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dimanche, 02 octobre 2011

REQUISITOIRE CONTRE LARGENT : le livre enfin dispo

réquisitoire,contre,largent,livre,commander,landeuxTout au long des pages de ce blog j'aborde la question de Largent, c'est-à-dire le coeur de notre système et, en même temps, le fondement de l'inégalité. Mais un blog n'est pas un livre.

Le Réquisitoire contre Largent ou théorie de l'Egalité, comme son nom l'indique, est le procès de Largent, appuyé sur une conception révolutionnaire de l'Egalité. L'accusateur public expose les faits et répond à toutes les questions que les jurés se posent, lesquels réalisent qu'ils ignoraient tout de ce que sont véritablement Largent et l'Egalité.

Cet ouvrage (de 169 pages de texte) présente, sous forme théorique, les bases de la Cité et constitue le premier volet de la théorie du Civisme. Il règle la question de Largent, ce qui permet, par la suite, de se consacrer exclusivement à l'organisation concrète de la Cité, laquelle repose sur l'Egalité. Mais on ne peut pas courir avant de savoir marcher. Avant de vouloir construire la Cité, il faut être persuadé de la nécessité de détruire le système présent, ou plutôt d'y renoncer consciemment, car il court tout seul à sa ruine.

Rares sont les personnes à avoir lu ce livre, n'étant pas édité. Mais toutes rejoignent le comité de lecture d'une maison d'édition qui, en raison de problèmes internes, a du cesser ses activités :

« Nous avons tous subi le choc de la grandeur et de la force de l'idée révolutionnaire qui est à la base de votre travail, il y a effectivement là un noyau d'idées suffisamment nettement articulées pour se rendre capables de faire événement dans la théorie de l'économie politique, et destiné potentiellement à entrer dans l'histoire, et à ce titre, il nous est impossible de ne pas envisager une publication de cette idée sous une forme ou une autre. […] Oui, nous sommes très très intéressés par votre démarche, et convaincus qu'il faut vous publier d'une façon ou d'une autre. Trop d’analyses excellentes, novatrices et urgentes sont dites au cours de votre réquisitoire pour passer à côté. »

réquisitoire,contre,largent,livre,commander,landeuxJ'ai longtemps espéré trouver un éditeur. Mais les grosses maisons d'éditions sont aux mains des grands financiers, et les petites n'ont pas les finances quand bien même elles auraient le courage. J'ai donc du attendre, pour publier, qu'une solution se présente. La crise qui menace m'a encouragé à chercher cette solution et un hasard m'a mis sur sa piste.

Je ne sais pas si l'édition en ligne a évolué de manière générale, mais TheBookEdition propose le service que de nombreux auteurs attendaient. Elle s'occupe de tout (impression et expédition) sans qu'il leur en coûte rien, comme il se doit ; elle se paye sur les ventes.

Maintenant, je reste propriétaire de tous les droits d'exploitation et je cherche toujours un éditeur qui en a.

Détails :

169 pages de texte

14 € + frais de port

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J'ai souvent cité un passage de la réponse du comité de lecture de la maison d'édition qui était disposée à publier le Réquisitoire. Il m'apparaît qu'il pourrait être utile et instructif de la divulger en entier, tout en préservant l'anonymat des intéressés, et de présenter également ma réponse. 

 

18 février 2008

Cher Philippe Landeux,

Notre comité de lecture s'est réuni ce matin pour faire un point sur votre manuscrit. Il en ressort que nous nous trouvons dans une situation très délicate. En effet, nous avons tous subi le choc de la grandeur et de la force de l'idée révolutionnaire qui est à la base de votre travail, il y a effectivement là un noyau d'idées suffisamment nettement articulées pour se rendre capables de faire événement dans la théorie de l'économie politique, et destiné potentiellement à entrer dans l'histoire, et à ce titre, il nous est impossible de ne pas envisager une publication de cette idée sous une forme ou une autre.

Maintenant, en tant qu'éditeurs, deux ordres de réserves nous plongent dans l'embarras et la perplexité.

La première continue à être la non visibilité de notre planning éditorial au delà de fin 2008, essentiellement au niveau financier (c'est dire l'ironie tragique de la situation !!). Nous avons si peu droit à l'erreur que nous nous devons, avant toute autre considération, d'être particulièrement vigilants pour assurer notre survie d'éditeur indépendant.

En fait, il nous serait plus douloureux de vous faire maintenant la promesse de vous publier à coup sûr courant 2009, et d'être finalement incapable de le faire le moment venu (alors qu'un contrat entre nous serait signé), que de rester, par prudence, dans cette position ambiguë, inconfortable et frustrante  pour nous comme pour vous.

Oui, nous sommes très très intéressés par votre démarche, et convaincus qu'il faut vous publier d'une façon ou d'une autre. Trop d’analyses excellentes, novatrices et urgentes sont dites au cours de votre réquisitoire pour passer à côté. Mais nous n'aurons pas l'assurance de pouvoir le mettre en oeuvre à coup sûr avant la fin 2008... Voilà notre dilemme... Et il est douloureux autant que pour vous, bien que d'une autre manière, forcément.

Aussi, rien que pour cette raison, nous comprendrions très bien que lassés d'attendre que notre situation s'éclaircisse, vous vous tourniez vers d'autres portes éditoriales. Nous en serions très déçus et frustrés, mais la lucidité vitale nous contraint à ne pas pouvoir vous proposer mieux que d'attendre la fin de l'année pour vous donner enfin une réponse ferme et définitive, et de laisser la vie chercher son cours comme elle le veut.

Mais notre embarras et notre perplexité ne s'arrêtent pas seulement à cet aspect matériel de la chose. Le contenu de votre réquisitoire tel qu'il est suscite aussi un certain nombre de réserves qui nous empêchent encore d'être complètement acquis à l'idée que la meilleure stratégie soit de publier votre réquisitoire tel qu'il est. Elles sont au nombre de 5 et je vais tenter de vous les exposer le plus simplement possible, car elles sont d’un enjeu très profond et très délicat sur tous les plans entre nous. Mais nous ne pouvons faire autrement que d’être francs et directs quitte à blesser quelque peu votre amour-propre comme vous n’avez pas hésité à être aussi direct avec moi dans certains de vos mails.

1) Vous êtes résolument convaincu qu'il n'est pas nécessaire, dans ce premier volet de prise de contact avec l'ensemble de votre démarche que constitue ce réquisitoire, d'exposer quel est exactement ce nouveau moyen d'échange susceptible d'abolir radicalement non seulement la monnaie, mais la racine de l'inégalité sociale que vous appelez "Largent", autrement dit "la croyance que la notion de valeur (marchande) est nécessaire pour échanger". Vous n'avez cessé de nous en expliquer la raison et je l'ai expliquée à chacun des membres de notre comité de lecture : l'exposition de la solution pratique, c'est-à-dire la carte civique, n'est et ne saura jamais être autre chose pour vous que la "cerise sur la gâteau" de toute votre démarche. L'essentiel étant avant tout autre chose d'établir d'une façon irrécusable le principe théorique de l'équivalence absolue entre "Largent" et l'inégalité sociale (c'est la raison d'être de ce réquisitoire). Cependant, dans nos lectures respectives, nous avons été unanimes, et cela sans nous concerter, à ressentir non seulement une frustration à ne pas être informé de cette solution, mais une incohérence dans le cadre même d'une démonstration de la nocivité absolue de Largent.

En effet, puisque vous avez fait en sorte que votre lecteur s'identifie à faire partie des jurés, je dois vous dire que sans l'exposition de cette clé, aucun d'entre nous n'a le sentiment qu'il détient le pouvoir effectif de condamner Largent. On peut bien sûr le condamner théoriquement et moralement autant qu'on voudra, mais tant que nous ne saurons pas qu'il est cette fois en notre pouvoir technologique, pour la première fois dans l'histoire, peut-être, d'abolir définitivement le règne de Largent, la nature de notre condamnation n'entrera pas vraiment dans le seul tribunal qui puisse avoir la force d'un événement historique : le tribunal du droit politique ou citoyen.

Cette évidence est pour nous d'autant plus grande que vous n'avez cessé tout au long de votre réquisitoire de nous faire miroiter en même temps que vous détenez déjà la connaissance effective de cette clé. (p 63, 64, 96, 98, 99, 107, 111, 115,117,119, 120, 138, 142, 147). Au contraire de votre conviction stratégique, nous éprouvons comme une évidence que la connaissance de cette clé de la carte civique n'est rien moins que le nerf de la guerre qui doit fonder le caractère, cad la force juridique de ce tribunal citoyen. Car c'est une chose d'être intellectuellement convaincu de la nocivité de largent après avoir lu votre réquisitoire tel qu’il est actuellement, c'en est une tout autre de savoir que nous avons peut-être les moyens de commencer à faire de cette belle évidence inutile une idée-force capable de révolutionner effectivement, cad techniquement le monde;  car ce n'est qu'à partir de cette révélation du caractère technique de la solution que nous pourrons être définitivement convaincus qu'il ne s'agit pas d'une utopie de plus, à jamais inefficace, mais que le changement d'organisation sociale ne relève plus désormais que d'une réelle volonté politique de chaque citoyen.

Il en découle qu’il faudrait à nos yeux impérativement introduire l’exposition de cette clé dès ce réquisitoire, et bien davantage que du bout des lèvres : en répondant à la première vague des questions incontournables que le dévoilement de cette clé suscitera immanquablement dans l’entendement de chaque lecteur de bonne volonté, autrement dit en commençant, réponse après réponse, à FAIRE VOIR TECHNIQUEMENT qu’il y a bel et bien moyen, selon vous, et si on veut bien s’y pencher tous ensemble attentivement, de résoudre finalement la plupart des immenses problèmes d’organisation pratique que susciterait l’usage généralisé à une nation (ou plus, je vais y revenir)  de cette carte civique. La victoire de l’avocat à charge doit donc pour nous se payer à cette première condition supplémentaire qui impliquerait une augmentation de son nombre de pages, et une remise en question de votre idée du tryptique, à notre avis impubliable en tant que tel.

2) Compte tenu de l’importance de l’enjeu, nous nous étonnons que vous n’abordiez pas une seule fois la question ultra épineuse mais élémentaire de la propriété des moyens de production, notamment industriels dans une société égalitaire. Que le principe de la propriété privée ne soit non seulement pas incompatible mais qu’il soit même indispensable à la bonne marche d’une société délivrée de Largent dans la sphère privée de chaque citoyen, c’est une chose, peut-être encore discutable, mais qu’il nous est permis d’envisager à titre d’hypothèse de travail incontournable, à mettre positivement au ban d’essai à l’intérieur de la vision radicalement bouleversée dans laquelle vous invitez votre lecteur à pénétrer. Mais  l’inégalité sociale implique tellement la question de la propriété privée des moyens de production économique structurels qu’il nous semble impossible d’en faire une si totale impasse dans votre réquisitoire. Car si ce n’est pas l’Etat, qui d’autre qu’une nouvelle caste de puissants non par Largent, mais par la propriété privée des moyens de production, en jouirait d’une façon inégale, comme tout instrument de pouvoir socioéconomique décisif ? Bien sûr, vos notes en bas de page de votre article laisse entendre que c’est l’Etat qui imposerait des quotas de vente aux patrons. Mais juridiquement, et principiellement parlant, la question reste entière de savoir au nom de quoi la propriété des moyens de la production devrait rester privée. (cela ne veut pas dire que nous soyons pour autant attaché à une économie centralisée par l’Etat, au contraire, l’une des trouvailles fortes de votre dispositif consiste à nos yeux à donner un essor sans précédent au principe d’un libéralisme délivré des torts du capitalisme, et de réconcilier ce faisant des siècles d’opposition entre “droite” et “gauche”. Mais nous nous devons de poser cette question, car comme vous le savez, c’est bien là qu’est le nerf de l’analyse de l’aliénation chez Marx, et si fausse et périmée que soit son analyse dans votre optique, la question du fondement juridique, cad politique, de la propriété privée des moyens de production dans une société égalitaire mérite éclaircissement dès le départ.

3) ce qui nous conduit naturellement à ce qui nous apparaît comme une des grandes carences de votre travail, pour le peu que nous en connaissons à ce jour : Pourquoi, dans votre stratégie polémique, ne jamais situer directement et clairement votre théorie de l’égalité par rapport à la doctrine marxiste ? Alors que nombre de fondements de vos analyses sont des radicalisations extrêmes du Capital ? Marx a fait le réquisitoire du Capital au nom de l’instauration de l’égalité civique, d’une société sans classes, d’un homme nouveau, au nom, comme vous, d’un primat d’une conception déterministe de la vie humaine, où prime le milieu sur l’homme, et par conséquent où il est décisif, et même exclusif d’attendre un changement du monde à partir d’un changement du milieu techno-socio-économique de sa vie individuel et collectif, et nombre de vos critiques de Largent au sens de la monnaie ne sont que des variantes de ce que Marx appelait déjà le fétichisme de la marchandise, (largement repris par Debord (société du spectacle) et Baudrillard (concept de simulacre)).

Cette omission totale de votre part est-elle volontaire ? Et si oui, pourquoi ? Nous nous permettons de vous poser directement cette question, car là aussi, il nous semble qu’en éludant une confrontation directe avec Marx dès le réquisitoire, vous amoindrissez considérablement la portée théorique de votre idée centrale. Et il ne s’agit pas là d’une opinion subjective de notre part. Et il ne s’agit pas là d’une incitation de notre part à ce que vous donniez dans la prétention narcissique de vous présenter comme le nouveau supplanteur historique de Marx, ce dont vous vous contrefoutrez royalement (si je puis dire) et avec raison. Non, c’est d’un point de vue historique et purement théorique que nous nous plaçons. Dans tous les domaines théoriques, les révolutions conceptuelles impliquent à chaque fois et nécessairement des meurtres symboliques inévitables avec les instances passées qui dominent l’état du débat en cours. C’est une loi qui est sans exception. Or, le spectre de Marx règne encore fortement dans l’intelligentsia des penseurs de l’égalité sociale aujourd’hui, au delà même des frontières de l’Europe, assurément, il règne encore partout dans le monde, Derrida et Deleuze faisaient retour à Marx dans les dernières années de leurs vies.

Et je dirai que, eu égard à la gravité de la situation, toute la tradition des penseurs révolutionnaires contemporains issus de la révolution française sont coincés par l’ombre de Marx. Nous estimons donc qu’une entrée en scène à hauteur de l’histoire de votre idée révolutionnaire ne peut faire l’économie (si je puis dire) d’une confrontation explicite avec Marx, qui montrerait, même succintement dans votre réquisitoire, et ce dès l’introduction, ainsi que dans certaines analyses ultérieures sur l’aliénation sociale produite, ce que vous devez honnêtement à l’héritage de Marx, et la part de génie révolutionnaire qui vous revient au plan théorique. Avec votre noyau d’idées tel qu’il est déjà, vous avez la possibilité de faire une critique philosophique décisive de Marx, c’est-à-dire une critique “interne” : en prenant Marx sur son terrain, en étant plus marxien (je ne dis pas marxiste) que Marx lui-même, c’est-à-dire en démontrant que ce que Marx a prétendu faire (instaurer les bases socioéconomiques d’une société égalitaire), il ne l’a pas fait, et que votre théorie est mieux placée pour accomplir son propre espoir. Bref montrer, en quelques paragraphes, (car il ne s’agit pas de réécrire un traité !), que vous n’avez dépassé Marx qu’en l’intégrant, cad en montrant où résidait son erreur foncière, sa confusion fatale : croire qu’une critique du Capital suffisait à fonder la Cité, alors que cette forme de fétichisation inaperçue par Marx du Capital était encore une stratégie de l’ignorance où nous tient Largent pour nous empêcher de remonter jusqu’à lui en tant que tel comme cause première de l’injustice (de votre point de vue). Et qu’au fond, ce n’est pas la religion, mais Largent qui est l’opium véritable de notre enfer monétaire. Bref, au vu de ce nous avons lu dans le réquisitoire tel qu’il est, il nous semble qu’il y a déjà beaucoup d’éléments susceptibles, moyennant quelques reprises polémiques avec certains éléments de la vulgate marxiste (notamment la fétichisation de la marchandise qui a masqué et qui masque... le vrai fétiche qu’est Largent lui-même (dans votre optique), de commencer à renverser avec force l’idole d’une idée révolutionnaire qui a fait son temps et qui doit maintenant mourir, (encore une fois non par gloriole personnelle, artificiellement, mais parce que la discipline de l’économie politique dans laquelle vous vous inscrivez l’exige historiquement si vous voulez donner toutes les chances à votre idée d’entrer dans le débat contemporain. Faute de quoi vous manqueriez votre entrée en scène, en restant si je puis dire en périphérie du débat, comme un franc tireur inspiré mais contraint à rester en 2ème zone, car incapable de prouver par lui-même que la force même de son idée lui donne les moyens d’en découdre aisément avec l’instance d’une idée révolutionnaire aujourd’hui mensongère et périmée. Et vous devriez laisser à d’autres le soin d’introniser plus tard votre idée dans le champ des recherches contemporaines, alors qu’à notre sens, un peu de travail sur votre réquisitoire (si vous ne connaissez pas encore bien Marx) vous mettrait rapidement en position de le faire vous-même – (encore une fois, il s’agirait de commencer à porter les premiers coups fatals... Ce serait suffisant, pas d’un traité d’érudition...).

4)  il est une question si incontournable pour le bon sens que vous invoquez dans ce réquisitoire que vous n’avez pas d’ailleurs hésité à la poser par la bouche de Monsieur Neurone :  la dernière. Or, encore une fois vous espérez emporter l’assentiment de vos lecteurs en éludant une réponse que vous avez pourtant déjà. Mais vous faites pire : non seulement vous ne répondez pas clairement cad techniquement à la question que vous mettez dans la bouche d’un juré (cf p 133 : Mais, “nous n’avons pas à expliquer ici comment une Cité ayant anéanti Largent en son sein pourrait continuer à changer avec les autres pays”.)  - et les raisons ultérieures que vous évoquez ne suffisent pas à le faire oublier - , mais une page plus loin, vous faites comme si vous aviez suffisamment répondu à une question que vous n’avez pas vraiment traité (cf p134 : “Non seulement nous avons vu qu’un pays développé pourrait le faire, puisque etc...”, Non, nous n’avons encore rien vu de cette possibilité. Et il est vraiment cavalier de le faire croire.

5) ce qui nous amène à la dernière réserve : la scénographie générale de votre réquisitoire a un grand avantage : elle rend votre démonstration vivante et vibrante d’actualité. Mais outre les faiblesses du contenu de votre démonstration évoquée plus haut, qui empêchent encore fortement les lecteurs que nous sommes d’accorder un crédit décisif à votre thèse, il y a une incohérence tactique qui a trait au ton même avec lequel vous vous adressez à maintes reprises aux jurés de ce tribunal citoyen improvisé  : comment voulez-vous convaincre qui que ce soit en le traitant si ouvertement et outrancièrement d’imbécile ?  En lui disant régulièrement que les questions qu’il pose sont soit ridicules, déraisonnables, ou en lui faisant régulièrement un procès d’intention ? (en le traitant de complice, de lâche, en étalant aussi fièrement votre mépris d’autodidacte à l’égard des savants, des diplômés, en reprochant à un questionneur de n’avoir pas suffisamment précisé sa question alors que vous ne lui en avez pas laissé une seconde les moyens (cf p 94 : “Vous oubliez de préciser etc...  ) Croyez-vous donc qu’avec un ton de suffisance aussi grossier, un manque de tact psychologique aussi élémentaire,  et des actes ponctuels d’une aussi mauvaise foi, vous ayez une  quelconque chance d’emporter un vrai assentiment sur un sujet et dans une situation aussi grave ? Pourquoi les questions de vos interlocuteurs se transforment-elles à ce point au fil de vos réponses en un vulgaire bêtisier de l’ignorance humaine ? On a jamais vu un avocat humilier un parterre de jurés et obtenir gain de cause. Du coup, la dimension comique de la mise en scène vire rapidement au ratage. C’est pourquoi nous vous demandons de bien méditer si le nom même de vos jurés, censés représenter chacun d’entre nous, est la solution la plus adaptée au but même que vous recherchez.

5bis) l’analyse des torts de la monnaie au moment où il s’agit de conclure fait aussi du tort à la qualité lyrique de ce moment terminal. Il s’agit de rassembler l’ensemble des points que vous avez marqués, pas de réembarquer votre lecteur dans une analyse. Ne pourrait-on pas découvrir ces analyses avant le moment de conclusion ?

Voici donc explicitement formulé tout ce qui fait notre embarras d’éditeur, et nous voudrions que vous compreniez bien que c’est parce que votre travail nous tient à vraiment à coeur que nous nous devons d’être aussi exigeants et directs avec vous eu égard à son enjeu.  Dans quelle mesure serez-vous prêt à tenir compte de toutes nos remarques et de notre situation, voilà la question que nous nous posons à présent. Mais il était incontournable de vous donner à voir à quelles conditions nous serions prêts à donner notre meilleur pour servir la publication de votre sublime travail.

En espérant que vous comprendrez nos raisons, et en vous remerciant quoiqu’il en soit de l’avenir, pour l’extraordinaire audace et ténacité de votre démarche,
Nous vous saluons tous très cordialement,

L.
Pour le comité de lecture des éditions ...

P.S. personnel cette fois :  savez-vous que l’abolition de toute forme de monnaie était une des mesures  préconisée par celle qui s’est faire appelée la “Mère”, la fondatrice d’Auroville, cette “ville de l’Aurore”, située à 5 kilomètres de Pondicherry, en Inde du Sud ? Que l’expérience a été tenté durant les toutes premières années de sa création, à partir de 1968, mais que la monnaie a été finalement réindroduite faute de solution depuis ?... (cf les textes : Mère parle d’Auroville).

Cela dit, si attentifs à votre juste critique des idéalistes de tous poils qui n’ont rien su changer au système d’organisation sociale depuis des millénaires, nous ne sommes pas convaincus, en tant que philosophes nous-mêmes, que le changement du système de l’échange seul suffirait à changer la société. Nous nous demandons s’il est encore temps de poser le problème à partir d’une telle dualité, comme Marx l’avait fait, lors même qu’il est devenu de plus en plus impossible d’un point de vue philosophique de dissocier l’humanité même de l’homme de son milieu technique associé  : l’homme EST son milieu technique. Voilà ce que démontre avec une force inégalée jusqu’alors tous les travaux de Bernard Stiegler aujourd’hui. Nous avons plutôt le sentiment que c’est le changement simultané et dialectique de l’homme en son intériorité inconnue et de son milieu technique qui générera progressivement cette victoire sur Largent. Car il est vrai qu’il faut déjà historiquement que, comme vous le dites si bien, “Largent soit mûr”, techniquement mûr (par l’informatique notamment) pour entrevoir sa fin possible. Mais cela n’est pour nous qu’une des conditions nécessaires à sa possible et nécessaire abolition. Et c’est certainement là, au delà de notre position d’éditeur cette fois, que réside depuis le début notre désaccord personnel de fond avec vous je crois. Contrairement au déterminisme social que vous invoquez à la suite de Marx pour refuser la primauté d’un nécessaire changement de la conscience humaine “avant” le changement de son milieu technique (alors que nous sommes toujours déjà dans un “pendant”, dans une simultanéité interactive des deux jusqu’à l’indivisible), nous avons une vision de ce qui fait le mécanisme de Largent qui implique une philosophie différente du rationalisme cartésien qui semble vous habiter (autorité du seul bon sens de la raison). C’est aussi, selon nous, (mais notre exigence d’éditeur serait déjà comblée si vous teniez compte de toutes nos remarques ci-dessus), ce qui fait la limite de votre démonstration : le refus de voir dans cette “croyance” qu’est Largent autre chose qu’une idée fausse que le milieu socio-technique aurait introduit de l’extérieur dans notre esprit “vierge” pour innocenter d’avance l’homme d’un quelconque pêché originel. Personnellement je ne suis ni chrétien, ni bouddhiste, ni freudien, mais il me semble que “Largent”, cette racine invisible de l’enfer monétaire” a beaucoup a voir avec l’inconscient, en tous cas une certaine zone de l’inconscient : le subconscient. Et qu’à mon sens, vous faites philosophiquement trop rapidement l’impasse sur tout ce qui s’est déjà dit de pertinent en psychanalyse sur l’étroitesse extrême des rapports entre l’énergie-argent et l’énergie de la libido. Et si le déracinement de Largent relève d’une conquête d’une certaine zone de l’inconscient, le problème pourrait alors être moins unilatéralement simple que ce que votre approche laisse entendre, bien que votre thèse représente, sur son propre plan d’analyse, une avancée théorique décisive selon nous dans la résolution du problème de l’injustice sociale.

Cher monsieur L.,

Une fois de plus, je suis impressionné par le soin que vous prenez à me répondre. Et je vous rassure tout de suite, votre maison d’édition est la plus ouverte et compréhensive que je connaisse grâce à vous. Vous m’avez trouvé, je ferai tout mon possible pour ne pas vous perdre.

Pour vous répondre, je commencerai par des remarques générales. Je ne sais pas quel est exactement votre problème, si vous n’avez pas les fonds pour publier le Réquisitoire ou si vous n’en avez pas assez pour le publier en plus d’autres ouvrages. Mais, d’après ce que vous m’avez dit, vous confirmez que tous ceux qui l’ont lu ont été impressionné. Vous le dites, et j’en ai la conviction, cet ouvrage est destiné à marquer d’un sceau indélébile une page de l’histoire non seulement de la pensée, mais de l’Humanité. Il y aura avant et après le Réquisitoire, le temps de l’inconscience face à Largent et celui de l’accusation. Mais le plus fort, c’est que le Réquisitoire n’est (c’est ainsi que je le conçois) qu’une bombe à neutrons. La théorie du Civisme, qui va suivre et qu’il ne me reste plus qu’à conclure, sera une bombe atomique. Or c’est précisément parce que la théorie du Civisme sera d’une puissance sans égale que j’ai écrit le Réquisitoire, plus philosophique et donc moins violent pour les esprits. Du reste, et c’est une autre de mes raisons, je pense qu’il est de l’intérêt de l’éditeur de publier deux livres plutôt qu’un, surtout que ces deux livres feront chacun un bruit que l’on ne peut sans doute pas encore imaginer. Si j’en juge par la longueur de votre réponse, le Réquisitoire suscite et déchaînera assurément le débat. C’est précisément son but. Car son but, n’est pas, ne peut pas et ne doit pas être (à mon sens) de répondre à toutes les questions qu’il amène, aussi légitimes soient-elles. J’ai été obligé d’opposé l’Egalité à Largent, mais il est impossible d’opposer la Carte civique à la monnaie sans entrer dans une foule de détails, alors hors de propos. En un mot, le Réquisitoire est censé ouvrir l’appétit, non apaiser la faim.

Je n’ai pas la prétention de vous apprendre votre travail, mais peut-on dire, d’après les réactions de vos collègues, que le Réquisitoire, avec ses qualités et ses défauts, fera parler de lui et de moi ? En bien ou en mal, peu importe. Et pensez-vous que ceux qui l’auront lu seront impatients de lire la suite ? Si oui, je ne vois pas où est le problème pour vous. Votre mission est de le diffuser et d’en tirer profit ; je me charge de mes détracteurs, et, croyez-moi, ils ne seront pas à la fête.

J’en viens maintenant à vos remarques. Je vous dirai tout d’abord que je suis bien entendu prêt à apporter toutes les modifications utiles que vous souhaiterez, tant qu’elles me paraîtront conformes à mes idées. Je crains cependant que vous n’exigiez de moi que je corrige des points qui suscitent de votre part des reproches souvent fondés sur des désaccords (mais doit-on être d’accord sur tout ?), des malentendus, des incompréhensions (soit de mes idées, soit de ma stratégie), des anticipations erronées, etc. Examinons donc vos remarques.

1) La première concerne le fait que je n’expose pas la solution que j’annonce. Vous dites que cela suscite une « frustration » chez le lecteur. C’est fait exprès. Vous dites encore qu’il s’agit-là d’une « incohérence dans le cadre même d'une démonstration de la nocivité absolue de Largent. » Vous ajoutez que, dans ces conditions, « aucun d'entre nous n'a le sentiment qu'il détient le pouvoir effectif de condamner Largent. » Mais le Réquisitoire, seul, n’a pas la prétention de convaincre tout un chacun qu’il faut condamner Largent. Comme je vous l’ai dit, le but est uniquement de susciter la réflexion, d’inspirer le doute, de déchirer un tabou. Le Réquisitoire est un livre. Il n’y a pas de tribunal jugeant réellement Largent. Aucun livre ne le terrassera. Mais des livres peuvent amener les hommes à prendre conscience qu’il est leur ennemi. Dans cette optique, le Réquisitoire est un premier pas. Je suis du reste le premier à savoir et à dire que, tant que les hommes ne sauront pas par quoi remplacer la monnaie, ils n’oseront pas y toucher. Mais le Réquisitoire est le prélude à la théorie du Civisme. Ces deux ouvrages sont complémentaires mais ne doivent pas être confondus. Ce n’est qu’après la lecture de la théorie du Civisme que tout ce qui paraît flou dans le Réquisitoire apparaîtra soudain clair comme de l’eau de roche. J’insiste : le flou et les manques ne sont qu’une impression. Le Réquisitoire est bien plus complet que vous ne croyez ; tout est déjà dedans. Pour prendre une image : tout est écrit, il ne reste au lecteur qu’à savoir lire, et ce n’est pas le rôle de cet ouvrage de lui apprendre.

Une chose m’étonne cependant et me convainc en même temps : je vous ai déjà exposé la solution de la Carte civique qui traduit dans les faits le Principe selon lequel des individus qui participent à la vie de la Cité sont Citoyens et doivent, en tant que tels, pouvoir accéder au marché. Vous savez donc que des Principes aux solutions il n’y a qu’un pas. Car, enfin, il n’est pas difficile, a priori, d’après le Principe posé, de concevoir la Carte civique. Or il en est de même pour tous les Principes. Mais les demandes d’explication m’inclinent à penser qu’il n’est pas si évident que je le crois de passer des Principes aux solutions concrètes. La question est donc de savoir si je dois céder ici aux demandes d’explication qui, ne pouvant aller qu’en se multipliant, me feront sortir de mon propos d’ordre philosophique, ou renvoyer, comme je le fais, le lecteur à l’ouvrage suivant et qui, cette fois, laissera de côté le côté philosophique pour se consacrer essentiellement aux aspects pratiques de l’Egalité. En un mot, un auteur doit-il suivre les lecteurs ou doit-il amener les lecteurs à le suivre ?

« On peut bien sûr le condamner théoriquement et moralement autant qu'on voudra » — Ne serait-ce pas un résultat déjà extraordinaire ? Si les hommes condamnent Largent dans leur esprit, combien de temps croyez-vous qu’il survivra dans les faits ? Ne soyez donc pas impatient ! On ne terrassera pas Largent en deux jours.

« ce n'est qu'à partir de cette révélation du caractère technique de la solution que nous pourrons être définitivement convaincus qu'il ne s'agit pas d'une utopie de plus, à jamais inefficace, mais que le changement d'organisation sociale ne relève plus désormais que d'une réelle volonté politique de chaque citoyen. » — Certes, mais vous savez que cette théorie existe, je vous en ai déjà livré la clé et je serai bientôt en mesure de vous la présenter tout entière.

« Il en découle qu’il faudrait à nos yeux impérativement introduire l’exposition de cette clé dès ce réquisitoire, et bien davantage que du bout des lèvres ». — En clair, vous voudriez que je transforme le Réquisitoire en théorie du Civisme. Cela n’a pas de sens puisque cette théorie que vous voudriez que j’écrive est déjà écrite. Je vous la présenterai d’ici peu. La vraie question est donc de savoir si le Réquisitoire est en soi révolutionnaire et vous intéresse ou non. Qu’il ne réponde pas à toutes vos attentes est une chose ; qu’il ne puisse être publié en l’état en est une autre. Vu le désert d’idées dans lequel nous errons, il ne peut qu’attirer l’attention même s’il n’emporte pas les adhésions. Son titre seul sonne comme le tocsin.

« La victoire de l’avocat à charge doit donc pour nous se payer à cette première condition supplémentaire qui impliquerait une augmentation de son nombre de pages, et une remise en question de votre idée du tryptique, à notre avis impubliable en tant que tel. » — Contrairement à ce que vous semblez croire, le Réquisitoire n’est pas un livre ordinaire. On le ferme quand on l’a lu, mais on ne peut oublier ce qu’on a lu. D’ailleurs, les jurés ne se prononcent pas. Le procès n’est pas clos à la fin du Réquisitoire. La question de la culpabilité de Largent reste en fait en suspens. Un lecteur peut bien se précipiter et se prononcer pour la vie, mais la question reste ouverte. Si ces premiers arguments n’ont pas emporté sa conviction, ils n’en ont pas moins instauré le doute dans son esprit. Le jour où il aura d’autres éléments, il ne balancera plus.

Quant à la trilogie, à vrai dire, j’ai laissé de côté, pour le moment, ma théorie de la Propriété (dans laquelle je traite la question des moyens de production).

2) Votre seconde remarque concerne les moyens de production. Vous voudriez que j’explique à qui ils appartiendront afin que j’oppose une vision des choses à celle de Marx. Vous aurez pourtant remarqué que je ne cherche pas et que j’évite même d’ouvrir des polémiques avec d’autres auteurs. J’expose ma vision des choses sans me laisser perturber, sans entrer dans des débats parasites. Le Civisme (sous sa forme philosophique dans le Réquisitoire) n’est pas une réaction au capitalisme encore moins au marxisme. S’opposer, c’est entrer dans la logique de l’autre. Ce n’est pas ainsi que je suis parvenu aux idées dont vous constatez la nouveauté et la radicalité. Je suis parti d’une réflexion sur l’argent (parce que j’en était prisonnier comme tout le monde) et tout a basculé quand j’ai compris que des Citoyens avaient des Droits, dont celui d’accéder au marché, parce qu’ils sont Citoyens. Ma démarche a dès lors consisté à tirer et à exposer les conséquences philosophiques et pratiques de ce Principe. Contrairement au Réquisitoire contre Largent, qui est un ouvrage tactique, il n’est fait quasiment aucune référence à Largent dans la théorie du Civisme.

Cette remarque montre deux choses : 1) que vous êtes encore trop conditionné par vos lectures, les idées actuelle ou, de manière plus large, par notre contexte, 2) que, de ce fait, vous n’arrivez pas toujours à entrer dans la logique de la Cité, même quand les choses sont évidentes ou dites clairement. Ainsi, si je ne parle pas de la propriété des moyens de production dans la Cité, c’est qu’elle n’a aucune importance. Seule la Citoyenneté confèrera des Droits dans la Cité et tous les Citoyens pourront potentiellement accéder aux moyens de production. On ne peut donc pas craindre que les propriétés confèrent de la puissance à certains, comme c’est le cas aujourd’hui. En outre, Travailler sera un Devoir envers la Cité qui seule permettra que l’on Travaille, et donc que l’on accède à des moyens de production (sol, machines, etc.). Les moyens de production n’appartiendront pas à des Citoyens à titre privé, mais aux entreprises, et seront remis sur le marché en cas de faillite. De plus, du point de vue de la Cité, une entreprise sera l’ensemble de ses employés. D’où ce passage du Réquisitoire : « Les employés d’une entreprise seraient collectivement responsables de ses résultats aux yeux de la Cité. (note 47 : Des Travailleurs indépendants auraient des résultats à atteindre et seraient personnellement contrôlés par la Cité. Mais le Travail personnel de Citoyens regroupés dans une entreprise serait incontrôlable par la Cité. Celle-ci ne pourrait contrôler que les résultats de l’entreprise dans son ensemble, chaque employé en étant un représentant.) » Je peux donc, si vous y tenez, et si vous m’indiquez où, rajouter un mot sur les moyens de production, mais vous voyez qu’en raisonnant deux minutes sur le sujet on en arrive à se demander pourquoi on s’est posé cette question futile.

« vos notes en bas de page de votre article laisse entendre que c’est l’Etat qui imposerait des quotas de vente aux patrons. » — Cette remarque me donne l’occasion de signaler une confusion que vous faites régulièrement entre la Cité et l’Etat. La Cité n’est pas l’Etat. C’est, au départ, l’ensemble des Citoyens. Mais le terme « Cité » peut aussi désigner l’Etat (cad le Gouvernement et/ou les instances dirigeantes nationales), ou les institutions qui dans certains cas « représentent » la Cité d’un point de vue individuel, ou encore un Citoyen. En l’occurrence, dans le passage que vous évoquez, la Cité ne sera pas l’Etat, mais des institutions économiques qui n’existent pas aujourd’hui et qu’il serait trop long de vous présenter ici.

3) « Pourquoi, dans votre stratégie polémique, ne jamais situer directement et clairement votre théorie de l’égalité par rapport à la doctrine marxiste, alors que nombre de fondements de vos analyses sont des radicalisations extrêmes du Capital ? » — J’ai déjà répondu en partie à cette question. Je vous ai donné ma raison fondamentale. Une autre raison est que je connais mal Marx. Il ne m’a pas inspiré et je ne peux pas le critiquer. J’avoue d’ailleurs être heureux de ne pas l’avoir lu. Il m’aurait sans doute égaré. Mais, quand bien même je le lirais maintenant (et que c’est dur à lire !), je ne me livrerai pas davantage à une critique, tant il y aurait de choses à dire. Du reste, je ne vois pas bien l’intérêt d’une telle critique. Elle alourdirait mon discours sans rien n’apporter à ceux qui ne l’ont pas lu. Et ceux qui l’ont lu n’ont pas besoin de moi pour voir d’emblée tout ce qui nous sépare. Je suis du reste persuadé qu’une fois le Réquisitoire publié, d’autres auteurs se chargeront de comparer nos théories et le feront mieux que moi.

« Nous estimons donc qu’une entrée en scène à hauteur de l’histoire de votre idée révolutionnaire ne peut faire l’économie (si je puis dire) d’une confrontation explicite avec Marx » — Je pense à une autre solution : pourquoi quelqu’un (vous ?) n’écrirait-il pas une préface ou une introduction au Réquisitoire qui, sans en trahir l’esprit, aborderait les points que vous soulevez et les réponses que je fais, un texte qui montrerait les pièges dans lequel un lecteur tombe par précipitation et le mettrait donc en garde, un texte qui signalerait que le Réquisitoire est seulement un début et qu’il y aura bien une suite encore plus époustouflante ?

« Et je dirai que, eu égard à la gravité de la situation, toute la tradition des penseurs révolutionnaires contemporains issus de la révolution française sont coincés par l’ombre de Marx. » — Vous voyez ! Vous ne pouvez pas d’un côté déplorer que les penseurs « révolutionnaires » soient coincés par Marx, d’un autre me reprocher de ne pas l’évoquer, alors que c’est précisément parce que je ne l’ai pas lu et ne me suis pas fait coincer par lui que je ne l’évoque pas.

« ce que vous devez honnêtement à l’héritage de Marx » « vous n’avez dépassé Marx qu’en l’intégrant » Je vous avoue que je ne crois pas lui devoir quelque chose. Je ne sais même pas ce qu’il prônait. Si je dois quelque chose à quelqu’un, ce n’est donc pas à Marx, mais à Marat, à Saint-Just et surtout à Robespierre (le vrai, pas celui de la légende). C’est lui qui m’a appris à raisonner, à poser des Principes avant tout autres considérations. C’est à la Révolution française que je dois tout ou presque. C’est à elle, plus exactement à un texte de Barnave, que Marx doit peut-être lui aussi le concept de déterminisme historique.

4)  Sur la question des échanges internationaux (je viens de terminer le chapitre consacré à ce sujet dans la théorie du Civisme), je vous assure, une fois de plus, que le Principe posé répond amplement à la question. Il est dit : « 1) Il n’y a aucune raison pour qu’un corps social purgé de Largent ne puisse pas évoluer aussi bien dans un monde monétaire qu’un individu, ayant un corps physique, plongé dans une « Société » monétaire ; 2) Les pays étant interdépendants, une Cité aurait autant besoin d’échanger avec les autres pays qu’eux avec elle. La question ne se poserait donc pas seulement du point de vue de la Cité, mais également du point de vue des pays monétaires. Autrement dit, l’intérêt de trouver une solution serait partagé par tous et, dès lors, une solution serait trouvée à coup sûr. » Vous me dites que cela ou rien, c’est pareil. Il vous faut une explication technique. Mais, si je vous disais que la Cité pourra exporter et constituer ainsi un budget qui lui permettra de payer ses importations, comme le fait un individu qui vend ses productions ou son travail pour gagner de l’argent et pouvoir se payer ensuite ce qu’il peut, qu’aurais-je dis de plus ? cela suffirait-il à vous éclairer ? Maintenant, si vous voulez plus de détails (qui va garder l’argent, etc.), ils sont dans la théorie du Civisme et n’ont rien à faire, à mon sens, dans le Réquisitoire.

5) Votre avant dernière remarque concerne le ton de l’accusateur public et le nom des jurés. Ce point est sans doute celui que je pourrais corriger le plus facilement. Je dois cependant vous dire qu’il y a un malentendu. Il est logique que le lecteur se prenne a priori pour un des jurés qui posent les questions qu’il aurait posées, et qu’il se sente donc malmené. Mais, dans mon esprit, le lecteur est un spectateur ou doit vouloir prendre la place de l’accusateur (ce que chacun fera quand il connaîtra la théorie du Civisme). Tout est fait pour qu’il ne se reconnaisse pas dans les jurés (d’où leurs noms improbables) ou du moins pour qu’il prenne du recul par rapport aux questions qu’ils posent et dont l’accusateur admet la légitimité tout en en démontrant la bêtise, le ridicule et, en dernière analyse, l’influence de Largent. Le lecteur n’est pas impliqué dans le procès, même s’il est implicitement appelé à se prononcer lui aussi. Voilà comment je vois les choses. Je comprends cependant qu’un capitaliste se sente agressé et mis à nu par le discours de l’accusateur public, mais n’est-ce pas le but ? Et puis, au-delà de l’impression du moment, il serait peut-être bon de savoir quel regard jette sur Largent les ex-lecteurs du Réquisitoire. S’opère-t-il en eux l’effet que je recherche ou sont-ils définitivement bloqués et acquis à Largent ? C’est de la réponse à cette question que devrait dépendre les modifications que vous suggérez.

Maintenant, si vous tenez absolument à ce que je modifie des passages et que je change les noms, il faudrait que vous me signaliez les premiers et que vous m’inspiriez pour les seconds.

6) 5bis) Enfin, ma conclusion. Vous avez raison, j’entreprends en quelque sorte une nouvelle analyse, je rassemble non pas les diverses réponses faites aux jurés mais tout ce qu’il y a à savoir sur Largent pour pouvoir le condamner moralement. Il y a des choses que je ne pouvais pas dire en introduction et d’autres que je n’ai pu glisser dans les réponses aux jurés. Or ils posent les questions qui viennent naturellement à l’esprit de tout un chacun et qui sont généralement inspirées ou font suite à ce que l’accusateur vient de dire. Il est dès lors difficile d’ajouter d’autres questions ou d’insérer de nouvelles idées dans les réponses. Cela dit, en survolant la conclusion, je ne vois pas bien à quelles analyses inédites vous faites allusion. Là encore, il faudrait que vous me conseilliez. Il serait d’ailleurs peut-être bon que je rencontre enfin quelqu’un en chair et en os.

Voilà, je ne sais pas si j’ai répondu à vos attentes. Je peux faire encore des efforts sur certains points. Il faudrait voir cela ensemble. A vous de voir néanmoins si vous n’en exigez pas trop de moi, notamment parce que vous savez que le Réquisitoire n’est qu’une mise en bouche. Car, imaginez que je n’ai pas de solution concrète, comme la plupart des auteurs, dont Marx lui-même ; cela enlèverait-il pour autant à l’intérêt philosophique du Réquisitoire ? Enfin, je vous rappelle une idée qui suffirait à satisfaire plusieurs de vos remarques, celle d’une introduction ou d’une préface.

Très cordialement,

Philippe Landeux

P.-S. : Je me suis justement intéressé à Auroville il y a peu de temps. Ce n’est pas franchement un succès, c’est même un échec, et l’idée de départ n’avait du reste rien à voir avec la Cité. Comme je l’explique, la monnaie ne peut être supprimée que si elle est remplacée par un moyen d’échange reposant sur les Principes de l’ordre social et qui plus est sur une grande échelle (au moins à un niveau national) et à une époque maîtrisant l’informatique et la production de masse.

Vous revenez enfin sur la fameuse question de savoir si l’Homme doit changer « en son intériorité inconnue » avant ou en même temps que son contexte. Je vous avoue que je ne comprends pas ce que cela veut dire, ce que cela implique, ni comment cela pourrait se faire. Vous dites : l’Homme doit changer. D’accord, mais qui, quoi, comment, dans quel sens ? et quel résultat pratique cela aurait-il en théorie ? et à qui revient-il de dire ce qu’il doit changer en lui pour qu’enfin il ait le droit de s’en prendre à Largent ? Et s’il avait l’opportunité d’anéantir Largent avant que soit intervenu ce fameux changement, devrait-il la saisir selon vous ?

« il me semble que “Largent”, cette racine invisible de l’enfer monétaire” a beaucoup a voir avec l’inconscient » Voulez-vous dire par-là qu’il répond à un besoin inconscient. Je crois moi que c’est parce qu’il est là (en tant que monnaie) qu’il devient un moyen de satisfaire lesdits besoins, dont certains sont d’ailleurs suscité par Largent ou le système monétaire lui-même. C’est un peu comme les grosses voitures. Certains ont inconsciemment besoin d’une grosse voiture, mais ce n’est pas pour satisfaire leur besoin inconscient (et naturel, cad ancré depuis toujours en l’Homme) que de grosses voitures existent aujourd’hui, mais parce qu’on sait les fabriquer. Je crois aussi que ce genre d’argument est le fait de gens qui, faute de savoir comment combattre Largent, l’ont intégré et justifié. Il est d’ailleurs facile de faire passer Largent pour un besoin inconscient, puisque c’est une croyance. Cela dit, je lirais volontiers des ouvrages sur le sujet si vous m’en indiquez.

« ce qui fait la limite de votre démonstration : le refus de voir dans cette “croyance” qu’est Largent autre chose qu’une idée fausse que le milieu socio-technique aurait introduit de l’extérieur dans notre esprit “vierge” pour innocenter d’avance l’homme d’un quelconque pêché originel. » J’ai dit ça, moi ? Je dis que Largent, cette croyance, est né du troc. Je n’ai jamais parlé, sous un non ou un autre, d’un quelconque pêché originel ! Largent n’a pas de but, même s’il a des effets. [L’erreur est justement de croire que, parce qu’il a des effets, son existence à un but. Non ! Il existe bien pour une raison (l’impossibilité d’échanger autrement que par troc à un certain moment de l’évolution humaine), mais il n’a pas de but, c’est-à-dire qu’il ne répond pas à un besoin psychologique.]

22 février 2008

Cher Monsieur L.,

Excusez-moi de vous écrire avant d’avoir reçu une réponse de votre part, mais, comme vous pouvez l’imaginer, je n’ai cessé de lire et relire votre courrier et le mien, que je voudrais compléter.  

Sur la propriété privée des moyens de production, voici trois autres passages du Réquisitoire :

 « autant les Principes de l’ordre social contestent aux Citoyens la Propriété de leur production qui résulte de l’accomplissement d’un Devoir envers la Cité, autant être propriétaire de sa production est d’une nécessité absolue dans un système d’échange par troc, puisque les individus doivent posséder ce qu’ils échangent. » (p. 23) Faut-il ajouter que la propriété de ce que l’on produit va de pair avec la propriété des moyens de produire, que l’une n’a pas de sens sans l’autre, et vice versa, que la propriété privée des moyens de production n’a donc pas de sens si les Citoyens ne sont pas propriétaires de leur propre production ?

 « Précisons enfin que l’Egalité ne proscrit pas la Propriété et que, quoique tous les Citoyens aient le même Droit d’accéder aux biens présents sur le marché, ces biens deviennent les propriétés privées de ceux qui ont exercé leur Droit et les ont retirés du marché. La reconnaissance du Droit (particulier) de posséder des biens [Note : Le Droit de propriété ne porte pas sur tout et n’importe quoi. Découlant de l’exercice du Droit d’accès, qui lui-même résulte du Devoir de participer à la vie de la Cité, il ne peut porter que sur les fruits collectifs du Devoir en question, autrement dit sur des produits.] est essentielle, car c’est principalement au travers de ce Droit que les Citoyens jouissent en pratique du Droit (fondamental) de profiter des bienfaits de la Cité. » (p. 64) La note condamne la propriété des ressources naturelles (non produits) mais aussi la notion de propriété intellectuelle (immatérielle, donc impossible à posséder) à laquelle je substitue, dans ma théorie de la Propriété, le concept de paternité. Mais ce passage rappelle également que les Citoyens sont égaux dans le Droit d’accéder au marché, donc aux moyens de production destinés par nature à un usage collectif. Quel est dès lors l’intérêt, pour un Citoyen, de posséder à titre privé de tels biens que n’importe qui ou n’importe quel employé peut se procurer ? Celui qui les acquiert ne fait, pour ainsi dire, que rendre service aux autres. Il serait théoriquement possible de posséder à titre privé les moyens de production, mais cela n’aurait aucun sens. Du reste, il existera des catégories de biens auxquels les Citoyens ne pourront accéder à titre privé, mais seulement par le biais de leur entreprise qui en sera donc propriétaire.

 « Les chefs d’entreprises seraient toujours chefs, mais ils ne seraient plus seuls responsables, puisque pour la Cité l’entreprise ne serait plus incarnée par eux seuls, mais par tous les employés, eux compris. » (p. 77) En clair, l’entreprise serait l’ensemble des Citoyens. Les moyens de production appartiendraient donc à tous les employés, ou du moins à l’entreprise en tant que personne morale, mais non à une personne privée.

Comme je vous l’avais dit, on trouve tout dans le Réquisitoire. Je ne sais pas s’il est pertinent d’être toujours explicite, comme vous me le demandez, ou si, au contraire, il est bon d’être parfois subtil, quitte à être critiqué, auquel cas, celui qui prête le flanc n’est pas celui qu’on croit.

Si vous le permettez, j’aimerais vous citer quelques passages de l’art de la guerre de Sun Tzu : « Ainsi ceux qui s’entendent à provoquer un mouvement de l’ennemi y réussissent en créant une situation à laquelle celui-ci doit se plier ; ils l’attirent par l’appât d’une prise assurée et, tout en lui faisant miroiter une apparence de profit, ils l’attendent en force. » « Ceux qui sont experts dans l’art militaire font venir l’ennemi sur le champ de bataille et ne s’y laissent pas emmené par lui. Celui qui est capable de faire venir l’ennemi de son plein gré y parvient en lui offrant quelque avantage. »

C’est, je crois, la tactique que j’ai adoptée naturellement. Comme vous l’avez remarqué, mes idées sont puissantes, mais mon Réquisitoire semble présenter des faiblesses (et il en a de réelles sur la forme, mais qu’importe ?). D’autres tomberont dans ce piège. Ils péroreront. Je laisserai faire. Ils s’énerveront de plus belle. Ils mordront dans le vide à se casser les dents. Ce faisant, ils me feront la meilleure publicité. Et, quand la théorie du Civisme paraîtra, ils seront anéantis. La lutte ne sera pas terminée pour autant, mais j’aurai l’avantage et ils seront en position de défense, alors même qu’ils n’auront rien à défendre, car que pourront-ils bien défendre sans se discréditer eux-mêmes ? Le capitalisme, l’inégalité ? 

Il est donc important que l’attaque ait lieu en deux temps, d’où mon hostilité à l’idée que vous avez naguère évoquée d’un ouvrage rassemblant le Réquisitoire et la théorie du Civisme, et plus encore à celle de ne faire paraître que cette dernière.

Une dernière raison pour laquelle je n’ai pas parlé ouvertement de la propriété privée des moyens de production, à laquelle Marx ou en tout cas les communistes opposaient la propriété d’Etat, c’est que je ne voulais pas entrer dans ce débat soulever par les communistes et être confondu avec eux. Car, à force de se défendre de ressembler à quelqu’un, les autres croient que vous vous en défendez parce que précisément vous lui ressemblez. On peut aussi dire qu’à force de faire référence à quelqu’un, c’est vous qui faites de lui une référence et les autres croient que c’est secrètement votre idole.

Sur Marx :

Je vous ai déjà donné des raisons de mon silence à son sujet. J’en ai apporté une nouvelle ci-dessus. Dans la même lignée, je vous dirais que la meilleure façon d’enterrer Marx est de l’ignorer. J’ai bien entendu ce que vous avez dit, vous voulez que je fasse avec lui ce que la Carte civique fera avec la monnaie, l’anéantissement par le remplacement. Mais je ne suis pas aussi sûr que vous de la place que Marx occupe actuellement. Vous êtes les premiers à me parler de lui. Prendre l’initiative d’en parler pour désamorcer les critiques que pourraient faire quelques intellectuels au risque d’entrer dans une polémique qui n’intéressera pas la plupart des lecteurs ne me semble pas a priori judicieux, car ce ne serait peut-être pas sans effets pervers. Inversement, je vois mal qui pourrait invoquer Marx (avec tout ce que son nom évoque, à tort ou à raison) contre moi et se discréditer lui-même.

Dans votre message, vous me disiez qu’il ne s’agissait pas de le pourfendre par narcissisme ou gloriole. Mais pourra-t-on s’empêcher de m’imputer de telles arrières pensées ? Alors que, si je ne parle pas de lui, il sera quand même pourfendu et on ne pourra pas me reprocher d’avoir frappé un homme à terre.

Quand, dans ma réponse, j’ai cité mes références, j’ai oublié Rousseau. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le Contrat social est l’ouvrage qui m’a le plus inspiré, comme il fut la principale source d’inspiration des grands révolutionnaires français. Or, dans ce livre qui a marqué l’histoire, Rousseau expose ses conceptions sans tenir compte, sans critiquer ce que d’autres (Hobbes, par exemple) avaient dit avant lui. Il n’en est pas moins le plus connu des philosophes du XVIIIe. J’en arrive donc encore à me demander si pour supplanter Marx je dois impérativement, comme vous me le conseillez, le tuer moi-même en m’en prenant ouvertement à lui.

Je n’ai d’ailleurs pas compris si parler de lui était pour vous un conseil ou une condition. Voici, en attendant une précision, des solutions auxquelles j’ai pensé. La première, je vous l’ai déjà exposée, serait celle d’une préface dans laquelle l’auteur ferait lui-même des comparaisons, de sorte que Marx serait bien évoqué, mais pas par moi. La seconde serait que vous qui connaissez sans doute mieux Marx que moi me proposiez une question qu’un juré pourrait poser, laquelle présenterait en quelques mots clés, sans même citer Marx, ses idées centrales. Ce clin d’œil satisferait à la fois ceux qui le connaissent et ceux qui n’en ont rien à faire.

Très cordialement,

Philippe Landeux