samedi, 12 janvier 2019
LE MUR INVISIBLE
« Peu m’importe de le concevoir,
si l’expérience m’atteste qu’il existe. »
Robespierre, 31 mai 1783
Un vieil ami vient enfin de comprendre ce que je lui dis depuis 15 ans. J’avais beau lui expliquer sur tous les tons ; il n’entendait pas. Du reste, je sais qu’une coquille ne peut se briser que de l’intérieur. Il fallait qu’il ait un déclic ; il vient de l’avoir. Il l’a eu tout seul mais une réflexion qu’il s’est fait de son côté lui a soudain fait se remémorer tout ce que je lui avais dit. Soudain, ce qui lui paraissait obscur est devenu pour lui évidence. C’est lui, maintenant, qui explique aux autres.
« Je me souviens de nos discussions. Plus exactement, je me souviens qu’il [Philippe Landeux] me parlait, mais je n’entendais rien de ce qu’il me disait. Je le prenais pour un illuminé. Je le trouvais rébarbatif à toujours parler d’argent. J’étais fort de mes certitudes. Maintenant que j’y songe, je mesure combien j’étais creux et ridicule. Je croyais être supérieur au troupeau parce que je marchais en parallèle sur des chemins moins fréquentés qui ne mènent eux-mêmes à rien. En fait, je tournais en rond comme tout le monde. Je me rends compte que je n’étais pas prêt à faire le bond prodigieux auquel il m’invitait. Il me tendait la main pour m’aider et je me convainquais qu’il demandait l’aumône. Quel courage ! Quelle patience ! À sa place, j’aurais eu pitié de moi, comme les autres, aussi sourds que moi avant, me font pitié aujourd’hui. Je n’ai pas sa force. Lui, il s’est construit tout seul contre le monde entier. Il a tout supporté sans broncher, sans dévier, sans s’emporter, sans se perdre. L’image qui me vient est celle d’un phare planté sur un rocher en haute mer. Moi, j’ai la fébrilité d’un chien qui vient de trouver un os. J’oublie que Philippe Landeux m’indiquait depuis 15 ans où le trouver, et je deviens fou quand, indiquant à mon tour aux autres où le trouver, je les vois passer à côté ou s’en détourner. Il faut que je me calme. J’étais comme eux et je sais pourquoi.
» Nous avons un mur dans la tête, un mur invisible, dont nous ne soupçonnons pas l’existence, un mur pourtant évident dont nous allons jusqu’à nier l’existence quand on nous la signale. Ce mur forme une prison mentale. Nous nous croyons libres parce qu’il n’y a pas de mur autour de nous. Inutile ! Le mur est en nous, dans notre esprit. Nous ne le concevons pas parce qu’il a façonné notre conception des choses et que nous voyons le monde à travers lui. Ainsi, le monde est-il ce que nous en faisons en fonction de ce que nous pensons, et ce que nous pensons nous est inculqué par le monde tel qu’il est. C’est un cercle vicieux. Tout se tient ! Tout est conforme ! Tout est normal ! Tout va très bien, madame la marquise !
» Ce mur, c’est Largent. J’ai longtemps cru que « Largent » était la monnaie, qui n’est elle-même, d’après moi et selon l’opinion générale, qu’un instrument neutre. Je me trompais déjà sur la monnaie : elle n’est pas neutre puisque, d’une part, elle fonctionne selon des règles propres et immuables, qui tiennent à son origine et à sa nature, puisque, d’autre part, elle a des effets logiques et inévitables, pour ainsi dire « mathématiques » ; de sorte que les hommes, qui cautionnent son existence, sont obligés de jouer à son jeu et d’en subir les conséquences, quitte à s’en plaindre en vain. Je faisais mon mariole en disant qu’il dépendait des hommes d’utiliser la monnaie autrement, correctement, de la mettre au service de l’Humanité ! Je ne comprenais vraiment rien à rien. C’est dingue ! Je ne voulais pas entendre ce que Philippe Landeux me disait. Ou plutôt, mon esprit refusait de l’entendre, et ce pour une raison simple : ce qu’il disait remettait en cause mon logiciel et je « buggais », ni plus ni moins. Moi, l’homme libre, je réagissais en robot !
» Ce que me disait Philippe Landeux sur le système monétaire, sur le fonctionnement et les effets de la monnaie, sur le fait que nous jouons au Monopoly grandeur nature, avec les conséquences désastreuses, d’un point de vue général, qui sont bien celles du Monopoly, tout cela aurait été acceptable et audible s’il n’allait lui-même beaucoup plus loin. Il ne se contentait pas de dénoncer, comme tout le monde, « Largent roi » ; il appelait à le renverser, à l’anéantir au nom de l’Égalité et de la Patrie ! Pour commencer, cela implique d’envisager de sortir du système monétaire, ce qui, pour des esprits formatés par le système monétaire lui-même, est déjà inconcevable et rédhibitoire. Mais la monnaie n’est pas Largent ! Elle n’en est que l’instrument. Ce que Philippe Landeux appelle « Largent », c’est la croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger. C’est cette croyance, née de la pratique du troc et qui véhicule les schémas de ce mode d’échange, c’est cette croyance, dis-je, qui nous condamne à recourir à des unités de valeur que nous appelons « monnaie ». Cette croyance, quelle qu’ait été son origine, nous est aujourd’hui inculquée par le système monétaire dans lequel nous vivons. Le système nous inculque sa logique profonde et, logiquement, nous ne concevons d’autres mécanismes que les siens, nous sommes, pour ainsi dire, programmés pour reproduire ce système. Ainsi, quand Philippe Landeux parle d’anéantir Largent, si cela suppose d’instaurer à terme un système fondé sur autre chose, cela consiste, en premier lieu, à identifier cette croyance universellement partagée et à la remettre en cause. Autrement dit, il s’attaque à une idée qui est en chacun de nous, que chacun défend comme si elle était la sienne propre ou, pire, s’obstine à en nier l’existence pour ne pas avoir à en admettre les conséquences et reconnaître sa part de responsabilité. Mais, qu’il s’agisse de défendre un préjugé en tant que tel ou de refuser d’admettre ce préjugé pour ne pas avoir à remettre en cause la vision du monde et les options personnelles que cette vision (combinée au caractère individuel) a déterminées, dans les deux cas, chacun sent bien qu’un pas dans cette direction ébranlerait tout ce qu’il tenait jusque-là pour acquis. Inviter à faire ce pas est perçu et présenté comme une agression, ce qui justifie d’être agressif en se faisant passer pour l’agressé et de se dérober au débat en prétendant que l’on ne peut pas discuter. Du reste, l’esprit va plus vite encore. Il perçoit la menace bien avant l’intellect. Le mur invisible est étanche. Il empêche autant de rentrer que de sortir. Au moindre danger extérieur ou intérieur, au moindre risque de lézarde, il ferme les écoutilles et lance le pilote automatique. Ainsi des hommes qui dénoncent tous les aspects du système monétaire se mettent au garde-à-vous devant Largent ; des hommes lucides trouvent extravagant de lier les problèmes financiers à l’existence de la monnaie, et le recourt à des unités de valeur à la croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger ; de soi-disant anticapitalistes débitent soudain tous les préjugés monétaires. Ils sont programmés. Ils croient exprimer leurs idées, mais c’est Largent qui parle à travers eux.
» Nous sommes tellement persuadés de savoir ce qu’est Largent que nous ne nous posons jamais sérieusement la question et n’avons à son sujet que des réponses toutes faites et grotesques. Comme je l’ai dit, on ne voit pas au-delà de la monnaie sur laquelle on se trompe déjà du tout au tout. Que la monnaie, qui met en œuvre une certaine conception de l’échange, soit le fruit d’une certaine logique, d’une certaine idée, nous sidère ! Affirmer que la notion de valeur marchande est une croyance nous révolte ! Non ! La notion de valeur marchande est une certitude ; elle est indispensable aux échanges ! Nous contestons la définition que Philippe Landeux donne de Largent en opposant la définition même de Largent, en prouvant que nous sommes imprégnés au plus profond de nous-mêmes par la croyance en question !
» Cette certitude et cet enfermement seraient néanmoins compréhensibles si Philippe Landeux ne révélait les raisons et le moyen de sortir du système monétaire, s’il n’y avait donc pas d’alternative. Car le fait qu’il y en ait désormais une démontre que la notion de valeur marchande n’est pas absolument nécessaire pour échanger (sauf dans le cadre du système monétaire où l’échange est organisé par rapport à elle) et que cette notion, cette idée, loin d’être une certitude, une vérité éternelle, n’est bien qu’une croyance passagère et un mensonge. Mais Largent, ce mur que nous avons dans la tête, nous interdit d’être honnêtes ; il nous empêche d’entendre ce discours qui le menace ; il nous empêche de comprendre le ressort du monde qui est le nôtre ; il nous empêche, à plus forte raison, d’imaginer le ressort d’un monde autre. Ainsi nous n’entendons pas plus ce que Philippe Landeux nous dit sur Largent que ce qu’il nous dit sur l’Égalité ou sur la Société qu’il appelle « la Cité ». Je vais quand même essayer de vous exposer le cœur de son projet qui n’est pour l’instant qu’une théorie, comme l’est tout projet pour l’avenir.
» Il part de l’idée qu’une Société est composée de Citoyens, que la Citoyenneté signifie la même chose pour tous les individus qui en sont revêtus, donc que tous les individus qui veulent être Citoyens doivent être soumis aux mêmes conditions pour le devenir et le demeurer. Tous les Citoyens ont donc les mêmes devoirs et doivent donc jouir des mêmes droits. Il explique d’ailleurs que la notion de devoir (envers les autres, envers ses Concitoyens, envers la Cité) n’a de sens que dans la réciprocité, et que des Citoyens ayant nécessairement les mêmes devoirs les uns envers les autres se garantissent mutuellement les mêmes droits. Pour lui, les notions de devoirs, de droits, d’Égalité, de Citoyenneté, de Société ou Cité sont indissociables, ou ne sont que des mots creux, comme c’est le cas aujourd’hui — ce qui amène à se demander comment il a pu articuler un tel discours alors que les notions auxquelles celui-ci fait appel n’existaient pas. Voilà le pourquoi de l’Égalité, d’une d’Égalité purement théorique à ce stade mais qui, déjà, rompt avec les foutaises universalistes. Voilà maintenant le comment :
» Un des principaux devoirs du Citoyen est de participer à la vie de la Cité, selon ce que celle-ci considère comme une participation. En retour, le principal droit du Citoyen est de profiter des bienfaits de sa Cité, bienfaits à l’existence desquels il a contribué, par ses devoirs, à l’égal de ses Concitoyens. Comme une partie de ces bienfaits consiste en produits et services mis sur le marché, le droit pour les Citoyens de profiter des bienfaits de leur Cité implique celui d’accéder au marché. Entendons bien que c’est la Citoyenneté, ou le fait d’être Citoyens, qui leur confère non seulement le droit d’accéder directement au marché mais encore d’y accéder librement sans autres limites que la nature des choses et éventuellement la loi. C’est ici que Largent fait généralement barrage et que l’esprit se ferme soudain à ce qui lui paraissait logique jusque-là et qui ne l’est pas moins par la suite. Car c’est ici que l’esprit comprend que cette logique est mortelle pour Largent et, en premier lieu, pour la monnaie. En effet, quelle est la fonction de la monnaie si ce n’est de conférer du droit d’accéder au marché — en proportion des unités dont chacun dispose, quelle que soit la manière dont il se les ait procurées. Mais que devient la monnaie, si le droit d’accéder au marché est conféré par la Citoyenneté elle-même ? Il n’y en a plus, tout simplement. Ce qui signifie aussi plus de prix, plus de valeur marchande, plus de salaires, plus d’impôts, plus de taxes, plus de loyers, plus d’assurances, plus de banques, plus d’économies, plus de spéculation, plus rien de ce qui fait le monde actuel. Ici, les gens voient leur monde s’effondrer. Ils arguent que cette histoire de Citoyenneté ne changerait rien alors même qu’ils pressentent que cela changerait tout, comme si leur but était finalement que rien ne change. En fait, Largent reprend les commandes de leur esprit pour leur faire préférer un marasme certain à la plus grande révolution de tous les temps. Plutôt que d’entrevoir les possibilités infinies qu’ouvre cette idée, ils la rejettent avant même de la saisir et volent au secours de Largent en danger !
» Mais allons plus loin. Si la Citoyenneté confère le droit d’accéder librement au marché, il faut que les Citoyens disposent d’un moyen d’attester leur Citoyenneté auprès des commerçants. Pour ce faire, la technologie moderne offre mille solutions. Philippe Landeux préconise l’utilisation de cartes à puce qui auraient l’avantage de s’utiliser comme les cartes de crédit et d’opérer ainsi la transition sans heurter les habitudes. Ces « cartes civiques » ne serviraient pas à vérifier la présence de crédits sur un compte et à les transférer mais simplement à vérifier l’information au sujet de la Citoyenneté, qui ne se mesure pas, qui est ou n’est pas. L’enregistrement des achats permettrait également d’attester l’activité des commerçants et des entreprises en général, c’est-à-dire qu’elles aient bien rempli leur devoir, car n’oublions pas que la Citoyenneté doit être méritée aux yeux de la Cité et que tout Citoyen, s’il est un consommateur, est d’abord un producteur, donc un commerçant. Je simplifie. Certains Citoyens ne sont pas des producteurs mais participent néanmoins à la vie de la Cité d’une manière reconnue ; d’autres sont des producteurs, des travailleurs, mais dans le cadre d’entreprises collectives, et ce sont elles qui, en tant que personnes morales, ont le devoir de participer à la vie de la Cité selon ce que celle-ci considère comme une participation, ce sont elles, et non leurs employés individuellement, qui sont soumises au contrôle de la Cité. Quand tout va bien pour une entreprise, tous ses employés sont Citoyens ; quand une entreprise est sanctionnée, la même sanction est infligée à tous les employés. Voilà de quoi susciter l’esprit d’entreprise ! Notons encore que les entreprises, qui, par définition, travaillent pour le marché, pour le public, pour la Cité, sont donc considérées comme remplissant une fonction publique et sont tenues à des résultats (de « vente »), étant par ailleurs entièrement libres de gérer leur activité (recrutement, licenciement, objectifs, etc.). Tout cela pour dire que le simple fait d’attacher le droit d’accéder au marché à la Citoyenneté, et non plus à la monnaie, bouleverse les concepts et implique une multitudes d’adaptations, comme nous nous sommes adaptés à la monnaie et à sa logique aussi absurde et antisociale soit-elle. Rien n’est impossible avec un peu d’imagination. Ne voient partout des obstacles insurmontables que ceux qui cherchent des prétextes pour rester où ils sont.
» Mais je reviens au point essentiel, à la « carte civique » qui est la clé de la Cité. Peut-on douter que l’avenir soit aux cartes ? N’est-ce pas déjà le cas ? Qu’y a-t-il d’impossible, techniquement, dans la révolution que propose Philippe Landeux ? Le système actuel met lui-même en place les infrastructures nécessaires à la Cité ! Il le fait avec une autre idée, poussé par des raisons techniques et idéologiques, mais il le fait quand même. Par ailleurs, est-il si invraisemblable que la monnaie disparaisse ? La monnaie a évolué dans sa forme (denrées, objets, pièces, papier) et en est arrivée à n’être plus que des chiffres sur des ordinateurs ; elle est désormais virtuelle ; il ne reste d’elle que son principe. Il est vrai que tout est dans le principe. Mais quelque chose qui évolue a un début et une fin. Or quelle pourrait être la dernière étape de la monnaie si ce n’est celle de l’ère de la monnaie virtuelle, celle où elle se confond avec Largent lui-même ? Bien sûr, pour lui donner le coup de grâce et basculer vers un autre système, il faudrait une autre conception de l’échange ou d’autres principes. Mais n’est-ce pas précisément ce que Philippe Landeux nous apporte sur un plateau ? L’idée est là. Les moyens sont là. Ne manquent que la volonté et l’occasion.
» Mais Largent ne capitule jamais. Face à de telles évidences, il pousse soit à fuir lâchement (avec parfois quelques invectives en guise de baroud d’honneur), soit à ergoter pour fuir mentalement — car peu importe les réponses aux objections, le but est de se donner une contenance tout en n’écoutant plus, comme un sous-marin lance des contre-mesures. Je le sais, je l’ai fait pendant 15 ans ! Après le fameux et ridicule « l’argent n’est qu’un moyen », qui vient beaucoup plus tôt dans la discussion, on pourrait avoir droit, au point où nous en sommes rendus, à « l’argent a toujours existé ». Il est extraordinaire de pouvoir dire sérieusement des bêtises pareilles ! Tout d’abord, ni Largent ni la monnaie n’ont toujours existé. L’existence de l’un et l’autre remonte à seulement quelques milliers d’années. Ensuite, c’est précisément le fait qu’ils soient d’un autre âge qui les condamne. Qui ignore qu’en moins de deux siècles le monde a basculé dans une nouvelle ère ? Ce mode d’échange qui est né dans la nuit des temps (de notre point de vue), à une époque où les hommes produisaient de manière artisanale, qui était tant bien que mal adapté à ce mode de production, est totalement anachronique à l’heure de la production industrielle. N’y a-t-il pas un lien entre le mode d’échange, les biens échangés, les biens produits et le mode de production ? C’est une chaîne. Si le mode de production change, le mode d’échange doit s’adapter et s’adaptera par la force des choses ; dans l’intervalle, il constitue un handicap et suscite des problèmes insolubles aggravés par les fuites en avant. Le mode de transport aussi a changé… A-t-on jamais vu quelqu’un donner du foin à sa voiture ?
» Une objection un peu plus sérieuse est celle qui consiste à craindre qu’un système non-monétaire ne puisse plus importer et soit coupé du monde. Le problème peut être soulevé pour obtenir une réponse ou pour tendre un piège. C’est effectivement une question que je me posais au lieu de chercher moi-même la réponse, pourtant simple. On se dit que l’argent sert à acheter, donc que, sans argent, on ne peut pas acheter. Mais on oublie deux choses : 1) avant de dépenser de l’argent, il faut le gagner, 2) la Cité fonctionnera comme une Société, c’est-à-dire comme un être collectif. Autrement dit, pour que les Citoyens ou les entreprises et au final la Cité puissent importer, il faudra d’abord que la Cité produise, exporte, vende et constitue ainsi un budget qui lui permettra de payer matières et produits étrangers. Il faut se placer dans le cadre de la Cité où le travail des Citoyens est récompensé par la Citoyenneté mais n’est pas payé au sens monétaire du terme ; un travailleur ne coûte rien. Une entreprise qui exporte de sa propre initiative — parce que les clients étrangers entrent dans le bilan de son activité — ou à la demande de la Cité — pour équilibrer la balance commerciale — n’a pas besoin, si ce n’est à la marge, de l’argent que génère la vente de ses produits. C’est donc la Cité, via l’État, le Trésor public ou quelque organisme chargé de cette mission, qui recueillera cet argent et qui, à l’inverse, financera les importations. La pratique exigera la mise en place d’une administration et de procédures, mais on voit que le principe est fort simple.
» Une autre objection — et je m’arrêterai là —, en rapport avec ce que je viens de dire, est de prétendre que les Citoyens et les entreprises n’auront plus ni intérêt ni motivation à travailler. Travailler le plus souvent pour une misère serait donc plus intéressant qu’avoir accès à tout ? Être traité en Citoyen serait moins motivant qu’être traité en esclave ? Ce n’est pas parce que les Citoyens ne recevront pas d’argent contre leur travail qu’ils n’en retireront pas du pouvoir d’achat en contre partie ! Au contraire ! Payer le travail avec de l’argent, c’est voler les travailleurs, c’est permettre à une minorité, qui capte l’argent, de détourner à son profit l’essentiel du fruit du travail collectif et de dépouiller les travailleurs de tout ou partie de leurs droits de Citoyens. Le salaire le plus digne des travailleurs, qui sont avant tout des Citoyens, c’est la Citoyenneté, qui comprend le Droit d’accéder librement au marché et qui assure à tous les Citoyens une véritable égalité en Droits. Ce Droit ne tombera pas du Ciel ! Les Citoyens devront le mériter en remplissant (individuellement ou collectivement) leur Devoir envers la Cité, sous peine de sanctions (collectives et individuelles). En fait, ils ne se poseront plus la question de ce qu’ils ont à gagner, question qui nous obsède aujourd’hui mais qui, alors, n’aura plus aucun sens. Ils feront leur Devoir soit par plaisir, soit par conscience professionnelle, soit pour éviter des sanctions. Peu importe ! Ils le feront ; ils feront ce que la Cité attend d’eux ; les entreprises produiront ; la Cité produira, exportera, importera.
» À ceux dont le premier réflexe est de voir dans la Cité un système communiste, parce qu’ils veulent se trouver une nouvelle excuse pour « zapper », Philippe Landeux répond que ce sera un régime libéral sans capitalisme. Ceux qui ont ce réflexe n’ont guère réfléchi au rôle d’un moyen d’échange en général et à celui de la « carte civique » en particulier. Un système est étatique quand l’État se charge de la répartition du produit collectif. Or, par l’instauration de la carte civique, les Citoyens procèderont eux-mêmes à la répartition en exerçant leur Droit d’accéder au marché. Ils seront donc libres comme jamais de consommer. Ils seront libres, dans la mesure des leurs capacités et de la nature des choses, de choisir leur activité. Ils seront libres comme jamais de créer des entreprises. A ce propos, la Cité ne dira pas aux entreprises ce qu’elles devront faire ; elle exigera simplement qu’elles fassent ce qu’elles-mêmes prétendront faire. Pour la première fois, les Citoyens seront vraiment égaux en Droits… égaux par le haut. Et la Cité sera une véritable Démocratie par la force des choses, contrairement au système monétaire qui, de par les mécanismes de la monnaie, est fatalement inégalitaire et ploutocratique, ou pour le moins tyrannique.
» Que l’inconnu fasse peur, soit ! Mais s’abaisser à présenter ce système comme du communisme, c’est un peu comme accuser le chien le plus doux d’avoir la rage pour pouvoir l’abattre. Je n’ai pas tout développé, mais la Cité est le système le plus social, le plus libéral, le plus égalitaire, le plus juste, le plus démocratique, le plus patriotique, le plus efficient, le plus républicain, le plus humaniste même ; elle est le meilleur de tous les systèmes politico-économiques, pour la simple raison qu’elle a pour seule boussole les Principes de l’Ordre social, quand les autres composent avec Largent, voire se couchent devant lui. Elle résoudra instantanément des problèmes absolument insolubles dans le système monétaire, comme le chômage, les délocalisations, l’immigration, l’exploitation, le financement des retraites, la délinquance, le vol, le racket, le stress, etc. Ce n’est pas magique ! Elle s’attaque aux causes et fermera simplement le robinet. Par ailleurs, en n’étant plus soumise aux contraintes financières, elle pourra aborder sous un autre angle tous les problèmes qui resteront et tous ceux qui se présenteront ; les Citoyens et la Cité pourront faire tout ce qu’ils auront la volonté et les moyens techniques de faire ; ils n’auront de limite que leur imagination.
» Il m’a fallu 15 ans, à moi aussi, pour comprendre qu’une Société ne peut être en harmonie que si elle repose sur ses Principes, sur les Principes de l’Ordre social ; que, dans le cas contraire, elle est nécessairement chaotique et ne mérite pas même le nom de « Société ». Je me rends compte aujourd’hui combien il faut être conditionné pour ne pas voir, malgré tous les signes, que le système monétaire et sa logique d’échange sont incompatibles avec la Société et la logique sociale. Je mesure combien il est dément de s’acharner à essayer de faire entrer des carrés dans des ronds en espérant que tout finira par rouler. Je sais la raison de cet acharnement. Notre nature sociable nous pousse vers la Société. Mais nous nous heurtons à un mur… en pratique, mais d’abord en pensée. Le système monétaire est intrinsèquement inégalitaire et antisocial ; il suffit à faire échouer toutes les « révolutions » qui ne le frappent pas au cœur. Mais si nous ne visons pas au cœur, c’est parce que nous sommes incapables de voir ce coeur et surtout de concevoir la monnaie comme tel. S’il est vrai qu’il faut parfois voir pour croire, le plus souvent on ne voit que ce que l’on croit. C’est le cas ici. Notre cécité n’est pas physique, elle est mentale. Avant de nous cogner au mur de la réalité, nous nous cognons tous à celui de Largent, c’est-à-dire à ce mur invisible que constitue dans notre esprit « la croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger », d’où découle la croyance que la monnaie aussi est nécessaire, deux croyances dont nous n’avons pas même conscience. Au final, les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui défendent Largent, et ceux qui ne l’attaquent pas. Les premiers se soumettent à lui dès qu’ils s’y cognent, et font leurs toutes les notions qui lui sont consubstantielles : individualisme, universalisme, matérialisme, inégalité, oligarchie. Les seconds n’attaquent pas Largent : ils croient pouvoir le contourner. Mais si Largent ne suffit pas à détourner ces derniers de vouloir changer les choses, ayant la fibre sociale plus solide, il les a malgré tout pétris de préjugés qui les réduisent à l’impuissance en leur inspirant de fausses solutions, notamment en leur faisant systématiquement épargner la monnaie. Ils se cognent donc à la réalité du système monétaire parce que, à défaut d’avoir été stoppés net par Largent, celui-ci les a quand même fait dévier de la bonne route et les a envoyés dans le fossé. Ils peuvent s’y essayer cent fois, le résultat sera le même ou tout aussi désastreux. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
» Il fallait donc signaler ce mur invisible de Largent. C’est chose faite. Il fallait encore indiquer la route de la véritable Égalité. C’est fait aussi. Dès lors, que dire de plus à des Citoyens en puissance et aux hommes de bonne volonté ? »
22:59 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |
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