autant capables de détrôner Largent.

13. « Le capitalisme ne peut être dépassé que par la critique concrète et historique de ses formes fondamentales. La lutte des classes fut pour l’essentiel le mouvement d’une « lutte pour la reconnaissance » sur le terrain des catégories capitalistes. » (p. 161-162)

Que des marxistes qui n’ont jamais proposé d’alternative réellement révolutionnaire affirment que leur méthode est la seule capable d’en produire une est d’une prétention sidérante ! Un siècle et demi d’échecs n’a pas suffit pour leur apprendre que quelque chose cloche dans leurs méthodes et leurs théories. Il est à craindre que cette paralysie soit incurable. D’une vertu, ils font de la persévérance un vice.

C’est d’ailleurs le moment de remarquer que le marxisme est une antiquité, un anachronisme. Marx était un homme du XIXe siècle qui a fatalement conçu des idées concevables au XIXe siècle, dans le cadre des limites de ce siècle. Qu’il y ait des constantes et que tout ne soit pas à jeter est une chose ; transposer ces idées au XXIe siècle, dans un contexte inimaginable pour lui et aux possibilités incroyables en est une autre. Kurtz ne cesse de dénoncer les contradictions internes du capitalisme, mais ne voit pas les contradictions internes du marxisme. Oui, c’est le coup de la paille et de la poutre ! Le Civisme qui ne fait pas référence au marxisme permet de comprendre aisément cette contradiction. La Cité repose sur un moyen d’échange (dit Carte civique) que seule la technologie moderne permet de concevoir. Il s’ensuit que tout penseur ayant vécu à une ère antérieure n’a pu concevoir ni ce moyen d’échange ni l’organisation sociale qui en découle et a, par conséquent, admis la nécessité de la monnaie et imaginé une société monétaire, donc capitaliste, sous une forme ou une autre. Telle est à coup sûr la raison pour laquelle les marxistes, à l’image de Marx, dénoncent la valeur mais ne vont pas jusqu’à dénoncer la monnaie elle-même.

Quant à la lutte des classes qui, de l’aveu de Kurtz, ne mène à rien, ce concept et cette expression sont inexistants dans le Civisme. Elle n’est évoquée que par l’article 127 du Manifeste des Patriciens : « Dans l’inégalité, sous Largent, chaque individu est en lutte contre tous les autres. Les classes sont une illusion d'optique. La lutte des classes est une voie sans issue. »

14. « [...] lorsqu’on a en vue une transformation réelle, au-delà du capitalisme, la tâche consiste à réorganiser le flux social-global des ressources matérielles et sociales en tant que tel et à ne plus le représenter dans les catégories de valeur et de substance-travail, devenus obsolètes. » (p. 159)

Mêmes commentaires que pour les points 7 et 12.

15. « La tâche consiste à rendre visibles aux mouvements sociaux (dans la mesure où ceux-ci voient le jour) qu’il y a un immense décalage entre les potentiels de richesse matérielle et l’impossibilité de continuer à enfermer ces potentiels dans la forme capitaliste. Même si la réflexion théorique sur les catégories réelles du capitalisme (forme-valeur et marchandise, survaleur, travail abstrait, etc.) et leur déclinaison étatico-politique est absente dans la conscience de masse, on peut mobiliser l’expérience pratique et montrer que les capacités pour satisfaire les besoins matériels, sociaux et culturels existent bien, tant du point de vue pratico-technique que matériel, mais que le capitalisme les paralyse parce que l’absurde fin en soi consistant à transformer le travail en plus de travail et l’argent en plus d’argent ne peut plus être réalisée. » (p. 157) 

Tout est exact dans ce passage. Mais l’expression « absurde fin en soi » trahit l’impuissance et la naïveté de Kurtz. Dans un système monétaire, la règle est fatalement de gagner de l’argent ou de ne pas en perdre. Cette règle n’a aucune dimension sociale (même si elle a des conséquences pour la « société »), mais elle n’est pas absurde, elle est dans la logique monétaire. Soit on dénonce la monnaie, soit on accepte ses règles. Kurtz fait exactement l’inverse. En qualifiant d’« absurde » l’appât du gain, il ne condamne pas la monnaie, il avoue implicitement espérer un système monétaire humain et raisonnable, ce qui ne veut strictement rien dire et est purement utopique.

16. « Il est impossible d’imaginer une société postcapitaliste comme un « modèle » positif que l’on pourrait présenter tout fait. Ce serait là non une concrétisation, mais seulement une misérable abstraction et, à nouveau, l’anticipation d’une fausse objectivité qu’il s’agit justement de supprimer. En revanche, ce que la théorie peut développer comme critique de l’économie capitaliste, ce sont les critère d’une autre socialisation. Cela comprend notamment une planification consciente des ressources qui doit remplacer la dynamique aveugle imposée par les « lois coercitives de la concurrence. » (Marx). » (p. 24)

C’est ce passage que j’avais en tête quand j’ai écrit en introduction : « Il s’ensuit que, n’ayant aucune idée de ce que doit être la Société « idéale », ne pouvant faire aucune comparaison entre un modèle théorique et la réalité, refusant même de se livrer à de pareilles spéculations au nom de la rationalité, ils [les marxistes] peuvent certes repérer des disfonctionnements internes au capitalisme mais ne peuvent objectivement comprendre ce qui disfonctionne dans la « société ». A leur manière, ils raisonnent en capitalistes. Aussi, le summum de leur ambition est-il de réformer le capitalisme, donc de le perpétuer sous une forme ou une autre, une forme étatique, collectiviste et liberticide. » Sinon, même commentaire que pour le point 13.

Ce que Kurtz considère comme impossible parce qu’il en est lui-même incapable, le Civisme le fait. En partant des principes suivants : 1) Des Citoyens doivent être égaux en devoirs et en droits, 2) Un individu est Citoyen dès lors qu’il participe à la vie de la Cité selon ce qu’elle considère comme une participation et qu’il profite en retour de tous les bienfaits de la Cité, 3) Le Droit de profiter des bienfaits de la Cité implique le droit d’accéder au marché, 4) Les Citoyens ont le droit d’accéder au marché parce qu’il sont Citoyens, 5) La Citoyenneté ne se mesurant pas, le droit d’accéder au marché est indéfini et en théorie illimité, donc égal pour tous les Citoyens et borné naturellement, 6) Pour accéder au marché, les Citoyens doivent disposer d’un moyen infalsifiable d’attester leur Citoyenneté, moyen que seule la Cité peut fournir et valider et qui, bien que ne s’échangeant pas lui-même, tient lieu de moyen d’échange ; en partant de ces principes, dis-je, le Civisme propose un moyen d’échange appelé « Carte civique », utilisant la technologie des cartes de crédit, et élabore les structures sociales nécessaires à la mise en œuvre ce moyen d’échange. La Carte civique étant à la fois une conséquence des principes de l’ordre social et le vecteur de ces principes initie une nouvelle force des choses qui, à l'instar de la monnaie, oblige toute chose à s’adapter à ce nouveau paradigme. Il n’y a plus de monnaie, plus d'unités, plus de notion de valeur marchande, parce que la Carte civique fonctionne selon une autre logique. L’abolition de la monnaie et l’anéantissement de Largent ne sont pas un but mais une conséquence. Le Civisme ne s’oppose pas au capitalisme : il l’ignore, il suit sa propre route.

Maintenant, relisons Kurtz : « Ce que la théorie peut développer comme critique de l’économie capitaliste, ce sont les critère d’une autre socialisation. Cela comprend notamment une planification consciente des ressources qui doit remplacer la dynamique aveugle imposée par les « lois coercitives de la concurrence. » »

17. « Ce qu’il faudrait, ce serait un contre-mouvement social autonome au-delà des limites nationales. Un mouvement qui insisterait sur les besoins élémentaires contre l’avis des gestionnaires de la crise et qui nierait radicalement toute exclusion d’ordre social, sexuel, ethnique ou racial. » (p. 82)

Le marxisme dans toute sa gauchitude ! Ici apparaît clairement que Kurtz n’a aucune idée de ce qu’est une société et qu’il ne peut, par conséquent, proposer de projet social cohérent et révolutionnaire. L’internationalisme ou, plus exactement, l’ultra-internationalisme a toujours été une vue de l’esprit. La révolution mondiale a toujours été un fiasco. Vouloir faire la révolution partout est le propre de ceux qui sont incapables de la faire quelque part. On ne peut pas, d’un côté, admettre que la révolution n’est possible qu’en de rares occasions et dans un contexte très particulier, d’un autre, envisager sérieusement la révolution au niveau mondial comme si tous les peuples du monde pouvaient soudain n’en formaient qu’un, indépendamment de leurs positions géographiques, de leurs compositions ethniques et raciales, de leur histoire, de leurs cultures, de leurs savoirs, de leurs conditions matérielles, etc. Ce déni des réalités convient à des étudiants boutonneux, pas à des révolutionnaires !

« Il est très à la mode aujourd’hui de parler de mondialisation, mais ce terme donne une image erronée du monde. Il nous fait croire, sous prétexte que la production et le commerce se pratiquent à l’échelle mondiale (ce qui en réalité n’est pas nouveau), que les frontières ont été repoussées si loin des pays qu’elles n’existent plus, que l’ensemble des pays du globe forme un tout. Rien ne saurait être plus à l’opposé de la Vérité. Les frontières ne se sont pas éloignées des pays, elles se sont au contraire rapprochées au plus près des individus. Elles ne sont pas tombées ; elles se sont multipliées. Le capitalo-libéralisme a ainsi achevé la dissolution des Sociétés, anéanti les vieilles solidarités qui subsistaient encore, livré chacun à lui-même. La mondialisation, ce n’est pas une Société planétaire, mais l’absence totale de Société ; ce n’est pas une patrie universelle, mais le règne du chacun pour soi ; ce n’est pas le triomphe de l’Homme, mais celui de Largent ; ce n’est pas la formation d’un tout, mais l’émergence d’un néant. Il s’ensuit qu’il est impossible, à partir de ce néant, de constituer une Société planétaire, les hommes ignorant ce qu’est exactement une Société tout court, et qu’il faut donc, pour parvenir un jour à un véritable ordre social mondial, que les Principes de l’ordre social soient retrouvés et mis en œuvre quelque part pour que, par cet exemple, ils se diffusent partout, du moins partout où ils peuvent germer. » (Réquisitoire contre Largent, p. 150)

18. « Ce concept de révolution limité à la politique, Marx l’a critiqué dès ses premiers écrits. Pour lui, la révolution social représente une autre qualité qui, en même temps que le rapport-valeur et la forme-marchandise, abolit la forme politique qu’est l’étatisme. [...] Quand on atteint la limite interne de la valorisation, la question de la révolution se pose de façon nouvelle et différente, au-delà de l’ontologie du travail abstrait : elle se pose en tant que rupture avec la synthèse sociale dominante sous les formes de la valeur et du rapport capitaliste entre les sexes. Cette synthèse sociale n’est rien d’autre que la forme spécifique de socialisation au sens d’une totalité négative qui, elle aussi, ne peut être abolie que par un bouleversement qui englobe toute la société. C’est pour cela qu’il faut un mouvement à grande échelle transnationale, si l’on veut frapper au cœur de la synthèse sociale. » (p. 167)

Mêmes commentaires que pour les points 18, 10 et 9.

19. « Le ressentiment populaire contre les « requins de la finance » n’a rien à voir avec une quelconque critique émancipatrice mais vient de la vieille confiance illusoire en un capitalisme « sain », alors que c’est lui qui engendre les crises. [...] Lorsque, face à la crise, le préjugé populaire se contente de dénoncer les banquiers comme de louche profiteurs, il doit lui-même être dénoncé comme la mentalité de dociles bêtes de somme qui rêvent de profiteurs « normaux » et « sérieux ». » (p. 76)

Tout à fait d’accord, à la nuance près que Kurtz est, au fond, du même niveau.

« En préconisant aux gens de « retirer leur argent », donc de le conserver par-devers eux, il [Cantonna] ne conteste pas la monnaie ; au contraire, il la consacre, il en sanctionne le principe, il entérine les préjugés monétaires, il cautionne le capitalisme et ses vices, il couvre Largent, il renforce le système sous prétexte de le combattre ou du moins de le critiquer. Ce n’est pas en adoptant les postulats du système, en perpétuant les préjugés qu’il inculque, que l’on peut le menacer. […]Un tel mouvement serait donc plus qu’un coup d’épée dans l’eau : il serait contre-productif et même contre-révolutionnaire. Il ne suffit pas de vouloir « faire bouger » les choses pour qu’elles bougent dans le bon sens. Une action doit avoir un but, un objectif, servir un projet. En l’occurrence, quel est-il ? Néant ! Le système monétaire est celui dans lequel nous vivons ; lui mettre des bâtons dans les roues, sans autre but que de lui faire un pied de nez, ne peut que se retourner contre nous ! » (La Révolution selon Cantonna)

20. « Les petits-bourgeois de la gauche alternative qui débitent des discours humanistes en déguisant leur voix sont eux-mêmes un signe avant-coureur de la barbarisation. Mais l’ignorance, qu’elle soit théorique ou pratique, ne sera plus d’aucune utilité, ni à l’homme ordinaire ni aux divers idéologues de cette ignorance, lorsque les conditions de vie de chacun auront été laminées. Les grandes crises sont toujours les locomotives de conflits sociaux à tous les niveaux et dans tous les contextes. Les contradictions maintenues sous un couvercle éclatent, y compris pour les artistes ès dissimilation et minimisation. » (p. 118)

Tout à fait d’accord. Le Civisme s’occupe d’une révolution qu’il prévoie pour les années 2030 et n’aborde pas ce sujet qui concerne les années 2010. Cette thématique est cependant très présente dans mes articles sur ce blog, comme en atteste implicitement l’exergue : « Pour faire la révolution demain, il faut sauver la France aujourd’hui ».

« Que tous les Français conscients de la situation [créée par l’immigrationnisme, lui-même fruit du capitalisme] se mettent bien en tête que l’avenir est sombre, que ça va saigner, que la France va connaître sans doute la pire tragédie de son histoire, qu’il va falloir se salir les mains. » (La Goutte d’Or qui fait déborder le vase)

Une chose est cependant étonnante de la part de Kurtz qui met en garde contre la « barbarisation » alors qu’il partage la gauchitude qui y conduit ou qui, du moins, va la décupler. En prônant l’internationalisme (autrement dit le mondialisme), la négation des nation, des peuples, des races, des identités (point 17), en quoi est-il différent des idiots utiles du capitalisme que sont les bobos et les gauchistes qu’il dénonce ? En bon marxiste, il ne connaît que l’économie, il croit que tout est exclusivement économique. Alors, s’il est vrai que l’effondrement économique va à lui seul créer des tensions sociales, ces tensions vont inévitablement libérer toute la rancœur accumulée par les peuples européens bafoués depuis des dizaines d’années et menacés dans leur identité et jusque dans leur existence par une immigration intensive orchestrée d’abord par le patronat, soutenue ensuite par la gaucherie. Tenir un discours gauchiste n’est donc pas le meilleur moyen de prévenir la « barbarisation ».

21. « Depuis toujours, c’est la question de la synthèse sociale et donc de la planification sociale au-delà de la forme-valeur, qui constitue le point de départ (et non un quelconque point d’arrivée) de la rupture pratique avec le capitalisme. » (p. 168)

Mêmes commentaires que pour les points 4 et 15.

22. « En réalité, le quotidien n’est pas en soi un lieu de résistance, notion qui, à ce niveau, perd sa substance. Au contraire, la résistance commence là où les individus s’élèvent au-dessus de leur quotidien déterminé par le capitalisme jusque dans ses pores mêmes et deviennent ainsi enfin capables de s’organiser. » (p. 169)

Il y a du vrai là-dedans. Les changements individuels, si tant est qu’ils soient possibles, ne changent rien au niveau global. Cela dit, que les hommes s’organisent ne suffit pas pour qu’ils fassent la révolution, même si c’est une condition nécessaire. Il ne peut y avoir de révolution sans idées révolutionnaires. Croire qu’il suffit que les hommes s’organisent pour que jaillissent des idées révolutionnaires est d’une naïveté absolue. Cela relève de l’idéologie et de l’idéalisation du prolétariat. Tant qu’un projet social n’est pas conçu, s’organiser est sans objet, l’organisation n’a aucun point de ralliement, donc aucune cohésion ; c’est mettre la charrue avant les bœufs.

« Aucun acte n'est révolutionnaire en soi. L'action est une illusion. Il n'y a de révolutionnaires que les idées et seulement certaines idées. » (Pensée du jour, 21 février 2011)

« Citoyen, nous n’accusons pas Largent en raison de ce qu’est l’Homme, mais au nom de l’Egalité. Nous ne prônons pas l’Egalité pour que l’Homme change, mais pour que les Citoyens jouissent enfin de tous leurs Droits. Nous devinons néanmoins que l’Homme ne pourrait être sous l’Egalité ce qu’il est sous Largent, puisque, étant toujours le produit de son contexte, il serait alors façonné différemment. Ce changement serait donc l’effet d’un contexte nouveau, non la cause de la nouveauté du contexte. Mais vous, citoyen, vous pensez que les hommes doivent changer avant le contexte, et voudriez que ce changement soit envisagé comme la priorité. Mais pourquoi, citoyen, vouloir que l’Homme change ? Pour qu’il ne soit plus l’être vil que nous connaissons, c’est-à-dire l’être façonné par le système monétaire ? N’est-ce pas en soi reconnaître que l’Homme est le produit de son contexte et qu’il ne pourra donc changer tant qu’il sera immergé dans le même contexte ? Dès lors, vouloir que l’Homme change avant son contexte ne revient-il pas à désirer l’impossible ? Vous pouvez prétendre, citoyen, que les hommes peuvent soudain être immaculés tout en pataugeant toujours dans la même boue, mais, nous, nous soutenons que, pour qu’ils puissent enfin être propres, il faut d’abord changer l’eau dans laquelle ils baignent. Les hommes ne peuvent penser et agir dans un contexte comme si ce contexte n’existait pas et moins encore comme s’ils évoluaient déjà dans un autre ! […] Les hommes ne peuvent donc changer tout en restant dans le même contexte, et ils ne changeraient pas leur contexte même en changeant personnellement. En fait, il n’y a qu’une solution pour que l’Homme change : c’est qu’il soit plongé dans un contexte différent ; et il n’y a qu’une manière de changer un contexte : c’est de vouloir le changer, de savoir comment et de faire tout ce qu’il faut pour. Cette méthode présente certes des difficultés, mais, à défaut d’être aisée, elle est du moins réaliste. Inversement, celle qui consiste à prêcher aux hommes de changer d’état d’esprit ou de comportement paraît plus simple à mettre en œuvre (c’est d’ailleurs pourquoi elle est la plus répandue), mais elle est en soi très complexe et d’une totale inefficacité. Il n’y a en effet rien de plus dur pour un homme que de se remettre en question, ce qui implique que seule une infime minorité peut entreprendre une telle démarche, et, y parviendrait-il, que le monde réel n’en serait pas transformé pour autant. » (Réquisitoire contre Largent, p. 102, 104)

23. « La logique de fer de la valorisation du capital ne change pas d’un iota, lorsque la forme de la propriété est modifiée au niveau de l’entreprise individuelle. » (p. 173)

Ceci est vrai. Mais on sait que Kurtz, par l’expression « logique de fer de la valorisation du capital », ne veut pas dire les lois de la monnaie et de Largent. Or s’il est vrai que les lois de la monnaie et de Largent s’appliquent de la même manière à tous les niveaux, dans tous les temps et sous tous les régimes, parler de « valorisation du capital » au lieu de monnaie permet, par une habileté de langage, de restreindre à certains domaines l’application d’un principe universel et intemporel, donc de nier qu’il s’applique pareillement dans tous et doit être entièrement éradiquer tel le chiendent. Ainsi les marxistes donnent des coups de griffe au capitalisme, mais pas le coup de grâce.

Voir le commentaire du point 15.

« Conséquence des diverses fonctions et caractéristiques de la monnaie : celui qui paye ou qui est en position d’exiger un paiement est le maître de celui qui (se) vend ou doit casquer. Comme tout le monde a un besoin vital de monnaie et que ceux qui en ont peu sont dans la dépendance de ceux qui en ont beaucoup, la monnaie est un moyen pour les puissants — qu’ils tiennent leur puissance d’une position élevée ou de leur richesse — de tout marchander, de tout acheter, de tout écraser, de tout corrompre pour, in fine, dépouiller les faibles de leurs droits (d’abord de ceux dont la jouissance ou l’exercice passe par la monnaie, puis de tous les autres) et asseoir leur domination sous le nom d’exploitation (sens économique) ou d’oppression (sens politique). Ceci est aussi vrai pour les individus, que pour tous les groupes d’individus (collectivités, associations, entreprises, états). » (Largent, le tyran à abattre)

24. « Tout l’emploi, tous les revenus, tous les mécanismes du marché dépendent de la réussite de la production de survaleur, qui sous-tend la contrainte à la croissance. En même temps, ces catégories de base du capital sont dépourvues de toute sensibilité à l’égard des qualités écologiques et sociales. » (p. 200)

En clair, tout est soumis à la loi du profit dictée par Largent et la monnaie qui ne sont pas humains et n’ont aucune dimension sociale. Dire les choses ainsi englobe tout ce que Kurtz dit ici et tout ce qu’il n’ose dire par ailleurs ; cela dément même une bonne partie de ses affirmations. Voir le commentaire du point 23.

25. « Le grand problème à résoudre, au niveau de la société entière, ce sont les formes capitalistes de relation devenues insoutenables. » (p. 174)

Que ne résout-il lui-même le problème qu’il pose au lieu d’attendre que d’autres le résolvent à sa place ? Mais nous savons qu’il ne le résout pas et ne le résoudra jamais, enfermé qu’il est dans les préjugés capitalistes et une vision strictement économique de l’Homme.

« Tout est politique, Largent comme le reste. Largent et la monnaie qui sont au centre de la "société" (polis) sont des problèmes politiques par excellence : ils doivent être considérés à la lumière des Principes de l'ordre social. En faire des questions économiques et la chasse gardée d'experts, c'est  arracher le cœur et les poumons du corps social et confier la santé du moribond à des charlatans. » (Pensée du jour, 1er décembre 2011)

Dans le Réquisitoire, le Civisme pose le problème comme suit : « Des Citoyens doivent être égaux en Devoirs et en Droits. Ils ne le sont pas car Largent est incompatible avec l’Egalité. Voilà au fond tout ce qu’un « Citoyen », conscient d’être atteint dans sa Dignité, doit aujourd’hui savoir pour adopter une position ferme face à Largent ! Vous voulez faire preuve d’intelligence, alors posez l’équation sociale et cherchez comment réaliser l’Egalité ! Sorti de là, tout ce que vous prenez pour de la perspicacité n’est que de la pusillanimité, et vous seul êtes dupe ! » (p. 92)

« Au lieu de vous demander comment échanger sans la notion de valeur (marchande), demandez-vous d’abord pourquoi nous échangeons en y faisant appel. Vous comprendrez alors que vous ne concevez qu’une certaine forme d’échange et que vous êtes prisonnier de cette conception et de sa logique. […] Contester la nécessité de la notion de valeur marchande (Largent) revient donc à contester la conception individualiste de l’échange. Mais, au nom de quoi la contester ? Au nom de la fonction même des échanges, au nom de leur dimension sociale. […] Renoncer à la notion de valeur marchande, c’est rejeter tout autant l’échange des objets entre eux que l’échange entre individus, et condamner autant Largent et le système monétaire que l’inégalité en droits. C’est donc adopter une conception de l’échange radicalement différente. Nous venons de dire qu’une conception révolutionnaire de l’échange est apparue, quoiqu’elle soit encore imparfaite. Issue de l’échange entre individus, elle consiste en l’échange entre l’individu et la « Société ». Elle est imparfaite parce qu’elle ne va pas au bout de la logique sociale, étant enfermée dans le carcan de la logique monétaire. Mais nous pouvons deviner que cette conception préfigure celle de l’échange entre le Citoyen et la Cité, échange qui consistera, pour le Citoyen, à s’acquitter de ses Devoirs envers la Cité et, pour la Cité, à lui garantir ses Droits de Citoyen, dont celui de profiter de ses bienfaits et partant d’accéder au marché. C’est au fond le type d’échange en vigueur aujourd’hui, à cela près que les individus ne sont pas Citoyens, n’étant pas égaux en Droits, qu’ils reçoivent de leur entreprise, non de la Cité, le droit matérialisé et dénaturé par la monnaie d’accéder au marché et qu’ils accèdent au marché, non en tant que Citoyens, mais en tant que détenteurs de monnaie. » (Réquisitoire contre Largent, p. 67 et suivantes)

Conclusion

Qui dénonce Largent (et la monnaie) au nom de l’Egalité (entre Citoyens), à l’instar du Civisme, évite tous les pièges capitalistes quels que soient leurs dehors et sans avoir besoin de maîtriser le charabia marxiste qui, le plus souvent, sert lui-même à noyer le poisson.

13:29 Écrit par Philippe Landeux | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | |  Imprimer |