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lundi, 14 mars 2011

PRINCIPES UNIVERSELS DE L’ORDRE SOCIAL

OU

LES BASES DE LA SOCIETE A USAGE UNIVERSEL

 


I. De la Société
II. Sécurité & universalisme
III. De l’Egalité
IV. De la Liberté
V. Participer à la vie de la Cité / Profiter des bienfaits de la Cité
VI. De la Propriété
VII. Des lois & de la Démocratie
VIII. Citoyenneté / Nationalité
IX. Gouvernement & régime politique
X. Définitions & conclusion



Tous les Principes de l’ordre social sont bafoués. Cela est inévitable dans un système monétaire (1). Mais, aujourd’hui, le désordre est encore aggravé par la perte du simple bon sens, ce bon sens populaire exprimé par les adages ancestraux. Certains ne jurent plus que par l’argent, d’autres par l’Humanité virtuelle ou l’Homme désincarné. Que le commun des mortels déraisonne passe encore ! Mais que l’aberration soit dans les lois elles-mêmes est pire que tout !
 

Il est temps de remettre un peu d’ordre dans les idées, en commençant par les idées élémentaires : Qu’est-ce qu’une Société ? Qu’est-ce qu’un Citoyen ? Qu’est-ce qu’un droit ? Un devoir ? Quels sont les Principes fondamentaux de l’ordre social ? Qu’est-ce qu’une loi ? Un législateur qui ne maîtriserait pas ces notions serait un charlatan tyrannique : non content de déblatérer en permanence, il condamnerait les autres à le suivre dans son délire et à être les instruments de leur perte. Quelque sujet de société que l’on traite, force est de reconnaître que ces notions sont aussi incontournables que les chiffres, les lettres, les notes ou les couleurs pour calculer, écrire, faire de la musique ou peindre, et que quiconque expose en la matière des conclusions qui supposent leur ignorance ou leur négation, conclusions qui sont donc fondées sur des sophismes et non sur les Principes, est un prodige de bêtise ou d’hypocrisie, dans tous les cas un fléau social.


I. De la Société

Qu’est-ce donc qu’une Société digne de ce nom ? (Il faut bien préciser « digne de ce nom » pour ne pas prendre pour tel ce que l’on désigne ainsi aujourd’hui et que l’on qualifie parfois de « société individualiste ».)

Le mieux, pour comprendre ce qu’est une Société, est de commencer par se demander ce qu’est son contraire : l’absence de Société, le règne de la solitude, du plus fort et du chacun pour soi, ce que les philosophes ont appelé l’état de Nature. Quoi que soit une Société, il va de soi que des individus qui n’en forment une sous aucun rapport vivent chacun de leur côté, s’assument seuls, ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour se nourrir et se défendre, n’ont de compte à rendre à personne, ne sont à l’abri de rien, peuvent faire tout ce qu’une force supérieure ne les empêche pas, autrement dit pas grand chose ; ils ont de nombreuses obligations, mais aucune assurance, aucun droit ; le prix de leur liberté illusoire est d’être en permanence en danger et sans cesse aux aguets. Les raisons qui poussent des individus à s’unir pour échapper à l’état de Nature sont donc aussi évidentes que les avantages qu’ils cherchent à retirer des Sociétés qu’ils constituent.


Première remarque : Si des individus se constituent en Société, les Sociétés ne sont constituées que des individus qui ont fait le choix de s’unir. Ensuite, lorsqu’une Société est constituée, ne peuvent l’intégrer que les individus désireux de le faire et acceptés par ceux qui en font déjà partie. Ainsi, une Société est constituée d’individus d’une même espèce animale (voir la deuxième remarque) mais ne comprend pas nécessairement tous les individus de cette espèce. D’ailleurs, plus les individus de cette espèce sont nombreux, éparpillés et fatalement différents sous divers rapports moins le cas d’une Société unique est probable, et on peut même dire que, sans ennemi commun universel provenant d’un espace externe, il est impossible, car l’union est moins le fruit de la volonté que celui de la nécessité. Un ensemble se définit par opposition ; sans opposition, sans raison supérieure d’occulter les différences, il se divise. Il peut même, quand l’égoïsme l’emporte sur l’intelligence, être divisé alors que l’union s’impose.


Deuxième remarque : La Société proscrit certains rapports entre ses membres, mais elle ne peut réunir des individus par trop dissemblables et aux intérêts opposés. Un prédateur ne peut pas s’unir avec sa proie, et vice versa. Or les individus d’une espèce sont naturellement et inévitablement dans l’une ou l’autre de ces positions vis-à-vis des individus des autres espèces. Au mieux n’y a-t-il entre eux qu’indifférence tant qu’ils ne sont pas en concurrence. Inversement, la Société oblige ses membres à collaborer pour satisfaire leurs besoins vitaux : se nourrir, se défendre. L’union n’a donc de sens qu’entre individus se nourrissant des mêmes choses et exposés aux mêmes dangers. Si l’on ajoute le besoin de se reproduire, qui ne peut être assouvi qu’avec des individus de son espèce (génétiquement compatibles), voire de la même race (vivant à proximité et dotés des bons appâts de séduction), et si l’on observe que la famille est la plus petite forme de Société, il est indiscutable que les Sociétés ne peuvent être constituées, au début, que d’individus de la même race et, dans tous les cas, appartenant à la même espèce. (2)


Troisième remarque : Dans l’état de Nature règne la loi du plus fort. C’est donc pour être moins faibles que les individus unissent leurs forces. Une Société est une force collective destinée à soutenir les rapports de force avec le reste du monde. Cette force collective peut être employée à tort ou à raison, par intérêt objectif ou mauvais calcul, pour se défendre ou attaquer, pour bâtir ou détruire ; elle peut être contenue, surpassée, écrasée, mais il ne sert à rien, aux faibles, de la dénoncer au lieu de se renforcer et de la combattre, et, aux forts, de la condamner après l’avoir vaincue, puisque seule la force fait loi et que la victoire a déjà tranché.


Quatrième remarque : Les individus se constituent en Société pour échapper à l’état de Nature. Il s’établit donc entre eux de nouveaux rapports, mais eux et leur Société sont toujours dans l’état de Nature vis-à-vis de tout ce qui les entoure. Ainsi, tant que les individus d’une même espèce ne constituent pas une seule Société, les diverses Sociétés sont entre elles dans l’état de Nature : les faibles agissent avec prudence faute de mieux, les fortes et celles qui se croient telles agissent en maîtres, bons ou mauvais. Même une Société unique serait encore dans l’état de Nature vis-à-vis du reste de la nature. Les rapports que des hommes établissent entre eux ne concernent qu’eux ! Les Sociétés et l’appartenance à une Société n’arrêtent pas les agressions isolées ou massives des autres animaux et n’empêchent pas les éléments de se déchaîner.


Cinquième remarque : Le plus grand inconvénient de l’état de Nature est d’être en permanence en danger de mort, ce qui, pour des êtres vivants, n’est pas la moindre des choses. Il s’ensuit que le plus grand bienfait que des individus recherchent en se constituant en Société est, non pas l’immortalité, mais une plus grande sécurité. On peut donc dire que des individus se constituent en Société par instinct de conservation.


Sixième remarque : Dans l’état de Nature règne la force. Il s’ensuit que les rapports entre individus appartenant à une même Société ne reposent pas sur la force, mais sur ce que les hommes appellent le droit, c’est-à-dire sur des conventions au moins tacites que tous les membres de la Société reconnaissent, respectent et garantissent. L’état de droit est le contraire de l’état de Nature. Or nous avons vu qu’une Société est dans l’état de Nature vis-à-vis de tout ce qui l’entoure. Le droit international est donc illusoire : c’est une belle fiction qui ne résiste pas aux coups de force. Chassez le naturel…

Ces remarques permettent de cerner ce qu’est une Société, mais pas de la définir convenablement. (C’est l’erreur des philosophes du XVIIIe siècle, et de Rousseau en particulier, d’avoir procédé ainsi mais de s’être arrêtés à ce stade.) Pour ce faire, il faut pousser plus avant la réflexion, lire entre les lignes et tirer toutes les conséquences logiques de l’union vitale, c’est-à-dire de l’association politique.


II. Sécurité & universalisme

Si des individus se constituent en Société pour accroître leur sécurité, la Société a le devoir de les protéger afin que la Sécurité leur soit garantie en tant que droit. Cette Sécurité qui consiste à ne pas être agressé par d’autres membres et à être défendu contre des ennemis extérieurs est à la mesure des moyens de la Société.
Conséquences :

1) La Sécurité est un droit fondamental et le premier des droits.   

2) Les droits fondamentaux découlent de l’acte d’association politique et sont invariables d’une Société à une autre (c’est uniquement dans ce sens qu’ils sont universels), puisque toutes les Sociétés ont la même raison d’être.   

3) Il appartient à chaque Société de garantir et d’étendre la portée des droits de ses membres.

4) L’étendue d’un droit — sa garantie et ses déclinaisons — est fonction de l’espèce des individus et des capacités de la Société, donc aussi de l’époque en ce qui concerne les hommes.

5) Les Principes de l’ordre social sont universels, mais leur application est locale, nationale.

6) Les droits reconnus et garantis à l’intérieur d’une Société sont nuls et non avenus à l’extérieur, ou du moins illusoires.

7) Il n’y a de droits qu’en Société, puisqu’elle seule peut en reconnaître et les garantir.


III. De l’Egalité

Maintenant, puisque la Société doit garantir la Sécurité de ses membres, et vu qu’elle se confond avec eux, c’est en définitive à eux, les membres, les Citoyens, de la garantir.
Conséquences :


8) La Sécurité d’un Citoyen est le fait, non de ses moyens de défense personnels, mais de la protection que ses Concitoyens lui assurent.

9) Les Citoyens n’ont le devoir de protéger que les individus qui se sentent la même obligation envers eux.

10) La Sécurité individuelle et collective est une conséquence du devoir que les Citoyens ont de se protéger mutuellement.

11) « Défendre la Cité et ses Concitoyens » est le premier devoir du Citoyen,

12) « Etre solidaire de ses Concitoyens dans toute la mesure de ses moyens » est une autre façon de définir ce premier devoir en lui donnant un sens plus large.

13) Il n’y a de devoirs que dans la réciprocité qui engendre pour tous les mêmes droits.

14) Il n’y a de devoirs et de droits que dans l’Egalité.

15) L’Egalité (des Citoyens en devoirs et en droits) est le Principe fondamental de l’ordre social.

16) Il n’y a d’égalité, dans la Nature, que devant la mort ; il n’y a de droits et d’égalité en droits qu’en Société ; il n’y a pas de droits naturels.

17) Les droits naturels, innés, humains, appelés aussi le droit des gens, sont une fiction inventée par des êtres civilisés et supposent une Société pour les reconnaître et les garantir (aux individus à sa portée), preuve qu’ils n’existent pas par eux-mêmes.

18) Seuls les individus qui remplissent leurs devoirs envers la Cité sont et demeurent Citoyens ; ceux qui ne les remplissent pas, soit parce qu’ils ne sont pas ou plus en état de le faire, soit parce qu’ils ne veulent pas ou les remplissent envers une autre Cité, n’ont aucun droit dans la Cité, du moins ne peuvent-ils jouir des droits du Citoyen ; si des droits leurs sont malgré tout reconnus, ce n’est que par la grâce de la Cité, en fonction de ses capacités et en vertu de son humanité (3).

19) La Citoyenneté s’acquiert par des devoirs et se conserve par l’observation permanente de ces devoirs et le respect des droits d’autrui ; elle n’est pas innée, elle peut donc être retirée ; tout Citoyen qui manque à ses obligations enfreint voire rompt le pacte social, compromet l’Egalité et s’expose à des sanctions pouvant aller jusqu’à la perte de la Citoyenneté.

20) Le droit qu’ont les Citoyens d’être protégés par la Cité ne leur enlève pas celui de défendre leur personne et leurs biens (cf. § 44) par tous les moyens en leur pouvoir lorsqu’ils sont seuls face à un agresseur et plongés, à cause de lui, dans l’état de Nature. — Un Citoyen ne peut être moins en sécurité sous les lois de la Cité, enchaîné par elles face un agresseur qui s’est affranchi de toutes, que dans l’état de Nature où, si aucune loi ne le protège, puisqu’il n’y en a pas, aucune ne l’empêche non plus de se défendre autant qu’il peut. La Cité qui a manqué à son devoir une fois ne peut y manquer une seconde fois en poursuivant un Citoyen qui a eu la chance d’avoir le dessus sur son agresseur sous prétexte que ce dernier aurait aussi des droits. Les lois sont faites pour renforcer, protéger et venger ceux qui les respectent, non pour assurer la puissance, l’impunité et la vengeance des hors la loi.

Ces observations peuvent prêter à quelques confusions et soulever des interrogations. Faute de pouvoir deviner toutes les questions et objections possibles, voici au moins quatre points qu’il est important d’éclaircir.

Tout d’abord, il est apparu qu’il y a un lien direct entre les devoirs et les droits, ces derniers étant les fruits des premiers. Il est vrai qu’un droit est généré par un devoir précis. Pour autant, ce constat est faux d’un point de vue individuel. Un Citoyen ne génère pas ses propres droits puisqu’il les tient des devoirs que ses Concitoyens remplissent envers lui. Bien sûr il a les mêmes obligations envers eux. Il remplit donc bien les devoirs qui génèrent les droits de la nature de ceux dont il jouit, mais il n’est pas l’auteur direct des droits dont il jouit personnellement. Mais on se tromperait encore si l’on pensait qu’un Citoyen ne désirant jouir que de certains droits pouvait se contenter de remplir les devoirs a priori correspondants. Etre membre de la Société, appartenir à la Cité, confère un ensemble d’obligations. Il n’y a pas de Citoyens au rabais ; il n’y a que des Citoyens à part entière, égaux en devoirs et en droits, ou des étrangers. En d’autres termes, les droits du Citoyen sont l’apanage de la Citoyenneté qui, elle, s’obtient et se conserve par l’accomplissement d’un faisceau de devoirs.

Dans la lignée de cette réflexion, notons que les devoirs précèdent les droits et qu’une Société remplit parfaitement son rôle dès lors qu’elle garantit à tous ses Citoyens tous les droits que leurs devoirs génèrent. L’Egalité n’est ni plus ni moins que cela. Il ne faut donc pas confondre les actes qui relèvent du droit et ceux qui ne le concernent pas tant qu’ils ne compromettent pas les droits d’autrui. Il ne faut pas non plus croire qu’une Société est inégalitaire ou injuste parce que, pour des raisons de capacités individuelles ou collectives, les droits de ses Citoyens sont moins étendus que ceux d’une autre : l’Egalité et la justice ne se mesurent pas par comparaison entre Sociétés, mais à l’aune des devoirs que remplissent et des droits dont doivent conséquemment jouir les Citoyens d’une même Société. Ces remarques permettent de comprendre que toutes les Sociétés animales appliquent les Principes à la lettre et sont égalitaires (4) contrairement aux concentrations humaines dites sociétés qui, toujours le mot droit à la bouche, sont toutes inégalitaires et ignorent le B. A. BA. de l’Egalité.

Ensuite, l’objection la plus courante contre l’Egalité (en droits) est qu’elle serait inconcevable du fait que tout est différent, que rien n’est égal dans la nature. Ceux qui tiennent de tels propos pour soutenir leurs privilèges ou accepter leur oppression parlent tous néanmoins de droits, de société. Or la notion de droit est inséparable de celle de devoir qui, elle-même, n’a aucun sens dans l’inégalité. Comme nous l’avons vu, un individu n’a de devoir envers un autre, ne lui garantit un droit, que parce que ce dernier remplit le même devoir envers lui. Etant égaux en devoirs, ils se garantissent mutuellement le ou les mêmes droits. L’Egalité est mathématique ! Cela est évident si l’on raisonne avec deux individus et reste vrai quand la Société en compte des millions, puisque les Citoyens, aussi nombreux soient-ils, ont toujours les uns envers les autres les mêmes devoirs et, partant, se garantissent les mêmes droits. On peut également dire que, si un Citoyen a des devoirs envers la Cité, qui est l’ensemble de ses Concitoyens, celle-ci, donc l’ensemble de ses Concitoyens, a les mêmes devoirs envers lui, chacun ayant bien les mêmes droits. Qu’un Citoyen ait un unique Concitoyen ou qu’il en ait une multitude représentée par la Cité, le schéma est fondamentalement le même, ses conséquences aussi. (La question n’est pas ici de savoir pourquoi, comment, l’inégalité s’est introduite dans les sociétés humaines, accouchant ainsi d’un état inédit, d’un état intermédiaire entre celui de Nature et de Société, à savoir l’état d’Oppression qui, de loin, a l’apparence d’une Société mais où, de près, règne la loi du plus fort.)

Pourtant, il est exact que les individus sont naturellement différents. Mais les différences empêchent-elles les associations ? L’adage « l’union fait la force » est-il absurde ? Les associations, les unions existent bien. Force est donc d’admettre qu’elles existent malgré les inévitables différences naturelles entre individus, parce que chaque individu, homme ou femme, fort ou faible, apporte quelque chose et y trouve son compte. Loin d’être un obstacle à l’union, les différences de capacités et de talents, gages de complémentarité entre les individus, sont un atout pour le groupe ; elles sont même indispensables à la réalisation de toutes les tâches et à l’existence de la Société. Bref, on ne peut parler de droits, de Citoyens, d’Egalité, comme s’il était toujours question de l’état de Nature dans lequel rien de tout cela n’existe, alors que ces sujets concernent manifestement l’état de Société dans lequel toutes ces notions sont consubstantielles. Un Citoyen est plus qu’un individu, plus qu’un homme, plus qu’un être naturel réduit à ses seules forces ; c’est un être moral doté de droits, le fruit de la Société et de ses lois fondées sur l’Egalité. L’Egalité est le propre de la Société ; c’est ce qui la distingue de l’état de Nature (qui n’est même pas inégalitaire puisque les notions d’Egalité et de droits n’y existent pas). Les différences naturelles ne sont donc pas un argument recevable contre l’égalité sociale ; elles ne sont invoquées, pour maintenir ce qui est, que par les ignorants, les tyrans et leurs valets. 

Enfin, pour en terminer avec la question de l’Egalité, dont nous disons qu’elle s’applique aux devoirs et aux droits, il est impératif d’introduire des nuances sans lesquelles les applications donnent lieu à des aberrations et donc à des interprétations erronées de ce qu’est l’Egalité. En réalité, il y a plusieurs niveaux de devoirs et de droits, trois exactement : fondamental, indirect et particulier. L’Egalité s’applique bien sûr aux devoirs et aux droits fondamentaux, et aussi aux droits indirects ; elle ne s’applique ni aux devoirs indirects ni aux devoirs et droits particuliers. Pour le comprendre, il faut tout d’abord comprendre pourquoi il y a par nature différents niveaux de devoirs et de droits.

La raison est simple : en ce qui concerne les devoirs, un devoir fondamental est purement théorique et se décline de plusieurs façons d’un point de vue pratique, de sorte que remplir un devoir fondamental d’une certaine façon est un devoir indirect qui confère des obligations particulières. En ce qui concerne les droits, un droit fondamental est lui aussi théorique et désigne en un seul mot l’ensemble des droits qui contribuent à jouir dudit droit fondamental et dont l’exercice individuel peut, dans certains cas, générer des droits particuliers. (Des droits particuliers peuvent aussi être le pendant de devoirs particuliers.) On voit donc bien que certains devoirs découlent d’autres et que, par définition, tous ne se situent pas sur le même plan. De même pour les droits. La grosse différence entre les devoirs et les droits est qu’il suffit que les Citoyens remplissent un devoir indirect découlant d’un devoir fondamental pour s’acquitter chacun à leur façon dudit devoir fondamental (4), alors que tous les Citoyens doivent jouir de tous les droits indirects attachés à un droit fondamental pour être réellement égaux dans la jouissance de ce droit fondamental. L’égalité en devoirs indirects n’a pas de sens, car elle est impossible et inutile pour que les Citoyens soient égaux en devoirs fondamentaux (tous les gens qui travaillent, quelle que soit leur profession, travaillent), alors que, inversement, l’égalité dans un droit fondamental n’a de sens que si les Citoyens sont aussi égaux dans tous les droits indirects qui découlent de ce droit fondamental (les gens ne peuvent être également libres sans jouir réellement des mêmes libertés). Par contre, l’égalité en droits particuliers est aussi insensée qu’impossible puisque ces droits découlent soit du libre exercice de droits indirects dans lesquels les Citoyens doivent être égaux, soit de l’accomplissement de devoirs particuliers que tous les Citoyens ne sont pas tenus de remplir.
 

Sans trop anticiper, signalons dès à présent que la Propriété ou le droit de posséder existe (de par la Société) et doit être reconnu, mais est un droit particulier auquel, en vertu de ce que nous venons de dire, l’Egalité ne s’applique pas. La Propriété, d’un point de vue individuel, porte sur des biens produits pour soi-même ou acquis à des fins personnelles. Dans le cas d’une production individuelle pour un usage personnel, il est évident que les productions — sur lesquelles le droit de propriété n’est pas fondé sur le travail fourni, mais sur la possession non contestée ou antérieurement reconnue des matériaux utilisés — varient en nature, qualité et quantité d’un individu à un autre, de sorte que la notion d’Egalité n’a pas de sens. Même constat lorsque les individus échangent entre eux des biens qu’ils possèdent et opèrent ainsi des transferts de droit de propriété qui ne changent rien au final. Dans le cas des acquisitions, le droit de propriété sur les biens résulte de l’exercice d’un autre droit, un droit indirect (l’accès au marché), et est donc bien un droit particulier auquel l’Egalité ne s’applique pas par définition. Non seulement l’égalité en droits (système égalitaire) n’est pas l’égalité en biens (système égalitariste), mais la Liberté en condamne même le principe autant que la nature des choses la rend à jamais impossible. Ainsi, la Propriété n’est pas un droit fondamental comme l’affirment les bourgeois, pas plus que les propriétés ne sont susceptibles d’égalisation comme le voudraient les communistes.


IV. De la Liberté

Nous avons évoqué à plusieurs reprises la notion de Liberté. Cette notion, comme celle de Sécurité, est intrinsèque à l’acte d’association politique.
Raisons :

21) Des individus qui s’associent pour se protéger mutuellement ne peuvent s’associer que librement, c’est-à-dire sans contrainte (6),

22) De même que les individus doivent intégrer librement et volontairement une association, les individus déjà associés sont libres d’accueillir en leur sein, de refuser et d’en exclure qui il leur plait,

23) Il appartient à l’association de fixer les conditions non négociables que chaque individu doit satisfaire pour pouvoir l’intégrer s’il le veut, conditions qui, même satisfaites, n’obligent pas l’association à l’accueillir, ce qui, dans le cas contraire, permettrait aux étrangers de lui forcer la main et placerait leurs désirs au-dessus de la volonté des Citoyens qu’ils prétendent devenir,

24) Dans la mesure où nul ne peut adhérer librement à un groupe qui exigerait plus de lui que des autres membres, des associés ne peuvent exiger plus d’un nouveau venu que d’eux-mêmes,

25) Dans la mesure où nul ne peut sans contrainte se constituer esclave, des associés, en position de force, ne peuvent accorder à un nouveau venu des avantages dont ils se privent,

26) Dans la mesure où nul ne peut renoncer délibérément à un état pour un autre moins avantageux, des associés qui ont renoncé à une certaine liberté doivent trouver au sein de l’association, malgré ses contraintes, une liberté plus grande encore, autrement dit plus de libertés,

27) Une libre association politique exclut l’esclavage, l’oppression, l’exploitation et la tyrannie et suppose l’égalité en devoirs et en droits des Citoyens anciens et récents.

28) La Liberté est le complément et même une extension de la Sécurité ; sans Sécurité, la Liberté est un privilège pour quelques-uns, une illusion de courte durée pour tous les autres ; sans Liberté, la Sécurité est une oppression permanente et donc un danger en elle-même.

29) La Liberté qui n’est un droit qu’en Société ne peut consister à faire tout ce que l’on veut ou peut comme dans l’état de Nature (que les individus ont fui), mais à jouir des mêmes libertés, c’est-à-dire des mêmes droits (fondamentaux et indirects) que ses Concitoyens et à pouvoir faire tout ce qui n’est pas contraire à ses devoirs, aux droits d’autrui et aux lois légitimes (cf. § 61).

30) La Liberté étant l’ensemble des libertés connues et reconnues dans une Société, les libertés étant le fait de la Société, autrement dit le fruit des devoirs que les Citoyens remplissent envers elle, une liberté dans un domaine consiste à jouir à l’égal de ses Concitoyens de toutes les possibilités qu’offre la Cité dans ce domaine, et non à exercer simplement ses facultés naturelles.

La Liberté qui est un droit fondamental, à l’instar de la Sécurité, est subordonnée à l’Egalité qui est le Principe fondamental de l’ordre social. Loin d’être contraires, il ne peut y avoir l’une sans l’autre. Sans Egalité, il n’y a plus de Citoyens, plus de Société, et la « Liberté » n’est que la loi du plus fort sous une forme ou une autre : sans Liberté, la Société n’est plus une libre association mais une prison pour la masse, un cheptel pour des privilégiés, et « l’Egalité » sur quelque plan que ce soit est au mieux un slogan.


V. Participer à la vie de la Cité / Profiter des bienfaits de la Cité

Plus des Citoyens sont nombreux, plus une Société est puissante, plus la Sécurité est grande, moins les attaques extérieures sont à redouter, moins les Citoyens ont l’occasion de remplir leur premier devoir qui est de défendre la Cité et leurs Concitoyens. La Citoyenneté ne peut donc plus reposer sur l’accomplissement de ce seul devoir ; elle doit être conférée par autre chose.


Remarquons déjà que défendre la Cité et ses Concitoyens n’est pas le seul devoir. Les Citoyens ont aussi celui d’être solidaires les uns des autres, devoir qui contient le premier. La solidarité prend certaines formes en matière de protection physique, de défense au sens littéral, mais les formes qu’elle peut prendre sont beaucoup plus nombreuses. La Sécurité elle-même ne se réduit pas à être protégé des attaques extérieures, mais concerne toutes les formes de dangers contre lesquels la Société peut intervenir et qu’elle ne doit pas elle-même créer. Ces dangers peuvent être naturels ou externes, comme la faim, la maladie, le froid, le vent, le climat de manière générale, ce qui amène la Société à reconnaître et à garantir, si elle le peut, des droits indirects tels que celui d’être nourri, abrité, vêtu, soigné, etc., et, en amont, à instaurer ou à reconnaître comme devoirs indirects toutes les activités qui conjurent ces dangers et génèrent ou garantissent lesdits droits. Ces dangers peuvent aussi provenir de dérèglements internes quand les prétentions et les prévarications de certains, au lieu d’être condamnées, ont libre cours aux dépens de la Sécurité et de la Liberté des autres, quand elles anéantissent l’Egalité entre les Citoyens et sont donc porteuses d’oppression et d’exploitation. La Société doit donc proscrire tout ce qui porte atteinte à ce qu’elle reconnaît comme des droits, même aux droits les plus insignifiants en apparence, car les petites inégalités annoncent les grandes. Ainsi les devoirs et les droits peuvent se décliner et leur champ d’application s’étendre aussi loin que les capacités de l’espèce et de la Société à un moment donné le permettent.
Conséquences :

31) Lorsqu’une Société se développe, que ses activités se multiplient, que les tâches à remplir dans l’intérêt général sont de plus en plus nombreuses, que les Citoyens ne peuvent plus être unis par le seul fait de se défendre mutuellement et d’assurer leur sécurité au sens littéral, car ils n’en ont plus que rarement l’occasion, la Citoyenneté doit être conférée par l’accomplissement d’un devoir plus large que les précédents, elle doit résider dans l’accomplissement d’actes quotidiens utiles directement ou indirectement à la Cité, en un mot, elle doit consister à « participer à la vie de la Cité » sous une forme reconnue par elle,

32) Toutes les tâches dont la Cité reconnaît l’utilité sociale, même indirecte, toutes les tâches qui dispensent les autres Citoyens de les accomplir pour se consacrer à d’autres tâches tout aussi utiles sont un devoir envers la Cité : quiconque les remplit en satisfaisant aux exigences de la Cité participe à la vie de la Cité, est Citoyen et doit être l’égal en droits de ses Concitoyens (7).

33) La Cité n’assigne pas de tâches ; les Citoyens se les répartissent librement, c’est-à-dire en fonction de leurs désir, de leurs capacités et des possibilités.

34) Les Citoyens peuvent s’acquitter individuellement ou en groupe de leur devoir de Participer à la vie de la Cité ; lorsqu’ils s’en acquittent en groupe, ils forment une personne morale dont le devoir est à la mesure de son potentiel, une personne que tous les Citoyens qui la composent représentent également aux yeux de la Cité et qui sont donc solidaires dans les récompenses comme dans les sanctions, une personne qui seule a des comptes à rendre à la Cité et qui est seule responsable de sa gestion interne.

35) La Cité définit ses exigences selon ses intérêts et en fonction du nombre de Citoyens concernés, à charge pour les Citoyens ou les groupes de Citoyens de se débrouiller pour les satisfaire. Participer à la vie de la Cité procure les droits du Citoyens aux intéressés mais a avant tout pour but de pourvoir aux besoins de la Cité qui dirige le jeu.

36) Lorsqu’une forme de participation engendre une production, l’intérêt de la Cité n’est pas tant dans les quantités produites que dans les quantités écoulées : la Cité n’exige pas seulement de produire, elle exige avant tout que cette production agrée une quantité non négligeable de Citoyens. (Il en est de même pour les services pour lesquels la précision est inutile puisque, sans demande, une offre de service ne donne lieu à aucun service réel et constitue donc une activité nulle aux yeux de la Cité.)

37) Le fruit d’un devoir envers la Cité est par définition destiné à la Cité et appartient donc à cette dernière, du moins en premier lieu : produire dans le cadre d’un devoir n’a pas pour contrepartie, pour le producteur, la propriété de la production en question, mais la Citoyenneté, c’est-à-dire les droits du Citoyen. (Etre propriétaire de ce que l’on produit revient à produire pour soi, ce qui ne peut être un devoir envers la Cité.)

38) Quand tous les Citoyens ont le devoir de participer à la vie de la Cité sous une forme reconnue par elle, ils ont en retour le droit de profiter de tous ses bienfaits, fruits de leurs efforts globaux.

39) Profiter des bienfaits de la Cité est un droit fondamental, au même titre que la Sécurité et la Liberté qu’en fait il contient ; sans lui ou dans l’inégalité, la Citoyenneté n’a aucun sens, voire aucun intérêt.

40) Le droit de profiter des bienfaits de la Cité appliqué aux productions matérielles (car tous les bienfaits ne sont pas d’ordre matériel) consiste soit à partager le produit général ou collectif sinon en parts égales du moins en parts convenables, procédé qui relève davantage d’un système égalitariste que d’un système égalitaire, soit à reconnaître aux Citoyens le droit d’y accéder, c’est-à-dire d’accéder librement au marché en raison de leur Citoyenneté, ce qui est la perfection de l’Egalité.

41) Le partage équitable du produit général ou collectif convient aux petites Sociétés peu productives qui ne peuvent faire autrement ; la répartition du produit collectif par l’exercice du droit d’accéder au marché n’est possible que dans les Sociétés développées, industrialisées et informatisées.

42) Le droit d’accéder au marché découle de celui fondamental de profiter des bienfaits de la Cité ; c’est donc un droit indirect, un droit conféré par la Citoyenneté dont tous les Citoyens doivent jouir également, un droit qui n’a d’autres bornes que les besoins, les goûts et les envies du Citoyen qui l’exerce, le respect des droits d’autrui, l’exercice par les autres Citoyens de ce même droit, la nature des choses et éventuellement la loi, elle aussi égale pour tous.


VI. De la Propriété

Les animaux sont des êtres physiques. Ils ont des besoins concrets que seules des choses matérielles peuvent assouvir. Ces choses, périssables ou durables, à usage individuel ou collectif, peuvent être trouvées dans la nature ou fabriquées par un individu ou un groupe. La question est de savoir ce que sont ces diverses choses du point de vue du droit, sachant que, dans tous les cas, elles ne peuvent être des objets de droit que dans le cadre d’une Société.
Participer à la vie de la Cité consiste parfois à produire des choses, à fabriquer des biens. Profiter des bienfaits de la Cité passe, en grande partie, par l’accès à des choses matérielles constituant le produit collectif.
Conséquences :

43) Toutes les choses matérielles constituant le produit collectif, dont les Citoyens ont besoin pour vivre ou jouir de certains de leurs droits, sont inséparables des droits que la Cité doit garantir à ses Citoyens et deviennent, une fois entre les mains de ces derniers, ayant été reçus en partage ou retirés du marché pour leur usage personnel, leurs propriétés.

44) La Propriété — ou le droit de posséder — consiste, pour une personne physique ou morale, à détenir ou à pouvoir user personnellement, librement et exclusivement des biens reconnus comme siens par la Cité ou sur lesquels la celle-ci ne conteste pas ce droit.

45) Il n’y a pas de Propriété sans Société : toute propriété est relative (8) et doit son existence sinon physique du moins morale à la Société ; il appartient donc à la Cité d’indiquer les biens qui peuvent ou non être possédés, par qui, à quelles conditions et éventuellement dans quelles quantités, du moins pour les biens dont la nature n’indique pas par elle-même qui en est propriétaire (9) ; le droit de propriété, la détention et l’usage des propriétés, est borné par l’accomplissement de ses devoirs en amont, le respect des droits d’autrui en aval, par la nature des choses et au besoin par la loi.

46) Un bien ne peut être converti en propriété que de trois façons : 1) suite à l’acquisition par l’exercice du droit d’accéder au marché, 2) par l’obtention suite à la répartition par la Cité du produit collectif, 3) par la récupération ou la trouvaille qui, à moins d’être illégale, donne lieu à une possession de fait, reconnue ou non contestée.

47) Un bien ne devient pas une propriété entre les mains d’un individu sous prétexte que celui-ci l’a fabriqué personnellement ou obtenu par échange : il n’en est une que s’il l’a fabriqué avec des matériaux qui étaient déjà ses propriétés ou sur lesquels la Propriété ne lui était pas contestée, ses efforts ne rentrant donc pas en ligne de compte, ou si ce bien était déjà une Propriété entre les mains de celui de qui il l’a reçu, lequel a usé de son droit en le cédant, ce qui serait toujours le cas même si lui-même n’avait rien donné en échange.

48) Les Citoyens doivent être égaux dans le droit d’accéder librement au marché (cf. § 42) ; ils ne peuvent conséquemment en retirer et posséder les mêmes choses et dans les mêmes quantités, même si cela est possible en théorie, d’autant plus que toutes leurs propriétés ne proviennent pas du marché.

49) Les droits des Citoyens dépendent de la Citoyenneté, pas de ce qu’ils possèdent ; la possession d’un bien est un droit particulier qui peut être cédé ou échangé mais qui ne confère pas elle-même de droits, notamment celui d’accéder au marché (droit indirect) et d’acquérir ainsi des biens, puisque c’est la Propriété qui, le plus souvent, découle de lui.

50) Les choses immatérielles ne peuvent en aucun cas être des propriétés ; la propriété intellectuelle est une monstruosité ; la Cité ne peut reconnaître à leurs auteurs, leurs inventeurs, leurs découvreurs, etc., davantage que la paternité, et ce dans le meilleur des cas.

51) Une production individuelle ou collective produite dans le cadre du devoir de participer à la vie de la Cité et destinée au marché ne peut être la propriété des producteurs. (cf. § 37)

52) Même acquis individuellement — toute acquisition suppose une autorisation au moins tacite de la Cité —, les biens collectifs ou communs ne sont pas, par définition, des propriétés personnelles : ils sont soit la propriété collective ou commune du groupe des utilisateurs, soit la propriété inaliénable de la Cité qui a permis l’accès audits biens en n’en concédant que l’usage.

53) La Terre est en théorie la Propriété de l’Humanité, elle appartient à tous les hommes en général et à aucun en particulier ; en pratique, et d’ici à ce que les hommes forment une unique Cité, le principe vaut pour chaque Cité installée sur un territoire fixe et assez forte pour le conserver (cf. note 8) : son sol appartient à tous les Citoyens collectivement et à aucun personnellement.

54) Les portions de sol que la Cité confie à ses Citoyens à quelque fin que ce soit restent sa propriété, même si les utilisateurs et occupants temporaires passent pour des propriétaires aux yeux de leurs Concitoyens (10).

55) Les ressources naturelles du sol et du sous-sols de la Cité sont de même sa propriété et ne peuvent être exploitées qu’avec son accord et dans l’intérêt général : leur exploitation ne procure aux exploitants d’autre avantage que la Citoyenneté, c’est-à-dire les droits du Citoyen.  


VII. Des lois & de la Démocratie

La Cité est une libre association politique (association dans le but initial de survire) entre Citoyens égaux en devoirs et en droits. L’Egalité est la clé de voûte de l’édifice social ; la Sécurité et la Liberté en sont le ciment.
Conséquences :

56) Les lois fondamentales ou Principes de l’ordre social découlent de l’acte d’association politique ; elles ne sont pas inventées par les Citoyens mais dictées par la nature de leur union : il s’agit moins d’en convenir et de les exprimer que de les constater et de les respecter.

57) Les Principes de l’ordre social sont intemporels et universels ; ils fondent toute Société, de quelque espèce que soient ses membres et à quelque époque que ce soit ; ne sont temporaires et/ou spécifiques que les lois en rapport avec les besoins particuliers d’une Société donnée à un moment donné.

58) Les lois temporaires et/ou spécifiques, générales ou particulières, doivent être exprimées voire écrites contrairement aux lois fondamentales qui peuvent être tacites, et ne doivent pas contrarier ces dernières quand elles n’en sont pas un simple prolongement. 

59) Dans la mesure où les lois doivent être conformes aux Principes, elles doivent être les mêmes pour tous les Citoyens, tous doivent également y être soumis, afin qu’aucun n’ait plus ou moins de droits que les autres, que nul ne soit de fait maître ou esclave, que la Sécurité et la Liberté de chacun soient assurées et le plus étendues possible.

60) Lorsque les lois sont égales pour tous les Citoyens, que tous y sont également soumis, y compris le législateur, et que les Citoyens sont réellement égaux en droits, l’intérêt particulier se confond avec l’intérêt général : chacun désire pour lui, donc pour les autres, tous les droits, toutes les libertés dont nul ne pourra jouir aux dépens d’autrui, pas même lui.

61) Quand les lois sont égales pour tous les Citoyens, elles sont justes (11) ; quand elles sont l’œuvre de ceux qu’elles régissent, elles sont légitimes ; quand elles profitent à tous ou du moins à la majeure partie des Citoyens, sans nuire fondamentalement à l’autre partie, elles sont bonnes ; quand elles ne profitent qu’à une minorité de « Citoyens » aux dépens de la majorité, elle sont inégales, antisociales et injustes ; quand elles ne profitent objectivement à personne ou ne satisfont pas l’objet que le législateur se proposait ou affaiblissent la Cité, elles sont mauvaises ; quand les Citoyens y sont soumis sans leur consentement, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, elles sont nulles ; quand elles sont nulles et injustes, elles sont tyranniques.

62) L’idéal est que les lois soient bonnes, ce qu’elles ne peuvent être sans être justes, ce qu’elles ne peuvent être sans être légitimes.

63) Sachant que légiférer est différent de gouverner, on peut distinguer trois formes de système législatif : 1) la démocratie, où tous les Citoyens contribuent à la formation des lois et ne sont soumis qu’à celles qu’ils ont collectivement consenties, 2) l’oligarchie (aristocratie, théocratie, ploutocratie) où le pouvoir est monopolisé sous divers prétextes par quelques-uns et exercé avant tout à leur profit, 3) le despotisme, où le pouvoir législatif appartient à un seul, ce qui est une vue de l’esprit dans la mesure où une telle autorité ne peut exister sans assises dans la Cité et n’est plus despotique au sens propre dès lors qu’elle en a une quelle qu’elle soit (cf. note 21). 

64) Aucun système législatif ne peut garantir de bonnes lois ; l’important est donc que le système soit par nature vertueux, qu’il soit capable et ait en lui le besoin de corriger ses erreurs, ce qui ne peut être le cas que si l’intérêt du législateur rejoint celui des sujets, si le législateur se confond avec les Citoyens, si tous les Citoyens sont réellement égaux en droits.

65) Les règles édictées par une oligarchie sont des diktats, elles sont par nature illégitimes et n’ont d’une loi que le nom ; elles sont fatalement inégalitaires ou n’ont que l’apparence de l’Egalité, et sont donc injustes ; elles sont délibérément mauvaises du point de vue général.

66) Seule la démocratie convient à une Société digne de ce nom : les lois qu’elle produit, œuvres de tous les Citoyens, sont naturellement légitimes, nécessairement égalitaires et rapidement rectifiées ou abrogées s’il apparaît qu’elles ne sont pas bonnes. 

67) Pour que les lois soient réellement l’œuvre des Citoyens, tous les Citoyens doivent pouvoir en proposer selon des règles établies, et toutes celles qui sont envisagées, quels qu’en soient les concepteurs, doivent être ratifiées par eux. Un système dans lequel les Citoyens n’ont pas le droit de proposer de lois ou en sont astucieusement empêchés et dans lequel ils n’ont pas été consultés d’une manière ou d’une autre sur celles auxquelles ils sont soumis n’est pas démocratique. Ainsi le régime représentatif est une négation de la démocratie (12) : c’est de fait une oligarchie.

68) Une loi est ratifiée par les Citoyens lorsqu’elle est soumise à leur approbation et recueille au moins la majorité des suffrages exprimés. Les Citoyens qui ne se prononcent pas laissent les autres décider pour eux et ne sont pas fondés à contester le verdict. Les Citoyens qui se sont prononcés différemment de la majorité doivent de même accepter le verdict et respecter la loi, quitte à la critiquer.

69) Lorsqu’il est impossible de soumettre toutes les lois à l’approbation de l’ensemble des Citoyens, une voie intermédiaire entre le référendum permanent et l’imposture de la représentation, mais qui ne s’écarte pas du Principe, doit être trouvée.

70) Toute Société, tout système égalitaire est par nature démocratique (13) ; tout système intrinsèquement inégalitaire est incompatible avec une authentique démocratie. Attendre de la démocratie qu’elle apporte l’Egalité est la preuve que l’Egalité n’est pas (donc que les intérêts des citoyens divergent et que certains ont le pouvoir de faire prévaloir leurs intérêts particuliers) et que l’on est au mieux dans l’illusion de la démocratie.


VIII. Citoyenneté / Nationalité

Les lois doivent avant tout satisfaire les intérêts de la Cité et doivent être ratifiées par les Citoyens qu’elles vont régir.
Conséquences :

71) Le droit de contribuer à la formation des lois de la Cité, à sa direction et à la gestion de ses intérêts les plus chers, implique de vivre en son sein, de raisonner en fonction de ses intérêts, d’être incapable de la quitter par convenances personnelles et moins encore de l’abandonner dans l’adversité, en un mot d’être attaché viscéralement à elle et prêt la défendre au péril de sa vie si besoin est. 

72) Quand, sauf exception, les hommes naissent, vivent et meurent au même endroit, ils ne choisissent par leur Cité, ils ne conçoivent pas d’appartenir à une autre, leur allégeance est naturelle et totale, ils sont destinés à devenir et à demeurer Citoyens, ils sont liés à leurs Concitoyens par le sang et l’esprit, par le passé et le futur ; la Cité se confond alors avec la Nation, la Citoyenneté est synonyme de Nationalité (cf. note 7).

73) Quand les hommes deviennent mobiles, que les Citoyens arrivent de tous les horizons et peuvent partir à tout moment, qu’ils n’ont souvent en commun que leur présence au même endroit au même moment, qu’ils se considèrent comme des « citoyens du monde », des « êtres humains » ou des « gens d’ailleurs » si bien que leurs « Concitoyens » ne sont rien à leurs yeux, que la Cité n’est pour beaucoup d’entre eux qu’une aubaine, une étape ou un carcan, la Citoyenneté n’est plus en soi un lien indéfectible avec la Cité qui ne peut plus accorder sa confiance et confier ses intérêts sur cette base ; il faut alors distinguer la Nationalité de la Citoyenneté et la Cité au sens strict (l’ensemble des Citoyens nationaux) de la Cité au sens large (l’ensemble des Citoyens).

74) L’existence physique et morale, l’honneur, la culture, l’avenir de la Cité, ses lois, les droits qu’elle reconnaît dépendent des Citoyens ayant le droit de cité et de l’usage qu’ils en font ; ce droit ne peut donc être reconnu à des Citoyens de hasard ou de fortune, ici aujourd’hui, ailleurs demain, indifférents au sort de la Cité ou prêts à la trahir ; il ne peut être conféré par la Citoyenneté facile à obtenir ; il doit être attaché à la Nationalité, laquelle doit témoigner d’un profond sentiment d’appartenance à la Nation et d’un désir farouche de la préserver. 

75) La Nationalité s’ajoute à la Citoyenneté : la Citoyenneté, obtenue en s’acquittant du devoir de participer à la vie de la Cité d’un point de vue social ou économique, confère les droits fondamentaux indispensables au Citoyen ; la Nationalité confère le droit particulier de participer à la vie politique de la Cité.

76) La Citoyenneté est indépendante de la Nationalité : un Citoyen peut ne pas avoir de Nationalité, il peut même avoir la Nationalité d’une autre Cité si celle-ci est assez stupide pour accorder un poids politique à un déserteur, mais il ne peut avoir plusieurs Nationalités qui seraient autant de trahisons avérées ou potentielles envers chacune des Cités correspondantes. (14)

77) L’ensemble des Citoyens constitue la Cité au sens large et fait partie de la population ; l’ensemble des Citoyens nationaux constitue la Cité au sens strict, c’est-à-dire la quintessence de la Cité, la Nation, le Peuple.

78) La Cité ne pouvant connaître les sentiments des individus qu’à travers des signes et des actes éloquents, la Nationalité doit être méritée individuellement et constamment ; elle suppose, pour pouvoir y prétendre, de satisfaire à des conditions préalables attestant l’état d’esprit, voire des connaissances et des capacités (14) ; elle implique, pour l’acquérir, de s’acquitter volontairement et correctement de devoirs particuliers qui, de par leur nature, éprouvent la fidélité envers la Cité et l’allégeance envers la Nation ; elle exige, pour la conserver, de répondre à tous les appels de la Cité et de ne jamais déshonorer la Nation.

79) Citoyens ordinaires et Citoyens nationaux sont égaux en droits, puisque les droits particuliers qui les séparent n’entrent pas dans la balance de l’Egalité, d’autant plus que les Citoyens ordinaires n’en jouissent pas parce qu’ils n’ont pas voulu remplir les devoirs particuliers qui les confèrent.  

80) Quoique n’étant pas l’œuvre de l’ensemble des Citoyens, les lois conçues par les seuls Citoyens nationaux n’en sont pas moins légitimes dans le mesure où les Citoyens ordinaires, en refusant la Nationalité en connaissance de cause, ont tacitement accepté que les premiers légifèrent sans eux et pour eux.

81) A moins d’être iniques, les lois ne peuvent distinguer les Citoyens nationaux des Citoyens ordinaires que pour des objets relevant exclusivement de la Nationalité ; elles ne peuvent réserver aux Citoyens nationaux des droits qui sont le pendant des devoirs du Citoyen, qui sont donc attachés à la Citoyenneté et appartiennent par nature à tous les Citoyens.


IX. Gouvernement & régime politique

Des Citoyens sont des individus ayant unis librement leurs forces pour accroître leurs chances de survie. Ils constituent un corps social qui, comme tout corps, a besoin d’une tête, d’un chef, pour réaliser l’unité (15) et diriger la force collective dans l’intérêt de tous, en un mot pour gouverner.
Conséquences :


82) Le rôle d’un chef est de diriger la Cité selon les lois de la Cité, dans l’intérêt et selon le vœu des Citoyens .

83) Le chef est un Citoyen comme les autres ; sa fonction est une fonction comme une autre et est soumise aux règles communes de la participation (cf. § 32) ; comme toute fonction, elle confère des devoirs et des droits particuliers nécessaires pour accomplir la mission mais qui ne compromettent pas l’Egalité, puisque celui qui l’occupe n’a, en tant que Citoyen, ni plus ni moins de droits fondamentaux et indirects que ses Concitoyens. (cf. note 5)

84) Le chef, institué par la Cité, pour la Cité, doit être consenti autant que ses décisions doivent être approuvées par le Peuple (l’ensemble Citoyens nationaux) qui est l’unique source de la légitimité des pouvoirs et des choses faites en son nom. — Autrement dit, il faut distinguer la fonction de chef de la manière d’exercer le pouvoir (ceci est vrai pour toute fonction). Un chef est légitime quand son accession à cette fonction ainsi que ses actes sont légitimes. La légitimité est un tout : les imposteurs n’en ont pas plus que les tyrans.

85) Un chef peut être établi de plusieurs façons : par l’élection directe ou indirecte, par auto-proclamation, par hérédité, pour une durée déterminée, indéterminée ou à vie ; les Principes condamnent certaines combinaisons (notamment le pouvoir à vie obtenu sans consentement populaire et exercé de manière tyrannique) mais n’en prescrivent aucune d’autant plus que toutes présentent des avantages et des inconvénients théoriques qui, en pratique, varient selon les circonstances, les hommes et leur manière d’exercer le pouvoir ; la meilleure combinaison est celle qui, à un moment donné, assure le mieux l’existence de la Cité et les droits des Citoyens.

86) Peu importe le titre officiel du chef (16) dès lors qu’il est élu, plébiscité ou tacitement reconnu et que ses actions et décisions reçoivent chacune, une à une, non en bloc (cf. note 12), l’aval du Peuple.

87) La reconnaissance populaire sous une forme ou sous une autre ne confère pas une légitimité éternelle au chef ; sa légitimité est nulle dès lors que le Peuple ne le reconnaît plus pour tel — soit parce qu’il agit sans le consulter, soit parce que sa personne apparaît indigne d’occuper cette fonction, soit parce que les Citoyens ne croient plus que son action sert leurs intérêts et l’intérêt général tels qu’ils les conçoivent —, même et à plus forte raison s’il n’a pas la possibilité légale de s’exprimer et de le remplacer.  

88) Lorsqu’une Cité est importante, un Citoyen ne suffit plus à la fonction de chef et doit appeler des Concitoyens pour l’aider à la tâche : il constitue avec eux le Gouvernement.

89) Un système social repose essentiellement sur deux pouvoirs, sans compter celui du Peuple qui les coiffe tous : 1) le pouvoir exécutif, celui du chef et de son Gouvernement, qui est de diriger selon les vœux et dans l’intérêt du Peuple, 2) le pouvoir législatif, celui du Parlement, constitué des députés, qui est de légiférer, c’est-à-dire de formuler des projets de lois à présenter au Peuple (cf. § 67). 

90) La fonction de chef est constitutive de la Cité (cf. note 16) ; elle est de toute éternité et, partant, bien antérieure à celle de législateur, laquelle est inutile tant que les Citoyens sont assez peu nombreux pour faire les lois eux-mêmes, sans intermédiaire. (17)

91) Les fonctions de chef et de législateur sont par nature distinctes et doivent être séparées et subordonnées à la volonté du Peuple — d’autant plus que chef et législateur ont par nature tendance à se prendre pour le Peuple, à considérer la Cité comme leur chose et à vouloir concentrer entre leurs mains tous les pouvoirs, de sorte que, si ces fonctions sont confondues, si l’une absorbe l’autre, le danger est grand que celui qui cumule ainsi les pouvoirs ne connaisse plus de frein à sa puissance et en abuse aux dépens du Peuple qu’il est censé servir.

92) Quand les pouvoirs législatif et exécutif trouvent l’un dans l’autre leur contre-pouvoir, au lieu de n’avoir chacun d’autre maître que le Peuple, ils ne sont pas séparés l’un de l’autre : ils sont séparés du Peuple et au-dessus de lui.

93) Qu’ils soient strictement séparés, ouvertement  confondus ou sournoisement entremêlés, les pouvoirs exécutif et législatif sont fatalement dans la même position vis-à-vis du Peuple, soit qu’ils lui obéissent, soit qu’ils lui en imposent : ou le Peuple est le maître des deux, ou il ne l’est d’aucun et alors toutes les combinaisons qui d’une manière ou d’une autre le dépouillent de la souveraineté sont égales et perverses aux yeux des Principes.

94) La vraie nature d’un système politique — le régime d’une Société — est définie par la façon dont les lois sont élaborées, c’est-à-dire par qui les fait réellement (18) : la véritable nature du pouvoir législatif détermine celle du pouvoir judiciaire, relativement neutre, qui applique les lois, et celle du pouvoir exécutif qui est établi par la loi et dirige la Cité conformément aux lois (19).

95) Dans la mesure où tout individu, tout corps, est égoïste et agit avant tout dans ses intérêts et l’intérêt des siens, celui qui fait les lois les fait avant tout dans son intérêt et celui de ses pareils : il n’y a qu’en étant faites réellement par le Peuple qu’elles sont faites pour le Peuple, que le chef et le législateur (le Gouvernement et le Parlement) lui sont soumis et qu’un régime est politiquement démocratique (20).

96) Abstraction faite des nuances, il n’y a objectivement que trois types de systèmes politiques : la Démocratie, la dictature et la démocrature.

Quand les Citoyens sont réellement égaux en droits, le Peuple est réellement souverain, les pouvoirs exécutif et législatif, quels que soient leurs formes et les rapports entre eux, lui sont subordonnés, et le système est authentiquement démocratique. En revanche, dans l’inégalité, quels que soient les formes des pouvoirs exécutif et législatif, les rapports entre eux et le rapport du tout au Peuple, le régime oscille entre la dictature et la démocrature, la première étant ouvertement antidémocratique, la seconde étant prétendument démocratique.

Quand le pouvoir exécutif — entre les mains d’un homme ou d’un parti — étouffe, s’empare ou est revêtu du pouvoir législatif et dicte ses lois au Peuple, le système est une dictature. Ceci étant, le terme dictature n’indique ni l’origine ni le but du Gouvernement, mais qualifie ses méthodes, c’est-à-dire le fait qu’il agisse avec fermeté voire violence et sans consulter le Peuple, et, bien qu’une dictature soit rarement dans l’intérêt du Peuple, une dictature légitime et éphémère peut parfois s’avérer nécessaire pour le salut public. Ainsi, un Gouvernement dictatorial peut être démocratique en vertu de la légitimité de son origine ou de son but, et antidémocratique au regard de ses méthodes extraordinaires. Dans ce cas, c’est l’exception qui confirme la règle, si toutefois ce constat résiste à l’épreuve du temps. (21)

Quand le pouvoir législatif prévaut autant sur l’Exécutif que sur le Peuple dont il se réclame à tort ou à raison, ce qui n’est possible que dans l’inégalité et au milieu de classes, le système est une démocrature. Une démocrature n’est en définitive qu’une oligarchie astucieuse validée par un Peuple naïf. Que les prétendus représentants du Peuple soient élus, désignés ou autoproclamés, dès lors qu’ils parlent en son nom sans lui soumettre leurs décisions, il est clair qu’ils cherchent auprès de lui une caution qu’ils ne méritent pas. Ils ne sont pas le Peuple et entendent que chacun reste à sa place, eux et leurs pareils en haut. La démocrature la plus accomplie est bien sûr la démocratie strictement représentative qui, en permettant au Peuple de désigner à la fois le chef et les députés qui vont le bafouer en toute légalité (c’est eux qui font les lois), lui donne l’illusion d’être important et l’envie de défendre ce système. Cela dit, autant un système strictement représentatif est antidémocratique, autant un système simplement représentatif, ne permettant pas aux mandataires du Peuple de s’en dire les représentants et de substituer leur volonté à la sienne, est démocratique d’un point de vue politique. Pourtant, même un système politiquement démocratique, difficile à atteindre dans l’inégalité, n’est pas une authentique démocratie, mais seulement la forme la moins perverse de démocrature.


X. Définitions & conclusion

Cette étude, pour répondre à des questions précises, nous a entraînés bien plus loin que prévu. Il est en effet apparu que tout était lié et qu’une réponse simple, même sans être simpliste, serait lourde de sous-entendus et exposerait à des incompréhensions, des contresens, à toutes les interprétations farfelues et frauduleuses. Il fallait donc avoir une vision globale de l’ordre social pour cerner correctement les éléments et les paramètres particuliers de la Société. Mais cette vision globale, pour être juste et échapper aux passions, ne pouvait être un simple constat de ce qui est ou de ce qui fut ; elle ne pouvait procéder que d’une étude théorique et rigoureuse en partant de la forme de Société la plus basique et en allant toujours plus loin dans les développements logiques. Ce travail est fait. A l’avenir, toutes les questions sociales doivent être abordées de cette manière, voire s’appuyer directement sur ces conclusions, et beaucoup, dont les plus importantes, trouvent déjà leur réponse dans cet exposé.

Nous pouvons maintenant répondre aux questions initiales et poser les définitions des concepts clés de l’ordre social. Ces définitions ne se trouvent évidemment pas, du moins telles quelles, dans le dictionnaire ni même dans les livres de « droit ».

Société, Cité, Association politique : Ensemble d’individus appelés Citoyens, unis librement dans le but originel d’accroître leurs chances de survie, donc pour être en sécurité, et qui, de ce fait, ont les uns envers les autres les mêmes devoirs et se garantissent mutuellement les mêmes droits (de sorte que leur relation est égalitaire et que l’Egalité est le principe fondamental de l’ordre social). — Selon le Petit Larousse illustré : Mode de vie propre à l’homme et à certains animaux, caractérisé par une association organisée d’individus en vue de l’intérêt général.

Citoyen : Individu admis à faire partie de la Cité, reconnu comme tel par la Cité, participant effectivement à la vie de la Cité et selon ce qu’elle considère comme une participation, faisant en un mot ce qu’elle attend de lui, la défendant au besoin, et jouissant en retour des mêmes droits fondamentaux et indirects que ses Concitoyens (dont celui de profiter des bienfaits de la Cité), étant ainsi leur égal en devoirs et en droits. — Selon le Petit Larousse illustré : Membre d’un Etat considéré du point de vue de ses devoirs et de ses droits civils et politiques.

Cité : Ensemble des Citoyens (sens large). Voir Société. / Ensemble de Citoyens nationaux, Nation (sens strict). / Toute personne ou toute institution représentant ou chargée de représenter légitimement, aux yeux des individus, les Citoyens ou les Concitoyens, l’intérêt général ou la volonté nationale. / Territoire sur lequel vivent des Citoyens sédentaires (au sens de pays, de patrie). — Selon le Petit Larousse illustré : Dans l’Antiquité et au Moyen Age, unité politique et économique constituée par une ville et son territoire.

Devoir : Pendant d’un droit. / Obligation dans le cadre d’une relation réciproque ; il n’y a pas de devoir sans réciprocité, dans l’inégalité en devoirs ou en droits. / Obligation envers la Cité et ses Concitoyens pour mériter soi-même et conserver la Citoyenneté et les droits qui vont avec. Obligation de la Cité envers ses Citoyens afin de leur garantir leurs droits et justifier qu’ils aient des obligations envers elle. / Les devoirs peuvent être d’ordre fondamental (dictés par l’acte d’association : défendre la Cité, être solidaire de ses Concitoyens, participer à la vie de la Cité), indirect (découlant de devoirs fondamentaux théoriques et les traduisant en pratique) ou particulier (découlant de devoirs indirects ou indépendants de la Citoyenneté, comme ceux liés à la Nationalité). — Selon le Petit Larousse illustré : Ce à quoi on est obligé par la loi, la morale, etc..

Droit : Pendant d’un devoir. Liberté, possibilité, capacité conférée par la Citoyenneté en contrepartie de l’acquittement des devoirs du Citoyen et garantie par la loi (la Cité). Il n’y a de droits au sens propre qu’en Société, dans l’Egalité entre Citoyens. / Liberté, possibilité, capacité conférée par le dévouement et la volonté des Citoyens à la Cité (et à ses représentants) afin que celle-ci remplisse les missions que les Citoyens lui ont confiées. / Liberté, possibilité, capacité reconnue par la Cité en vertu de son humanité à des individus n’étant pas Citoyens ou indépendamment de leur Citoyenneté. / Les droits peuvent être d’ordre fondamental (pendant des devoirs fondamentaux, conséquence immédiate, but suprême de l’acte d’association pour les Citoyens : Sécurité, Liberté, profiter des bienfaits de la Cité), indirect (découlant des droits fondamentaux, comme celui d’accéder au marché de la Cité) ou particulier (découlant de l’exercice d’un droit indirect, tel que la Propriété, ou pendant d’un devoir particulier). — Selon le Petit Larousse illustré : Faculté d’accomplir ou non quelque chose, d’exiger quelque chose d’autrui, en vertu des règles reconnues, individuelles ou collectives. Ensemble des principes qui régissent les rapports des hommes entre eux, et qui servent à établir des règles juridiques. Ensemble des règles juridiques en vigueur dans une société.

Egalité : Principe fondamental de l’ordre social ; elle ne concerne que les Citoyens d’une Cité donnée ; elle s’applique aux devoirs fondamentaux et aux droits fondamentaux et indirects, de sorte que les Citoyens sont réellement égaux en devoirs et en droits, dont celui de profiter des bienfaits de leur Cité. — Selon le Petit Larousse illustré : Rapport entre individus, citoyens égaux en droits et soumis aux mêmes obligation.

Loi : Règle sociale reconnaissant des droits, découlant de l’acte d’association politique (synonyme alors de Principe) ou adoptée par les Citoyens (nationaux) et égale pour tous les Citoyens. Toute règle formée autrement, c’est-à-dire sans l’aval des Citoyens, n’est pas une loi ou n’en a que le nom. — Selon le Petit Larousse illustré : Prescription établie par l’autorité souveraine de l’Etat, applicable à tous, et définissant les devoirs et les droits de chacun.

Principe : Règle, rapport, devoir, droit découlant de l’acte d’association politique, intrinsèque à l’ordre social, fondé sur l’Egalité, et antérieur à toute conceptualisation. — Aucun équivalent dans le Petit Larousse illustré.

Démocratie : Système économico-politique dans lequel les Citoyens réellement égaux en devoirs et en droits, dont celui de profiter des bienfaits de leur Cité, sont soumis à des lois expressément approuvées par eux, faisant d’eux en corps, c’est-à-dire du Peuple, le véritable souverain. / Seul régime possible d’une Société digne de ce nom. Il ne peut y avoir de véritable démocratie dans l’inégalité ; une Société fondée sur l’Egalité ne peut être autre que démocratique. / La démocratie strictement représentative qui dépouille de facto le Peuple de la souveraineté est une négation de la démocratie. — Selon le Petit Larousse illustré : Régime politique dans lequel le Peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l’intermédiaire d’un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentants interposés (démocratie représentative).


Telles sont les véritables définitions de tous ces mots. Toutes font intervenir la notion d’Egalité. Comment pourrait-il en être autrement quand il s’agit de concepts sociaux, sachant que l’Egalité est le Principe fondamental de l’ordre social ? Quelle valeur aurait des définitions qui permettraient de l’oublier, qui, par exemple, parleraient de loi sans rappeler qu’une loi au sens propre doit être égale pour tous et est soit une conséquence de l’acte d’association, soit l’expression de la volonté des Citoyens ; qui parleraient de citoyens comme s’il pouvait y en avoir dans l’inégalité ; qui parleraient d’égalité en droits, sans mentionner le droit, pour un Citoyen, de profiter des bienfaits de sa Cité en vertu de sa Citoyenneté ; qui parleraient d’individus sans tenir compte de leur Citoyenneté et de tout ce qu’elle implique ; qui définiraient le Citoyen comme étant quelqu’un qui appartient à la Cité, ce qui est juste, mais sans dire que l’appartenance implique la participation, etc. ? De telles définitions consacreraient tous les abus ou leur ouvriraient la porte ; elles empêcheraient dans tous les cas de la refermer. C’est avec des mots que l’on pense. Ce sont les mots creux qui soutiennent et rendent inébranlable le présent. C’est par des mots retrempés que commence la Révolution.

 

Philippe Landeux

Ecrit pour et signalé par Riposte Laïque

 

NOTES

(1) Il suffit de réfléchir à ce que sont les Principes fondamentaux d’une Société digne de ce nom et à la nature profonde de la monnaie, à ses postulats, à ses mécanismes (ou lois) intrinsèques et à ses effets naturels pour voir que les uns et les autres sont en totale opposition, et pour comprendre qu’une « société » ne peut être harmonieuse avec un cœur antisocial.

(2) Toutes les espèces vivantes se divisent en sous-ensembles qui, eux-mêmes, peuvent encore se subdiviser.  Au vrai, il en est de même pour toutes choses. Chaque espèce vivante, chaque sorte de choses renferme des unités de divers types qui peuvent constituer plusieurs  grandes catégories et former des classes particulières à l’intérieur de ces catégories. Ainsi, l’espèce humaine se subdivise-t-elle en races, elles-mêmes en ethnies. Il ne s’agit pas ici de savoir comment cela s’est produit mais simplement de le constater. Force est également de constater que les races humaines correspondent à des espaces géographiques bien déterminés, souvent éloignés les uns des autres et parfois séparés par des frontières naturelles quasi infranchissables pour des hommes primitifs. S’il n’est donc pas impossible que les « Sociétés » actuelles comprennent des individus venant des quatre coins du monde, il est évident que ce mélange racial ne pouvait pas exister dans les Sociétés primitives, les différentes races n’ayant alors aucun contact entre elles, contrairement aux ethnies. Il s’ensuit que les Sociétés actuelles qui sont le développement des Sociétés primitives ont été bâties par des individus d’une même race et que la dimension raciale fait partie de leur identité. Que les hommes aient aujourd’hui les moyens de circuler et de s’agréger aux Sociétés les plus ouvertes (car toutes ne les sont pas, et les plus critiquées sont souvent celles qui méritent le moins de l’être de ce point de vue) n’enlève rien au fait que les Sociétés qui les accueillent, tout comme celles qu’ils ont quittées, ont une dimension raciale qui peut être nuancée mais ne doit pas disparaître ou être niée sous peine de les anéantir.

(3) D’après les Principes de l’ordre social pris au pied de la lettre, les enfants, les inactifs, les fainéants, les malades, les vieux et les étrangers, qui ne participent pas à la vie de la Cité, voire sont une charge pour elle, ne sont pas ou plus Citoyens et n’ont donc aucun droit dans la Cité. Il se peut que les capacités et la mentalité de la Cité évoluent au point de permettre de reconnaître des droits aux individus de ces catégories, voire même de pousser à l’extrême le devoir de solidarité et de ne plus déchoir de la Citoyenneté certains d’entre eux. Néanmoins, en ce qui concerne les enfants, jamais ceux-ci ne seront Citoyens, ne seront considérés comme tels et ne jouiront des droits attachés à ce statut, sauf à ne pas leur accorder tous les droits en raison de leur jeunesse et de leur incapacité à les exercer, à admettre que les Citoyens peuvent être inégaux et à détruire ainsi l’Egalité et la Société au nom d’individus qui ne sont même pas Citoyens. Il ne faut donc pas confondre les droits que la Cité reconnaît par humanité à des individus pourtant à charge et ceux du Citoyen que les individus méritent par eux-mêmes ; les deux sont appelés « droits », mais ils n’ont pas la même origine et ne sont pas de la même nature. L’humanité peut compléter les Principes ; elle ne doit en aucun cas les saper sous peine de scier la branche sur laquelle elle prend appui.

(4) La question de dominance chez les animaux sociables fausse souvent le jugement des hommes qui oublient que, dans les Sociétés animales, leurs membres n’ont qu’un seul droit, celui d’être en sécurité (ce qui se limite généralement à être en sûreté et, chez les carnivores, à pouvoir manger). Les priorités ou les exclusivités que peuvent avoir les dominants dans certains domaines ne compromettent pas la Sécurité des autres individus et ne sont donc pas une atteinte au Principe d’Egalité.

(5) Les Citoyens qui remplissent un devoir indirect découlant d’un devoir fondamental s’acquittent chacun à leur façon dudit devoir fondamental, sont par conséquent Citoyens au même titre et doivent jouir des mêmes droits. Autrement dit, les droits des Citoyens ne varient pas selon leur fonction, puisque toutes les fonctions qu’ils remplissent dans l’intérêt de la Cité sont des portes de la Citoyenneté qui ouvrent sur les mêmes droits. Quelle que soit sa fonction dans la Cité, un Citoyen est Citoyen. Bien que les fonctions soient par nature différentes et « hiérarchisables », cela ne justifie aucunement que les Citoyens soient inégaux en droits, ce qui serait nier leur Citoyenneté même et les exempterait de tout devoir. Il est donc absurde de croire que la hiérarchie inévitable et nécessaire implique l’inégalité en droits des Citoyens et que l’Egalité proscrit la hiérarchie des fonctions et des hommes qui les occupent. Egalité et hiérarchie sont parfaitement compatibles. La cause actuelle de l’inégalité « en droits » est fondamentalement ailleurs que dans la hiérarchie.

(6) Des individus « associés » contre leur gré ne forment pas une association puisqu’ils sont davantage dans un rapport maîtres / esclaves, donc dans un rapport de force, comme dans l’état de Nature. Pour les faibles, cette « association » est en elle-même un danger à conjurer soit par la fuite, soit par le meurtre. Pour les forts, la présence des faibles, censés les protéger, est illusoire et dangereuse car ceux qu’ils oppriment sont en droit de les tuer à la première occasion et n’ont aucune raison de les aider à repousser un ennemi extérieur, auquel ils sont même susceptibles de prêter main forte. L’union forcée n’est donc dans l’intérêt de personne.

(7) Cette conception de la Citoyenneté — quiconque participe à la vie de la Cité est Citoyen et doit être l’égal en droits de ses Concitoyens — condamne par nature l’esclavage qui sévissait dans les cités antiques. Dans ces cités, la citoyenneté était l’apanage des guerriers professionnels ou occasionnels et correspondait à ce que nous appelons ici la Nationalité (cf. VIII. Citoyenneté / Nationalité), terme qui n’existait pas alors. De plus, ce que nous appelons la Citoyenneté n’existait pas comme statut, de sorte que ceux qui étaient Citoyens selon les présents critères (participer à la vie de la Cité), mais pas selon les critères anciens (défendre la cité), n’étaient rien (femmes, étrangers libres dits métèques chez les Grecs, esclaves). Aujourd’hui, les choses sont inversées mais fondamentalement semblables : citoyenneté et nationalités sont confondues, les termes sont utilisés indifféremment, et ce que les anciens appelaient citoyenneté correspond à ce que nous appelons généralement nationalité. C’est pourquoi les travailleurs immigrés non-naturalisés ne sont toujours pas considérés comme des citoyens. Mais la confusion entre nationalité et citoyenneté fait que la première qui aujourd’hui n’implique aucun devoir attestant la fidélité envers la nation bien qu’elle confère des droits politiques est accordée selon les critères à la fois plus larges et inconsistants, en un mot insipides, de la notion actuelle de citoyenneté. C’est pourquoi les « citoyens du monde » autoproclamés et les immigrés naturalisés mais non assimilés qui, tous, au mieux, ne devraient pas être plus que de simples Citoyens se fourvoient quand ils brandissent leur nationalité comme un sésame, car elle n’a objectivement aucune valeur, ce dont les nationaux réellement attachés à la nation ne sont pas dupes. Pire ! alors que la Citoyenneté et la Nationalité se méritent et peuvent être retirées, leur actuelle confusion fait qu’elles sont quasi inaliénables, dans la mesure où la déchéance justifiée de l’une entraînerait parfois la déchéance abusive de l’autre, si bien que, pour parer à un abus, on accepte le scandale. Ainsi, la confusion des notions les affaiblit mutuellement et entraîne l’étiolement des choses.

(8) Toute propriété est relative : elle n’est réellement reconnue que par la Société qui la défend contre les malfaiteurs intérieurs et les ennemis extérieurs. Hors de cette Société et sans sa force, la Propriété n’existe pas plus que n’importe quel autre droit, même si l’absence momentanée d’agressions étrangères peut faire illusion. Qu’une guerre survienne contre un ennemi plus fort : le pays est envahi, conquis, les biens sont détruits ou enlevés sans vergogne, les habitants sont tués, chassés, exploités, dépouillés, expropriés, les droits dont ils s’enorgueillaient sont méconnus ou, au mieux, maintenus par le vainqueur par intérêt ou humanité. Il en est de même pour l’ensemble du territoire que la Cité considère comme sa Propriété mais qui n’en est une qu’à ses propres yeux et qui n’en est donc pas une dans l’absolu. Si elle ne sait pas le défendre et le conserver, ce territoire sera un jour celui de plus fort qu’elle.

(9) Un bien matériel ne flotte pas dans l’espace : il appartient fatalement à quelqu’un, que ce quelqu’un soit une personne physique ou une personne morale, c’est-à-dire un groupe de personnes pouvant aller du couple à l’ensemble des Citoyens, en passant par tous les sous-ensembles possibles. Ajoutons d’ailleurs que toute propriété est privée du point de vue de ceux qui n’en sont pas propriétaires ou n’ont simplement pas le droit d’en user. La notion de propriété privée n’a donc aucun sens. On ne peut distinguer que la propriété personnelle (dont seul l’individu propriétaire, voire sa famille, peut user), la propriété collective (dont tous les membres d’une collectivité donnée peuvent user à des fins personnelles) et la propriété commune (dont l’usage peut être que collectif ou individuel mais dans l’intérêt de la communauté).

(10) Sous ses apparences sociales, le slogan « La terre aux paysans » est totalement antisocial. L’exploitation du sol est le moyen de nourrir la Cité, c’est-à-dire l’ensemble des Citoyens. C’est à cette fin que la Cité en confie des portions aux paysans, aux éleveurs, etc.. Ces derniers ne peuvent donc user du sol comme ils veulent, selon leurs intérêts ; ils doivent l’exploiter, remplir leur fonction et mettre leur production sur le marché de la Cité pour que tous Citoyens y accèdent. Les paysans ne sont et ne doivent être propriétaires ni du sol ni de leur production puisque, dans le cas contraire, ils auraient, grâce à la Cité, le pouvoir d’affamer les Citoyens, ce qui, même s’ils n’usaient pas de ce pouvoir, serait une aberration. Cela ne veut pas dire que les paysans sont des esclaves, qu’ils travaillent pour rien, mais que, à l’instar de leurs Concitoyens, leurs droits ne dépendent pas de quelque propriété mais de leur Citoyenneté. 

(11) « Les lois doivent être égales pour tous les Citoyens. » Il ne faut pas réduire cette formule à « les lois doivent être égales pour tous », ce qui ne veut plus rien dire. Les lois concernant les Citoyens doivent en effet être égales, mais cette égalité ne s’étend pas aux étrangers (touristes, travailleurs étrangers de passage, immigrés clandestins) qui, n’étant pas Citoyens, peuvent et doivent être soumis à des règles ou des lois particulières, sous peine de nier la spécificité des uns et les autres, de traiter les Citoyens comme des étrangers ou les étrangers comme des Citoyens, ce qui serait absurde dans les deux cas. Tenir compte des différences réelles n’est pas faire de la discrimination qui consiste à « établir » des différences artificielles. Ici, l’abus serait non de distinguer mais d’égaliser ce qui est bel et bien différent en terme de statut.

(12) Les théoriciens de la démocratie ont vu le piège et l’imposture du régime représentatif où un corps d’élus, souvent issus d’une même classe sociale, finit par dépouiller le Peuple de la souveraineté et par agir contre lui, soi-disant en son nom. Tout d’abord, le Peuple ne peut être représenté que par lui-même. Des élus ne sont pas des « représentants », mais des mandataires ayant pour fonction de faire ce que le Peuple dans son entier ne peut faire par lui-même et de soumettre leur ouvrage à la ratification du Peuple afin qu’il devienne le sien. Appeler « représentants du Peuple » des individus qui ne sont que ses mandataires a évidemment pour but ou du moins pour conséquence de supprimer la procédure de ratification populaire sous prétexte que le Peuple s’est déjà exprimé à travers ses soi-disant représentants, donc de mettre les mandataires à la place du Peuple. Cependant le problème n’est pas qu’il y ait des mandataires, mais que le régime soit exclusivement « représentatif ». La démocratie directe n’est possible que dans des Sociétés où les Citoyens sont très peu nombreux, de sorte que très vite s’instaure une forme de mandature. L’important n’est donc pas de savoir comment sont déterminés les mandataires, mais si les lois qu’ils imaginent sont ratifiées par le Peuple et deviennent ainsi son œuvre. C’est la caution populaire des lois qui caractérise la démocratie, et non le mode de désignation des législateurs qui peuvent être élus, tirés au sort, nommés, voire autoproclamés. La ratification n’est inutile que dans le cas du mandat impératif, c’est-à-dire lorsque les élus ont pour mission expresse de soutenir un projet de loi précis. Ce cas mis à part, une élection n’est pas un référendum. On doit même dire que, sans ratification systématique des lois imaginées par les élus, des élections ne sont qu’une mascarade démocratique. En effet, si des élus ne sont pas tenus de respecter leurs promesses et peuvent faire ce qu’ils veulent, s’ils trompent leurs électeurs sur toute la ligne, leur élection ne légitime en rien leurs agissements qui oscillent entre la duperie et l’improvisation. Or il est évident que les élus ne tiendront pas toutes leurs promesses et seront amenés à improviser. En somme, une seule chose est vraie ; leur personne a été élue. L’élection ne légitime donc pas leurs actes ; elle leur confère simplement le droit d’occuper une fonction, instituée pour servir le Peuple. En clair, la mandature a pour but de permettre à un nombre réduit de personnes, non de substituer leur volonté à celle de l’ensemble des citoyens, mais de faire ce dont une multitude serait incapable, à savoir délibérer et formuler des lois, ce qui ne veut pas dire les adopter. L’assemblée législative propose ; le Peuple dispose. C’est cela la démocratie. La « démocratie représentative » est donc une double imposture.

(13) Une Société digne de ce nom est par nature égalitaire et démocratique. La Société, l’Egalité et la démocratie (authentique) sont des notions indissociables ; l’une ne peut exister sans les autres. Les expressions « société égalitaire » et « société démocratique » sont des pléonasmes comme « justice sociale » ou « arbre en bois ». A l’inverse « société inégalitaire », « société individualiste » sont des oxymores. Dans ces cas, il ne faut pas parler de société mais de système ou de concentration d’individus.

(14) Le danger que représentent des individus naturalisés mais n’ayant pas la nation dans le cœur, ou pire, en ayant une autre, est parfaitement illustré par l’ancien ministre délégué à la promotion de l’Egalité des chances, Azouz Begag qui, interviewé par le journal El-Khabar, déclare, le 31 octobre 2010 : « Le meilleur moyen de servir les intérêts de l’Algérie est de former et soutenir une nouvelle génération d’hommes politiques issus de l’immigration algérienne en France, afin de les propulser à l’Assemblée nationale où ils pourront voter des lois favorables à l’Algérie ! ». Ces paroles sont-elle dignes d’un ex-ministre français ? Sont-elles seulement dignes d’un Français ordinaire ? Mais sont-elles vraiment surprenantes de la part d’un Azouz (cf. mes articles sur l’importance des prénoms) ?

(15) Les conditions pour pouvoir prétendre à la Nationalité d’une Cité sont fixées par la loi qui, elle-même, est établie par les Citoyens nationaux. Quoique certaines conditions pour appartenir à une Nation et remplir certains devoirs tombent sous le sens, chaque Cité est libre d’en réduire ou d’en allonger la liste, de baisser ou d’élever le niveau de ses exigences. Cependant, tout Citoyen doit pouvoir remplir ces conditions pour peu qu’il le veuille et que la Cité lui en donne les moyens, puisque la loi doit être égale pour tous les Citoyens et qu’aucun ne doit être discriminé de fait. En théorie, ceci exclut des conditions d’ordre naturel portant sur la race, le sexe, la taille, etc.. En pratique, rien, hormis leur éthique, la force et le temps, ne peut empêcher les Citoyens nationaux qui sont juges et partie d’adopter les lois qui leur paraissent nécessaires ou judicieuses pour constituer et préserver la Nation telle qu’ils la conçoivent.

(16) Toute Société, tout groupe, a besoin d’un chef, d’un leader, d’un dirigeant pour « réaliser l’unité ». Une Société n’est pas une juxtaposition d’individus, mais une union. La volonté de tous ne doit faire qu’une. Or il est impossible que les volontés individuelles ne fassent qu’une si chacune reste indépendante des autres, si aucun individu, à un moment ou à un autre, ne sert pour ainsi dire d’entonnoir et ne synthétise la volonté générale. Ses attributions exactes peuvent varier, mais sa fonction est vitale pour le groupe. Qu’il ait l’autorité pour prendre des décisions seul, que ses décisions soient soumises à l’approbation avant exécution, ou qu’il soit l’instrument de décisions collectives, c’est lui qui, en incarnant le groupe, fait des individus un groupe. Même un groupe qui prendrait toutes ses décisions collectivement, même si des individus pouvaient être unanimes pour chaque décision à prendre, un leader serait toujours nécessaire pour conduire les débats, exécuter les décisions, en assurer le suivi, donner le tempo, etc.. Pour qu’un groupe parle d’une même voix, une seule bouche doit parler en son nom. Il n’y a pas d’exemple de groupe sans leader. Il y en a toujours un, même s’il est parfois officieux, ce qui est alors pire pour lui et pour le groupe qu’un leader officiel.

(17) Peu importe le titre du chef : seules comptent la manière dont il a accédé à cette fonction et sa façon de l’exercer. Un même titre peut recouvrir des pouvoirs de natures fondamentalement différentes. Les premiers chefs étaient élus et appelés rois, ce que nous appellerions des présidents à vie ou à durée indéterminée. Ils pouvaient néanmoins être déposés. Plus tard, pour prévenir les conflits de succession, les chefs qui jusque-là étaient souvent choisis parmi les enfants ou les parents de l’ancien chef furent obligatoirement le fils et le plus proche descendant mâle du chef décédé : la royauté devint héréditaire. Ce système avait bien un avantage, mais il ne garantissait plus la valeur personnelle du chef et permettait même à celui-ci d’abuser de son autorité puisqu’elle n’était plus contestable. Le titre de roi n’avait plus du tout le même sens. La notion de président se rapproche davantage de celle de roi au sens antique. Mais elle offre elle aussi des nuances. Un président est élu. Pourtant, tout change suivant qui vote et la durée du mandat. Une élection au suffrage universel direct confère la légitimité. Mais une élection ou une nomination par des électeurs, de grands électeurs ou des députés, eux-mêmes chargés ou non d’un mandat impératif, confère une légitimité plus ou moins faible, voire nulle, et des capacités en proportion. La durée du mandat et la possibilité ou non d’être rééligible jouent aussi sur les capacités et les priorités du président. Le chef ne se définit donc pas par son titre mais par ses pouvoirs réels, lesquels dépendent du mode de sa nomination  et des ses attributions. L’histoire fourmille d’exemples de chefs ayant tantôt conservé le titre prestigieux de leur prédécesseur afin de donner une illusion de continuité et de bénéficier de préjugés favorables alors que leurs pouvoirs étaient différents, tantôt renoncé à un titre devenu impopulaire tout exerçant les mêmes pouvoirs sous un autre nom. Il ne faut pas être dupe des mots. Il ne faut pas non plus rejeter la fonction de chef par crainte d’être abusé. C’est en raison de ce travers que la France a connu une période sans chef, de 1792 à 1799, entre le renversement de Louis XVI et l’avènement de Napoléon. La monarchie avait créé chez les révolutionnaires une défiance insurmontable vis-à-vis de la fonction de chef, sous quelque nom que ce soit. Mais elle est une nécessité sociale et il était inévitable qu’elle réapparaisse rapidement pour ne plus jamais disparaître. Napoléon fut d’abord premier Consul pour dix ans, puis Consul à vie, puis Empereur. Il ne fut jamais élu mais toujours plébiscité. Il était donc légitime. Mais qu’était-il au juste ? Un roi, un président, un dictateur ? Il était tout cela à la fois. Au fond, ce ne sont pas tant les hommes qui décident de la forme à donner au pouvoir exécutif que les conditions historiques ou les circonstances ponctuelles qui, par la force des choses, leur en impose une en condamnant à brève échéance celles qui sont inadaptées.    
 
(18) Toute forme de participation à la vie de la Cité est une fonction. Utiliser le mot fonction dans son acception la plus large est donc sans intérêt, de sorte que ce terme est usité pour qualifier des activités particulières, celles qui consistent, pour des Citoyens, à incarner la Cité aux yeux de leurs Concitoyens, qu’il s’agisse pour la Cité de remplir ses devoirs envers eux, d’exercer ses droits ou d’être simplement une interlocutrice. Autrement dit, lorsque les Citoyens dans leur ensemble ne peuvent plus, en raison de leur nombre, assumer collectivement et en permanence certains des rôles de la Cité vis-à-vis d’eux en tant qu’individus, ces rôles doivent être confiés à des Citoyens ou à des sous-ensembles de Citoyens appelés institutions. (Il est important de bien souligner que ces rôles sont des fonctions quand ils sont remplis en permanence, et non de manière occasionnelle, c’est-à-dire quand les Citoyens qui les remplissent n’ont pas besoin de participer autrement à la vie de la Cité.) Les fonctions et les institutions peuvent elles aussi, quand leurs missions se multiplient et qu’elles n’y suffisent plus ou qu’elles s’éloigneraient trop de leur rôle premier, créer une nouvelle branche et donner naissance à une nouvelle fonction ou institution autonome. L’ensemble de ces fonctions et institutions constituent l’Etat, distinct de la Cité dont il n’est qu’une figuration. (Ces fonctions, ces charges, ces postes, ces emplois peuvent être pourvus de différentes manières, selon leur nature, selon des traditions, selon l’époque, mais qui les occupent ? importe moins, en définitive, que comment ils s’en acquittent, bien que certaines façons de les pourvoir soient par nature calamiteuses.) Les fonctions et les institutions apparaissent donc progressivement et logiquement avec l’accroissement du nombre de Citoyens. Bien sûr, elles n’ont pas à l’origine le nom, le sens, l’activité, l’importance et la complexité qu’elles prennent par la suite. Quoi qu’il en soit, toute fonction nouvelle procède d’une ou plusieurs fonctions préexistantes : sa raison d’être est de remplir avec plus d’efficacité (question d’organisation) ou de manière plus légitime (question de composition) un des aspects d’une autre fonction, le fonctionnaire ne suffisant plus à la tâche. C’est pourquoi les fonctions originelles conservent toujours des attributions normalement abandonnées aux fonctions dont elles ont accouchées et qu’elles les font valoir dans les cas extraordinaires. Il s’ensuit que le Peuple et le chef peuvent exceptionnellement exercer tous les pouvoirs dévolus aux fonctionnaires dont l’institution découlent fatalement, directement ou indirectement, de l’un ou de l’autre ou des deux à la fois. On peut dire la même chose au sujet des divers postes créés dans le cadre d’une fonction : celui qui occupe la fonction, le premier fonctionnaire, peut agir à la place de tous ceux qui sont sous ses ordres en tant qu’aides.
D’après ces considérations, il est dans la logique des choses qu’après le chef apparaissent des policiers (Ils procèdent du chef, quoique avec l’évolution ils soient aussi sous l’autorité du pouvoir judiciaire, d’où un conflit permanent.), puis des juges (Ils procèdent à la fois du chef, qui jusque-là en faisait parfois office, et du conseil des anciens dont toutes les sociétés primitives attestent l’existence et qui, sans être une institution proprement dite, est l’embryon du pouvoir législatif.), puis des magistrats (Ils procèdent du chef puisqu’ils le représentent), puis des militaires (Ils ne représentent pas la Cité aux yeux de leurs Concitoyens, mais face à l’étranger. Bien que sous les ordres du chef, ils procèdent des Citoyens qui, jusque-là, étaient tous des guerriers occasionnels.), puis des percepteurs (Ils procèdent directement du chef ou des magistrats. Jusque-là, leur tâche était assurée par des policiers. La professionnalisation des soldats impose la mise en place d’un système efficace de prélèvement qui, du reste, est dans l’intérêt de tous les fonctionnaires et, quand il est juste, de tous les Citoyens. Leur rôle est perçu négativement, mais ils représentent bien la Cité.) et enfin des députés (Ils procèdent du Peuple au nom duquel ils parlent. S’ils procèdent du chef ou s’autoproclament, ils ne représentent rien.)
En songeant à l’évolution des sociétés, on pense à deux personnages importants que l’on retrouve systématiquement sous des noms variables, d’abord confondus puis distincts : le prêtre et le médecin. Ces personnages ont bien une utilité, comme du reste tous les Citoyens, mais ils n’ont pas une fonction, ils ne représentent d’aucune façon la Cité. On peut en dire autant des maîtres, ancêtres des enseignants, qui, à l’origine et pendant longtemps, se confondent d’ailleurs avec les prêtres. 
Terminons avec les cas des ministres et des maires. Les premiers ne sont pas une fonction indépendante du chef dont ils ne sont que des aides et, même au début, des conseillers. Les seconds ne représentent pas la Cité mais seulement une portion des Citoyens. C’est donc bien une fonction, mais d’un genre particulier, du moins quand ils sont élus. S’ils sont nommés, ce ne sont que des magistrats et représentent le chef.

(19) Quand on considère un système politique, l’important n’est pas de savoir comment il se fait appeler, mais qui fait les lois, au nom de quoi et dans l’intérêt de qui. La réalité des choses que des mots recouvrent importe plus que les mots eux-mêmes, souvent creux ou illusoires. Cette remarque n’est pas sans rappeler cette déclaration mémorable : « Est-ce dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ? Sont-ce les définitions inventées par les diplomates pour classer les diverses formes de gouvernement qui font le bonheur et le malheur des nations, ou la combinaison des lois et des institutions qui en constituent la véritable nature ? Toutes les constitutions politiques sont faites pour le Peuple ; toutes celles où il est compté pour rien, ne sont que des attentats contre l’humanité ! Eh ! que m’importe que de prétendus patriotes me présentent la perspective prochaine d’ensanglanter la France, pour nous défaire de la royauté, si ce n’est pas la souveraineté nationale et l’égalité civile et politique qu’ils veulent établir sur ses débris ? Que m’importe qu’on s’élève contre les fautes de la cour, si loin de les réprimer, on ne cesse de les tolérer et de les encourager, pour en profiter ? Que m’importe que l’on reconnaisse, avec tout le monde, les vices de la constitution qui concernent l’étendue du pouvoir royal, si on anéantit le droit de pétition ; si on attente à la liberté individuelle, à celle même des opinions ; si on laisse déployer contre le Peuple alarmé une barbarie qui contraste avec l’éternelle impunité des grands conspirateurs ;  si on ne cesse de poursuivre et de calomnier tous ceux qui, dans tous les tems, on défendu la cause de la nation contre les entreprises de la cour et de tous les partis ? » (Robespierre, extrait de son journal Le défenseur de la Constitution, 17 mai 1792)

(20) « La véritable nature du pouvoir législatif détermine [...] celle du pouvoir exécutif qui est établi par la loi et dirige la Cité conformément aux lois ». Selon le point 90, le pouvoir exécutif est antérieur au pouvoir législatif. Il semble donc qu’il y ait une contradiction : comment le pouvoir exécutif peut-il être établi par la loi et diriger conformément aux lois si le pouvoir législatif n’est pas lui-même institué ? C’est oublier que des lois, au vrai sens du terme, sont l’expression de la volonté du Peuple et que le pouvoir législatif, en tant qu’institution, n’est que l’instrument du Peuple dans l’œuvre législative. Ainsi, lorsque le pouvoir législatif n’existe pas, le pouvoir exécutif est directement établi par le Peuple et dirige conformément à ses vœux qui font loi ; et lorsque le pouvoir législatif existe et est l’organe qui exprime les lois, c’est son rôle de définir et de borner les pouvoirs de l’Exécutif, de sorte que le pouvoir exécutif est établi par la loi, plus exactement par la Constitution, et dirige bien selon les lois. Quand la loi est véritablement l’expression de la volonté du Peuple, loi est synonyme de Peuple et le principe posé est toujours vrai. Mais ceci reste vrai quand le pouvoir législatif échappe au Peuple ou que le pouvoir exécutif s’en empare. Ce qui change alors, c’est la véritable nature du pouvoir législatif (cf. § 63). Dans le premier cas, le pouvoir exécutif est toujours assujetti aux lois édictées par le pouvoir législatif sans le consentement du Peuple ; dans le second, le pouvoir exécutif est le pouvoir législatif et est donc « soumis » aux lois qu’il se donne lui-même. (Dans ce second cas, la nature du pouvoir législatif qui ne peut être despotique par lui-même mais seulement oligarchique avec des nuances indique toujours, à travers lesdites nuances, la nature despotique ou dictatoriale du pouvoir exécutif.) Dans les deux cas, le système législatif n’est plus démocratique mais oligarchique sous une forme ou sous une autre, les lois ne sont plus dans l’intérêt du Peuple, et peu importe du point de vue des Principes à quelle sauce le Peuple est mangé, même si certaines sont plus douces ou épicées que d’autres. 

(21) Un système peut être politiquement démocratique sans être pour autant une authentique démocratie (cf. § 70). Un système est authentiquement démocratique s’il est une démocratie de fond en comble. Or une authentique démocratie exige un système économique égalitaire, un système dans lequel les Citoyens soient réellement égaux en droits, dont celui de profiter des bienfaits de la Cité, autrement dit un système dans lequel il n’y ait ni riches ni pauvres, mais seulement des Citoyens d’un poids économico-politique égal, ce qui est impossible dans un système monétaire, sous Largent (croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger). Dans un système monétaire, inégalitaire par nature, la volonté des hommes ne suffit pas pour instaurer une authentique démocratie. Les lois de Largent prévalent toujours sur celles des hommes, et les riches qui n’ont pas les mêmes intérêts que les pauvres ont toujours plus de poids qu’eux pour faire prévaloir les leurs. Dans un tel contexte, tout ce que peuvent faire les hommes, c’est tendre vers la démocratie pour en avoir l’illusion, c’est-à-dire suivre tous les Principes excepté ceux qui remettent en cause Largent qui fausse tout, et instaurer un système parfaitement démocratique du point de vue de la philosophie politique.

(22) Une dictature n’est en soi ni bonne ni mauvaise. Tout dépend du contexte et du but que s’assignent les dirigeants de cette dictature. Il est évident que, en temps normal, une dictature à caractère permanent, est « mauvaise », du moins injuste, puisque la force du gouvernement est manifestement dirigée contre les citoyens, qu’elle porte volontairement atteinte à leurs libertés, à leur sécurité et à l’Egalité, et qu’elle n’est du reste concevable que dans l’inégalité. En revanche, face à un péril extraordinaire et pressant, menaçant d’emporter la Société, revêtir les dirigeants légitimes d’un pouvoir dictatorial, afin qu’ils puissent agir avec célérité et sans souffrir d’opposition, est souvent le seul moyen pour la Cité d’en réchapper. Tel était le sens du mot dictature dans l’antique république romaine. Tel fut aussi, en quelque sorte, le rôle officieux du grand Comité de salut public durant la Révolution française, dans un pays déchiré par la guerre civile, attaqué sur toutes ses frontières et obligé de mobiliser toutes ses ressources, un pays qui plus est instable politiquement vu la jeunesse de la République et, partant, en proie à la lutte à mort des factions (groupuscules incarnant soit des classes sociales soit des conceptions politiques). 

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