lundi, 25 décembre 2017
LA PARABOLE DES ÉCHASSES
Il était une fois un plat pays verdoyant où les hommes vivaient heureux. Mais, Dieu sait pourquoi, un jour le ciel s’ouvrit et d’une plaine fit un marais. Les hommes, pour garder les pieds au sec et se mouvoir sans peine, se hissèrent sur des échasses. Et cet état des choses dura si longtemps que les échasses devinrent comme un prolongement naturel de leurs jambes. Ils ne se concevaient plus sans ces prothèses. Tant et si bien qu’ils finirent par se juger entre eux à l’aune de leurs échasses. C’était à qui aurait les plus solides, les plus longues, les plus belles, le plus de paires, etc. Un vrai besoin avait fait naître et donné un support à l’orgueil. Et plus le temps passait, plus les distinctions sociales s’appuyaient sur les échasses ; plus les échasses devenaient nécessaires, non pour marcher, mais pour penser.
Un jour, les eaux commencèrent à baisser. Pourtant, loin d’y voir l’occasion de raccourcir les échasses, pour qu’elles soient plus adaptées et donc plus pratiques, les hommes, entraînés par l’habitude, ou crainte du qu’en-dira-t-on, poursuivirent leur course aux échasses les plus longues. Elles s’allongeaient à mesure qu’elles avaient moins d’utilité, et elles ne furent jamais aussi longues que lorsque, une fois les eaux complètement retirées, elles ne constituèrent plus qu’un handicap. Impossible, cependant, de faire entendre raison aux hommes. Modifier la taille, la forme, la longueur, la matière des échasses, d’accord ! Mais renoncer à ces superbes faire-valoir, jamais ! « Tout le monde sait que des échasses sont nécessaires pour marcher ! » L’idée de fouler à nouveau le sol avec les pieds était la plus saugrenue aux yeux de quiconque se revendiquait terre-à-terre. Tous les arguments étaient bons pour justifier l’indéfendable et discréditer l’évidence.
Ainsi un contexte avait suscité un besoin ; la réponse d’alors avait forgé des préjugés ; et ces préjugés enfermaient dans cette réponse, quel que soit le contexte.
Moralité :
On a aux pieds les échasses que l’on a dans la tête.
Ne riez pas ; vous en avez ! Elles s’appellent « monnaie ». Vous croyez que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger.
Philippe Landeux
24 décembre 2017
08:15 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |
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