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samedi, 23 février 2013

PENSEE DU JOUR : le dilemme

Les droits du quotidien passent tous par la monnaie. Leur étendue est en proportion de la fortune, et la moindre différence de fortune est une inégalité en droits. Largent et l’Egalité sont fondamentalement incompatibles. Pour que l’Egalité soit, il faut que Largent meure.

vendredi, 22 février 2013

PENSEE DU JOUR : la solution est à l'opposé

Sous Largent, les citoyens ont un pouvoir d'achat limité et inégal. La solution, c'est le contraire.

mardi, 19 février 2013

PENSEE DU JOUR : Différences et inégalités

L’usage abusif ou inapproprié du mot « droit » le vide de son sens et galvaude la notion d’Egalité.

Il n’y a pas d’« inégalités naturelles », parce qu’il n’y a aucune Egalité possible et concevable dans la nature. Ce que l’on appelle « inégalités » ne sont que des « différences ».

Les différences résultent de comparaisons plus ou moins absurdes entre objets distincts, entre lesquels il ne peut y avoir, au mieux, que des ressemblances, jusqu’à l’identique.

Il n’y a pas davantage d’« inégalités en droits », parce qu’il n’y a aucun droit, au sens propre, dans l’inégalité. Ce que l’on appelle « droits » ne sont alors que des privilèges ou des oppressions, au mieux des jouissances méritées.

Les droits impliquent des devoirs entre les individus considérés ensemble, et non pas séparément, car un individu n’a pas de droits en soi, il ne génère pas de droits pour lui-même. Ce sont les devoirs que des individus remplissent les uns envers les autres qui génèrent et garantissent les droits de chacun d’eux. Et comme il n’y a pas de devoirs sans réciprocité, c’est-à-dire sans que tous les individus impliqués dans cette relation aient les mêmes devoirs les uns envers les autres, autrement dit des devoirs égaux, un tel rapport implique nécessairement l’égalité en droits.

08:09 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 7.1. PENSEES DU JOUR | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

dimanche, 17 février 2013

PENSEE DU JOUR : Sisyphe vs Ulysse

Si l’on considère les hommes, le système a mille, un million, un milliard de têtes ; il est invincible.

Mais si l’on considère les choses, le système a un principe : Largent ; il est donc vulnérable à condition toutefois de viser juste et que la Révolution n'ait pas une, mais mille, mais un million de têtes pleines de cette idée.

mardi, 22 janvier 2013

LES LIMITES DE LA DEMOCRATIE

« Jamais dans une monarchie, l’opulence d’un particulier ne peut le mettre au-dessus du prince ; en revanche, dans une république, elle peut aisément le mettre au-dessus des lois. » 

                     Jean-Jacques Rousseau, lettre à d’Alembert

Il devient de plus en plus évident que nous ne sommes pas en démocratie. Malgré les partis politiques et les médias dominants qui parlent à longueur de temps de défendre la démocratie, qui nous vendent la « démocratie » représentative comme la panacée de la démocratie, de plus en plus de gens réalisent que notre système n’a rien de démocratique.

La démocratie ne consiste pas à avoir le droit de voter, une fois tous les cinq ans, pour des personnes que l’on n’a pas choisi de présenter et qui, une fois en poste, auront le droit à peu près illimité d’agir à leur guise. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple. Il n’y a de souverain que le peuple. Il n’y a de constitutionnelle que la volonté du peuple. Tout subterfuge permettant de mettre une volonté particulière à la place de la volonté du peuple est un crime de lèse-nation. Prétendre qu’un système politique fondé sur un pareil crime est démocratique est une escroquerie.

Un des pères de la démocratie, Jean-Jacques Rousseau, a écrit : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. » (Du Contrat Social, Livre III, Chap. 15, Des députés ou représentants) Ces idées furent portées notamment par Marat, assassiné, et Robespierre, exécuté. Elles furent inscrites dans la constitution de 1793, enterrée avec Robespierre.

Déjà la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, rédigée par une assemblée aristo-bourgeoise, nia le principe en faisant mine de l’adopter. L’article 3 porte : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Jusque-là tout va bien. Mais l’article 6 stipule : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. » Cet ajout anodin renverse tout l’édifice. Il suffit en effet d’instituer de soi-disant représentants du peuple sans laisser aux citoyens de moyens constitutionnels de concourir personnellement à la formation des lois ou de s'opposer légalement à l'ouvrage des élus pour que le système politique soit exclusivement représentatif, la souveraineté confisquée et la volonté du peuple nulle. Or la même Assemblée adopta le 10 août 1791 l’article « constitutionnel » suivant : « La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible ; elle appartient à la nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ; mais la nation, de qui émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. » Toujours ce mélange de belles intentions et d'arnaque. Robespierre protesta : « On ne peut dire que la nation ne peut exercer ses pouvoirs que par délégation ; on ne peut dire qu’il y ait un droit que la nation n’ait point. On peut bien régler qu’elle n’en usera pas, mais on ne peut pas dire qu’il existe un droit dont la nation ne peut pas user si elle le veut. » Vaine protestation. Le peuple et les principes n’ont que peu de défenseurs parmi les ci-devant nobles, les bourgeois, les nantis, ceux qu’à l’heure de la novlangue nous appelons les élites. L’esprit du système adopté alors perdure de nos jours. La fallacieuse Déclaration de 1789 est le préambule de la constitution de la Ve République. Ainsi les Constituants ont institué un système qui n’était pas démocratique, et leurs successeurs ont eu l’impudence de l’appeler « démocratie ».

Toute l’astuce de cette pseudo démocratie repose sur l’octroi aux « citoyens » d’un droit de vote illusoire. Les citoyens ne votent rien ; ils élisent. Et ils n’élisent pas qui ils veulent, mais qui est candidat. Or être candidat n’est pas à la portée du premier venu, mais seulement des hommes de parti et d’argent. Les programmes présentés par les candidats, d’après lesquels les électeurs sont censés les départager, ne sont pas moins illusoires puisqu’il n’y a pas de mandat impératif, puisque le mandat impératif est même illégal en France. Le mandat impératif consiste à être mandaté, c’est-à-dire élu, pour accomplir une chose bien précise. L’absence de mandat impératif signifie donc que les élus ne sont tenus en rien d’appliquer leur "programme", qu’ils sont même libres de faire tout le contraire. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! L’élection ne légitime donc pas les actes des élus. Ceci est évident s’ils trahissent leurs promesses. Mais elle ne les légitime pas non plus s’ils les tiennent toutes. En effet, comment savoir si les électeurs étaient d’accord avec l’ensemble des mesures proposées ? Peut-être étaient-ils malgré tout en désaccord avec certaines ! Peut-être même ont-il « voté » que par défaut ! Une élection ne vaut pas référendum. Elle n’autorise pas les élus à faire ce qu’ils ont annoncé et moins encore à improviser. Dans les deux cas, cela reviendrait à remplacer en tout ou partie la volonté du peuple par celle des élus, ce qui est par définition contraire à la démocratie.

Remarquons bien que les élections reposent sur le principe de la souveraineté du peuple : les élus tirent leur légitimité du vote populaire. Mais, dans les conditions actuelles, elles violent aussitôt ce même principe, puisque les élus sont indépendants du peuple. Autrement dit, les élus estiment que le peuple fait de bons choix quand il les désigne, mais ferait des choix malheureux s’il était davantage impliqué dans la chose publique. Quelle hypocrisie ! Ils le courtisent pour accéder aux fonctions publiques et le traitent de bon à rien sitôt en place. Par suite, ils accusent les vrais démocrates de populisme, c'est-à-dire de démagogie.

Remarquons également que des mandats à durée déterminée et longs excluent le principe du mandat impératif car les élus, confrontés à la réalité des problèmes, sont tôt ou tard obligés d’improviser. Il est donc évident que l’élection justifie à peine les nominations et ne légitime en rien les actes. Dès lors qu’un peuple immense ne peut gérer ses affaires sans une forme de représentation et doit procéder à des élections, il faut en tenir compte. Des référendums sur certains sujets doivent être obligatoires de par la constitution, les citoyens doivent pouvoir en provoquer à volonté et des contre-pouvoirs populaires (non composés d’élus mais de citoyens nombreux tirés au sort, pour échapper aux vices de l’élection) doivent être prévus afin que le peuple, quand il ne décide pas lui-même, puisse au moins ratifier ou s’opposer aux décisions des élus et les faire ainsi siennes. On voit qu’il est facile de pallier aux inconvénients de l’élection. L’absence de tels contre-pouvoirs est donc voulue et a pour but de favoriser et même d’organiser l’abus de pouvoir.

En résumé, la démocratie est le système politique dans lequel les lois et les actes du pouvoir exécutif sont l’ouvrage direct du peuple (ensemble des citoyens admis au droit de cité) ou l’objet de son consentement explicite.

C’est en parvenant à de telles conclusions que certains prônent comme solution miracle l’établissement de la démocratie directe. (Cette expression qui se veut le pendant de démocratie représentative est une double maladresse puisqu’elle qualifie inutilement la démocratie et valide de ce fait le caractère soi-disant démocratique du système soi-disant représentatif.) Il est certain que cela fait partie de la solution et qu’une Révolution digne de ce nom l’instaurerait. Mais peut-on se contenter d’un tel projet ? Est-il seulement envisageable dans le contexte actuel ?

Comment instaurer la démocratie quand le système est verrouillé et est parvenu à faire croire à la plupart des gens qu’ils sont déjà en démocratie ? Sans un soulèvement, c’est un vœu pieux. Les apparatchiks n’y consentiront jamais, ils écraseront les bons apôtres et quand bien même ces derniers échapperaient à leurs coups et parviendraient à rallier l’opinion publique, le peuple est nul dans ce système. Le peuple ne s’exprime que lorsqu’il y est invité, sur des questions imposées, et pour répondre comme on lui dit. Le système peut, au choix, ne pas l’interroger ou s’asseoir sur sa réponse si elle ne convient pas, comme en 2008 avec le référendum de 2005.

Mais, admettons que cette revendication sortent les Français de leur léthargie et qu’une vague d’indignation populaire ébranle le gouvernement qui dispose de toutes les forces de répression et terrifie les élites qui disposent de tous les moyens de lobotomisation. Admettons que le système consente à instaurer une véritable démocratie, à laisser la parole au peuple. Aurait-il pour autant le pouvoir en dernière analyse ? Certes le pouvoir politique confère du pouvoir. Mais, dans un système monétaire, le véritable pouvoir est conféré par Largent, et il y a nécessairement des riches qui l’ont et des pauvres qui le subissent. Des pauvres dotés de pouvoir politique n’en demeurent pas moins pauvres. Or, si l’égalité politique n’apporte pas l’égalité économique (impossible dans un système monétaire de par les lois de Largent et le fonctionnement de la monnaie), quel est l’intérêt ? qu’y a-t-il de réellement changé, en admettant que ce changement superficiel soit possible ? Sans doute la démocratie proscrirait-elle certains abus et réduirait-elle les inégalités à coup d’interdictions, de prélèvements et de redistribution. Ceci n’est pas négligeable. Il reste que la marge de manœuvre du peuple serait étroite et que son pouvoir atteindrait vite sa limite.

Alors, trois politiques s’offriraient en théorie : 1) se contenter d’un plus faute de mieux et laisser les riches dominer économiquement, 2) écraser les riches, donc maintenir tout le monde dans la pauvreté, 3) faire la révolution, c’est-à-dire renverser Largent au nom de l’Egalité (le comment n’est pas le sujet de cet article). Mais la logique purement démocratique n’est pas en soi révolutionnaire et dénote un manque d’audace intellectuelle. Elle est plus tournée vers le passé (nostalgie de la Grèce antique) que vers l’avenir. Elle mise tout sur la volonté et l’omnipotence de l’Homme et néglige l’existence et le pouvoir de Largent. De ces trois choix théoriques, il n’en resterait que deux et en réalité qu’un seul, qui ne serait donc plus un choix mais une impasse.

En effet, la deuxième possibilité, écraser les riches, serait également du déjà vu. Le souvenir du communisme qui a toujours viré au drame et à la dictature condamnerait probablement le recours à une politique similaire. En supposant néanmoins que les hommes n’aient toujours pas retenu la leçon et proscrivent la richesse par un ensemble de mesures contre-nature (contre la nature du système monétaire), le système égalitariste, étatique, liberticide et sclérosé qui en résulterait s’effondrerait rapidement sous le poids de ses contradictions. Dans le meilleur des cas et avec beaucoup d’optimisme — car ce serait sans compter avec les dégâts moraux et économiques occasionnés —, lesdites mesures seraient abandonnées pour revenir à la première option. Il s’agirait, en somme, de ne plus peser sur les riches, donc de les laisser agir à leur guise et de faire leurs quatre volontés, donc d’admettre que les lois de Largent priment sur la volonté du peuple. La démocratie apparaîtrait alors pour ce qu’elle est dans ces conditions : une illusion. Et ce serait-là le meilleur des cas ! Dans le « pire », l’échec de la politique égalitariste démoraliserait le peuple autant qu’il regonflerait les riches qui se verraient offrir le pouvoir politique ou s’en empareraient de leur propre chef. Le système deviendrait ouvertement ploutocratique comme le veut l’ordre des choses. Or quand l’aristocratie de Largent est au pouvoir, Largent est roi par définition.

Reste donc la première option d’une authentique démocratie ne faisant pas de vagues, brassant de l’air, se voilant la face. Ne pouvant résoudre le problème fondamental de l’inégalité faute de s’attaquer à Largent, cautionnant même l’inégalité pour éloigner le spectre du communisme, elle ménagerait les riches et laisserait le peuple sur sa faim. Cet état conviendrait assez aux riches qui auraient le pouvoir — économique et indirectement politique, grâce aux moyens d’influence et de corruption que procure Largent — sans être exposés aux critiques, quoiqu’ils pourraient, à la faveur d’une crise inévitable, préférer la lumière de la scène à l’ombre des coulisses. De son côté, le peuple, déçu et las d’attendre, pourrait être tenté de se radicaliser contre les riches, ce qui, comme on vient de le voir, ne peut que ramener, à terme, au point de départ.

Ainsi, par quelque bout que l’on prenne le problème, un système monétaire est toujours in fine à l’avantage des riches, quelle que soit la forme du gouvernement. La démocratie seule est un piège. Non seulement elle n’est pas en elle-même une réponse aux problèmes concrets, mais son incapacité à les résoudre ne peut que susciter le rejet de son principe. C’est là la grande faute des chantres de la démocratie : en misant tout sur elle dès aujourd’hui, en espérant qu’elle aura le génie qu’ils n’ont pas, ils lui confient une mission vouée d’avance à l’échec et usent une bonne cartouche à mauvais escient. En fait, ils mettent la charrue avant les bœufs.

L’idée des démocrates est que la démocratie permettra, grâce à des lois de plus en plus justes, d’instaurer petit à petit l’Egalité, de réaliser l’égalité sur le plan économique comme elle est sensée l’avoir déjà réalisée sur le plan politique. Mais ceci est une vue de l’esprit !

D’une part, aspirer à l’Egalité signifie que l’Egalité n’est pas et que les hommes ne savent pas en quoi elle consiste. S’ils le savaient, s’ils savaient pourquoi elle n’est pas et comment l’instaurer, ils l’instaureraient eux-mêmes au lieu de la renvoyer à la Saint-Glinglin et de compter qui sur l’évolution, qui sur la révolution permanente, qui sur les petits bonshommes verts. D’autre part, attendre de la démocratie qu’elle apporte un jour l’Egalité prouve que l’inégalité règne présentement et que, dans ces conditions, il n’y a pas de véritable démocratie, puisque le pouvoir réel est fatalement détenu et exercé ouvertement ou discrètement par les bénéficiaires de l’inégalité qui ne travailleront évidemment jamais à instaurer l’Egalité. Un système égalitaire serait démocratique par la force des choses. Mais un système intrinsèquement inégalitaire est oligarchique voire tyrannique par définition et malgré les apparences dont le peuple est dupe. Voilà les raisons théoriques pour lesquelles espérer que la démocratie apporte l’Egalité est une vue de l’esprit.

Même si une véritable démocratie était possible dans l’inégalité, elle n’apporterait jamais l’Egalité car les démocrates utopiques la considèrent eux-mêmes comme une chimère. Ils veulent moins d’inégalités (au nom de quoi si ce n’est de l’Egalité ?), mais n’osent pas exiger l’Egalité elle-même. Pourquoi ? Parce qu’ils n’y croient pas. Parce qu’ils font des vérités du système monétaire des vérités absolues. Parce qu’ils subordonnent les Principes à Largent auquel ils se soumettent sans même en avoir conscience. Deux exemples :

Les articles 13 et 15 de la Déclaration de 1789, qui sert toujours de référence, portent : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Ces deux articles entérinent Largent sans discussion et affirment que le système est et sera à jamais monétaire. L’idée que Largent soit antisocial et incompatible avec l’Egalité proclamée par ailleurs n’a pas effleuré les législateurs d’antan, pas plus que cela n’empêche les contemporains de dormir. Que le système monétaire réduise cette Déclaration à un ramassis de foutaises n’interpelle apparemment personne.

Deuxième exemple. « Loin de regarder la disproportion énorme des fortunes qui place la plus grande partie des richesses dans quelques mains, comme un motif de dépouiller le reste de la nation de sa souveraineté inaliénable, je ne vois là pour le législateur et pour la société, qu’un devoir sacré de lui fournir les moyens de recouvrer l’égalité essentielle des droits, au milieu de l’inégalité inévitable des biens. » (décembre 1790) « Il ne fallait pas une révolution sans doute, pour apprendre à l’univers que l’extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes ; mais nous n’en sommes pas moins convaincus que l’égalité des biens est une chimère. » (24 avril 1793) Ainsi pensait et parlait Robespierre qui était pourtant le champion de l’Egalité. Il n’a pas vu ce qui pourtant crève les yeux : « l’inévitable inégalité des biens » à laquelle il fait allusion renvoie en réalité à la monnaie qui permet aux individus d’acquérir des biens selon leurs facultés financières, mais qui, de par sa nature et son fonctionnement, se répartit fatalement inégalement entre eux. Autrement dit, l’« inévitable inégalité des biens » n’est que le reflet de la « fatale inégale répartition de la monnaie ». Déclarer que l’égalité en biens est impossible, ce qui est vrai en soi, n’est donc ici qu’un moyen inconscient de cautionner le système monétaire et l’inégalité tout court. De même, dénoncer l’« extrême inégalité des fortunes » et sous-entendre que l’on aspire à moins d’inégalités semble progressiste alors que c’est admettre malgré tout le principe de l’inégalité et cautionner inconsciemment Largent qui en est la cause.

Tout le monde suit le même raisonnement. Les idées sur ce point n’ont pas avancé d’un pouce depuis la Révolution. Ce n’est pas parce que Largent n’est pas un problème qu’il n’est pas dénoncé, mais parce qu’il fait partie des meubles, parce qu’il passe pour un paramètre naturel et éternel alors qu’il est conjoncturel (La notion de valeur marchande est liée au mode de production artisanal qui ne permet pas un autre mode d’échange que le troc direct ou indirect via la monnaie.), parce que ses mécanismes et ses conséquences ont été intégrés et transformés en préjugés et, au final, parce que les hommes, prisonniers de sa logique, ne conçoivent aucune alternative, c’est-à-dire une forme d’échange conforme, et non plus contraire, aux Principes de l’ordre social. Négliger ce paramètre fausse tous les raisonnements. Agir sans tenir compte du fait que le système monétaire a des incidences condamne à tourner en rond, comme en prison, et à tirer des plans sur la comète. Qu’on le veuille ou non, Largent est la limite ou le facteur limitant non seulement de la démocratie mais encore de toute mesure concernant de près ou de loin la société.

Occulter le problème ne le résout pas. On ne peut pas éradiquer tout ou partie des conséquences de Largent, dont l’inégalité, sans anéantir Largent lui-même. Le croire et poursuivre des leurres est soit de l’aveuglement, soit de la lâcheté, soit de la mauvaise foi, dans tous les cas de la bêtise car il est d’avance certain que cela ne mènera à rien, des siècles d’expérience en attestent. Or le but de la politique est précisément de résoudre ces problèmes. Proposer des réformes institutionnelles de quelque nature que ce soit — démocratiques ou autre  — sans assigner aux nouvelles institutions la mission d’anéantir Largent pour instaurer l’Egalité, voire faire de telles propositions pour justement détourner l’attention de Largent et le conserver, est une entreprise artificielle et dilatoire. C’est la politique du coup de peinture. C’est la position de tous les profiteurs du système. C’est depuis toujours l’erreur des amis du peuple.

De même qu’une Constitution organise les pouvoirs publics pour garantir les droits reconnus dans la Déclaration, une organisation politique est un moyen pour mettre en œuvre une politique, elle n’est pas un but en soi. Proposer simplement une réorganisation politique ne répond donc pas à la question : pour quoi faire ? Mais ne pas répondre à cette question n’est-il pas l'intérêt de ceux qui n’y répondent pas ? Qui regarde Largent comme l’ennemi à abattre a tout à refonder, d’abord sur le plan économique, et considère l’organisation politique à mettre en place à terme comme une chose importante, certes, mais secondaire. En revanche, En revanche, qui parle exclusivement d’organisation politique ou de tout autre chose que Largent sera à coup sûr réduit à l’impuissance et au charlatanisme, il tournera autour du pot comme ses prédécesseurs, et mieux vaut pour lui ne pas voir aussi loin ni en dire trop.

Ce discours ne répond sans doute pas à toutes les questions, notamment à celle concernant la façon de procéder pour anéantir Largent. Comment s’y prendre (cf. le Civisme) ? Qui prendra la décision ? dans quelles circonstances ? Personne ne peut prévoir les conditions exactes d’une révolution — car il s’agirait bien d’une révolution, la plus grande de l’Histoire, celle tant attendue. Tout ceci n’est au fond qu’un détail. Comme le disait Victor Hugo : « Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c’est une idée dont l’heure est venue ». Quand les opinions auront massivement évolué — et il appartient à tous les gens éclairés et courageux de diffuser leurs lumières —, des circonstances favorables se présenteront tôt ou tard, la révolution éclatera sans coup férir et Largent tombera comme un fruit mûr. Alors, pour la première fois, la révolution tiendra ses promesses. Mais il n’y aura pas de révolution sans révolutionnaires.

Philippe Landeux

02 janvier 2012

17:49 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : démocratie, limites |  Facebook | |  Imprimer |

vendredi, 18 janvier 2013

APPEL AUX LECTEURS - Recherche de systèmes alternatifs

Bonjour à tous,

Lors de mon passage sur Radio Ici & Maintenant, le 6 décembre 2012, un auditeur m'a invité à m'intéresser au roman de Barjavel "La nuit des temps" dans lequel est décrit le fonctionnement économique d'une civilisation inconnue. Je me suis donc procuré ce roman et je viens lire le passage en question. Ce système ressemble fort à "l'Economie distributive" dont j'ai fait la critique il y a déjà 10 ans.

Cela m'a donné envie de recenser autant d'exemples que possible du même genre afin d'en faire une critique globale. Mais, n'étant pas amateur de romans, j'en appelle à vous, lecteurs, pour me signaler ceux dans lesquels sont décrits des systèmes alternatifs au système monétaire actuel. Envoyez-moi ou postez en commentaires les passages intéressants, sans oublier d'indiquer l'auteur, le titre et la ou les pages.

Si vous connaissez des théories présentées, non plus sous forme de romans, mais sous forme d'essais, vos messages sont également les bienvenus. Dans ce cas, merci de m'envoyer une petite synthèse permettant de saisir les principes et les fonctionnements de base des systèmes proposés.

Je compte sur vous,

Merci d'avance,

Cordialement,

Philippe Landeux

08:59 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | |  Imprimer |

CRITIQUE DE L'ECONOMIE DISTRIBUTIVE (vs CIVISME)

La théorie que je soutiens s’appelle « le Civisme » ou théorie de la Cité. Le principe de base est que des Citoyens doivent être égaux en Devoirs et en Droits, que les Droits doivent être conférés par la Citoyenneté qui se méritent en satisfaisant aux Devoirs du Citoyen, et que les Citoyens ont donc des Droits, dont celui d’accéder au marché, précisément parce qu’ils sont Citoyens. Puisque les Droits sont conférés par la Citoyenneté elle-même, la monnaie qui, par nature, incarne et confère seule le droit d’accéder au marché et impose d’ignorer la dimension sociale des protagonistes des échanges, n’a plus de raison d’être et apparaît même comme une monstruosité au regard des Principes de l’ordre social.

Cette théorie est née en 1997, le 4 décembre exactement. A cette époque, je lui donnais un autre nom : SDT, Société Du Travail. Mais je me suis aperçu que le terme « travail » était réducteur, car le Devoir fondamental du Citoyen est de participer à la vie de la Cité et peut prendre d’autres formes que le travail. Comme, par ailleurs, revenaient sans cesse sous ma plume les mots Citoyens, Cité, civisme, j’ai retenu ce dernier pour désigner ma théorie, et « Cité », pour désigner le système.

Ce n’est qu’après avoir conçu ma théorie que je me suis intéressé à des théories du même ordre et que j’ai découvert celle de l’Economie distributive dite de l’abondance. En 2001, j’en ai fait la critique que je vous livre aujourd’hui sans rien y changer.

 

CRITIQUE
D'UNE THEORIE INACHEVEE :

L'ECONOMIE DISTRIBUTIVE
(DE L'ABONDANCE)

 

Toute théorie économique qui propose un nouvel ordre des choses est en bute à la critique de ceux qui ont intérêt — ou croient avoir intérêt — à la conservation de l’ordre présent & de ceux qui ont intérêt à la dénigrer pour faire prévaloir leur propre théorie. En l’occurrence, la critique présente a pour but de faire prévaloir une nouvelle théorie : la théorie de la Société Du Travail — notée SDT. Cependant, il ne s’agira pas de condamner implacablement la théorie de l’économie distributive de l’abondance — notée ED —, mais plutôt d’éclairer les pièges qu’elle soupçonnait & dans lesquels, contrairement à la SDT, elle est pourtant tombée. Car nous verrons que la SDT respecte davantage que l’ED bon nombre de postulats posés par l’ED elle-même, & que, par conséquent, l’ED n’est pas allée au bout de sa propre logique. Si, du point de vue de la SDT, l’ED va incontestablement dans le bon sens, en abordant les problèmes mieux qu’aucune autre théorie & en envisageant des solutions du même genre, en revanche elle n’a su ni se délester de certains préjugés ni approfondir certaines données fondamentales, ce qui, au final, l’a entraîné dans de mauvaises directions jusqu’à ruiner toutes ses intentions initiales. Nous montrerons que l’ED qui prétend mettre un terme au capitalisme, est une théorie intermédiaire entre les réalités du système monétaire — noté SM — & le concept de SDT. Pour ce faire, nous allons d’abord étudier le SM, puis la SDT, pour savoir de quoi il s’agit, & enfin l’ED. Nous saurons donc ce à quoi l’ED autant que la SDT espère mettre un terme, ce à quoi l’ED & la SDT aspirent, comment chacune d’elles escompte traduire dans les faits ses ambitions & nous pourrons comparer laquelle de ces deux théories est la plus propre à parvenir à leurs fins communes.

L’ED & la SDT se présentent comme des alternatives au SM, bien que l’ED s’inquiète davantage de son aspect capitaliste. Convenons cependant que le capitalisme est avant tout, quoi que l’on puisse dire, un système monétaire ; que le capitalisme exploite avec un art consommé & insurpassable toutes les possibilités qu’offre la monnaie pour faire de l’argent. Il peut & il y a eu longtemps de la monnaie sans capitalisme, mais il ne peut pas y avoir de capitalisme sans monnaie. Le capitalisme n’est que le symptôme d’un mal plus profond, plus ancien ; il n’est que le fruit d’un arbre pourri jusque dans ses racines. Au-delà du capitalisme, le cœur du problème réside dans la monnaie, dans Largent. Pour comprendre quel monde Largent engendre, pourquoi le monde s’organise autour de lui, ce que ce monde a de condamnable, comment purger le monde de ce poison qui le ronge, il faut donc savoir ce qu’est Largent, ce qu’il porte en lui de funeste depuis ses origines, d’où il vient, comment & pourquoi il est apparu, &c. Mais pour comprendre cela, il va nous falloir nous écarter, en apparence, de notre sujet. Car avant même d'étudier le SM, l'ED ou la SDT, systèmes qui tous prétendent être des formes de société, il convient de savoir ce qu'est une société. Or la société elle-même n'a pas toujours été monétaire & rien n'assure que le SM en soit encore une.

Largent nous vient de loin. Mais si l’on remonte le temps jusqu’à l’époque où l’Homme n’était qu’un animal, assurément Largent n’existait pas. Il a donc bien fallu que l’espèce humaine ait quelque chose de particulier pour que ce paramètre jusqu’à présent incontournable apparaisse & qu’elle soit la seule de la création à y avoir recours. Or ce que l’Homme possède de particulier par rapport aux autres espèces animales — excepté les singes — est cette rare capacité à saisir & à manipuler adroitement des objets. Sans cette capacité, ajoutée à de nombreuses incapacités, l’Homme serait resté un animal ordinaire. C’est parce que l’Homme a peu d’aptitudes pour se défendre naturellement qu’il a prolongé sa main d’un bâton pour en faire une arme, & c’est parce qu’il a une main qu’il a pu avoir l’idée de faire une arme d’un bâton. Jamais un cheval avec ses sabots n’a eu & n'aurait pu avoir ce besoin ou cette idée. Ce n’est donc pas parce qu’il est naturellement intelligent que l’Homme se mit à utiliser des accessoires, mais bien parce qu’il peut utiliser des accessoires que son intelligence s’est développée. Habile & intelligent, plus apte à repousser les périls, il n’était pas pour autant invulnérable. Comme de nombreux animaux, le premier moyen qu’il trouva pour assurer au mieux sa survie fut de vivre en groupe. L’Homme n’a jamais été un animal solitaire. Cependant, vivre en groupe ne signifie pas que toute l’espèce forme un seul groupe ! Quelques membres de l’espèce seulement suffisent à constituer un groupe qui va s’employer à repousser par la force ainsi créée tout ce qui peut nuire au groupe & à chacun de ses membres. Les membres du groupe ne sont plus dans l’état de Nature les uns vis-à-vis des autres, ils sont en état de société, mais leur société est dans l’état de Nature vis-à-vis de toutes les autres espèces, y compris celle des hommes, y compris vis-à-vis des autres sociétés humaines. Car l’état de Nature est le règne du plus fort & c’est pourquoi les hommes se regroupent pour être plus forts qu’ils ne le seraient séparément, pour dissuader le plus fort — l’individu ou le groupe — de s’en prendre à eux, pour lui résister autant que possible & pour dominer ceux qui ont la prétention d’être les plus forts tous seuls ou qui, malgré leur union, sont néanmoins plus faibles.

Ainsi, bien avant que Largent n’apparaisse, bien avant que les capacités particulières de l’Homme ne produisent leurs effets, les hommes vivaient déjà en société, société en tout point comparable par ses Principes aux autres sociétés animales. Troupeau, meute, essaim, banc, colonie, clan, groupe, Cité : tous ces noms ne sont jamais que la déclinaison du terme « société ». Le point commun fondamental entre toutes ces sociétés, est le but qui pousse des individus d’une même espèce à s’unir ou à rester unis : survivre. Autrement dit, l’instinct de conservation est à l’origine de toute société. De là découlent les règles ou les Principes fondamentaux de la société.

Il va de soi que, si des individus d'une même espèce s'unissent pour assurer leur survie, leur vie ne doit pas être menacée par les individus avec lesquels ils sont associés, même tacitement. Voilà, même non écrite, la première des conventions sociales, & c'est le fait qu'il y ait convention entre des individus qui sort ces individus de l'état de Nature, qui établit entre eux l'état de société, autrement dit l'état de Droits. En l'occurrence le premier des Droits — & il n'y a donc de Droits qu'entre individus constituant une société — est celui de vivre, de vivre en toute sécurité au milieu de la société. Il faut donc, avant tout, que la société existe, que des individus s'associent & qu'une convention établisse selon quel critère un individu fait partie de l'association. Dans la mesure où le but premier de l'association politique est de garantir la sécurité de ses membres (La quête de sécurité au sein d’une association est le critère qui permet de définir l’association comme « politique ». L’association politique est une association dans un but vital.), où l'association est l'ensemble de ses membres, la première loi à observer vis-à-vis des membres de l'association est de ne pas attenter à leur vie. Mais, il ne suffit pas de ne pas nuire aux membres de l'association pour en faire partie. Encore faut-il être accepté par elle comme membre & confirmer en permanence son appartenance. D'où la seconde loi de participer à la vie de l'association, c’est-à-dire d'accomplir envers l'association tout ce que l'association attend de chacun. Or, à l'état animal, l'association ne peut attendre qu'une chose de ses membres : qu'ils assurent la pérennité de l'association politique, donc qu'ils se défendent mutuellement, qu'ils ramènent de la nourriture & qu'ils protègent les petits jusqu'à l'âge adulte. Quoique chaque espèce adapte ces obligations en fonction de ses caractéristiques propres — herbivore, carnivore, rapide, lente, terrestre, aquatique, &c. —, ces obligations sont, dans l'ensemble, scrupuleusement & instinctivement respectées. (Rappelons que tous les animaux ne vivent pas en société. Notons aussi que la proximité d'individus d'une même espèce n'implique pas toujours association politique. Enfin, dans certaines circonstances, l'association peut-être dissoute, chacun ne comptant plus que sur lui-même pour assurer sa survie.) Il apparaît donc que s'associer ou demeurer associé repose sur des lois tacites mais universelles — que nous appellerons les « lois naturelles de l'association (politique) » —, auxquelles chaque associé doit se plier, sous peine d'être chassé ou abandonné impitoyablement, & que ces lois confèrent à chaque membre des Devoirs envers  l'association : respecter les Droits de ses associés, participer à la vie de l'association, être solidaire de ses associés, & un Devoir à l'association envers ses membres, celui de garantir leur vie autant qu'il est en son pouvoir. Ce Devoir de l'association est inversement le Droit des associés, le seul Droit, le Droit dont l'association politique doit garantir la  jouissance : vivre. (L'usage de la force entre individus d'une même société animale n'est donc pas une atteinte aux Droits tant que les affrontements ne sont pas mortels.) Les lois étant identiques pour tous, tous ayant les mêmes Devoirs envers l'association & le même Droit en son sein, les associés ne sont donc pas seulement égaux devant la loi, ils sont aussi égaux en Devoirs & en Droits. Les lois naturelles de l'association politique, par conséquent la société, reposent donc sur un Principe fondamental : l'Egalité.

Nous avons dit que vivre est le seul Droit que les animaux sociables attendent que l'association leur garantisse au mieux. Toute la question est maintenant de savoir ce qu'est vivre. Pour les animaux ordinaires, la réponse est simple : manger & ne pas être tué. En l'occurrence, la vie est donnée par la Nature, & la société n'a que le Devoir de protéger celle de ses membres ! Le Droit de vivre consiste donc à vivre dans la plus grande sécurité que puisse offrir la société. La sécurité est donc un Droit qui découle directement du Droit de vivre que la société doit garantir. Il devient même inutile d'évoquer le Droit de vivre dès lors qu'il est admis que la sécurité est un Droit, puisqu'il va de soi qu'un mort n'a plus de Droits & qu'être menacé de mort est le summum de l’insécurité.

Les animaux, même sociables, peuvent survivre seuls — puisque le fait d'être en société ne change rien à la nature de leur nourriture, ni au moyen de s'en procurer, moyen dont tous disposent —, mais la société présente un avantage certain vis-à-vis des autres animaux. Si cet avantage venait à disparaître, si l'insécurité régnait autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la société, l'association politique non seulement ne présenterait plus aucun intérêt, mais cela signifierait que les congénères sont eux-mêmes un danger, & donc que l'état de Nature est encore préférable, puisque le danger y serait moins imminent. Si une telle situation se présentait, rien ne pourrait empêcher les individus jusqu'alors associés de s'en aller chacun de leur côté, en un mot, de reprendre leur liberté ; chacun en aurait les moyens & nul n'aurait le moyen de les retenir par la force. (Les mâles dominants chassent parfois leurs rivaux, mais, en aucun cas, ils ne les obligent par la force à rester sous leur coupe ! Si les dominés restent dans le groupe, ils ne deviennent pas pour autant des esclaves ! En terme de Droits, dominants & dominés sont égaux, chacun remplissant à sa manière les mêmes Devoirs envers le groupe, chacun jouissant des mêmes Droits fondamentaux. Les prérogatives d'une fonction, toute fonction ayant ses prérogatives propres, ne doivent pas être confondues avec les Droits fondamentaux qui, chez les animaux, se résument à vivre.) Il est donc un autre Droit : la Liberté.

Que faut-il entendre par « Liberté » ? Nous avons vu que tous les membres de l’association ont des Devoirs envers elle. Pourtant, ces obligations ne sont pas une atteinte au Principe de Liberté. S’il n’y a de Droits qu’en société, s’il n’y a de société qu’entre individus unis autour de conventions, même tacites, prescrivant à tous les mêmes Devoirs avant de garantir à chacun les mêmes Droits, la Liberté, en tant que Droit, ne peut consister à faire ce que l’on veut ou ce que l’on peut comme si l’on était seul ! La Liberté est nécessairement limitée par le fait d’avoir des Devoirs, d’un côté, & d’être tenu de respecter les Droits de ses associés, de l’autre. Dans la mesure où chacun a les mêmes Devoirs & les mêmes Droits, la Liberté est pareillement limitée pour tous, autrement dit, chacun jouit d’une Liberté aussi étendue que celle de son voisin. L’intérêt de chacun est donc que la Liberté des autres soit le plus étendue possible, que les Devoirs soient le moins contraignant possible, soient limités à ce qui est nécessaire pour que la société puisse assurer à chacun ce que chacun attend d’elle. (Moins les associés ont de Devoirs envers l’association & leurs associés, moins l’association a de force, moins les associés ont de Droits. Quand les individus n’ont aucun Devoir, il n’y a pas d’association, nul ne doit rien à personne ; les individus n’ont, à proprement parler, aucun Droit.) Au lieu de définir la Liberté comme étant ce que les associés ont le Droit de faire, autant la définir comme étant le fait d’avoir les mêmes Droits que ses associés — & les mêmes Devoirs, puisque les Droits sont liés à des Devoirs qui les génèrent. Selon cette définition, la Liberté de chacun est bornée par les Droits d’autrui, mais les Droits sont les mêmes pour tous. Nul n’a plus de Droits qu’un autre ; nul n’a de Droits sur l’autre. En ne liant pas la notion de Liberté au Principe fondamental d’Egalité, en la définissant seulement comme étant « la possibilité de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui », pour peu que l’égalité des Droits soit altérée, rien ne permet de distinguer la liberté naturelle de la Liberté sociale, la possibilité d’opprimer impunément autrui de l’interdiction logique de nuire à ses associés. Car il y a oppression dès lors qu’il y a inégalité en droits entre associés, & borner la liberté au respect des droits d’autrui, revient, dans un tel contexte, à consacrer l’inégalité & le droit pour les uns d’opprimer les autres. Or l’oppression étant contraire aux fins de l’association politique ne peut être maintenue que par la force, d’une façon ou d’une autre. Il n’y a donc aucune différence entre l’état de Nature où règne la plus fort & un état de société qui serait fondé sur l’oppression, l’inégalité, &c. En fait, le terme « société » ou « association politique » n’a aucun sens s’il s’agit de qualifier un groupe d’individus réunissant des maîtres & des esclaves !

La liberté naturelle n’est pas un Droit, puisqu’il n’y a de Droits qu’en société & qu’il n’y de société que dans l’Egalité. Il n’y d’ailleurs pas de liberté dans l’état de Nature ! Si l’on suppose que la liberté est la possibilité de faire ce que les autres vous reconnaissent, il faut donc que d’autres vous reconnaissent cette possibilité. Mais, dans la mesure où l’état de Nature n’est pas un état de société, où il n’y a pas de conventions entre individus, il n’y a donc personne pour vous reconnaître quelque liberté que ce soit. Chacun, dans cet état, peut donc faire tout ce que les autres ne peuvent l’empêcher de faire. En l’occurrence, le plus faible est empêché de tout & est la victime, sans recours, du premier venu. La liberté naturelle du plus faible est nulle. Or, si dans les faits, la liberté naturelle est nulle pour le plus faible, sur le Principe elle est tout aussi nulle pour le plus fort. Pouvoir faire ce que l’on veut n’est pas être libre, c’est être fort. Que signifie « liberté naturelle » si cette expression désigne autant la possibilité de tout faire que l’incapacité de faire quoi que ce soit ? Rien.

Nous le savions, mais nous voyons que dans l’état de Nature l’insécurité est à son comble, & ce même pour des animaux apparemment forts qu’un rien peut affaiblir. Se plier au lois naturelles de l’association politique, s’acquitter de Devoirs est une contrainte dont les avantages sont infiniment supérieur à l’avantage illusoire de se débrouiller seul. (Remarquons que les Devoirs envers le groupe ne sont jamais que les obligations qu’a un individu seul envers lui-même.) C’est abdiquer peu de chose que renoncer à la « liberté naturelle » ! Certes la Liberté sociale a des limites établies, des limites logiques, mais cette Liberté limitée est de loin préférable à une « liberté naturelle » sans limite, totale & nulle à la fois. Quoique les animaux sociables n’entrent pas consciemment dans ces considérations, il faut bien qu’ils les mesurent instinctivement pour être groupés & le rester, alors que rien ne les y oblige & qu’ils ont les moyens de vivre séparément ! Etant libres de quitter le groupe — plus libres que ne le sont les hommes —, ils sont donc libres en son sein & associés librement. Or le fait d’être librement associés — si tant est que l’on puisse parler d’association politique par contrainte —, même inconsciemment, exclut, là encore, le fait qu’ils soient inégaux en Droits, autrement dit opprimés.

En résumé : L’Egalité en Devoirs & en Droits entre associés est le Principe fondamental de toute association politique, de toute société. Fait partie d’une société donnée celui qui s’acquitte des Devoirs que cette société impose à tous ses membres, & qui jouit de tous les Droits que cette société garantit à tous ses membres. Toute société impose à ses membres les Devoir de respecter les Droits de ses associés, de participer à la vie de l'association, d’être solidaire de ses associés. Toute société reconnaît à ses membres les Droits de vivre libres & en sécurité. Ces conventions tacites qui découlent du fait de s’associer par instinct de survie, sont appelées « les lois naturelles de l’association politique ». Toute société, quelle que soit l’espèce animale, naissant pour les mêmes raisons & dans le même but, repose sur les mêmes Principes. Les lois naturelles de l’association politique — les Principes, le DROIT, &c. —, étant inhérentes au fait de s’associer pour vivre, s’établissent donc sans un mot & sont la base de toute loi légitime.

Voilà donc quelles sont les lois fondamentales de toute société, instinctivement appliquées par les sociétés animales, quelles étaient les lois en vigueur dans les sociétés humaines elles-mêmes avant que l’Homme ne sorte de l’état animal — à ne pas confondre avec l’état de Nature. Mais pourquoi l’Homme n’a-t-il pas su perpétuer ces lois, alors qu’il n’a jamais renoncé à vivre en société ? Pourquoi ces lois ont-elles volé en éclat sous la pression de l’évolution humaine ? Avant de répondre à ces questions, essayons d’appliquer ces lois à la société humaine, tout en tenant compte des aptitudes particulières de l’Homme. D’ailleurs, quelles sont ces aptitudes particulières ? Il pense ; il parle ; il produit ; il échange ses produits ; &c.. Ceci, a priori, ne devrait avoir aucune incidence négative sur la société. Au contraire, les hommes peuvent mieux se comprendre que les animaux, & satisfaire plus facilement leurs besoins. Pourquoi en tant que Citoyens ne seraient-ils pas égaux ? En tant que membre d’une société ou d’une Cité, les Devoirs du Citoyen sont, comme chez les animaux sociables, de respecter les Droits de ses Concitoyens, de participer à la vie de la Cité, d’être solidaire de ses Concitoyens. (Au sens large, « être solidaire de ses Concitoyens » signifie « défendre la Cité ».) « Respecter les Droits de ses Concitoyens » est un Devoir passif puisque, pour ainsi dire, il s’agit de ne rien faire. Cela est à la portée des hommes. « Participer à la vie de la Cité » est, lui, un Devoir actif. Chez l’Homme participer à la vie de la Cité peut prendre de nombreuses formes, recouvrir un grand nombre d’activités, la première forme d’activité qui vienne à l’esprit & qui semble correspondre à ce Devoir, étant ce que nous appelons aujourd’hui — à tort — le « Travail ». Quant au Devoir « d’être solidaire de ses Concitoyens », c’est un Devoir occasionnel. Retenons donc que les Citoyens peuvent être considérés comme égaux en Devoirs à partir du moment où il participent à la vie de la Cité, & que tous les individus qui participent à la vie de la Cité sont des Citoyens. Notons tout de même qu’il appartient à la Cité de définir ce qu’est « participer », puisque nul ne peut se déclarer lui-même Citoyen.

En revanche, en ce qui concerne les Droits du Citoyen, les particularités de l’Homme introduisent une nouveauté. Les hommes produisent & échangent leurs produits. Contrairement aux animaux qui trouvent à l’état brut tout ce dont ils ont besoin, les hommes doivent le produire. Or ils produisent des biens pour les utiliser &, pour les utiliser, ils doivent les posséder, en être propriétaires, avoir sur eux le Droit de Propriété. Imaginons un homme seul dans la nature : dans la mesure où il n’y a personne pour lui ravir ce qu’il produit, tout ce qu’il produit est à lui, est sa propriété. Mais, comme nous l’avons vu, il n’y a de Droits qu’en société. Seule la société peut consacrer la propriété comme un Droit &, a priori, la société doit reconnaître, pour un bien donné, le Droit de propriété à celui qui l’a produit. Mais rien n’est produit à partir de rien ; la production est une transformation soit de matière première soit d’un bien. Pour qu’un bien produit personnellement soit une propriété légitime, il faut que la matière qui a servi à le produire ait elle-même été une propriété légitime. Or la matière première est nécessaire à toute production & la production est nécessaire pour satisfaire les besoins de tous les Citoyens, même de ceux qui participent à la vie de la Cité autrement qu’en produisant. Reconnaître à quelques Citoyens le Droit de Propriété sur les matières premières à disposition de la Cité, c’est-à-dire le Droit d’user comme ils veulent cette matière vitale, ne serait ni plus ni moins que leur donner un droit de vie & de mort sur leurs Concitoyens. En l’occurrence les matières premières sont un bien commun qui doit être exploité dans l’intérêt de tous les Citoyens & qui ne peut appartenir à personne, pas même à ceux qui l’exploitent. En intégrant la Cité, les hommes renoncent à la « liberté naturelle », donc à considérer comme à eux tout ce dont ils peuvent s’emparer par la force, même s’ils le transforment par la suite. Ne peut être à eux que ce sur quoi la Cité leur reconnaît le Droit de Propriété. N’ayant de Droits que grâce à la Cité, ils ne sauraient faire leur un bien sur lequel, en amont, la Cité ne leur reconnaît aucun Droit. Par conséquent, le fait de produire fonde rarement le Droit de Propriété sur le produit.

Pourtant un Devoir génère un Droit. Le Devoir de Travailler — en admettant qu’il s’agisse uniquement de produire — génère un Droit sur ce qui est issu du Travail, sur la production, & ce Droit ne peut être que le Droit de Propriété. En fait ce Droit ne porte pas sur la production personnelle, mais sur le produit général ! De plus, ce Droit, comme tout Droit, n’est pas spécifique aux Travailleurs ; il est également reconnu à tous les Citoyens. Car produire n’est pas la seule tâche nécessaire dans la Cité, & la Cité ne peut reconnaître aux producteurs le Droit exclusif de Propriété sur la production, pour la même raison qu’elle ne le reconnaît pas sur les matières premières. D’ailleurs, entre le moment où la matière première est extraite & le moment où le bien est fini, tant de Citoyens ont contribué à sa production que les producteurs eux-mêmes seraient incapables de définir à qui il appartient. Si l’on considère les producteurs, au sens strict, ils sont complémentaires dans la production, ils s’acquittent du même Devoir, & ont généré pour chacun d’eux le même Droit sur la production. Mais ce serait faire preuve d’un esprit bien étroit que de négliger la contribution indirecte de tous les Citoyens à la production, de négliger le cadre favorable que la Cité représente pour les producteurs. Les biens ne satisfont pas à eux seuls tous les besoins d’un Citoyen & les producteurs ont autant besoin de ce que « produisent » les autres Citoyens que ces derniers ont besoin de biens ! En fait, tous les Citoyens sont complémentaires ; la Cité a besoin du Travail ou de la participation de chacun d’eux pour que naissent ses bienfaits, bienfaits destinés à tous les Citoyens. Or la Cité est l’ensemble des Citoyens. Autrement dit, l’ensemble des Citoyens a besoin de chacun, chacun a besoin de chacun,  chacun contribue au bien être de tous, & chacun a Droit de jouir des bienfaits que l’ensemble des Citoyens a généré. La Cité ne saurait avoir une meilleure devise que celle des trois mousquetaires : « Un pour tous, tous pour un. »

Travailler, en tant que forme particulière de participation à la vie de la Cité, est un Devoir non envers soi — sinon indirectement —, mais envers la Cité. La production, qu’elle soit individuelle ou collective, n’est-elle pas destinée à l’échange, au marché, aux autres Citoyens, à la Cité ? Car il est vite apparu que la spécialisation de chacun accroît le savoir-faire, le potentiel productif, & donc le volume de la production. Or, la spécialisation implique que chacun se concentre sur une certaine production, ne produise pas lui-même tout ce qui lui est nécessaire, produise en grande quantité le bien qu’il sait faire &, pour couvrir ses besoins, échange son surplus contre le surplus des autres producteurs qui tous sont dans le même cas. Un producteur ne produit donc pas pour lui-même, mais pour ses Concitoyens qui doivent en échange le faire profiter de leur Travail, mais pour la Cité qui en retour doit assurer la satisfaction de ses besoins. Lorsqu’un Citoyen participe à la vie de la Cité en produisant, la production est une preuve pour la Cité que le Citoyen s’est bien acquitté envers elle de son Devoir. (Ajoutons que cette production doit être désirée par les Citoyens, doit satisfaire les besoins ou les envies des Citoyens, sans quoi elle ne représente aucun intérêt pour la Cité. Produire quelque chose dont personne ne veut, à tort ou à raison, ne donne lieu à aucun échange ni du producteur vers la Cité, ni de la Cité vers le producteur. La Cité n’a pas à satisfaire les besoins d’individus qui ne satisfont aucun des besoins de leurs Concitoyens.) Sans en être propriétaire, le producteur à la garde de sa production jusqu’à ce que celle-ci soit répartie entre les Citoyens, jusqu’à ce que les Citoyens se la soient appropriés. Que reste-t-il donc au producteur ?

Le but d’un producteur est-il de conserver ce qu’il a produit ? Non ! puisque, de toute façon, il ne produit pas pour lui ! En fait, le but du producteur, comme de tous les individus qui remplissent envers la Cité les Devoirs qu’elle impose, est d’être Citoyen, de jouir des Droits du Citoyen. Car en faisant partie de la Cité, les forces d’un Citoyen, combinées à celles de ses Concitoyens, sont décuplées. Aussi la part de chaque Citoyen sur le produit de la Cité est-elle bien supérieure au produit que ne retirerait un individu de ses efforts solitaires. Les Citoyens doivent donc voir le fondement de leurs Droits non dans leurs forces mais dans le fait de faire partie de la Cité, dans leur Citoyenneté. Ce que les Citoyens obtiennent de la Cité en échange de leur dévouement, en l’occurrence de leur production, est la reconnaissance de leur Citoyenneté. Or, c’est le fait d’être reconnu Citoyen par la Cité qui, à lui seul, garantit à l’individu la jouissance, dans la Cité, de tous les Droits du Citoyen qu’il est. Dans la mesure où le statut de Citoyen est unique pour une Cité donnée, & qu’à ce statut sont attachés les Devoirs & les Droits du Citoyen, les Citoyens sont fatalement égaux en Devoirs & en Droits. C’est parce qu’ils ont rempli les mêmes Devoirs envers la Cité que des individus deviennent Citoyens & sont égaux en Droits dans la Cité. N’oublions jamais que les Droits résultent de Devoirs, quoiqu’il serait plus juste de dire qu’un faisceau de Devoirs engendre un faisceau de Droits. Dans le cas des producteurs de biens, certes ils livrent leur production à la Cité, mais ils ne sont pas dépouillés de leurs Droits puisque, au contraire, ils sont de ce fait reconnus Citoyens. Ce qui signifie qu’en tant que Citoyens ayant rempli leurs Devoirs en produisant des biens, leurs Droits liés au fait d’avoir participé à la vie de la Cité ne portent pas spécialement sur la production matérielle, mais sur toutes les formes de production, sur toutes les formes de richesses que peut produire la Cité. Travailler — sous quelque forme que ce soit —, comme toute autre forme de participation à la vie de la Cité, génère en fait le Droit de profiter de tous les bienfaits de la Cité, le Droit de consommer qui, appliqué aux biens, signifie le Droit de s’approprier une partie non définie de la production.

Le Droit de Propriété d’un Citoyen porte donc, non sur ce qu’il a produit personnellement, mais sur ce qu’il retire du marché par le biais de leur Droit de consommer, Droit égal pour tous les Citoyens. Une fois qu’un Citoyen est entré en possession d’un bien, avec l’accord de la Cité, ce bien devient sa propriété au même titre que son corps — puisque les biens sont une extension des facultés humaines. Contrairement aux autres Droits, le Droit de Propriété est matérialisé par le bien sur lequel il porte ; mais comme les autres Droits, il est protégé par la Cité & le Citoyen est libre d’en user. (Notons que la liberté d’user de ses biens est toujours circonscrite par le respect des Droits d’autrui.)

Quelques mots encore sur le Droit de Propriété. Nous aurons compris que le Droit de Propriété désigne tantôt le Droit de s’approprier, c’est-à-dire de consommer, tantôt le Droit de disposer librement de ses propriétés. Quand le Droit de consommer, généré par le Travail ou quelque autre façon de participer à la vie de la Cité, est appelé « Droit de Propriété », il s’agit d’un raccourci évoquant le fait que les biens retirés du marché deviennent des propriétés privées, aussi sacrées que des Droits, mais un raccourci qui occulte le fait que la consommation ne porte pas que sur des biens. En l’occurrence, le Droit fondamental est celui de consommer ; c’est ce Droit-là qui doit être égal pour tous les Citoyens. La Cité ne peut élever l’égalité des biens en Principe (l’égalité des propriétés) car se serait aller à l’encontre des Principes même. Si les Citoyens sont libres, ils sont libres de s’approprier ce qu’ils veulent. Or tous ne veulent pas la même chose & leur imposer les mêmes biens serait anéantir leur Liberté, & donc menacer leur sécurité. Par contre, il est évident que si tous les Citoyens ont un égal Droit de s’approprier, nul ne manquera de rien, nul n’accaparera tout.

Le Droit de consommer ou de profiter des bienfaits de la Cité est généré par le fait de remplir ses Devoirs de Citoyen & est borné par l’exercice par les autres Citoyens de ce même Droit. Ce Droit est donc borné naturellement ; pas de limite artificielle ou arbitraire. En fait, le Droit de consommer revient à pouvoir se servir librement autant que cela est possible, tant que des biens sont disponibles sur le marché !

Enfin, le Droit de posséder ne porte que sur ce qui est produit, puisqu’il résulte d’un Devoir & que, par ailleurs, la propriété privée des matières premières — sol, produits du sous-sol, &c. — qui sont des biens communs, est exclue. Le cercle des biens pouvant devenir des propriétés privées peut encore se réduire aux biens à usage personnel, puisque tous les Citoyens étant égaux en Droits, nul ne peut avoir d’ascendant sur les biens à usage collectif — tel les moyens de production — que tout Citoyen peut également s’approprier.

En résumé, la particularité de l’Homme introduit dans la Cité un nouveau Principe : la Propriété. Dans le fond, le Principe fondamental de l’association politique reste l’Egalité ; les Devoirs du Citoyen envers la Cité sont toujours ceux contenus dans les lois naturelles de l’association politique : respecter les Droits de ses Concitoyens, participer à la vie de la Cité, être solidaire de ses Concitoyens ; les Droits du Citoyen sont toujours de vivre libres & en sécurité, & pour ce faire ils ont tous le Droit de profiter également des bienfaits de la Cité. Or, c’est sur ce dernier point que la spécificité de l’Homme peut avoir une influence néfaste. Car l’Homme est fragile. C’est pourquoi il s’entoure de biens pour pallier ses faiblesses. Mais plus il s’entoure de biens, plus il s’affaiblit, plus il a besoin de ses semblables — à la différence des animaux sociables qui, même seuls, peuvent toujours se nourrir — & des bienfaits qu’ensemble ils font naître. Certes ces bienfaits sont, comme chez les animaux, une œuvre collective ; mais cette œuvre est bien plus complexe que chez les animaux & répond à des besoins bien plus étendus. La Cité ne doit pas seulement éviter à ses Citoyens de mourir de faim ! Elle doit assurer l’égalité de ses Citoyens dans la jouissance de tous ses bienfaits. Or pour en jouir, il faut en avoir le Droit, Droit que le fait de produire amène à compliquer, à compliquer tellement qu’il ne semble plus être lié au fait d’être Citoyen. Certes quelques inégalités au niveau du Droit de consommer ne seraient, somme toute, pas trop préjudiciables ; mais quelques inégalités témoigneraient d’une faille dans les Principes, de l’anéantissement des Principes, & rendrait possible des inégalités plus monstrueuses. Un Citoyen victime de ces inégalités, privé de tout Droit sur le produit de la Cité — qui, alors, n’en serait plus une —, serait réduit à la misère, voire à la famine, malgré l’accomplissement de tous ses Devoirs. Ce « Citoyen » serait opprimé sans même subir de violences physiques. Car les biens ne comblent pas seulement le Droit de Propriété, ou plutôt le Droit de consommer ne porte pas que sur les biens ! Les bienfaits de la Cité concernent également la Sécurité & la Liberté. Quand, par exemple, la Cité dompte des chevaux ou fabrique des voitures, la Liberté pour un Citoyen ne consiste plus seulement à se déplacer à pied mais à pouvoir disposer — sous forme de propriété ou de service — de ces moyens de locomotion ! (Quel intérêt présenterait la Cité si elle ne garantissait aux Citoyens que la possibilité d’user de leurs facultés naturelles ?) Quand, autre exemple, le progrès repousse tel ou tel danger, ne pas avoir Droit aux nouvelles protections, c’est être plus en danger que les autres… Les biens — & les services — que produit la Cité étendent les Droits des Citoyens, & celui qui a moins que d’autres accès à ces biens, donc aux bienfaits de la Cité, est, de fait, moins Citoyen que les autres ; il est frustré de ses Droits de Citoyen, donc de sa Citoyenneté même. Dans l’inégalité, il n’y a, à vrai dire, ni Droit, ni Cité, ni Citoyenneté, ni Citoyen. Mais les hommes ne peuvent pas se débrouiller seuls & sont contraints, autant par leur nature que par leurs besoins & l’espoir de les satisfaire, à demeurer grouper, ne fut-ce qu’une illusion. Pourtant, il devient vite évident que des hommes inégaux, au sein d’une même « société », ne sont les uns pour les autres que des ennemis, les uns opprimant les autres.

C’est par la faculté de produire que cette absurdité s’immisce dans la société humaine & atteint son paroxysme avec le système monétaire.

Avant d’étudier le système monétaire, arrêtons-nous sur un autre trait propre à l’Homme : l’humanité. Ce trait qui est à l’honneur de l’Homme, contribue aussi à le perdre. Tout d’abord, qu’est-ce que l’humanité ? L’humanité, en tant que sentiment, est l’aptitude à s’identifier à ses semblables, à s’émouvoir de leurs malheurs & à (vouloir) les aider. Pourquoi ce trait est-il donc propre à l’Homme ? Pourquoi les animaux nous paraissent-ils impitoyables envers les faibles ? Une fois de plus, la réponse se trouve dans les aptitudes particulières de l’Homme. Nous avons vu que la solidarité entre associés est un Devoir, Devoir dont la notion est déjà présente dans les sociétés animales. De fait, il n’est pas rare de voir un troupeau ou une meute se porter au secours d’un des siens en danger. Mais ceci n’est pas ce qui, chez l’Homme, s’apparenterait à de l’humanité. D’un autre côté, il est systématique qu’un individu blessé, mourant, &c., soit abandonné ; ce qui nous semble impitoyable. Pourtant, ces deux attitudes procèdent de la même logique. Des associés ont des Devoirs les uns envers les autres dans le but d’assurer leur sécurité mutuelle. Si les associés ne se portaient pas au secours d’un des leurs lorsque celui-ci met à l’épreuve — malgré lui — l’utilité de l’association, les survivants ayant constaté l’inutilité de l’association n’auraient dès lors aucune raison de rester associés ; leur confiance réciproque s'évanouirait & l’association se dissoudrait. Lorsque la nécessité l’exige, l’association doit donc assumer ses Devoirs. (Encore faut-il que l’effort ne soit pas au-dessus de ses moyens pour qu'intervenir constitue un Devoir !) Mais que peuvent bien faire des animaux lorsque l’un d’eux est blessé, malade, mourant, lorsque la nature l’a condamné ? Rien. Cet individu, en plus de ne plus participer à la vie de l’association, de ne plus remplir ses Devoirs, devient un poids que les associés ne peuvent assumer. La société est donc contrainte de l’abandonner à son sort, & en cela elle ne fait qu’appliquer à la lettre les lois de l’association politique. 

Les animaux sont associés sans jamais avoir réfléchi aux lois qui les unissent &, pour la même raison, ils sont incapables de pervertir ces lois qu’ils appliquent sans fantaisie. Ce fut aussi le cas de l’Homme avant qu’il ne découvre son habileté & ne se mettent à penser. Car en se découvrant toujours de nouvelles possibilités, l’Homme étend son pouvoir & donc le champ du Devoir de solidarité. C’est ainsi que là où les animaux ne peuvent rien, ce qui les obligent à se conformer aux lois de l’association politique, l’Homme peut & à conscience de pouvoir, ce qui, à partir d’un certain point, l’amène à vouloir ce que les lois de l’association politique condamnent. Ce point est la limite entre ce que l’humanité a de positif & ce qu’elle a de funeste pour l’association, pour la société. Au-delà de ce point, l’humanité inconsidérée se substitue à la logique du DROIT, l’enthousiasme étouffe les Principes, les aspirations universelles sont partout & l’Egalité nulle part. Car l’humanité conduit souvent les hommes sensibles ou assoiffés de Justice à voir des égaux dans leurs semblables. Or l’Egalité, elle, n’est pas une question d’espèce mais de Citoyenneté, puisqu’il ne peut y avoir d’Egalité qu’en Droits, qu’il n’y a de Droits qu’en société & que la société est seulement l’ensemble des membres qui la composent, c’est-à-dire l’ensemble des Citoyens. Les Citoyens eux-mêmes ne sont pas égaux naturellement ; ils sont égaux parce qu’ils remplissent envers la Cité les mêmes Devoirs, ce qui fait d’eux des Citoyens jouissant des mêmes Droits. Que l’humanité amène la Cité à prendre en charge les Citoyens qui ne peuvent plus remplir leurs Devoirs, est dans la logique du Devoir de solidarité entre Citoyens. Mais, par exemple, que l’humanité, sous prétexte que la Cité doive assurer sa pérennité & donc protéger ses enfants jusqu'à l'âge adulte, amène à considérer les enfants comme des Citoyens, est absurde & catastrophique. Car alors, qu’est-ce qu’être Citoyen ? Si la Citoyenneté était liée au fait de naître, pourquoi les Droits du Citoyen seraient-ils alors liés au fait de remplir des Devoirs envers la Cité ? Or, si les Droits du Citoyen ne sont plus liés à des Devoirs, plus personne n’a de Devoirs, il n’y a donc plus de Cité, plus d’état de Droits ; qui garantit alors ces Droits que l’humanité a déclaré innés ? L’Egalité elle-même condamne cette conception philanthropique des Droits ? Car l’Egalité — l’égalité en Droits — implique l’égalité en Devoirs ! Quelle égalité en Devoirs peut-il y avoir entre un nourrisson & un Travailleur ? A l’évidence aucune ! Ainsi, confondre les droits indirects que la Cité reconnaît aux enfants, du fait qu’elle ait des Devoirs envers eux, avec les Droits — au sens propre — que les Citoyens génèrent & méritent en s’acquittant de leurs Devoirs envers la Cité est contraire au simple bon sens ! Comment bâtir une Cité, un ordre des choses juste, seulement à partir de sentiments aussi humanistes que dépourvus de logique sociale ? Comment vouloir l’égalité des hommes avant même que les Citoyens ne soient égaux, avant même qu’il y ait des Citoyens, avant même qu’il y ait état de Droits ? Comment la Terre sera-t-elle jamais le temple de l’Egalité si les hommes ne commencent pas par fonder des Cités sur les Principes universels de l’association — ce qui implique de les avoir à l'esprit —, Cités qui pourront alors, mais alors seulement, se fondre en une seule ? Que tous les hommes soient frères & forment une grande famille est peut-être vrai historiquement ; le penser est certainement une prouesse morale ; mais le concrétiser demande assurément plus que de l’humanité à bon  marché !

L’Homme ne peut appliquer les loi naturelles de l’association sans tenir compte de sa propre nature, ou tout simplement vivre sans empreindre ses actes d’humanité. Ce n’est donc pas de manquer d’humanité qu’il doit s’inquiéter, mais d’en manifester à l’excès dont il doit se méfier. Car tant que l’humanité consiste à atténuer la souffrance de ses semblables, même de semblables n’appartenant pas à la même Cité (Les lois naturelles de l’association politique définissent quels doivent être les rapports entre associés ; elles n’interdisent pas les rapports amicaux avec les autres membres de l’espèce — quoique la raison d’être de la société animale soit surtout de tenir à tous les étrangers au groupe le langage de la force.), tant qu’elle s’accorde avec les lois naturelles de l’association politique & les affermit, elle est légitime & bénéfique ; au-delà, elle est contraire aux intérêts même de l’Humanité.

Ajoutons enfin que l'excès d'humanité est encore le moindre mal que la faculté de penser puisse engendrer ! Vouloir que les hommes soient frères & égaux en Droits est sans doute dangereux, mais moins que dénier tout droit aux autres & ériger la force en loi ! Combien de fois n'a-t-on pas entendu que, comme dans la nature, le fort a le droit d'écraser le faible ? Or, précisément, ce qui a cours dans l'état de Nature, doit être proscrit de l'état de société, ce que même les animaux sociables « savent » ! Le fait de penser permet autant à l'Homme de comprendre certaines choses, que d'en dénaturer d'autres ! La conscience de sa force lui permet d’en user autrement que par nécessité, & de mettre du raffinement dans son emploi pour jouir de la souffrance d'autrui. Jamais une espèce animale ne s'est décimée elle-même ! Alors que chez les animaux, il n’y a ni humanité ni cruauté, l’Homme a la première qui l’élève au-dessus des animaux, & la seconde qui le rend pire qu'une bête !

Maintenant que nous avons posé les Principes, que nous connaissons les Principes qui doivent régir la Cité, nous pouvons étudier le système monétaire, comprendre comment il est apparu & pourquoi il est fondamentalement antisocial.

Il va de soi qu’un système monétaire repose sur une monnaie. Mais qu’est-ce qu’une monnaie ? Question simple en apparence, car beaucoup répondent en fait à la question : A quoi sert la monnaie ? Si l’on détourne la question, il devient effectivement facile d’y répondre & ridicule de la poser ! Chacun sait pertinemment que la monnaie est une unité qui permet de faire correspondre à la valeur des choses une quantité de ces unités, de sorte que les choses puissent être échangées contre des unités & que des unités puissent procurer toute chose en tout lieu ; bref la monnaie sert à échanger. Mais que sont donc ces unités qui peuvent être échangées contre des choses, unités dont la finalité est de se procurer des choses ? Ces unités sont tout simplement des portions de droit. Elles s’obtiennent, en théorie, contre un devoir & permettent de faire valoir le droit qui découle de ce devoir. En échange de son Travail, un salarié reçoit de l’entreprise sa part sur la production sous forme d’unités. Toute production est, en premier lieu, à celui qui l’a produite     (dans la mesure où la propriété des produits initiaux est reconnue) ; elle lui appartient de droit ; elle contient les droits qu’il a généré par son Travail. Toute production est une accumulation de droits. Travailler génère un produit & des droits exclusifs sur ce produit. Pour qu’il y ait échange, il faut donc que chaque producteur retire de l’échange autant de droits sur les produits d’autrui qu’il en a abandonné sur sa propre production. La monnaie ne permettrait pas d’acquérir en échange la production d’autrui si elle n’incarnait pas elle-même des droits, droits que le vendeur pourra à son tour échanger contre la production d’un tiers, & ainsi de suite. Plus un produit nécessite de Travail, plus il incarne de droits, plus il correspond à une quantité importante d’unités, plus il a de valeur. Mais la valeur estimée d’un produit ou d’un Travail est plus souvent à l’origine de son prix. Quoi qu’il en soit, la monnaie est l’unité de référence exigée par la notion de valeur, notion de valeur nécessaire pour l’échange conçu d’individu à individu, que cet échange — supposé équitable — soit direct ou indirect.   

Voilà pour la théorie. Nous pouvons d’ores & déjà constater que la monnaie est une fiction, au même titre que la notion de valeur sur laquelle elle repose, puisque les valeurs sont nécessairement le fruit de l’imagination des hommes ! Ainsi la vie des hommes dépend de cette fiction à laquelle ils confient leurs droits ! Il n’est donc pas surprenant que la théorie ne se retrouve en rien dans la pratique. Car, comment croire un instant que les hommes puissent ne pas se déchirer pour obtenir ces unités ambulantes qui confèrent les droits les plus vitaux ? Comment dissuader les hommes de courir après ces unités ? Comment éviter que la monnaie devienne une préoccupation centrale, elle qui fait la misère des uns & le pouvoir des autres ? Comment empêcher que la valeur du Travail des uns ne soit dénigrée par les autres afin que les uns acceptent leur infériorité en droits & que les autres puissent les payer avec parcimonie ? Comment la monnaie se limiterait-elle à donner du pouvoir d’achat quand elle donne du pouvoir tout court ? Comment pourrait-il y avoir égalité entre les Citoyens quand la monnaie impose de considérer avant tout la valeur des choses, afin d’établir entre elles des équivalences, quand l’équité — reposant nécessairement sur le jugement des hommes mus par leurs petits intérêts — n’est déjà pas envisageable, quand les hommes, contraints par un système purgé de tout Principe social, raisonnent en individus ? Quoique la monnaie soit bel & bien un lien entre les individus, qu’elle soit instituée par la « société », qu’elle soit donc un paramètre social, elle est paradoxalement l’abîme de la société. Alors qu’il n’y a de Droits & de société que dans l’Egalité, la notion de valeur sur laquelle repose la monnaie n’a pas d’autre raison d’être que de différencier — de façon subjective, arbitraire, hypocrite, &c. — la valeur des choses, donc la valeur des productions, donc la valeur & les droits des producteurs qui, pourtant, demeurent complémentaires. De plus la monnaie fonctionne de façon mécanique : pour qu’il y en ait ici, il faut la prendre là, & on ne peut en prendre plus qu’il n’y en a ! Ainsi, dans le processus d’établissement des valeurs, à la subjectivité des hommes s’ajoutent les contraintes monétaires implacables, si bien que les hommes doivent accepter comme juste les prix que la monnaie leur impose de pratiquer, de sorte que la monnaie finit par établir elle-même les valeurs ! La monnaie rend donc vaine toute tentative d’instauration de l’Egalité. Dès lors, il faut bien que les hommes justifient l’inégalité par toute sorte de sophismes, qu’ils s’accommodent à cet état de fait au nom du fait accompli. Mais d’où vient cette logique absurde dont nous ne savons plus ni pourquoi ni comment nous affranchir ?

Remarquons que nous n’avons pas encore parlé de la nature de la monnaie. La raison en est simple : la nature de la monnaie — animaux, objets, lingots, pièces, billets, &c. — n’a aucune importance ; seule la croyance en l’existence de la monnaie & en la valeur des choses compte. Quelle que soit la nature de la monnaie, elle n’est jamais que le symbole nécessaire de la valeur. Preuve en est que Largent est au sommet de sa puissance alors que la monnaie tend à disparaître physiquement. A l’instar de la notion de valeur, Largent n’est plus qu’une idée. Il s’ensuit que, dès l’origine, l’aspect matériel de la monnaie était un artifice, que l’usage de matériaux pour symboliser ou incarner la valeur fut seulement imposé par l’impossibilité technique de faire alors autrement. La forme de la monnaie a donc évolué, mais pas ses principes. Or l’évolution ne s’arrête pas, &, puisque ces principes — rigides, antisociaux & désormais à nu — ne peuvent évoluer, ils devront fatalement rompre pour céder la place à d’autres plus conformes à la logique sociale !  

Nous avons vu les aberrations qui résultent de la notion de valeur mais il nous faut comprendre pourquoi cette notion est apparue nécessaire pour échanger & comment elle a engendré la monnaie. Considérant que l’Homme est avant tout un animal & que les animaux ne commercent pas, nous pouvons affirmer que la notion de valeur résulte moins de la nature humaine que du fait que l’Homme produise. Elle est donc nécessairement apparue au moment où l’Homme, au sortir de l’état animal, a commencé à produire. (Notons que « produire » ne sous-entend pas seulement « fabriquer », mais « fabriquer pour échanger ») Initialement, les hommes vivaient comme tous les animaux sociables, en groupe d’une ou quelques familles, & ils continuèrent longtemps à suivre les lois naturelles de l’association, même après avoir découvert les possibilités que leur offraient leurs mains. Pour toute activité sociale : chasse, pêche, cueillette. Pour tout logement : une grotte collective ou une modeste hutte. Pour tout bien : une lance, une hache de pierre, un arc, une peau de bête. Pour tout Droit : vivre. Ils vivaient en commun, partageaient tout & œuvraient pour la survie collective. Le but fondamental de l’association était atteint. Néanmoins, comme tous les animaux, ils concevaient déjà certaines valeurs : bon     (au goût) ou mauvais, chaud ou froid, solide ou fragile, fort ou faible, grand ou petit, fatigant ou reposant, agréable ou désagréable, &c. Pour trancher à qui devait revenir ce qu’il y a de mieux : la force. Mais l’emploi de la force n’était pas nécessairement le fait d’un individu dans son intérêt. Même l’individu le plus fort devait s’incliner devant la volonté des autres menaçant contre lui d’employer leur force collective, de même que le groupe use de cette force contre le reste de la nature. Le gendarme, c’était le groupe. Ainsi, les femmes pouvaient-elles s’opposer aux hommes en faveur de leurs enfants, les hommes s’opposer au chef en faveur d’un malade, le chef s’opposer au groupe dans l’intérêt du groupe, &c., mais jamais un individu n’aurait pu poursuivre impunément des desseins égoïstes, ni satisfaire ses intérêts sans le consentement — au moins tacite — du groupe. Aussi, le partage du gibier, de la cueillette, des tâches, de l’espace, &c., malgré les différences fatales de qualité & les déconvenues de certains, était aussi juste que possible, conforme à l’intérêt du groupe & respectueux des Droits fondamentaux de chacun.   

Mais il vain fatalement que le savoir-faire s’étendit & que des mains expertes façonnèrent des objets de convoitise. Jusqu’alors, les hommes ne possédaient, à titre privé, que ce qu’ils fabriquaient eux-mêmes & que chacun savait également fabriquer. Eventuellement, les plus compétents fabriquaient pour les autres les objets qui leur étaient nécessaires pour la chasse, & recevaient leur part de gibier comme s’ils avaient chassé eux-mêmes. C’étaient leur façon particulière de participer à la vie du groupe, de même que les femmes s’occupaient des enfants, &c. Ainsi, chacun remplissait ses Devoirs envers le groupe, jouissait en son sein des mêmes Droits & avait tout ce dont il concevait comme nécessaire. Pourtant, lorsque certains se découvrirent un talent forçant l’admiration ou le respect & excitant chez les autres l’envie d’attirer sur eux l’admiration   (car les biens sont une extension du corps & le prolongement de l’être), se sentant indispensables, ils en conçurent de l’orgueil. Ils — sculpteurs, sorciers, &c. — se consacrèrent alors entièrement à leur activité, délaissant non seulement les activités classiques du groupe, mais le groupe lui-même. Car, pour qu’un individu puisse se consacrer exclusivement à une activité superflue, il fallait que le groupe survienne à tous ses besoins, ce en quoi, chacun voulant se procurer leurs objets ou leurs services, il consentit volontiers. Jusque-là, cela ressemble à s’y méprendre à la répartition des tâches évoquée précédemment. Mais, c’est oublier que le fruit de ces activités était rare & convoité, que tous se les disputaient pour en jouir seuls, qu’il y avait de l’orgueil à posséder ces biens ou profiter de ces services. On comprend vite le parti qu’en tirèrent les offreurs. Par exemple, en ce qui concerne les objets à usage personnel ou désiré comme propriété personnelle, comment les diviser pour satisfaire tous les membres du groupe ? Impossible ! Un tel objet ne peut avoir qu’un propriétaire. Mais à qui le donner puisque tout le monde le veut & que l’artiste n’a, a priori, aucune raison de le donner à un plutôt qu’à un autre ? Mais pourquoi le groupe surviendrait-il aux besoins d’un artiste qui n’apporte rien à personne sauf un ? Pour vivre, l’artiste doit donc échanger son œuvre avec le produit de la chasse de celui qui la désire &, tant que faire ce peu, autant l’échanger avec celui qui propose le plus de viande ? Mais la chasse est une activité collective dont chacun retire la même part ! Aussi faut-il que les chasseurs se désolidarisent pour disposer à leur gré de leur gibier, pour disposer d’une monnaie d’échange & surenchérir sur les autres chasseurs ! C’est ainsi que, petit à petit, sous la pression de quelques uns, chacun mis ses forces à son propre service. Certes, chaque individu avait besoin d’avoir autour de lui d’autres individus avec qui échanger, mais cet ensemble n’était plus un groupe social, quoiqu’il en ait l’apparence, mais une concentration d’individus. Car ce n’est pas par la seule présence d’individus que se définit une société, mais par ses Principes, par les liens qui les unissent, par la nature des rapports qu’ils entretiennent, par la conscience que chacun a de faire partie du tout. Or cette nouvelle forme d’échange a, petit à petit, amené les hommes à se séparer les uns des autres, non physiquement, mais moralement. Lorsque chacun vit de ce qu’il produit & de ce qu’il retire de l’échange d’une partie de sa production, lorsqu’il est seul à pourvoir à ses besoins, que ce soit de façon directe ou indirecte, lorsqu’il n’a plus que les droits qu’il parvient à se ménager, nul ne se sent plus de Devoir envers les autres : la société n’existe plus. (Il ne faut donc pas confondre les lois qui furent établies pour que tout ce petit monde vive à proximité & en bonne intelligence avec les lois naturelles de l’association qui seules fondent une société. De même les devoirs & les droits que définirent ces lois n’ont rien des Devoirs & des Droits fondamentaux du Citoyen.) Quoique les hommes aient toujours manifestement besoin les uns des autres, quoiqu’ils vivent toujours ensemble, chacun croit qu’il se débrouille seul.

C’est donc imperceptiblement que, avec la pratique du troc, l’individualisme s’est introduit dans le groupe au point de le dissoudre. Mais nous venons de voir que, dans les temps reculés, toute évolution technique devait inéluctablement entraîner le recours à cette forme d’échange. Les hommes qui n’auraient pu se soustraire à une telle pratique, n’ont pas plus réfléchis à ses conséquences qu’ils n’eurent besoin de s’en préoccuper. Car, bien que le troc repose à l’évidence sur des principes antisociaux, ses contradictions sont masquées par le contexte. En effet, ce mode d’échange — ou chacun échange directement avec chacun le produit de ses activités — exige des liens physiques si étroits entre protagonistes que cela camoufle les cloisons qui les séparent. De plus, troquer nécessite d’avoir produit. Aussi, à défaut de produire pour le groupe, chacun produit quand même. Par ailleurs le troc a mis des siècles, voire des millénaires, pour passer de la pratique marginale, concernant quelques individus ou quelques transactions par-ci par-là, au mode d’échange courrant. Enfin les besoins de chacun sont rudimentaires, & les échanges, relativement équitables. Le troc anéantit donc la société sur le fond, mais maintient ses formes.

Au-delà des formes, voyons ce que le troc implique de nouveau, ce que les hommes n’ont vu ni alors ni depuis. Tout d’abord, il va sans dire que l’échange des productions suppose une spécialisation des producteurs, puisque les producteurs n’ont aucune raison de se procurer par l’échange ce qu’ils produisent eux-mêmes. Il s’ensuit que les producteurs acceptent de se consacrer à une (ou plusieurs) production spécifique & comptent sur l’échange avec les autres producteurs pour couvrir l’ensemble de leurs besoins. L’ère du troc est donc le début de la division du travail. (L’ère moderne n’a fait que pousser cette logique à son paroxysme.) Ceci va nécessairement de pair avec le fait que les producteurs soient complémentaires & dépendants les uns des autres. Mais, comme nous l’avons vu, aussitôt qu’apparaît le troc apparaît l’individualisme, & bientôt les hommes ne raisonnent plus en tant que membres d’un groupe mais en tant qu’individus. Or, si chacun raisonne en individu, il va de soi que le groupe n’existe plus, & que chaque individu doit tenir envers lui-même le rôle jusque-là tenu par le groupe — du moins en ce qui concerne la nourriture & les biens. Le troc est un échange direct de producteur à producteur, production contre production. La vie d’un individu dépend donc de ce qu’il réussit à obtenir de l’échange de sa production. Or la pratique du troc est introduite par la nécessité d’échanger des objets & par l’impossibilité de les échanger autrement que directement, entre eux. Par nature le troc amène les hommes, obsédés par les objets fabriqués par autrui & tenaillés par l’envie de les posséder, à considérer les choses jusqu’à en oublier leur appartenance au groupe & le rôle social de chaque producteur, de chacun d’entre eux. Alors que de tout temps ils se partageaient également le fruit de leurs efforts collectifs, quoique chacun ait servi le groupe selon ses capacités, avec le troc le fruit des efforts de chacun n’est plus mis en commun & ne constitue donc plus une somme soumise à un partage égal. Alors que le groupe existe toujours en apparence, que chacun fournit des efforts & profite des efforts d’autrui, que chacun accomplit ce qui auparavant était un Devoir envers le groupe, alors que le partage pourrait — en théorie, mais non plus en pratique — s’effectuer comme avant dans le respect des lois de l’association, les nouveaux objets proscrivent le partage & imposent un mode d’échange qui, fatalement, n’obéit plus aux mêmes lois & sape l’édifice social.

Désormais, la part de chacun ne va plus dépendre, comme avant, du fait qu’il soit membre du groupe & remplisse ses devoirs envers lui, mais de ce que les autres vont consentir à lui offrir en échange de sa production. Peu importe qu’un individu travaille, que son activité soit utile, que ses produits soient nécessaires, seul compte le regard que les autres portent sur ses produits & que lui-même porte sur les produits des autres. C’est alors qu’apparaît la notion de valeur, notion artificielle & arbitraire par excellence. Car pour que des objets soient échangés les uns contre les autres, les hommes vont devoir établir des équivalences. Mais il n’y a pas d’équivalence entre les choses. Une jarre est une jarre. Seuls les hommes peuvent dire qu’une jarre mérite d’être échangée contre trois lapins, qu’elle « vaut » trois lapins ! Mais sur quoi se basent-ils pour établir de telles comparaisons alors qu’il n’y en a aucune ? Ce ne peut-être que subjectif ! Or la pratique du troc naît précisément de l’idée que les hommes se font de l’utilité, de la beauté, du prestige, &c., des objets, de l’envie qu’ils éprouvent de les posséder, du besoin qu’ils ont d’en disposer, de l’intérêt qu’ils ont à les échanger contre d’autres, &c. Ce n’est donc pas par rapport à la valeur même de l’objet que sa valeur va être établie, puisque celle-ci n’existe pas, mais par rapport à une infinité de considérations, & selon deux points de vue : le point de vue de celui qui est prêt à s’en séparer & de celui qui est disposé à l’acquérir. A priori, il semblerait logique qu’un objet ait autant de valeur que le temps que sa fabrication a exigé, de sorte qu’à l’issu des échanges chacun aurait entre les mains des produits ayant exigé autant de temps qu’il en a lui-même passé à produire les biens dont il s’est séparé, de sorte que nul n’aurait perdu son temps ni accaparé le temps d’autrui. Sans doute cette considération est-elle entrée en ligne de compte dans les premiers temps, quand les hommes étaient au fait de l’activité de leurs voisins, mais l’on devine combien elle est souvent inadaptée. Combien de temps faut-il pour attraper un lapin ? Combien de temps vaudrait une jarre qui aurait déjà servi à plusieurs générations ? Faut-il alors prendre en considération le talent qu’exige une production de la part du producteur pour en définir la valeur ? Mais comment mesurer le talent quand, par ailleurs, chaque activité exige des talents spécifiques, les uns innés, les autres faits d’expérience, &c. ? En fait, la valeur d’un bien ou d’un objet ne se définit pas par rapport à lui-même ni même par rapport à son producteur, pas plus qu’elle n’est fixe.

Le troc est un acte simultané de dépossession & d’appropriation. Théoriquement les protagonistes de l’échange ne perdent rien car, selon la théorie de la valeur, chacun a recouvré, en valeur, sous forme de bien, la valeur de ce qu’il a abandonné à l’autre. Mais il va de soi que l’intérêt de chacun est d’abandonner le moins possible & d’obtenir le plus possible. Chacun va donc faire jouer une multitude de paramètres pour satisfaire au mieux ses intérêts personnels, pour valoriser son bien & dévaloriser le bien d’autrui. L’autre a-t-il besoin de mon bien ? Ai-je vraiment besoin du sien ? Ce besoin est-il une envie ? Mon bien est-il rare ? Son bien est-il rare ? Suis-je le seul à le vouloir ? Est-il le seul à pouvoir m’échanger ce genre de bien ? Trouverai-je une autre occasion de me procurer ce bien ? Son bien est-il convoité par d’autres ? Mon bien m’est-il précieux ? Combien d’effort m’a coûté mon bien ? A quelles concessions l’autre sera-t-il prêt demain si aujourd’hui je refuse l’échange ? Puis-je me permettre d’attendre ? Le peut-il lui ? &c. Ainsi, si mon bien est rare, si l’autre le veut absolument & s’ils sont nombreux à le vouloir, je le cède à celui qui m’offre le plus en échange. Si mon bien est ordinaire, il m’en faudra beaucoup pour obtenir ce dont j’ai réellement besoin car l’autre connaît mon besoin & pourrait, malgré tout, faire affaire avec un autre. Si l’autre, pour X raison, ne peut échanger qu’avec moi un bien rare, mon bien serait-il ordinaire, d’autres seraient-ils prêts à lui donner beaucoup, je ne lui cèderai presque rien. &c. Voilà par quels genres de raisonnements & conflits d’intérêts s’établissent les équivalences entre biens à un moment donné. La valeur d’un bien, à un moment donné, correspond donc à ce contre quoi il s’échange alors. La notion de valeur est évidemment moins facile à définir sous le troc que sous la monnaie, mais les hommes la maîtrisent tout aussi bien.

Nous voyons que le troc, en imposant la lutte des intérêts particuliers, fait complètement perdre aux individus — sauf cas de force majeure — la notion d’intérêt général. Alors que les échanges sont supposés loyaux, chacun place ses intérêts dans la balance qui penche toujours du côté du plus fort, c’est-à-dire du moins dépendant à l’offre d’autrui. Ce que nous appelons pudiquement « loi de l’offre & de la demande » est déjà la règle & n’est jamais qu’une version civilisée de la « loi du plus fort ». La valeur des choses s’établit moins d’un commun accord que par la volonté de l’offreur. Certes l’offreur doit savoir limiter ses exigences mais le demandeur doit le plus souvent y consentir faute de pouvoir faire autrement ! Cependant, contrairement aux apparences, ce n’est pas toujours le fait de demander qui fait le demandeur, ni d’offrir qui fait l’offreur ; tout dépend de l’importance accordée à la réalisation de l’échange par les intéressés, donc des circonstances. Dans tous les cas, celui pour qui l’échange revêt le plus d’importance, est demandeur & se présente en infériorité ; l’autre, l’offreur, ayant plus d’assurance, se présente en position de force & dicte ses conditions au mieux de ses intérêts. Ainsi, le moins dépendant des autres — des autres pris séparément — définit la valeur de ses biens ainsi que la valeur des biens des autres. Effectivement celui dont l’offre est réclamée par chacun peut se croire au-dessus de tous, puisqu’il est sûr que, même si certains refusent ses conditions, l’échange se fera, & à son avantage. Pourtant, celui qui accepte ses conditions fait nécessairement partie des autres pris dans leur ensemble &, pour ainsi dire, représente cet ensemble. L’offreur, quelle que soit la nature de son offre, a autant que les autres besoin d’échanger ses produits ou ses services. (Le sculpteur ne mange pas ses statuettes !) Que l’échange d’individu à individu le favorise, en lui permettant de donner ou de recevoir de l’importance, ne doit pas dissimuler qu’il échange pour recevoir des autres, qu’il a besoin des autres, que manifestement ses produits ne suffisent pas à eux seuls à couvrir ses besoins & que, sans les autres, il devrait consacrer ses efforts à survivre. Aussi, croire qu’une fonction est plus indispensable que les autres, qu’une production a plus de valeur que les autres, n’est possible que dans un système d’échange d’individu à individu, système occultant la complémentarité des individus en tant que Citoyens. De fait, il n’y a dans ces tractations aucune considération sociale. Le but est d’acquérir le bien de l’autre à moindre coût, & peu importe que cet autre fasse comme moi partie de ce qui semble toujours être une communauté ! Peu importe ce qu’il a sué pour produire ! Peu importe qu’il ait une famille à nourrir ! Peu importe que sa production me soit vitale si ce que je lui offre lui est, pour lui, plus vital encor ! Je veux ce qu’il a, il a besoin de ce que j’offre ; qu’il se contente donc de ce que je lui propose, sans quoi je le propose à un autre. Ce procédé permet certes d’établir une équivalence temporaire entre les choses, de définir la valeur momentanée de chaque chose par rapport à d’autres, mais qu’est cette notion de valeur sinon, au fond, une absurdité sans nom ?  

Un objet a des propriétés, des caractéristiques, mais il n’a pas de valeur intrinsèque ! Sa valeur, à la limite, ne dépend que de celui qui le considère. Un objet a donc autant de valeurs possibles qu’il y a d’individus. Si valeur il y a, elle ne peut-être que subjective d’une part, relative d’autre part. Pourtant, un système d’échange tel que le troc, qui repose sur la notion de valeur, tend nécessairement à consacrer une valeur pour toute chose, de sorte que les valeurs correspondent moins à l’idée que s’en font les individus qu’à l’intérêt de certains. Pour que ces valeurs soient « reconnues », il faut donc qu’elles soient imposées & que la plupart renoncent à leur propre appréciation ; il faut que la plupart se soumettent moralement aux plus forts & acceptent leurs arguments selon lesquels leurs produits ont de la valeur & leur rôle de l’importance, quand les produits des autres sont ordinaires & leur rôle insignifiant.

Considérons maintenant que le groupe ou la société ne soit pas dissout malgré la pratique du troc. Dans cette société, les Droits ne se résument plus seulement à vivre ! La capacité à fabriquer à mis en évidence — plus qu’il ne l’a fait naître — le Droit de propriété. Chacun est théoriquement propriétaire de ce qu’il fabrique. Théoriquement car, dans la mesure où les biens sont échangés, les propriétés changent de mains. Mais ces biens ne sont pas seulement des biens ; ce sont des Droits incarnés. En s’échangeant des biens, les hommes s’échangent en fait les Droits qu’ils ont sur leurs productions respectives. Mais, comme nous venons de le voir, la pratique de l’échange direct, d’individu à individu, impose le recours à la notion de valeur qui, par tout un ensemble de subtilités, amène les hommes à considérer différemment leur production & leur rôle. Or, lorsqu’une production est dévaluée, l’échange dépouille le producteur d’une partie de ses Droits. Inversement, l’échange de leur production surévaluée permet à certains d’accaparer des Droits en les subtilisant aux autres. Le problème est que les Droits ne se mesurent pas & que ceux qui sont dépouillés des leurs non seulement ne s’en rendent pas compte, mais sont contents que l’échange ait eu lieu. Car le principe du troc est l’équité. Tout échange est supposé être équitable dès lors que les deux partis y ont consenti. Mais équitable à quel niveau ? Au niveau de la satisfaction des protagonistes de l’échange ? Au niveau de l’égalité des valeurs des objets échangés ? Dans tous les cas la véritable dimension de l’échange, n’étant ni ne pouvant être prise en compte, est occultée. C’est ainsi qu’au Principe d’Egalité en Droits entre Citoyens se substitue l’équité ou l’égalité de valeur supposée entre objets.

Anciennement, chacun participait à la vie du groupe & jouissait en retour des mêmes Droits que tous les autres membres du groupe. Le troc suppose toujours que chacun participe à la vie du groupe, mais ce mode d’échange dispense le groupe d’assumer son rôle puisque, désormais, chaque individu jouit des droits que l’échange de sa production lui procure. Nous savons que l’égalité en Droits est alors impossible. L’inégalité s’instaure donc. L’inégalité est la compagne inséparable du troc & de tout système d’échange reposant sur la notion de valeur. L’inégalité résulte de trois choses : 1) l’importance artificielle accordée à certains biens ou services ; 2) l’importance accordée aux producteurs de ces biens ou services ; 3) la concentration entre les mains de ces derniers de biens, de droits & de pouvoir. Il est fatal que celui dont la production est estimée, à tort ou à raison, jouisse d’un certain prestige, amasse des biens par le biais de l’échange, &, disposant ainsi d’un double pouvoir moral & matériel, prenne un ascendant sur les autres, contre les autres. Lorsque les droits passent par les biens, celui qui en a plus que les autres — parce qu’il les leur a pris — a sur les autres les droits que ces derniers ont perdu. Mais cette supériorité matérielle se transforme vite en pouvoir, car celui qui dispose de toutes les richesses trouve toujours des individus pour le servir, chanter ses louanges & écraser les autres qui, ne l’oublions pas, sont divisés par l’individualisme. Fort de ce pouvoir, il va en profiter pour revoir à la hausse la valeur de sa production, si tant est qu’il est encore besoin de produire puisque rien ne l’empêche d’élever sa force en droit & sa volonté en loi. Ainsi, si l’on considère que les individus constituent encore un groupe, que chaque individu produit & participe donc à la vie du groupe, que de ces efforts individuels résulte une production qui pourrait être considérée comme un fruit collectif, force est de constatée que le troc & son jeu des valeurs s’opposent à un partage égal des richesses & permettent de frustrer la plupart des membres du groupe de leurs Droits, au profit de quelques uns. 

Bien sûr les hommes, entretenant des rapports conviviaux, ne furent pas tout de suite emportés par cette logique, ce qui lui permit de se développer sans bruit. Mais nous avons vu que cette logique d’échange d’individu à individu pousse inéluctablement à l’individualisme. Or le troc résulte lui-même de l’apparition de nouveaux objets, de nouvelles connaissances, de nouvelles techniques qui, en regard des besoins à cette époque, vont permettre aux individus de se suffire à eux-mêmes. Puisqu’il appartient désormais aux individus de garantir leurs Droits, que l’interdépendance est désavantageuse pour la plupart & que chacun peut subvenir seuls à l’essentiel de ses besoins, beaucoup optent pour l’autarcie. Le troc n’est alors qu’occasionnel. Le fait que le troc rende possible la vie en autarcie est la meilleure preuve que la société est dissoute. Car, dans le fond, sous le troc, tous les individus vivent en autarcie, quelle que soit la distance entre eux. Le troc, c’est chacun pour sa peau ! Certes les hommes peuvent bien encore entretenir des rapports sur le plan amical, culturel, &c., mais là n’est pas le fondement d’une véritable société !

Arrivés à une certaine évolution technique, les hommes eurent de moins en moins besoin de vivre à proximité. Chacun se trouvaient un bout de terre à cultiver pour s’installer avec sa famille. Mais le troc n’avait pas pour autant disparu &, au contraire, avec la nécessité de couvrir de longue distances pour échanger, il commença à se perfectionner. Déjà une longue pratique avait permis à certains objets d’apparaître comme des références, des « valeurs sûres ». A l’origine, plusieurs échanges étaient nécessaires pour parvenir enfin à se procurer un objet désiré, car on ne disposait pas toujours du bien contre lequel le propriétaire du bien désiré était prêt à conclure un échange. Certes le troc direct est ce qu’il y a de plus simple, mais il est rarement possible. Avec des objets de références, deux échanges suffisent souvent à parvenir à ses fins, car, chacun sachant qu’ils sont considérés par tous & peuvent être échangés à tout moment contre n’importe quoi, nul n’a de crainte de se retrouver avec un objet inutile sur les bras. C’est donc naturellement que, sous le système d’échange direct, c’est-à-dire sous le troc, se pratique le plus souvent l’échange indirect (Il y a échange indirect dès lors que l’acquisition d’un bien nécessite au moins deux échanges directs.) par le biais d’objets plus désirés pour leurs possibilités d’échange que pour eux-mêmes. Mais ces objets avaient souvent un gros inconvénient : ils étaient perçus comme ayant beaucoup de valeur — c’est pourquoi ils avaient été adoptés comme des références —, ce qui ne facilitait pas les petites transactions, les plus fréquentes. Par ailleurs, lorsqu’ils étaient volumineux, donc encombrants, leur inconvénient était double du fait d’avoir à les transporter sur de longue distances. Avec le temps, les hommes retinrent donc pour références les objets les plus pratiques à échanger, à transporter, à conserver, &c. Cette logique les amena à considérer plus que tout les métaux & les objets métalliques, puis à échanger des quantités fixes de métal & finalement à frapper des pièces.

Notons que cette évolution du troc fut la conséquence de l’évolution technique qui, en apportant de nouvelles divisions dans le travail, en multipliant les biens, les besoins & les envies, incita les hommes à échanger plus souvent & à se rapprocher de nouveau.

Voilà donc comment, après un long processus historique, suite à des réflexes primitifs, est apparue la monnaie telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. La monnaie ne remonte donc pas seulement au jour où elle est apparue sous une forme standard ! Pour qu'elle apparaisse, il fallut nécessairement qu'elle réponde à des principes depuis longtemps dans les esprits & qu’elle n’ait plus qu’à les concrétiser sous une forme nouvelle ! En fait, est une monnaie d’échange ou un moyen d’échange tout objet qui s’obtient à la suite d’un échange pour permettre un nouvel échange, tout objet qui sert d’intermédiaire entre deux échanges. Tout ou presque est potentiellement un moyen d’échange. Or lorsque tout est moyen d’échange, rien n’en est spécialement un. Aussi, quoique sous le troc l’échange indirect soit pratique courante, il n’y a pas de moyen d’échange à proprement parler. D’un autre côté, en officialisant un moyen d’échange, le système monétaire n’est jamais que du troc — en pire.

Mais le troc avait des vertus que le système monétaire n’a plus, de même que le système monétaire a des vices que le troc n’avait pas. Malgré tous ses défauts, le troc se déroulait dans un contexte qui entourait l’échange de certaines garanties : les protagonistes de l’échange étaient proches, ce qui assurait un minimum de loyauté, d’équité & d’entraide, s’échangeaient leurs produits respectifs, ce qui impliquaient que chacun produise, & subvenaient encore seuls à la plupart de leurs besoins, ce qui évitait une trop grande dépendance à autrui. Avec la monnaie, quoiqu’elle soit fondée sur les mêmes principes que le troc, toutes ces garanties disparaissent. Car ce n’est pas pour rien que la monnaie entre en scène ! Elle apparue lorsque les hommes en eurent besoin, lorsque le troc classique devint inadapté aux nouvelles contraintes économiques. Entre producteurs quasi autonomes le troc suffit ; mais, dès lors que chacun se consacre à un métier, à une spécialité, que les échanges pour couvrir chacun de ses besoins sont quotidiens & multiples dans une même journée, un moyen d’échange est nécessaire & la monnaie, suivant la logique du troc, est le seul possible. Nous verrons plus loin que la division du travail n’est pas un problème en soi, qu’elle est même nécessaire, mais dans ce contexte elle est lourde de conséquences. Car, si une quasi autonomie des individus étouffait en grande partie les méfaits du troc, une totale interdépendance va au contraire les révéler. Les subtils rapports de force liés à la notion de valeur vont se faire sentir dans toute leur vigueur. Or cette fois-ci les individus ne pourront plus s’échapper & la plupart devront subir.

Rappelons-nous que l’échange de biens est un échange de droits. En tant que bien intermédiaire, la monnaie incarne elle aussi des droits. Mais quels droits ? En théorie, le droit de propriété ou, disons mieux, le droit d’acheter le bien d’autrui, bien qu’autrui destine à l’échange. En théorie toujours, puisque le troc concerne avant tout les biens produits par les hommes & dans la mesure où la monnaie est un substitut de ces biens, elle ne devrait permettre d’acquérir que ces biens, ne donner que des droits sur la production. Mais, dans un système monétaire, tous les échanges passent par la monnaie. Toute acquisition nécessite en premier lieu de vendre sa production — ou son travail — contre de la monnaie. Les hommes sont donc dépendants de la monnaie, & par-là même de ceux qui en disposent, de ceux qui, par le jeu des valeurs, amassent des fortunes, bref de ceux qui les payent. Les uns vont donc être prêts à vendre tout ce qu’ils ont sous la main & les autres être prêts à acheter tout ce sur quoi ils veulent avoir des droits. Car, en incarnant le droit de s’approprier, la monnaie va permettre de transformer en propriété tout bien acheté, quelle que soit sa nature, quand bien même le vendeur n’aurait-il lui-même aucun droit dessus. Gagner de Largent & payer vont ainsi finir par justifier tout & n’importe quoi.

Pour que la monnaie ait un sens, il faut que les choses aient un prix. Revenons donc à la notion de valeur, valeur que le prix est sensé traduire. Quelle valeur a donc une chose dont le prix augmente ou diminue du jour au lendemain, pour une raison ou une autre ? Quelle valeur ont les choses quand leur prix peut aller de rien à autant qu’en demande le vendeur ? Peut-on sérieusement considérer que le prix a un quelconque rapport avec la valeur de l’objet vendu ? Comment cela se pourrait-il puisqu’un objet n’a en lui aucune valeur, puisque la valeur que lui attribuent les hommes n’est qu’une fiction ? Admettons que les hommes accordent aux choses des valeurs sentimentales ; comment mesurer ces valeurs par nature indéfinissables ? Les objets perdraient-ils la valeur sentimentale que les hommes leur accordent, s’ils n’étaient  affublés d’un prix ? Comment les prix s’établissent-ils & par quoi sont-ils donc justifiés ? Tout d’abord, comme nous l’avons vu, les prix résultent moins de la rencontre d’une offre & d’une demande que des exigences de l’offreur, étant l’offreur celui qui est en position de force pour vendre ou pour acheter. En effet, lorsque l’offreur est vendeur, rien ne l’oblige à monter ses prix, sous prétexte que son bien est rare & les acheteurs potentiels nombreux, sinon l’avidité, sinon l’opportunité de profiter de sa position & l’occasion d’accroître ses droits aux dépens d’autrui. Est-il vraiment obligé de monter ses prix pour départager les acheteurs ? Pourquoi ne vend-il pas au premier venu ? Le prix a beau varier, l’objet reste le même ! Il est donc clair que le prix tient moins à la prétendue valeur de l’objet qu’à la volonté du vendeur & à sa conception de ses intérêts. Si l’offreur était l’acheteur — offreur de monnaie —, la même logique entraînerait les prix à la baisse, cette fois par souci de céder le moins de droits possibles ou d’en conserver le plus. La première façon dont s’établissent les prix est donc purement arbitraire.

En général les choses ont un prix minimum : son prix de revient. Ce prix est la somme des dépenses engagées pour produire divisée par la quantité produite. Les dépenses pour produire comprennent les achats de biens, matières premières, &c., & le coût du personnel. Or tous ces prix sont établis selon la méthode exposée ci-dessus, à savoir arbitrairement. Si, à première vue, le prix de revient est la conséquence logique & implacable du fait que tout ait un prix, dans le fond ce prix est tout aussi arbitraire que n’importe quel autre & serait nul si les droits n’étaient accaparés par la monnaie — si le Travail était rémunéré autrement qu’avec des unités monétaires. Néanmoins, quoiqu’une entreprise puisse faire baisser son prix de revient en faisant chanter fournisseurs, prestataires & employés, ce coût est pour elle une donnée réelle. Vendre en deçà de ce prix serait du suicide — ou du dumping. Elle va donc essayer de vendre ses produits au-delà de ce prix, pour dégager une marge bénéficiaire, & c’est sur cette marge que l’arbitraire intervient. Il s’ensuit que nombre de prix sont déterminés par d’autres & que, en fin de compte, tout prix est arbitraire.

Mais qu’importerait la valeur des choses si de cette valeur supposée ne dépendaient les droits des hommes ? Nous oublions un peu vite que du prix des choses dépendent les droits de celui qui les a produites ! Quand nous voyons comment est déterminé un prix, notamment le prix du Travail, comment ne pas conclure que la monnaie & ses mécanismes servent moins à échanger les choses qu’à dépouiller légalement de leurs droits la majeure partie des producteurs ? Bien sûr la monnaie ne permet pas l’égalité, mais il y a un monde entre expliquer l’inégalité & la justifier pour l’aggraver ! Car, naturellement, tout est prétexte pour justifier l’exploitation de ceux qui, individuellement, ne peuvent se défendre. Pire ! les exploiteurs en arrivent à convaincre les exploités du bien fondé de leur exploitation ! Aussi les exploités ne se considèrent-ils plus comme tels ! Lorsqu’ils réclament de Largent — en fait des droits —, ce n’est plus parce qu’ils sont exploités — spoliés de leurs droits —, mais parce qu’ils veulent que leur profession soit « reconnue » ! Mais peut-il y avoir une autre reconnaissance que la Citoyenneté des Travailleurs, impliquant l’égalité en droits des Citoyens sur le produit de la Cité ?

Sans doute le vol était-il chose possible sous le troc, quoique chose plus délicate car le vol concernait alors des objets, par nature reconnaissables. Mais quelles facilités n’offre pas la monnaie ? Non seulement elle n’a pas d’odeur, mais elle est faite pour passer continuellement de mains en mains ! Or, alors qu’elle ne devrait être valable qu’entre les mains de producteurs, elle l’est tout aussi bien entre celles d’un voleur ; pour le vendeur cela ne fait aucune différence. En recherchant un moyen toujours plus pratique d’échanger, les hommes se sont, sans le vouloir, doté d’un moyen incomparable de se voler les uns les autres. Car toute transaction monétaire est un vol pour l’un des protagonistes. Mais, comme les hommes ne conçoivent pas encore l’échange autrement que par le biais de la monnaie, ils doivent bien admettre cet état de fait inadmissible ! Voler subtilement par le jeu des valeurs, au nom du « c’est comme ça » ou à grand renfort d’arguments est admis. Ne passe pour vol que la subtilisation de monnaie par la force, voire par la ruse. Dans le premier cas le vol repose sur les principes de la monnaie ; dans le second, sur ses propriétés. Si les Droits étaient attachés à la Citoyenneté, au fait de participer à la vie de la Cité & d’être Citoyen, qu’y aurait-il à voler ? Comment s’emparer des Droits d’autrui s’ils étaient indissolublement liés à sa personne, si chacun ne pouvait user que des Droits reconnus par la Cité, si les droits fondamentaux n’étaient pas concentrés dans des unités vagabondes ?

Autre point capital : la rareté. Le nombre d’unités monétaires est limité. Les budgets, quelle que soit leur taille, qui que soit l’intéressé, sont donc également limités. Or, tout a un prix, tout est payant. A l’exception des gens fortunés — & encore ! —, il n’est pas possible de satisfaire toutes ses envies, voire ses besoins. Or les besoins & les envies des uns sont le Travail des autres. Où est l’intérêt dans le fait que les hommes, à cause de la monnaie, soient frustrés du superflu, voire privés du nécessaire ? Comment s’étonner que Largent l’emporte sur la raison quand tout choix doit s’incliner devant les contraintes financières ? Pourquoi tant de sacrifices ? Pourquoi l’Humanité persiste-t-elle à ignorer la cause de ses maux ? Ne viendra-t-il donc jamais à l’esprit de personne que la monnaie ne fait le bonheur de personne (confort n’est pas bonheur), mais assurément le malheur de tous ? Encore n’avons-nous évoqué que l’aspect personnel ! Que conclure si nous ajoutions que la fortune des uns se constitue nécessairement au dépens des autres ? L’Etat étrangle les contribuables ; les mairies harcèlent les automobilistes ; les banques tracassent les entrepreneurs ; les patrons exploitent les employés ; les terroristes imposent les entreprises ; les supermarchés pressurent leurs fournisseurs ; la mafia rackette les commerçants ; les commerçants entourloupent leurs clients ; les consommateurs bataillent les marchands ; la recherche quête auprès des téléspectateurs ; les mendiants apitoient les passants ; les cambrioleurs violent les habitants ; les braqueurs assassinent les convoyeurs ; les drogués agressent les noctambules ; les escrocs arnaquent les vieillards ; les petites frappes rackettent les enfants ; les kidnappeurs rançonnent les parents ; les morts ruinent les vivants ; les pétroliers polluent les océans ; &c. &c. Bref, un cercle infernal, le meilleur des mondes !

Nous venons de voir quelques unes des conséquences directes de la monnaie sur les échanges. Mais une donnée aussi importante que la monnaie — par laquelle passe les droits, le bien le plus précieux — a des conséquences plus profondes ! Pour commencer, il va de soi que chacun tente de préserver ou accroître sa fortune, si maigre soit-elle, pendant que les autres tentent de lui dérober ! De cette simple observation nous pouvons sans peine deviner les sentiments mesquins & les réflexes peu honorables que la monnaie fait naître ou exacerbe, & qui commandent le comportement réel des individus. La monnaie a donc un impact néfaste certain sur les hommes & les rapports humains. Pensons maintenant que la monnaie est la mesure de la valeur ; là encore, on devine sans peine l’orgueil qui peut s’emparer des riches & des imbéciles qui, pour quelques unités de différences, se croient supérieurs à leurs voisins exploités comme eux ! A l’opposé, tout persuade les pauvres qu’ils ne sont rien ; ceux qui le croient le sont vraiment ! Bien sûr, ces myriades d’effets psychologiques ont aussi leurs conséquences réelles. Alors que les hommes croient manipuler la monnaie, c’est elle en fait qui les manipule, qui les torture, qui les façonne, qui gouverne le monde.

Cet exposé sur la monnaie est loin d’être exhaustif. Cependant, il nous permettra d’appuyer les principales critiques à l’égard de l’économie distributive. Mais avant de nous pencher sur la théorie de la SDT, il convient de nous arrêter sur un dernier point au sujet de la monnaie. Nous savons que la monnaie est l’aboutissement de réflexes primitifs & qu’elle entretient ces réflexes de génération en génération, si bien que tout autre mode d’échange devient impensable. Par ailleurs, son rôle fondamental en fait le pivot de la « société », la rendant d’autant plus intouchable. La monnaie est donc un paramètre incontournable, & ce depuis des millénaires. Or, durant tout ce temps, l’Homme a continué à percer les secrets de la nature, à les exploiter, à inventer, &c., tout en étant contraint de s’adapter aux lois imposées par la monnaie. Il faut donc toujours avoir à l’esprit que, malgré tous ses défauts, la monnaie freine mais n’empêche pas l’Homme d’avancer car c’est en l’Homme que réside le potentiel de l’Humanité. Par conséquent, sous quelque mode d’échange que ce soit, le génie humain ne peut non seulement être proscrit, mais il pourrait même être plus libéré que sous l’empire de Largent. Admettons que, quand la monnaie n’empêche pas les hommes de faire quelque chose — c’est-à-dire quand les hommes disposent du budget nécessaire —, ce n’est cependant pas elle qui le fait, mais eux ! Tout ceci pour dénoncer le fait que, pour justifier la monnaie, certains ont la faiblesse de lui attribuer les mérites de l’Homme ou de retenir un de ses aspects en apparence positif pour en occulter mille autres à l’évidence négatifs ! Certes d’aucuns diront que nous attribuons à la monnaie les torts des hommes, mais la faute à qui s’ils doivent se disputer leurs droits en permanence ?

Il est bien évident que la réflexion dont est issue la théorie de la Société Du Travail, remettant en cause les principes de la monnaie & la monnaie elle-même, a été motivée par les aberrations du système monétaire. Cependant la SDT n’est pas une réaction au système monétaire ; elle ne résulte pas d’une modification des principes monétaires ; elle n’a pas le système monétaire pour point de départ. Le but de la SDT n’est pas de créer une société meilleure, mais de fonder une société tout court. (Aussi, pour écarter toute confusion entre ce que nous appelons à tort « société » & la société telle que la SDT la définit, a-t-elle recours au terme désuet de « Cité ».) Ce n’est donc pas en cherchant les moyens d’apporter plus de justice au système monétaire que se dégage le concept de SDT, mais en réfléchissant aux fondements même d’une société, comme nous l’avons fait dès le départ. Toute l’ambition de la SDT est que la société en soit véritablement une & donc que celle-ci repose sur les Principes de l’association, qu’elle soit régie par les lois naturelles de l’association politique.

Nous avons étudié les lois naturelles de l’association politique. Il y est question de membres, de groupe, de Devoirs & de Droits, jamais de monnaie. La monnaie n’est pas une loi de l’association. Il peut donc y avoir société sans monnaie. Mais, comme nous l’avons prouvé, il n’y a plus de société digne de ce nom sous la monnaie. La Cité doit donc nécessairement proscrire la monnaie, autrement dit anéantir Largent. Or Largent est bien plus que des pièces, des billets ou des unités virtuelles. Largent est la croyance selon laquelle les choses ont une valeur & doivent être échangées entre elles en fonction de leur valeur. A terme, cette croyance engendre une référence de la valeur, une unité de valeur. Mais cette croyance naît du besoin qu’ont les hommes d’échanger leurs biens contre ceux d’autrui. Aussi le principe d’échange sous Largent est-il l’échange indirect entre individus. Cette idée de valeur & ce principe de l’unité conduisent, d’une part, à réduire les droits à des unités, à limiter les droits, &, d’autre part, à l’inégalité en droits entre individus appartenant, en apparence, à la même « société » — puisque chacun, de par le jeu des valeurs, recueille de la vente du fruit de ses efforts une quantité différente d’unités, les droits de chacun ayant alors une limite différente. Il est fatal que le raisonnement individualiste conduise à l’inégalité ! Il n’était pas moins fatal que les hommes primitifs procèdent ainsi, que l’habitude, une fois prise, se perpétue de génération en génération, que ce procédé entraîne des bouleversements dans la société, que certains gagnent à ce que les choses restent telles quelles & que l’Humanité soit enfermée dans cette logique pour des millénaires.

Le point de départ de ce funeste enchaînement est ce réflexe primitif d’échanger les biens entre eux, autrement dit l’échange mutuel de Travail. Or le Travail est une forme de participation à la vie de la Cité, un Devoir envers la Cité. Dès lors que les individus échangent entre eux leur Travail, il n’y a plus de Cité & Travailler n’est plus un Devoir. Pour que la Cité soit, il faut donc que le Travail soit un Devoir envers elle. Produire étant un Devoir envers la Cité, les producteurs ne peuvent être propriétaires de leur production ni en disposer. (Les lois naturelles de l’association politique n’interdisent pas, en marge du Devoir, de produire pour soi & de conserver cette production.) C’est à la Cité qu’il appartient de garantir leurs Droits de Citoyens ! Pourquoi conserver sa production si ce n’est pour s’assurer soi-même des droits ? Naturellement, il va de soi que tous les Citoyens sont tenus à la même enseigne, que chacun doit produire conformément aux exigences de la Cité & lui céder sa production. Or la Cité est l’ensemble des Citoyens. Quand les Citoyens produisent pour la Cité, ils produisent en fait les uns pour les autres ! Certes un Citoyen ne peut conserver sa production, mais cette production deviendra malgré tout la propriété d’un de ses Concitoyens, comme lui-même s’appropriera la production d’un autre. Mais comment ? Telle est la question !

Dans cette logique où Travailler est un Devoir envers la Cité, produire est avant tout le moyen de franchir la porte de la Cité, d’accéder au statut de Citoyen. Ne peuvent évidemment jouir des Droits du Citoyen que les Citoyens &, pour cela, il faut le devenir en s’acquittant des Devoirs du Citoyen dont Travailler est un des principaux. Lorsque les échanges ne s’effectuent plus selon le mode du troc, les individus n’échangent plus mutuellement leurs productions pour acquérir des droits, mais ils échangent l’acquittement de Devoirs contre la jouissance, garantie par la Cité, des Droits du Citoyen, Droits égaux pour tous les Citoyens. En fait, chaque producteur tient sa production à la disposition de n’importe quel de ses Concitoyens &, lorsque l’un d’eux désire s’en approprier une partie, il ne lui demande rien en retour. Mais ce qui est valable pour un Citoyen est valable pour tous ! Conformément aux lois naturelles de l’association, produire & être Citoyen donne à tout Citoyen le Droit de profiter des bienfaits de la Cité, en l’occurrence de consommer à sa guise. Les production sont donc toujours échangées (elles changent de mains), mais sans avoir recours à la notion de valeur, & plus d’individus à individus.

Mais ce mode d’échange exige une production importante de la part de chaque Citoyen, pour que chacun ait quelque chose sur quoi exercer son Droit de consommer. Sans cela, les Droits garantis par la Cité seraient vides de sens pour la plupart des Citoyens. On comprend donc pourquoi ce mode d’échange, quoique juste sur le Principe, fut inadapté & impraticable dans les premiers moments où les hommes se mirent à produire & jusqu’à ce que les progrès permettent une production massive. Mais nous avons dit : « une production importante de la part de chaque Citoyen ». Or il va de soi qu’un individu ne peut à lui seul produire en quantité. La production de masse résulte nécessairement d’une spécialisation aiguë de chaque producteur, d’une division extrême du Travail, & du soutien mécanique, contexte dans lequel il est impossible de définir qui a le plus contribué à la production & donc à qui elle devrait appartenir. (Malgré cette impossibilité, le système monétaire permet à certains de s’en attribuer tout le mérite, mérite traduit en unité monétaire.) Que des petits producteurs aient la faiblesse de croire que leur production leur appartient se conçoit ; mais quel sens cela a-t-il lorsque la production est collective, lorsque la Cité est une entreprise géante dans laquelle tous les Citoyens sont complémentaires ? Le troc — direct ou indirect — est alors un mode d’échange suranné !

Pourtant, produire en quantité est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Cette insuffisance tient au fait que produire en quantité nécessite un potentiel humain élevé. Dans un tel contexte, la plupart des Citoyens ne se connaissent pas. Comment alors distinguer qui est Citoyen de qui ne l’est pas, qui s’est acquitté de ses Devoirs de qui n’en a cure, qui a le Droit de consommer — du fait d'avoir lui-même produit — de qui ne l’a pas ? Pourquoi les uns Travailleraient-ils si d’autres jouissent des mêmes Droits sans Travailler ? La Cité, sous peine de faillite, ne peut donc se permettre d'avoir une confiance aveugle en l’être humain & de laisser à chacun la liberté de s'acquitter de ses Devoirs ! Chaque Citoyen doit être sûr que la Cité joue son rôle & qu'elle ne permet pas que le statut de Citoyen soit usurpé. Ceci, dans l'intérêt de tous, implique un contrôle de la part de la Cité. Ceci implique également que chaque Citoyen puisse être reconnu en tant que tel partout dans la Cité, même par des inconnus. Dans les deux cas, les secours de l'informatique sont indispensables. Il va de soi que, sans l'informatique, contrôler que chaque Citoyen Travaille demanderait énormément de personnel pour surveiller chaque individu, immobiliserait un potentiel humain colossal, exposerait à toute sorte de corruption & serait insupportable. D'un autre côté, la reconnaissance de la Citoyenneté ne pourrait se faire qu'à travers des papiers, ce qui prêterait à toutes les falsifications, exigerait un renouvellement permanent de ces papiers — car la Citoyenneté ne s'acquiert pas une fois pour toutes, puisqu'elle est liée à l'acquittement permanent de Devoirs — & donc une bureaucratie monstrueuse ; au final, nul ne pourrait être certain de la Citoyenneté de personne. Autant de difficultés & d'inconvénients que l'informatique permet d'ignorer.

Ce n'est que depuis peu que ces deux conditions — production de masse & informatique — sont réunies, ce qui explique d'une part pourquoi la monnaie fut nécessaire au point d’être perçue comme irremplaçable, d'autre part pourquoi la SDT, ne pouvant être mise en œuvre, ne pouvait être pensée plus tôt. Mais le fait que ces conditions soient enfin réunies & que la SDT réponde seule aux clauses de la société, rend la Révolution inévitable.

En pratique, en quoi consistera cette Révolution ? Il s’agira tout simplement de substituer aux cartes de crédits une Carte civique. Puisque l’accès au marché dépend de la Citoyenneté, il suffit que les Citoyens disposent d’une carte à puce permettant de la vérifier au moment des achats. En d’autres termes, leur carte ne servira plus à débiter un compte en banque, mais seulement à consulter une banque de données contenant l’information à propos de la Citoyenneté. Or la Citoyenneté n’est pas quantifiable ; un individu est ou n’est pas Citoyen, une Carte est ou n’est pas valide. Le Droit de consommer, ne dépendant pas d’une quantité variable d’unités, ne peut donc être variable d’un Citoyen à un autre, pas plus qu’il ne peut être limité pour aucun d’entre eux ! Grâce à cette Carte, chaque Citoyen peut faire valoir son Droit de consommer autant qu’il le veut ou autant qu’il le peut.

Contrairement à la monnaie qui fixe des limites — différentes de surcroît — au pouvoir d’achat des individus, la Carte rend le pouvoir d’achat des Citoyens illimité. Mais attention ! avoir un Droit n’est pas l’exercer, quoique ne pas l’exercer est néanmoins l’avoir. Si la monnaie ou le manque de monnaie retire aux individus des droits &, par conséquent, la possibilité de les exercer, la Carte assure aux Citoyens la plénitude de leurs Droits & la possibilité seulement de les exercer. Autrement dit, malgré le fait que le pouvoir d’achat des Citoyens soit théoriquement illimité, il a concrètement des limites. Tout d’abord les envies personnelles : les envies d’un individu ont nécessairement une limite — limite variable d’un individu à un autre — & les Citoyens sont libres d’user de leurs Droits. Il s’ensuit que les Citoyens ne peuvent vouloir ni avoir les mêmes choses. Deuxièmement, la rareté : tout est plus ou moins rare. Tous les Citoyens ont le même Droit d’acheter les produits sur le marché, mais lorsqu’un bien est vendu ou acquis par un Citoyen, il n’est plus à vendre & nul n’a plus de Droit dessus si ce n’est son acquéreur. Or le pouvoir d’achat des Citoyens s’exerce sur ce qu’ils ont produit, donc sur une quantité finie de produits. Il s’ensuit 1) que les propriétés des Citoyens sont aussi limitées que ne l’est, à une plus grande échelle, le produit de la Cité, 2) que les Citoyens s’empêchent mutuellement d’exercer leurs Droits sur toute la production, 3) que, à un moment donné, la part de production de chaque Citoyen est différente en volume & en nature. (Ces différences de parts n’ont rien de comparable avec les inégalités du système monétaire. Ici il est plus question de chance momentanée que de fortune permanente.) Enfin, la loi : l’intérêt général peut commander des restrictions légales sur certains produits. Tant que preuve ne sera pas faite que l’Homme est raisonnable, il sera utile, pour X raisons, de limiter en quantité l’accès à certains produits. Naturellement, ces restrictions s’appliqueront à tous &, là encore, l’informatique permettra de faire respecter la législation. Nous voyons donc qu’il est inutile de limiter artificiellement & inégalement le pouvoir d’achat, comme c’est le cas avec la monnaie, puisqu’il existe de toute façon des limites naturelles &  justes.

D’aucuns hurleront à l’encontre de l’idée d’un pouvoir d’achat illimité, mais, outre le fait que ce soit conforme au Droit, ce sera là la source de tous les prodiges de la SDT. Car le fait que le pouvoir d’achat de chaque Citoyen sera illimité, au moins en théorie, fera que la Demande sera infinie. Or l’Offre, elle, est toujours finie & sera donc inférieure à la Demande. Ce qui signifie que, la Demande étant toujours insatisfaite, il y aura du Travail dans tous les secteurs d’activité, il y aura du Travail pour tout le monde & que, une fois tout le monde au Travail, la Demande sera toujours insatisfaite. Le chômage involontaire sera donc chose impossible. Il ne faut pas oublier que la Citoyenneté est liée à des Devoirs, que participer à la vie de la Cité en est un & que le Travail est la forme principale de ce Devoir. C’est en Travaillant que la plupart des Citoyens obtiendront leur Carte, cette Carte sans laquelle la vie sera impossible dans la Cité. Soyons donc certains que les Citoyens chercheront à Travailler, qu’ils auront à cœur de remplir leur Devoir comme ils ont à cœur aujourd’hui de se remplir les poches. Remarquons que nul ne sera besoin d’Etat pour maintenir les Citoyens dans leurs Devoirs envers la Cité, & qu’il appartiendra aux Citoyens de choisir leur emploi.

Maintenant le Travail a pour but de satisfaire au maximum la Demande. Il ne s’agit pas de faire de la figuration ! Or que se passera-t-il lorsque les Citoyens seront réellement égaux en Droits & que cet état de fait sera à jamais permanent ? Egaux en Droits, les Citoyens feront en sorte d’être égaux en Devoirs ! Peut-on imaginer que les Travailleurs qui pourront à eux seuls constituer la Cité — du fait qu’ils Travaillent sérieusement —, accepteront longtemps d’entretenir des fainéants ou des prévaricateurs, que les Citoyens conscients de l’intérêt général laisseront triompher les intérêts particuliers antisociaux ? Lorsqu’un individu choisit d’être Citoyen, il doit mettre autant d’empressement à remplir ses Devoirs qu’à jouir des Droits du Citoyen ! Certes il est difficile d’exiger cela lorsque le labeur apporte la misère, mais ceci sera parfaitement légitime & inévitable lorsque la Citoyenneté apportera l’opulence !

Si la Carte réalise l’égalité au niveau des Droits, l’égalité au niveau des Devoirs dépendra des hommes & des mesures qu’ils prendront & que leur intérêt leur commandera de prendre. L’égalité en Droits étant une réalité, la prévarication apparaîtra vite comme une trahison aux yeux de tous. Pour échapper à une pression sociale psychologiquement insupportable, rien de plus simple : Travailler. Avec le temps, il est sûr que Travailler deviendra un réflexe civique naturel comme il aurait dû l’être depuis toujours. Mais avant de pouvoir compter sur les habitudes, la SDT ne devra compter que sur elle-même ! Nous avons dit que la Carte servira à vérifier la Citoyenneté ; mais comment cette information figurera-t-elle dans une banque de données ? Dans bien des cas, être Citoyen signifiera avoir Travaillé ; mais comment savoir si un individu a Travaillé ? Jusqu’à présent, nous avons étudié la Carte du point de vue du consommateur, pas encore de celui du vendeur. En fait, la Carte serra autant à vérifier la Citoyenneté du client qu’à enregistrer ses achats. La première information sera au client, la deuxième au vendeur. Au-delà de produire, Travailler, c’est vendre. Ne rien vendre revient à ne pas avoir Travaillé, à ne rien avoir apporté à la Cité. La Cité basera donc le contrôle du Travail non sur la production, mais sur les ventes dont elle saura tout instantanément. Il suffira donc que la Cité définisse, pour chaque entreprise, un seuil minimum de vente, seuil au-delà duquel tous ses employés seront reconnus comme Citoyens & en deçà duquel tous ses employés seront exposés à des sanctions, sans que leur Citoyenneté soit nécessairement mise en cause. En SDT, tous les employés d’une entreprise seront considérés comme formant un seul corps, une seule personne morale, un seul Travailleur. Lorsque la Cité appliquera une sanction à une entreprise, elle ne distinguera    personne & la sanction retombera également sur chacun des employés. (On devine les changements qui interviendront au sein de l’entreprise du fait de cette responsabilité collective face à la Cité.) Ces sanctions consisteront généralement en Temps Négatif. Chaque Citoyen devra Travailler un temps préalablement défini par la Cité & égal pour tous avant d’atteindre la retraite durant laquelle la Carte sera valide en permanence, avec possibilité mais sans obligation de Travailler. Toute période passée à Travailler sera donc comptabilisée & ajoutée aux autres ; ce sera du temps positif. Du Temps Négatif reviendra donc à repousser le moment de la retraite ; c’est ce qu’il en coûtera en SDT de ne pas avoir Travaillé à temps ! Maintenant, comment imaginer que les entreprises disposant de tous les moyens pour atteindre leurs résultats minimums & les employés étant collectivement responsables donc solidaires ne feront pas tout pour éviter ces sanctions & les éviteront ?  

Voilà donc la première mesure. Mais il en serait une encore plus importante : le Devoir de satisfaire — dans la mesure du possible — le consommateur. L’idée de résultats minimums pourrait rappeler le communisme. Pourtant, il n’en serait rien, car, outre le fait que ces résultats seraient des résultats de vente & non de production, les entreprises ne pourraient se contenter de les atteindre puisqu’elles devraient répondre à la Demande. Vu le potentiel de la Demande, il apparaît vite que, sous la pression des consommateurs, les entreprises devront vendre davantage que le minimum exigé d’elles ! Par ailleurs, les entreprises seront toujours en concurrence ce qui signifie que, pour satisfaire leurs résultats, elles devront attirer les clients & non les laisser fuir. Or, pour ce faire, elles devront satisfaire la Demande, donc ignorer & dépasser leurs résultats minimums. Bref, ces résultats minimums seront davantage un épouvantail qu’un objectif ; ils n’en demeureront pas moins nécessaires. Remarquons que la SDT, dans les faits, sera un système économique libéral quoique délivré du capitalisme.

Les conséquences de la Carte civique sur les choses & les hommes seraient aussi innombrables que celles de Largent, mais dans un tout autre sens ! La Carte civique engendrera une nouvelle force des choses qui emportera tout dans son sillage. Les hommes joueront bien un rôle, mais un rôle qu’ils ne peuvent tenir sous Largent qui les contraind à en jouer un autre ! Toutes les mesures annexes de la SDT n’auraient aucun sens dans un système monétaire car elles sont commandées par la Carte civique, par la nécessité de s’adapter au contexte engendré par l’Egalité ! Le capitalisme essaye de développer l’esprit d’entreprise, mais comment pourrait-il mieux y arriver que la SDT qui rendra chaque employé réellement responsable de l’œuvre collective dont chacun retirera les mêmes Droits ? Le capitalisme essaye de lutter contre l’insécurité, mais comment pourrait-il y arriver alors que le crime paye plus que le Travail ? La SDT, elle, n’aura pas même besoin de lutter contre l’insécurité ; elle l’étouffera par nature puisque rien ne payera sinon le Travail, rien n’octroiera des Droits sinon la Citoyenneté ! Comment le capitalisme pourrait-il lutter contre le chômage dont il a besoin pour avoir des Travailleurs bon marché & corvéables à merci ? Comment le capitalisme pourrait-il sérieusement combattre les inégalités (la fameuse « fracture sociale ») quand l’inégalité est inscrite dans les gènes de Largent son idole ! quand Largent procure aux uns le pouvoir de dépouiller les autres de leurs Droits ? Comment le capitalisme pourrait-il éradiquer la pollution quand celle-ci rapporte & que gagner de Largent est loi ? Certes la SDT ne pourra peut-être pas tout éradiquer, mais du moins pourra-t-elle mettre en œuvre toutes les techniques connues, soit pour ne plus polluer soit pour dépolluer ! Le capitalisme entre dans l’ère des services, mais comment les hommes pourraient-ils être réellement au service les uns des autres — ce vers quoi ils tendent manifestement — sans que les Citoyens soient libérés de Largent ? Comment le capitalisme pourrait-il ouvrir l’ère de la fraternité quand Largent dresse les hommes les uns contre les autres ? Comment le capitalisme pourrait-il édifier des états démocratiques quand les riches détiennent par nature tous les pouvoirs & quand, par ailleurs, il purge l’art de tout contenu politique ? Il ne peut y avoir de véritable démocratie si les Citoyens n’ont pas le même poids politique, les mêmes libertés, les mêmes intérêts, si la société est divisée en oppresseurs & opprimés ! Comment le capitalisme pourrait-il élever les âmes quand l’accès au confort matériel y exige tant de sacrifices & accapare toute l’attention ? Seule la SDT, en permettant à tous d’être matériellement comblés, pourra amener les hommes à considérer l’Avoir comme accessoire & Etre comme essentiel !

Nous ne pouvons aborder ici toutes les conséquences de la SDT, ni toutes les mesures qu’elle devra prendre, mais il faut avoir conscience de ceci : la Carte civique & ses Principes seront la pierre angulaire de la SDT ; la Cité bougera autour d’eux, s’adaptera, mais eux resteront constants. Le passage d’une moyen d’échange à un autre modifiera évidemment de nombreux paramètres, mais il n’y aura alors rien d’autre à faire que faire avec ! & soyons sûr que les hommes surmonteront les difficultés. C’est ainsi que les Citoyens assimileront les Principes de la Carte civique. Le même genre de problème se pose avec la monnaie, à la différence que ces problèmes sont entrés dans les habitudes au point d’être considérés comme des paramètres & non plus des problèmes. Ils font, pour ainsi dire, partie du paysage ! Tout le monde trouve normal de chercher de Largent pour réaliser un projet, de payer des impôts ou d’être remboursé par la sécurité sociale ! Pourtant, ces habitudes n’ont de sens que dans un système monétaire ! Il est donc clair que, bien que l’Homme ait en lui la dynamique essentielle, il doit plier devant les impératifs du moyen d’échange. Moins le moyen d’échange est contraignant, plus l’Homme est libre, plus son potentiel est libéré. La Carte civique aura elle aussi ses contraintes, mais qu’elle liberté de mouvement ne confèrera-t-elle pas aux Citoyens ! Comment les Citoyens pourraient-ils être plus libres — après avoir évidemment rempli leurs Devoirs, chose dont ne sont théoriquement pas dispensés les hommes dans le système monétaire — qu’en n’ayant d’autres limites à leurs actes que leur volonté ? En d’autres termes, la Carte civique va libérer tout le potentiel humain de la Cité. Il s’ensuit que la SDT au lendemain de la Révolution n’aura en rien l’aspect de la Cité un siècle plus tard, pourtant fondée sur les mêmes Principes ! La Carte civique elle-même est vouée à disparaître lorsque s’acquitter de ses Devoirs sera un réflexe civique naturel & que les contrôles seront dès lors inutiles. 

La SDT n’est pas une fin, mais un début ! Il ne faut donc pas s’alarmer de sa forme primitive qui, par son côté libéral & sa fixation sur l’économie, rappelle le capitalisme. N’oublions pas que les hommes sont des êtres d’habitudes & qu’ils conserveront certains réflexes, même après qu’ils n’aient plus lieu d’être ! Les choses elles-mêmes sont mues par une force indomptable ! La SDT ne heurtera pas de front toutes ces forces ; au contraire elle les accompagnera pour mieux les dévier avant que, sorties de leur contexte, elles s’épuisent naturellement. Fou est celui qui croit pouvoir ériger une société nouvelle avec des hommes conformes à son idéal, sans tenir compte de la force des choses, bref en espérant briser le cours de l’Histoire ! Il faut construire avec ce que l’on a & l’Homme tel qu’il est. Il faut semer & attendre avant de récolter ! C’est moins pour soi que pour les générations futures que l’on fait une Révolution ! Mais l’impatience est souvent la faiblesse des hommes &, en particulier, des révolutionnaires, hommes passionnés qui veulent cueillir des fruits nouveaux avant d’avoir planté l’arbre qui pourrait les porter. 

Aussi la Révolution de la SDT sera-t-elle plus une évolution révolutionnaire qu’une révolution ordinaire. Son but n’est pas de proscrire des hommes, mais d’anéantir des principes, ceux de Largent. A priori, la tâche peut sembler colossale, mais pensons que la SDT reposera sur la Carte civique, que son objectif sera d’instaurer la Carte civique. Toute la question est de savoir si, d’ici quelques temps, le concept de Carte civique sera réaliste, si la Carte civique elle-même s’inscrira dans le sens de l’évolution. Tout d’abord, force est de constater que la Carte civique est déjà techniquement réalisable puisqu’elle ne diffère de la carte de crédits que par la nature des informations auxquelles elle permettra d’accéder & dans la façon dont elles seront exploitées. A ce propos, la SDT exigera que nombre de données soient informatisées ; or toutes les données sont en passe de l’être, sans que la fin recherchée soit de garantir à chacun la jouissance de ses Droits. Sur le plan de l’utilisation, la Carte civique s’utilisera exactement comme la carte de crédits ; elle ne bouleversera donc pas la manière d’acheter & les Citoyens retiendront le fait positif qu’elle leur confère infiniment plus de pouvoir d’achat. Mais, l’usage exclusif de cartes de crédits vers lequel nous nous acheminons va de pair avec de la monnaie exclusivement virtuelle. La monnaie arrive donc à son stade ultime d’évolution &, à moins de considérer soudainement que l’évolution s’arrêtera là, l’étape suivante sera nécessairement l’élimination de ce qui est virtuel, la disparition de tout système d’unité, la monnaie laissant alors la place aux cartes, à un système de cartes qui n’aura de sens qu’avec la Carte civique. Remarquons d’ailleurs que, quoique la monnaie soit le moyen d’échange du système monétaire, la monnaie virtuelle tend à faire passer dans les esprits l’idée que les cartes sont un moyen d’échange, ce qu’elles ne sont pas encore, mais ce qu’elles seront effectivement avec la Carte civique. Autant dire que les cartes de crédits, en faisant perdre l’habitude de manipuler de la monnaie, la tue à petit feu & préparent les Citoyens à utiliser des cartes de toute nature, & même la Carte civique. Remarquons enfin que les inégalités fondées sur la monnaie sonnante & trébuchante peuvent davantage se justifier que des inégalités fondées uniquement sur des chiffres abstraits ; un déséquilibre aussi artificiel qu’aberrant ne manquera pas d’être dénoncé — nous sommes déjà en train de le faire —, ni sa fragilité d’être mise à l’épreuve.

La carte de crédits préfigure sans conteste la Carte civique. Or, si la Carte civique est l’évolution logique de la carte de crédits, la SDT est fatalement dans l’ordre de l’évolution, l’étape suivante après le capitalisme.  

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Nous pouvons maintenant aborder la théorie de l’économie distributive (de l’abondance). Son principe est simple : chaque année, la société octroie à chaque Citoyen une quantité égale de crédits, la somme de ces crédits équivalant à la valeur de la production générale annuelle. Comprenons bien : ces crédits — nous pourrions dire « des points » — sont strictement personnels & disparaissent aussitôt que le Citoyen les a utilisés pour ses achats. Les commerçants ne récupèrent pas ces crédits, puisqu’ils sont eux-mêmes Citoyens & reçoivent leurs crédits de la société.

Plusieurs remarques viennent immédiatement : 1) L’Egalité est l’ambition de l’ED, 2) L’ED a conscience de la nécessité d’un moyen d’échange, 3) L’ED compte soustraire les Droits à l’arbitraire des individus, 4) L’ED est toujours un système monétaire. 

Avant d’approfondir ces remarques, saluons tout d’abord l’audace d’une telle conception. Ce n’est pas rien d’oser s’attaquer à Largent & de prôner l’Egalité ! C’est même ce qu’il y a de plus difficile au monde & de plus dangereux. Avant d’en avoir fait soi-même l’expérience, nul ne peut imaginer les forces que de telles pensées déchaînent ! Nul ne peut concevoir les efforts titanesques que les soutenir envers & contre tout exige ! Il est tellement plus facile de se laisser porter par le courant ! Ce courant est d’ailleurs si puissant, que c’est à se demander comment des hommes parviennent à en faire abstraction & à lui résister ! En cela, le courage des partisans de l’ED n’a d’égal que celui des partisans de la SDT — dits les Patriciens. Car il est clair que l’ED & la SDT partent des mêmes sentiments, partagent nombre d’analyses, aspirent aux mêmes choses & empruntent en partie la même voie.

1) L’Egalité est l’ambition de l’ED. Incontestablement, le fait de vouloir octroyer la même quantité de crédits à tous les Citoyens, signifie que les partisans de l’ED aspirent à l’Egalité & conçoivent la monnaie comme le vecteur des Droits (jusque-là ceci rejoint la SDT). Les partisans de l’ED reconnaissent donc, comme les Patriciens, qu’il n’y a pas de sous-métier, mais encore que tous les Travailleurs méritent autant de la société, mérite traduit en Droits & ici en crédits. (Notons que l’ED ne distingue pas entre Travailler & participer à la vie de la société. « Travailler » désigne donc ici toutes les formes de participation à la vie de la société, tous les Citoyens étant tenus de participer.) C’est à l’inégalité économique — & au-delà à l’inégalité politique — que l’ED espère remédier avec ce système de crédits, comme la SDT se propose d’y remédier avec la Carte civique. L’égalité économique est donc leur but commun, & toutes deux avancent des arguments semblables, sinon pour justifier la raison d’être de l’égalité économique, du moins pour démontrer l’absurdité de l’inégalité.

2) L’ED a conscience de la nécessité d’un moyen d’échange. La SDT n’est pas la première théorie à préconiser l’abolition de Largent, mais elle est la première à vouloir l’abolir & à l’abolir en théorie, tout en conservant un moyen d’échange. Toutes les autres ont la faiblesse de confondre Largent & le principe du moyen d’échange, & d’envoyer les deux aux orties. Toutes, à l’exception de l’ED. Il ne lui a pas échappé qu’un moyen d’échange s’avère nécessaire dans la complexité d’une économie moderne, de même qu’il limite le rôle de l’Etat puisqu’il permet aux Citoyens de s’approprier la production directement & librement. Quelle erreur funeste de vouloir confier à l’Etat, ne serait-ce qu’en théorie, la répartition de la production ! Bureaucratie & manque de libertés sont les conséquences inévitables d’un tel mode de répartition & conduisent à terme à la dictature politique ! L’ED & la SDT se rejoignent également sur ce point.

Autre point commun : le moyen d’échange de l’ED comme celui de la SDT est strictement personnel & ne s’échange pas. Car le moyen d’échange incarne les Droits du Citoyen & seul le dépositaire de ces Droits doit pouvoir les faire valoir. Les Droits que donnent le moyen d’échange, ne doivent donc pas passer dans les mains d’autrui légalement ou illégalement. En étant liés au Citoyen, tout risque de vol est a priori écarté.

3) L’ED compte soustraire les Droits à l’arbitraire des individus. Les Droits ne s’obtenant plus du marché, ils doivent néanmoins être reconnus & accordés par quelqu’un. Ces Droits étant ceux du Citoyen, c’est donc à la société qu’il appartient de reconnaître à un individu le statut de Citoyen & de lui accorder le moyen d’échange par lequel les Citoyens peuvent faire valoir leurs Droits sur la production. Cette mesure découle de la mesure précédente — le fait que ce moyen d’échange ne s’échange pas — & la renforce. La SDT tient le même raisonnement.

4) L’ED est toujours un système monétaire. Le rêve s’effondre. Le problème de la monnaie ne réside pas seulement dans la façon dont elle est utilisée, voire dans la façon dont elle fonctionne ! Le concept même de monnaie est antisocial & tout moyen d’échange reposant sur un système d’unités est monétaire. Un système de crédits est donc fondamentalement incompatible avec les aspirations véritablement sociales de l’ED. Mais les partisans de l’ED ne voient que ce qu’ils veulent & qui, a priori, semble juste & révolutionnaire. Ces crédits permettent aux Citoyens de consommer partout dans la société, même là où ils sont inconnus. Ils sont donc garants d’une certaine liberté. Pourtant, cette qualité n’est pas celle des crédits, mais celle de tout moyen d’échange. En SDT, la Carte civique présente le même avantage sans qu’il soit question de crédits ou d’unités de quelque nature. Ensuite, le fait que ces crédits soient octroyés annuellement par la société qui les invente, rend inutile tout système d'impôt, de taxe, &c. Pourtant, là encore, cet avantage ne vient pas des crédits eux-mêmes, mais du fait que le Droit de consommer soit reconnu aux Citoyens par la société. Ceci est évident au regard de la SDT qui, elle, a aboli tout système d’unités. Enfin, le fait que les crédits soient sous le contrôle de la société rend possible la généralisation d’un pouvoir d’achat confortable, mais l’absence de crédits assure aux Citoyens d’une SDT un pouvoir d’achat certes indéfini mais plus confortable encore.

Ainsi tous les avantages de l’ED se retrouvent en SDT. Mais à quoi servent les avantages théoriques d’un système concrètement impraticable ? Pour que l’ED présente des avantages par rapport au système actuel, encore faut-il qu’elle puisse réellement lui succéder & le faire oublier ! Voilà les questions auxquelles nous devons répondre.

Le premier point — annoncé fièrement par les partisans de l’ED — avec lequel un Patricien est nécessairement en désaccord est le suivant : « La distribution du pouvoir d’achat se fait en créditant périodiquement le compte de chaque citoyen, de sa naissance à sa mort. » Si effectivement un Citoyen peut être vieux, en revanche nul ne peut être Citoyen en naissant ! Peut-on être Citoyen du seul fait de naître quelque part ? Peut-on jouir de Droits avant de s’en être montré digne ? Si les Droits sont liés à des Devoirs, & vice versa, les Droits du Citoyen sont liés à des Devoirs civiques. Un bébé s’acquitte-t-il des Devoirs du Citoyen comme son père ? Si les Citoyens sont égaux en Devoirs & en Droits, pourquoi certains jouiraient-ils des Droits du Citoyen sans remplir les Devoirs liés à ce statut ? Qui est Citoyen, qui ne l’est pas ? Comment le devient-on, peut-on le devenir ? S’il faut Travailler pour l’être, pourquoi les enfants sont-ils donc considérés d’office comme des Citoyens à part entière ? (Disons encore une fois que refuser aux enfants le statut de Citoyen n’enlève pas à la société & à leurs parents les Devoirs qu’ils ont envers eux & qui, d’une certaine façon, leur confère indirectement des droits qui, néanmoins, ne sont pas ceux du Citoyen.) Ou la Citoyenneté est liée à des Devoirs & donne les Droits du Citoyen, ou elle est un concept vide de sens ! Par ailleurs, être Citoyen, état qui confère des Devoirs, doit résulter d’un choix. En l’occurrence, l’ED ne laisse pas ce choix, ce qui pourrait être considéré comme une oppression, comme le premier acte funeste d’une pièce tragique ! Il semble donc que les théoriciens de l’ED aient mal cerné le Contrat Social qui doit unir les Citoyens, qu’ils se soient contentés de suivre leurs intuitions & d’écouter leur humanité.

Ce manque de cohérence (révélateur) pourrait avoir des suites dommageables ! D’une part, il se pourrait fort que la société entretienne des individus à ne rien faire car, d’un côté, la notion de contrôle du Travail est totalement absente de la théorie de l’ED, sinon relativement laxiste, alors que, d’un autre côté, le fait de recevoir des crédits, c’est-à-dire d’être Citoyen, n’est pas nécessairement lié au fait de Travailler, le Travail étant néanmoins présenté comme un Devoir. Au lieu de constituer une base inébranlable, il y a donc dans les concepts fondamentaux de l’ED des faiblesses qui annoncent une construction hasardeuse & un édifice social branlant ! D’autre part, les partisans de l’ED savent — du moins ont-ils l’intuition — que l’égalité des Droits passe par l’égalité du pouvoir d’achat qui, en l’occurrence, se traduirait en crédits. Pour être égaux, tous les Citoyens devraient donc disposer d’autant de crédits. Puisqu’ils considèrent les enfants comme des Citoyens, les enfants disposeraient d’autant de crédits que les Citoyens adultes, crédits utilisables par eux seuls. Or la somme des crédits serait théoriquement l’équivalent de la valeur de la production générale. Pour que la production soit consommée en intégralité, il faudrait donc que tous les crédits soient dépensés. Mais peut-on concevoir un instant non seulement que les besoins des enfants égalent celui des adultes mais encore que les enfants soient en état de faire les courses ? Les enfants ne dépenseraient donc pas leurs crédits, ce qui serait autant de surproduction. (La sénilité placerait certains Citoyens dans la même situation de ne pouvoir dépenser leurs crédits.) Que se passerait-il l’année suivante ? La société devrait-elle à nouveau faire la même erreur & leur verser autant de crédits qu’aux adultes ? Les nouveaux crédits devraient-ils se rajouter à ceux non dépensés — cas qui pourrait également concerner les adultes ? Si oui, que devient l’égalité en Droits (C’est à chaque instant que les Citoyens doivent être égaux en Devoirs & en Droits, & non devant une distribution de crédits !) ? Si non, si un plancher est fixé, si des crédits sont virtuellement détruits, que devient la production qui correspond à des crédits qui n’existent plus ? Bref, émettre exactement une quantité de crédits égale à la valeur de la production générale ne risquerait-il pas de créer un phénomène de surproduction artificiel ?

Mais, admettons que l’ED fasse preuve de bon sens & n’octroie pas aux enfants autant de crédits qu’aux adultes. Dans la mesure où elle reconnaît aux enfants le statut de Citoyen & où les Citoyens doivent être égaux en Droits, consommer étant un Droit fondamental, les Citoyens en ED seraient donc inégaux en droits, ce qui n’est pas le moindre paradoxe lorsque est proclamé sacré le Principe d’Egalité. Nous voyons déjà combien ce système de crédits compliquerait les choses, combien les choses seraient bien plus compliquées qu’en SDT !

Le but fondamental de l'ED est de délivrer les hommes des frustrations en permettant aux Citoyens de satisfaire librement leurs désirs. Mais le droit de consommer serait donné par des crédits. Au-delà de la limite naturelle imposée par la production, l'ED & ses crédits imposeraient donc une limite artificielle au pouvoir d'achat, comme c'est le cas avec la monnaie & dans tout système d'unités. Sans doute les partisans de l'ED objecteront-ils que cette limite fixerait la part maximale logique à laquelle aurait droit un Citoyen. Mais cela n'empêcherait pas qu'un Citoyen voulant plus que ne lui permettent ses crédits ou voulant acheter des biens chers soit, comme sous le capitalisme, frustré, obligé d'économiser ou de modifier ses choix. D'un autre côté, tous les Citoyens n'utiliseraient pas la totalité de leurs crédits. Ainsi, sous prétexte de réfréner l'avidité de certains, ou tout simplement d’équité, la même limite serait imposée au pouvoir d'achat de tous les Citoyens, frustrant les uns sans que les autres n'en tirent aucun intérêt, faisant perdre, pour rien, des consommateurs à la société & rendant artificiellement superflue une partie de la production. Ne serait-il pas plus logique, comme en SDT, de laisser aux Citoyens le pouvoir réel d'acheter ce qu'ils veulent jusqu'à ce qu'ils se soient répartis la production au grès de leurs besoins, de leurs envies & des possibilités. Si tous les Citoyens avaient le même pouvoir d'achat indéfini, cela ne suffirait-il pas à proscrire les inégalités actuelles qui sont la manifestation du contraste entre riches & pauvres ? Limiter le pouvoir d'achat ne change rien au fait que la production soit elle-même naturellement limitée. Or le pouvoir d'achat des Citoyens porte sur cette production ; il est donc limité dans les faits & l’ensemble des Citoyens ne peut consommer plus que l’ensemble de la production. Si, avec un pouvoir d’achat indéfini, les Citoyens veulent autant, nul n'a les moyens d'accaparer toute la production comme peuvent le faire les riches aujourd'hui, & la production, par la loi des grands nombres, se répartie en parts relativement égales. Si, comme c'est probable, les appétits des Citoyens diffèrent, alors chacun retire la part qu'il juge suffisante, & ce quelle que soit sa taille. Dans un tel contexte, des différences au niveau des propriétés ne sont plus des inégalités ! Limiter le pouvoir d'achat des Citoyens ne sert donc strictement à rien, sinon à frustrer certains.

Pour que les Citoyens soient égaux, il faut qu’ils aient un Droit d’accès illimité au marché, car les seules façons de limiter ce Droit est d’avoir recours soit à des unités, soit au rationnement, soit à une combinaison des deux, autant de solutions qui troublent l’harmonie naturelle & menacent les libertés individuelles.

Imaginons que, erreur de calcul inévitable, la quantité de crédits émise ne soit pas égale à la valeur de la production sur le marché, qu'elle lui soit ou supérieure ou inférieure. Dans le premier cas, chaque Citoyen disposerait d'une quantité de crédits supérieure à tous ses besoins & envies. Les crédits ne les gêneraient pas pour consommer, si bien qu'ils consommeraient sans se soucier de leurs crédits, & ces crédits n'auraient concrètement aucune utilité. Les Citoyens consommeraient en faisant valoir directement leur Citoyenneté, cela reviendrait strictement au même ! Mais vouloir à tout prix conserver un système d'unités pourrait amener au second cas, au cas où la quantité de crédits émise serait inférieure à la valeur de la production. Alors les Citoyens — en tout cas une partie — pourrait ne pas pouvoir satisfaire tous leurs besoins ou leurs envies. Et pourquoi ? Au nom de quoi ? Les Citoyens autant que la société seraient victimes de cette erreur de calcul. En imaginant que la société décide alors d'injecter en urgence des crédits jusqu'à ce que leur quantité soit supérieure à la valeur de la production — ou des biens & services sur le marché —, on retomberait dans le premier cas où les crédits sont inutiles.    

En octroyant autant de crédits à chaque Citoyen, à chaque Travailleurs, l'ED ferait plus que déclarer qu'il n'y a pas de sous métiers ; elle mettrait en pratique sa déclaration. Mais alors, à quoi serviraient ces crédits, puisqu'ils ne serviraient plus à établir de différences entre les métiers, ce qui est le but inavoué d'un système monétaire ? Si tous les Citoyens, quelle que soit leur activité professionnelle, ont le même Droit sur la production, le même pouvoir d'achat, à quoi cela sert-il d'instaurer une limite à ce Droit, limite certes identique pour tous, mais nécessitant un système d'unités laborieux & absurde en définitive ? Ils seraient tout aussi égaux en Droits si, plus simplement, leur pouvoir d'achat était indéfini ! En fait, ce n'est pas la volonté d'instaurer une limite qui pousse l'ED à limiter le pouvoir d'achat des Citoyens, mais le fait qu'elle ne conçoive pas l'échange autrement que par le biais d'unités. Les Citoyens ne pouvant disposer que d'une quantité finie d'unités, il s'ensuit que leur pouvoir d'achat est nécessairement limité. Cette notion de limite est ensuite assimilée & conserve son sens tant que cette limite empêche les Citoyens de consommer, sans quoi, comme nous l'avons montré dans le paragraphe précédent, limite & crédits perdent toute raison d'être — ce qui échappe sans doute aux partisans de l'ED.   

Ainsi, l'ED ne réprouve pas cette notion de limite. Mais, qui dit limite du pouvoir d'achat dit impossibilité d'acheter au-delà de cette limite. Que deviendrait celui qui aurait dépensé tous ses crédits ? Ne serait-il pas dans une situation bien connue aujourd’hui ? Ne serait-t-il pas enclin à déployer toute son énergie pour se procurer les crédits qui lui font défaut ? Les Citoyens ne seraient-ils pas obsédés par l'envie d'avoir le plus de crédits possible ? Un système d'unités, malgré toutes les précautions, ne permettrait-il pas des manœuvres frauduleuses ? Les hommes ne seraient-ils pas toujours aussi pervers que sous le capitalisme ? Pourquoi ne le seraient-ils pas puisque, à quelques nuances près, tout le rappelle ! Ce système de crédits ne perpétue-t-il pas la logique & les préjugés monétaires ?

Malgré ses aspirations égalitaires, sa conscience que les Droits passent par le moyen d'échange & que les unités sont des portions de droit, l'ED envisage toujours les crédits comme un moyen de récompense ou de compensation, de sorte que les Citoyens, au final, ne disposeraient pas de la même quantité de crédits & seraient donc inégaux en droits, ce qui serait en totale contradiction avec les intentions initiales de l'ED. Comment peut-elle être à ce point en contradiction avec elle-même ? Tout simplement parce qu'elle ne le sait pas ! C'est nous qui avons dit que l'ED concevait la monnaie comme le vecteur des droits. Or, pour l'ED, ceci n'est qu'une intuition ! Certes, elle sent qu'une trop grande disproportion de richesse entre les Citoyens est incompatible avec l'Egalité, & elle propose bien que les crédits soient répartis à parts égales, mais le fait même qu'elle ait recours à un système de crédits qui permet l’inégalité, prouve qu'elle ignore la nature profonde du Droit comme celle de la monnaie. Voilà pourquoi accorder aux uns plus de crédits qu'aux autres, sous quelque prétexte que ce soit, ne la choque pas fondamentalement. Peut-être le fait que la société ait le contrôle des crédits empêcherait une trop grande inégalité de répartition, mais le Principe d'Egalité n'en serait pas moins anéanti ! Or, si l'inégalité est possible, comment être sûr que des inégalités infimes n'ouvriraient pas la voie à des inégalités monstrueuses ? L'ED prévoit un régime démocratique, mais le système proscrit-il par nature toute forme de tyrannie ? Tout passerait par les hommes & rien ne permet de garantir qu'une poignée d'hommes ne s'arrogerait jamais le pouvoir de répartir les crédits à sa convenance & dans ses intérêts, comme c’est le cas depuis toujours dans tous les systèmes monétaires ! Le fait que ces crédits ne s'échangent pas n'empêcherait pas que les Citoyens soient dépendants de ceux qui les leurs accorderaient avec parcimonie, mais qui les prodigueraient généreusement à leurs valets.  (La SDT, elle, ne pourrait connaître cette dérive puisque les Droits du Citoyen dépendraient du seul fait d'être Citoyen & qu’il serait infiniment plus difficile de nier la Citoyenneté ou de supprimer la Carte civique d’un Citoyen que de sucrer des crédits. Le pouvoir d'achat ne passant pas par des unités, il serait impossible de dépouiller les Citoyens de leur pouvoir d'achat, de leur pouvoir tout court !)

Comment l'ED qui déclare que Travailler est un Devoir, que les Citoyens sont égaux en Droits, que consommer est un de ces Droits, que le pouvoir d'achat doit être donné par la société, comment l'ED, donc, peut-elle encore assujettir les droits à des unités & non à la Citoyenneté. Dès lors que la société reconnaît qu'un individu a rempli envers elle ses Devoirs de Citoyen, qu'elle le reconnaît comme un Citoyen, comme l'égal de tous ses Concitoyens, qu'elle lui reconnaît les Droits du Citoyen, nul n'est besoin d'intermédiaire entre le fait d'être Citoyen & le Droit de consommer ! Si l'intention n'est pas de brimer les Travailleurs, pourquoi d'un côté leur reconnaître la Citoyenneté &, d'un autre côté, leur verser des unités qui seules leur permettront de faire valoir leurs droits de Citoyens ? Leurs Droits ne sont-ils pas déjà contenus dans leur Citoyenneté ? A quoi cela sert-il d'être Citoyen si seule la possession d'unités compte pour exercer les droits du Citoyen ? Manifestement ce moyen d’échange représente toujours, avant tout, une portion de la production, non la Citoyenneté. Un tel raisonnement, propre au capitalisme & aux esclaves de Largent, éloigne fatalement les hommes de l'esprit civique, du moins les maintient-ils dans la logique monétaire. Il ne faut donc pas s'étonner de rencontrer dans l'ED des mesures individualistes, des dérives inégalitaires & des comportements typiquement capitalistes.

Ainsi, le Contrat Social, si cher à la SDT en tant que base de l’Egalité entre les Citoyens, devient : « … un contrat personnalisé entre tout citoyen & la société dans laquelle il vit. » Dans la mesure où il n’y a pas plus de société que de Citoyens sans Contrat Social unique, c’est à se demander ce que l’ED appelle « société » & « citoyens ». En SDT, la Cité est l’ensemble des Citoyens. Quand un Citoyen s’engage vis-à-vis de la Cité, il s’engage en fait vis-à-vis de tous ses Concitoyens, de sorte que tous les Citoyens sont liés les uns aux autres par le même engagement. Mais comment les Citoyens pourraient-ils être égaux sans avoir contracté (indirectement) les uns envers les autres les mêmes obligations, sans jouir des mêmes droits au sein de leur association ? Des individus liés à la Cité par des contrats personnalisés & différents ne peuvent donc être ni Citoyens, ni égaux ! Or l’Egalité concerne les Devoirs & les Droits — pour simplifier : le Travail & le pouvoir d’achat. Dans l’Egalité, lorsque tous les Citoyens acceptent le Contrat Social, tous les Citoyens Travaillent & ont le même pouvoir d’achat. Un « contrat personnalisé » introduirait donc l’inégalité entre les « Citoyens » soit au niveau du Travail, soit au niveau du pouvoir d’achat, soit à tous les niveaux. Si tous les Citoyens Travaillent, s’ils remplissent tous leur Devoir de Citoyen, pourquoi personnaliser le contrat qui les unit à la « Cité », si ce n’est pour introduire des inégalités de pouvoir d’achat, des inégalités en droits ? Si tous les Citoyens jouissent du même pouvoir d’achat, pourquoi personnaliser le contrat qui les unit à la « Cité », si ce n’est pour dégager certains du Devoir de Travailler ? Enfin, si les Citoyens ne sont égaux ni en Devoir ni en Droits, pourquoi personnaliser le contrat qui les unit à la « Cité », si ce n’est pour proscrire à jamais l’Egalité entre les Citoyens par un simulacre d’équité entre ce que fait de particulier un individu & ce qu’il gagne personnellement à le faire ? Quand bien même l’ED se montrerait plus généreuse que le capitalisme, elle agirait selon les mêmes principes antisociaux — individualisme & équité —, procèderait aussi arbitrairement, & serait moralement tout aussi condamnable.

Suite logique : « Assuré d'un revenu suffisant pour vivre décemment, ce jeune (étudiant)… » Comment les partisans de l’ED peuvent-ils proposer de telles mesures sans réaliser leur indécence ? Si un étudiant est un Citoyen — rappelons-nous que l’ED considère que les individus le sont de leur naissance à leur mort ! —, la décence commande de lui reconnaître tous les Droits du Citoyen. En SDT, les étudiants disposeraient de la Carte civique & jouiraient des mêmes Droits que tous leurs Concitoyens, car étudier est essentiel pour exercer certains métier & constitue donc un Travail à part entière. Pourquoi l’ED ne leur accorderait-elle pas le même revenu qu’à n’importe quel Citoyen, n’importe quel Travailleur, d’autant qu’il ne s’agirait pour elle que d’un jeu d’écriture ? Si tel est ce qu’elle envisage, pourquoi précise-t-elle l’aspect décent des revenus de l’étudiant, pourquoi marque-t-elle une différence entre étudiants & Citoyens ? Parce qu’elle la ferait ! En voulant signaler un avantage potentiel de l’ED sur le capitalisme, les partisans de l’ED trahissent leur attachement aux concepts capitalistes ! Il leur serait impossible de concevoir un salaire autre qu’égal, autre que les Droits du Citoyen si les droits ne passaient plus par des unités, s’ils étaient un tout indivisible, s’ils étaient fatalement égaux pour tous les Citoyens. La proposition suivante est la confirmation éclatante de cette observation : « Si au contraire certaines productions, si des services publics ne sont pas tous pris en charge, il sera possible de trouver des candidats en publiant des offres alléchantes, ou en stimulant les gens par des revenus personnalisés plus grands. » Tous les métiers ont leurs avantages & leurs inconvénients, mais il est néanmoins normal de compenser par des avantages les métiers désertés qui présentent beaucoup d’inconvénients. Ces avantages additionnels peuvent recouvrir une infinité de formes. Pourquoi l’ED envisage-t-elle alors de recourir à « des revenus personnalisés plus grands. » Plus grand de combien ? Ce « combien » a-t-il d’ailleurs une importance quelconque dès lors que l’Egalité n’est plus à la moindre différence de crédits ou de pouvoir d’achat entre les Citoyens ? Comment les partisans de l’ED peuvent-ils imaginer cette solution de facilité qui rappelle tant les procédés capitalistes ? Tout simplement parce que le système de crédits permet de la penser, & ne doutons pas que l’ED aurait effectivement recours au stimulant financier ! Les partisans de l’ED sont des gens d’aujourd’hui qui, comme leurs contemporains, sous-estiment l’influence de Largent sur les droits & le regardent comme le remède universel !

Comment l’ED pourrait-elle perdre ce caractère individualiste alors qu’il est à l’origine du troc & de la monnaie ? Comment des crédits pourraient-ils avoir la couleur de la monnaie sans en avoir le goût ? Le fait même de concevoir des crédits comme substitut à la monnaie est marqué d’individualisme. « C'est l'échange d'un travail contre un pouvoir d'achat qui est à repenser. » Alors que, pour la SDT, un pouvoir d’achat indéfini est la conséquence du fait que les Droits des Citoyens résultent de Devoirs & ne sont bornés que par les Droits d’autrui, l’ED, au contraire, cherche à définir le pouvoir d’achat qui correspond à un travail. Remarquons qu’il ne s’agit pas du Travail en général, du Devoir de Travailler, mais d’« un » travail en particulier, de chaque travail. Dans cette optique, à chaque travail correspond un pouvoir d’achat spécifique. Le Travail n’est donc plus le Devoir qui, une fois accompli, assure la Citoyenneté & garantit les Droits du Citoyen, il n’est que le moyen de se procurer un pouvoir d’achat. Le lien n’est pas fait entre pouvoir d’achat & Citoyenneté ; l’égalité (en Devoirs & en Droits) des Citoyens n’implique plus l’égalité de leur pouvoir d’achat. Si l’égalité dans le Devoir de Travailler n’implique plus l’égalité du pouvoir d’achat des Citoyens, il vient fatalement que les différences de pouvoir d’achat sont justifiées, ou justifiables, par la nature différente des métiers. Or, si à chaque métier correspond un pouvoir d’achat, pourquoi ne pas aller jusqu’à différencier le pouvoir d’achat entre tous les Citoyens ? Tel est le risque que le système de crédits ferait courir à l’ED, & nous avons vu que cette dérive inégalitaire, plus qu’un risque, serait une réalité.

Pour les Patriciens, quiconque n’exècre pas Largent — c’est-à-dire tout système d’unités monétaires — est un capitaliste, pour la simple raison que l’utilisation d’unités monétaires impose de gérer ces unités & de raisonner en capitaliste. Sans doute les partisans de l’ED, farouches détracteurs du capitalisme, n’admettront pas d’être qualifiés eux-mêmes de « capitalistes », pourtant : « Par exemple, en cas d'engagement de gros investissements, il faudra que les contrats définissent les clauses d'échec, prévoient la reconversion possible des investissements. » Quand on songe que, en ED, les crédits seraient un pur fruit de l’esprit, plus encore que la monnaie ordinaire, & que les hommes, non contents de traiter les problèmes réels, seraient de surcroît obligés, d’une part, de faire des pieds & des mains pour se procurer des crédits, d’autre part, de se préoccuper du devenir de ces crédits — dont on se demande d’ailleurs ce qu’il en resterait puisqu’ils sont éliminés à l’achat —, on se demande si le cauchemar capitaliste serait vraiment du passé !

Mais pourquoi l'ED s'encombre-t-elle de ces crédits, tant préjudiciables, alors que, manifestement, les principes qu'elle pose se suffisent à eux-mêmes ? Parce que la solution qu'elle propose est le fruit d'une intuition & non d'un raisonnement profond sur les fondements de la société. Tous ses arguments servent en fait à justifier une solution imaginée avant que les Principes de la société soient eux-mêmes analysés. Par suite, le principe de la monnaie apparaît soudainement au milieu de l'analyse des Principes de la société — pourtant correcte dans son ensemble —, sans autre explication que la nécessité d'un moyen d'échange qui, dans cet esprit, ne peut être que la monnaie. (« Nous avons pu détailler les mécanismes fondamentaux de l'économie sans parler d'argent ; nous ne l'avons rencontré qu'à la fin : quand nous avons dû répartir les fruits du travail entre les membres de la société. » Mais qui l'a fait apparaître ?)

Les partisans de l'ED, contrairement aux Patriciens, n'ont pas fait abstraction de la réalité. Ils n'ont pas imaginé un monde nouveau, mais un monde meilleur, plus juste. Tout en accusant la monnaie, ils l'ont conservée. Là encore, au sujet de la monnaie, au lieu de la condamner sans appel comme elle le mérite, ils se sont livrés à une analyse superficielle & ils ont conclus qu'un système d'unités est nécessaire & pouvait même être juste à quelques conditions. Mais leur conclusion n'était-elle pas influencée par le fait qu'un tel système soit déjà en vigueur & qu'il était plus facile de s'en accommoder que de le remettre en cause de fond en comble ? En fait, ils n'ont pas conclu, ils ont admis ; ils se sont résignés ; ils ont été incapables de faire le vide dans leur esprit, de plonger dans l'inconnue & d'imaginer un autre moyen d'échange, un moyen d'échange conforme aux Principes, un moyen d'échange vraiment révolutionnaire.

Ainsi, au lieu de faire plier la réalité devant les Principes, ils ont pastiché les Principes pour qu'ils collent à la réalité & que leur solution ait l’air de s'inscrire dans l'évolution. Comme si la société pouvait être juste — ce qui est un pléonasme, car la société est juste ou n'est pas — en étant construite sur des Principes autres que les siens ! Sans doute ces Principes ne pouvaient être appliqués jusqu'alors, pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, mais les conditions sont aujourd'hui réunies pour qu'ils le soient. L'heure est à la Révolution, plus au bidouillage ! D'autant que la SDT qui, elle, repousse tout compromis, s'inscrit dans l'évolution aussi bien que l'ED, sinon mieux ! Sous couvert d'une grande audace, l’ED est une mesure qui n’est pas même une demie mesure.

Pourtant, quoique l’ED & la SDT veuillent porter la Révolution sur le terrain économique & prônent, comme mesure principale, un changement de moyen d’échange, elles n’attendent pas les mêmes effets de cette mesure. La SDT, à l’instar du capitalisme qui repose entièrement sur Largent, fonde tout sur la Carte civique qui contient tous les Principes de la Cité & les rendra inviolables. L’ED, elle, ne peut attendre de ses crédits qu’ils révolutionnent la société ; aussi doit-elle prendre des mesures additionnelles dans ce sens. Mais la multiplication des mesures essentielles (selon l’ED), mesures qui ne découlent pas les unes des autres, limiterait l’impact de chacune de ces mesures, entraînerait l’ED dans tous les sens, multiplierait les risques d’incohérences & menacerait la viabilité même du système. L’ED n’a pas tout retenu des leçons de Largent.

Nous avons vu qu’en SDT la Demande est infiniment supérieure à l’Offre du fait de l’absence de limite artificielle au pouvoir d’achat des Citoyens, bref du fait de la Carte civique. L’Offre atteint son maximum lorsque tous les Citoyens Travaillent, & Travaillent au mieux de leurs capacités. Travailler étant un besoin fondamental en SDT & la Demande illimitée assurant des débouchés à l’Offre, quelque soit son volume, le plein emploi serait une fatalité. Les entreprises devant répondre à la Demande, le marché — c’est-à-dire les Citoyens en tant que consommateurs — stimulera les Travailleurs, de sorte que, indirectement, les Citoyens s'inciteront eux-mêmes à Travailler. La Carte civique, sans être le seul, est donc un paramètre essentiel du dynamisme économique de la SDT. Dans un système capitaliste, en revanche, l’Offre est égale à la Demande. Si l’Offre devient supérieure à la Demande, soit l’emploi diminue pour que l’Offre diminue, soit les prix baissent, faisant ainsi remonter la Demande ; si l’Offre est inférieur à la Demande, soit des bras sont « réquisitionnés » pour accroître l’Offre, soit les prix augmentent, faisant ainsi baisser la Demande. Mais l’Offre & la Demande sont de nature différente en SDT & en régime capitaliste. En SDT, la Demande correspond à l’envie d’acheter des Citoyens, l’Offre, à la production générée par l’ensemble des Citoyens qui tous Travaillent. En régime capitaliste, ou monétaire, la Demande correspond aux moyens financiers dont disposent les Citoyens, l’Offre, à la production vendable en raison des moyens financiers dont disposent les Citoyens. En régime capitaliste, l’équilibre Offre / Demande ne s'établit pas nécessairement au niveau maximal des capacités productrices de la « société » & ne s’accompagne pas nécessairement de plein emploi, sans parler du fait que même le plein emploi n’exorcise pas l’inégalité, l’exploitation & la misère. Or l’ED, en émettant autant de crédits — qui constituent la Demande — que la valeur de la production — qui constitue l’Offre —, reprend à son compte les règles du capitalisme, puisqu’elle établirait la Demande au niveau de l’Offre ou l’Offre au niveau de la Demande. Certes ces crédits seraient répartis à part égales entre les Citoyens, mais leur somme serait égale à la valeur de la production. Il s’ensuit que la Demande, en terme de pouvoir d’achat & non de volonté d’achat, ne serait pas un moteur pour l’Offre. Il faudrait donc espérer que les Citoyens trouvent en eux la motivation de produire autant que leur permettent leurs forces, au nom du bien public, car, en passant de la monnaie aux crédits, l’ED recrée un système monétaire mais supprime la notion de profit, moteur du régime capitaliste.

La faiblesse de l’ED est de trop faire confiance à l’Homme, contrairement à ce que la conservation d’un moyen d’échange pourrait laisser croire. Car un moyen d’échange ne sert pas seulement à acheter, il permet aussi de prouver les ventes. Autrement dit, l’utilisation d’un moyen d’échange par les Citoyens en tant que consommateurs soumet les produits à un référendum permanent. C’est ainsi que le marché (les Citoyens) plébiscite tel produit, encourage tel producteur ou commande l’arrêt de telle production. Dans la mesure où le statut de Citoyen donne des droits sur la production & est lié au fait de Travailler, il faut que la poursuite d’un Travail & l’obtention du moyen d’échange dépendent des résultats de vente, de sorte que chaque consommateur ait lui-même contribué à la production de façon significative. L’ED traduit ainsi : La planification est l’objet d’un « référendum » permanent des consommateurs par l’usage qu’ils font de leur revenu social. En d’autres termes, pas de planification étatique, du moins le plan est-il dressé directement par les Citoyens. Nous sommes donc d’accord qu’il appartient au marché de définir ce qui est un Travail de ce qui ne l’est pas, & ce dans la logique même de l’ED. Alors que signifie : « Tel autre sera inspiré, voudra du temps pour écrire un livre ou un opéra… » Manifestement, il s’agit ici de retirer aux Citoyens le pouvoir de reconnaître qui Travaille, & de laisser aux Citoyens, avec le consentement d’une institution, la possibilité de s’autoproclamer « Travailleurs ». Or, Egalité oblige !, ce qui est accordé à un doit être accordé à tous ! La sélection des activités utiles à la société ou désirées par les Citoyens ne serait donc plus faite par le marché (Par qui alors ?) & l’avantage du moyen d’échange serait perdu. Il peut se comprendre que l’ED veuille accéder aux désirs des hommes, mais ces hommes sont avant tout des Citoyens qui doivent pourvoir aux besoins de leurs Concitoyens, eux-mêmes étant compris dans le lot ! S’attendrir devant les désirs des individus l’exposerait à tous les abus de confiance. Que se passerait-il si tous les Citoyens se déclaraient inspirés & se consacraient à une activité qui, dans la plupart des cas, n’apporte rien à la société ? Ce serait, au sens propre comme au figuré, la ruine de la Cité ! Quoique l’ED, pour dissuader les petits malins & écarter le spectre de l’échec communiste où les individus étaient payés quoi qu’ils fassent, pourrait également avoir recours à une autre solution : payer les individus en fonction de leur succès commercial, solution on ne peut plus capitaliste.  

L’avantage incontestable d’un moyen d’échange est d’affaiblir l’Etat, en laissant aux Citoyens le « contrôle » de la répartition. L’ED est consciente de cet avantage. Pourtant, elle développe un concept qui annihile cet avantage : « Le travail […] revêt la forme d’un service social accompli par roulement. » L’intention est évidemment d’épargner à certains Citoyens d’être les seuls à accomplir les tâches ingrates. Pourtant il est également évident que les Citoyens réduits à ces tâches le sont de par leur manque de capacités. (Il ne s’agit nullement de les accabler, mais de constater.) Le roulement ne les concernerait donc pas puisque, du point de vue économique, ils ne savent rien faire d’autre, du moins seraient-ils affectés à des tâches du même acabit. L’idée d’un roulement est donc de faire accomplir ces tâches par les Citoyens plus compétents, plus instruits, &c. Mais, pendant que ces Citoyens abandonneraient leur poste, qui les remplacerait ? Certes pas ceux qu’ils remplaceraient eux-mêmes ! Un docteur peut bien faire balayeur ; l’inverse est plus délicat ! Que feraient donc les balayeurs pendant que les docteurs balaieraient à leur place ? Qui s’occuperaient des malades ? Faudrait-il dispenser les docteurs de balayer ? En fait, pour des raisons similaires, ne faudrait-il pas dispenser de roulement tous les Citoyens ? (Notons que ce désir de roulement des tâches est incompatible avec la volonté de laisser chacun entreprendre ce qu’il veut, car comment la société peut-elle reconnaître aux Citoyens la liberté de s’investir dans l’activité de leur choix &, par ailleurs, leur imposer de changer régulièrement d’activité ?)

Il est sûr que certaines tâches sont pénibles en soi, mais l’exploitation ne les rend-elle pas moralement plus pénibles encore ? Certains Citoyens ne seraient-ils pas néanmoins contents de trouver ces emplois, les seuls à leur portée ? Les soustraire à l’exploitation en reconnaissant leur dignité de Citoyen ne suffirait-il pas déjà à leur bonheur ?

Ainsi l’ED a, une fois de plus, le tort de céder à ses caprices humanistes. D’un côté, elle laisse aux Citoyens la liberté de consommer, de l’autre, elle leur retire la liberté d’exercer en tout temps l’activité de leur choix. Car si le Travail par roulement est un principe, il s’ensuit que les Citoyens devraient régulièrement accomplir des tâches autres que celles auxquelles ils se destinent. Si les Citoyens s’y refusent, comme il faut s’y attendre (L’Homme est un être d’habitudes.), ce principe est vain. Dès lors, si l’ED tient absolument à ce que ce principe soit respecté, comment les obligera-t-elle à consacrer du temps à des activités qui les rebutent, sinon par la force physique ou par une pression morale ? Dans les deux cas, ce serait une atteinte à leur Liberté, & cet attentat ferait naître une hostilité envers l’ED, hostilité dont il faudrait bien qu’elle se défende pour survivre. Or il n’y a qu’un moyen pour contenir une opposition virulente : l’autoritarisme. D’une façon ou d’une autre, l’ED devrait officiellement ou officieusement se doter d’un Etat fort. Remarquons d’ailleurs qu’organiser le roulement du Travail sur une grande échelle nécessiterait une bureaucratie formidable, prémices de l’Etat autoritaire. Peu importe que l’intention de l’ED soit louable ! Reconnaissons qu’elle est maladroite & périlleuse.

Le SDT, elle, exige que les Citoyens Travaillent, ou participent à la vie de la Cité, mais leur laisse l’entière liberté de choisir leur profession (Attention ! La Cité peut laisser cette liberté, mais leur choix est fatalement soumis à des contraintes naturelles.), car elle considère que tous les goûts sont dans la nature & que la quantité de Citoyens combinée à la variété de leurs goûts, de leurs capacités & de leurs intérêts personnels suffira à pourvoir à tous les emplois. Si, pour X raisons, des tâches essentielles ne trouvent plus de bras, hé bien ! ce problème concernera dans la même mesure tous les Citoyens dont l’intérêt commandera de trouver ensemble une solution. 

Une société en ED ne serait à l’abri ni d’une dictature économique ni d’une dictature politique. Beaucoup de signes laissent prévoir que l’Egalité y serait un Principe aussi vain qu’en régime capitaliste. Pour garantir l’Egalité entre les Citoyens, il faut absolument proscrire tout moyen d’instaurer l’inégalité, & les crédits sont toujours un de ces moyens. Laisser aux hommes le moyen de s’opprimer leur en donnerait fatalement l’envie, & vouloir instaurer un état démocratique est loin d’être une garantie suffisante contre tout retour de la tyrannie ! Ce n’est pas la démocratie (les hommes) qui doit garantir l’Egalité, mais l’Egalité qui doit garantir la démocratie ! Or, pour que l’Egalité garantisse la démocratie, il faut qu’elle-même soit inaltérable, il faut que les Droits d’un Citoyen soient indivisibles de sorte que tous les Citoyens soient égaux en Droits ; tel est le cas avec la Carte civique. L’ED procède de façon inverse ; elle maintient la division des droits en unités & compte sur la sagesse des hommes pour qu’ils partagent entre eux ces unités en parts égales. Mais ceci n’est que la théorie de la théorie. Déjà, comme nous l'avons vu, l’ED imagine des prétextes pour accorder aux uns plus de crédits ou en retirer à d’autres ! Puisque la chose est possible, nul doute qu’elle se ferait, & qui sait quelle proportion prendrait l’inégalité ? De plus, l’ED n’a pas l’air de s’inquiéter de la tâche colossale — voire impossible ! — que représenterait le fait d’évaluer chaque année la quantité de crédits à émettre, & de l’appareil administratif qui serait nécessaire pour l’accomplir. Encore ces crédits seraient-ils repartis en parts égales. Mais non ! donc encore de la bureaucratie pour distribuer à chacun les crédits qui lui reviennent. (Imagine-t-on le pouvoir qu’aurait sur la vie des Citoyens une telle administration ?) Peut-être faudrait-il prévoir une organisation pour lutter contre toutes les malversations possibles & les réprimer ! Par ailleurs il faudrait aussi des banques, car les crédits personnels seraient insuffisants pour investir dans une entreprise. Autant d’activités inutiles & d’énergie paralysée par le besoin incompréhensible que l’ED a de vouloir conserver la monnaie sous forme de crédits ! (En supprimant toute sorte de monnaie, la SDT, elle, se dispense de tout ce cirque, ce qui la rendrait d'autant plus stable.) Sans compter que l’ED a l’intention d’introduire de nouvelles habitudes qui, là encore, exigeraient une organisation bureaucratique. Si l’on prend l’exemple du roulement au niveau du Travail, dans la complexité d’une économie moderne, les Citoyens seraient incapables de se diriger eux-mêmes vers leurs tâches extraordinaires ! Mais n’écartons pas la possibilité que l’ED, au contact de la réalité, renoncent à ses chimères. Dans le meilleur des cas, l’ED ne serait donc pas pire que le capitalisme !

Mais, au-delà de tous ces petits grains de sables suffisants pour ruiner les espoirs de l’ED, il est une erreur fondamentale qui condamne ED sans l’ombre d’un doute. Si vouloir modifier le fonctionnement de la monnaie est légitime, c’est loin d’être judicieux. Car, comment imaginer qu'elle puisse fonctionner autrement que tel qu’elle fonctionne aujourd’hui ? Les crédits de l’ED sont des unités monétaires ; ils reposent donc sur les mêmes principes que la monnaie traditionnelle. Or ces principes dictent des lois. Comment fonder des lois nouvelles sur des principes anciens toujours en vigueur ? Comment cueillir des pommes sur un cactus ? De fait, tous les mécanismes qui, selon l’ED, doivent produire le meilleur des mondes seraient bloqués & la société sous un tel régime serait dans une situation intenable dont elle devrait impérativement sortir ! Or le fait de modifier les lois & de conserver les principes de la monnaie prouve l’attachement à ces principes. Le malaise de la situation serait fatalement imputé à ces modifications que les hommes balayeraient illico pour revenir aux conséquences naturelles des principes auxquels ils ne cessèrent jamais de croire, en un mot, à la monnaie ! Un pas en avant, deux pas en arrière ! A moins que les inconditionnels de l’ED, pour se dissimuler leurs erreurs, veuillent la maintenir coûte que coûte, artificiellement, par une dictature politique ! Dans tous les cas, l’ED ne peut tenir ses promesses !

Traduisons. La monnaie repose sur la notion de valeur & des unités de valeur qui, elles-mêmes, fonctionnent selon les principes des vases communicants & de l’attraction. Théoriquement, l’ED conserve notion de valeur & unités, mais modifie l’utilisation de ces unités en supprimant ses principes de fonctionnement traditionnel. Or, dans la mesure où le moyen d’échange de l’ED est toujours fondé sur la notion de valeur & des unités de valeur, il est toujours de la monnaie, mais une monnaie stérilisée. Cette stérilisation est d’ailleurs un acte conscient puisque l’orgueil des partisans de l’ED est justement de prôner une « monnaie de consommation » sans les vices de la monnaie capitaliste. Ne voyant de la monnaie que ses vices notoires, ils lui trouvent des qualités & croient pouvoir la purifier. Certes le fait que les unités puissent être échangées & capitalisées est un défaut majeur du moyen d’échange qu’est la monnaie, mais tout dans le concept de monnaie est funeste ! Néanmoins les partisans de l’ED ne retiennent que ses défauts principaux, la considèrent comme un moyen d’échange certes imparfait mais perfectible & proposent comme pierre philosophale des crédits qui ne seraient ni échangeables, ni capitalisables. L’intention est louable, mais l’enthousiasme est aveugle ! Car, le talon d’Achille de ce concept de crédits est précisément dans le fait que ces crédits ne soient ni échangeables ni capitalisables. Quelle est la raison d’être des unités monétaires ? Permettre d’acheter. Pourquoi des unités monétaires sont-elles nécessaires pour acheter ? Parce que les choses ont un prix. Pourquoi les choses ont-elles ont un prix ? Parce que les producteurs doivent tirer de la vente de leur production les unités monétaires nécessaires à leurs propres achats. Mais en ED, les crédits, en tant qu’unités monétaires, ne s’échangeraient pas ! Les acheteurs ne les verseraient pas aux vendeurs puisque, comme tous les Citoyens qui sont tour à tour vendeurs & acheteurs, les vendeurs obtiendraient leurs crédits de la société & non de leurs ventes. Si, donc, l’existence de prix est liée au fait que les producteurs doivent tirer de la vente de leur production les unités monétaires nécessaires à leurs propres achats, pourquoi en ED les choses ont-elles un prix ? Que les Citoyens aient des crédits parce que les choses ont des prix, soit ! mais pourquoi les commerçants fixeraient-ils des prix à leurs produits ? Qu’importera au commerçant le prix des choses qu’il vend, si les crédits correspondant à ce prix ne lui sont pas destinés ? Que le prix de ses produits soit élevé ou nul, ses ventes ne lui rapporteront rien ! Même si le commerçant achète sa marchandise, quel que soit le prix auquel il la revendra, il ne récupérera pas un seul des crédits qu’il aura dépensés ou utilisé ! Il pourra donc tout aussi bien la « vendre gratuitement », c’est-à-dire exiger du client qu’il soit Citoyen — puisque c’est le fait d’être Citoyen qui garantira l’obtention de crédits —, mais sans lui ponctionner d’unités, unités dont il ne verra d’ailleurs pas la couleur (Ce serait là le concept de SDT.). Ceci vaudra pour tous les commerçants, tous les producteurs, tous les Travailleurs de façon générale qui, tous à leur manière, font commerce de quelque chose. En ED, les choses pourraient donc ne pas avoir de prix. Mais alors pourquoi les Citoyens auraient-ils besoin de crédits ?

Voici le raisonnement que suivent les partisans de l’ED : Pourquoi la société en ED verse-t-elle des crédits ? Parce que les Citoyens en ont besoin pour acheter des choses qui ont un prix. Pourquoi les choses ont-elles un prix ? Parce que toute chose a un prix. Manifestement leur raisonnement tourne à vide ! L’existence de prix est justifiée par elle-même & sert à justifier la répartition de crédits entre les Citoyens, de sorte que l’intérêt de ces crédits n’a aucune justification. Comment ne pas voir l’absurdité d’un tel raisonnement ? Il n’y a à cela qu’une seule explication : les partisans de l’ED veulent combattre la monnaie & réparer ses injustices mais sont imprégnés de préjugés monétaires. Obsédés par la volonté de modifier les principes de la monnaie pour établir l’égalité du pouvoir d’achat & donc des droits, ils n’ont pas remis en cause les notions de monnaie & de prix, alors que, en modifiant l’origine du pouvoir d’achat & la nature du moyen d’échange, les prix n’ont plus aucune nécessité sinon celle de justifier leur trouvaille : « la monnaie de consommation » ou les crédits. De quoi auraient-ils l’air s’ils proposaient une nouvelle monnaie qui servirait à acheter des choses gratuites ? La théorie de l’ED passe beaucoup mieux présentée en sens inverse : pour acheter (ce qui suppose que les choses ont un prix, mais n’explique pas pourquoi elles en ont encore un) les Citoyens disposent tous d’autant de crédits.

Se pose alors un problème de taille : si les prix n’ont aucune raison d’être, d’où sortent-ils ? Comment sont-ils établis ? Peuvent-ils seulement exister ? A cette dernière question, on pourrait répondre, comme nous l’avons déjà fait, que les commerçants, n’ayant aucun intérêt à dépouiller leurs clients de leurs crédits, seraient peu regardant & que les prix tendraient vers zéro. Inversement, le pouvoir d’achat des Citoyens tendrait vers l’infini. A quelques nuances près, ce serait la SDT, sinon dans les Principes, du moins dans les faits. L’ED, en modifiant les principes de la monnaie, briserait le cercle vicieux dans lequel Largent entraîne les hommes, rendant du même coup l’ED impraticable. Toute la question est de savoir quelle serait alors la réaction des hommes. Car il se pourrait que les partisans de l’ED & les Citoyens en général, toujours prisonniers de la logique monétaire, mais voyant l’ED partir en quenouille, s’acharnent à maintenir la fiction des prix pour préserver l’habitude de payer. Aussi fou que cela paraisse, ceci est dans la logique même de l’ED. Pourtant cette volonté ne changerait rien au fait qu’il est impossible d’établir des prix, sinon par la volonté de l’Etat, & encore moins de les faire respecter, sinon par l’autorité de l’Etat. En ED, le marchandage n’aurait plus aucune raison d’être. Certes les consommateurs auraient intérêt à ce que les prix soient le plus bas possible, mais il importerait peu aux commerçants qu’ils soient nuls. Si les prix s’établissent selon la loi de l’Offre & de la Demande, ils peuvent être nuls. Si cette loi n’est en vérité que la loi de l’Offreur, que celui-ci soit acheteur ou vendeur, là encore les prix peuvent être nuls. Il n’y aurait donc aucune raison pour qu’en ED les prix ne soient pas nuls. Si les prix sont le reflet de la valeur des choses, alors plus rien n’a de valeur. Ce qui est parfaitement faux ! Les choses ont une valeur pour celui qui les considère, mais une valeur qui ne peut s’exprimer en unités. C’est là l’erreur fondamentale des partisans de l’ED : ils sont dupes de la notion de valeur véhiculée par la monnaie & croient que les prix expriment la valeur des choses & que les choses exigent d’être achetées. Mais les choses n’exigent rien des hommes ; il n’y a qu’eux qui s’imposent à eux-mêmes de payer toute chose. Or, dès lors que les commerçants peuvent ne rien exiger de leurs clients, que les hommes ne s’imposent plus de payer, cette notion de valeur s’effondre & les prix perdent toute raison d’être. Si la notion de valeur engendre le système d’unités monétaires, quel est, en revanche, l’intérêt d’unités monétaires si la notion de valeur (monétaire) n’existe plus ? Comment peuvent-elles même exister ?

Même l’Etat serait incapable de se substituer à la logique capitaliste. En théorie, chaque année, l’Etat évaluerait la valeur de la production avant de répartir entre les Citoyens les crédits correspondant à cette valeur. Cette valeur serait donc un prix, une somme de prix, la somme de tous les prix. Or, dans le système capitaliste, un prix est un maillon de la chaîne que forment tous les prix dont certains sont établis arbitrairement. Le prix d’un produit résulte du prix des matières premières, du prix des machines, du prix de la main d’œuvre & de la marge bénéficiaire que veut s’octroyer le producteur. Mais en ED, le producteur n’a que faire d’une marge bénéficiaire, le salaire de la main d’œuvre ne résulte pas de la vente & ne conditionne donc pas le prix de vente, les machines sont fabriquées par des Citoyens qui eux-mêmes n’ont aucun intérêt à ce que leur prix soit autre que nul, & idem pour les matières premières extraites par des Citoyens. Si la valeur des choses se résume à leur prix, elle peut être nulle. Si la valeur de toute chose est nulle, la valeur de la production générale est nulle aussi. Dans ces conditions, comment l’Etat pourrait-il évaluer la production & lui trouver une valeur assez élevée à laquelle puisse correspondre une quantité de crédits qui fasse encore illusion ? L’illusion serait fatalement de courte durée ! Certes, dans les premiers temps, l’Etat pourrait évaluer la production en fonction des valeurs héritées du capitalisme. Mais les prix n’ont de sens que s’ils varient, s’ils se répercutent les uns sur les autres, s’ils sont liés les uns aux autres. Or en ED, sous laquelle les valeurs tendent vers la nullité, chaque prix est autonome. Même en attribuant aux choses leur prix « habituel », sans autre raison que l’habitude de voir telle chose à tel prix, il apparaîtrait vite que les prix ne s’influencent pas, qu’ils ne varient pas, qu’ils n’ont aucune raison d’évoluer ou tendent naturellement vers zéro & sont maintenus artificiellement. Les prix seraient gelés & l’ED, prête à se briser. Comment ferait-elle pour établir le prix de nouveaux produits. Un temps les hommes garderaient en mémoire le prix des produits avant l’ED, mais, le jeu des valeurs étant grippé, il leur serait autant impossible de définir la valeur des produits nouveaux qu’adapter la valeur des produits « anciens » à l’évolution des techniques de production, toujours moins coûteuses — du moins dans les systèmes capitalistes.

Il ne resterait à l’ED & à l’Etat qu’une solution : établir tous les prix de façon arbitraire. Or, ce qui sauve le système monétaire est son apparente logique, le fait que les prix s’enchaînent les uns aux autres, que les prix arbitraires se mêlent à cette chaîne, & que cette logique s’impose aux hommes, que cette logique leur soit imposée par quelque chose qui les dépasse tous en tant qu’individus : Largent. Mais, si tout n’est qu’arbitraire, il devient par trop évident que le système ne tient que par la volonté des hommes — & de l’Etat en particulier — & est purement artificiel ! Comment les Citoyens pourraient-ils ignorer que l’Etat s’évertue à fixer le prix de toute chose, alors que tout pourrait être « gratuit » ? Ne se demanderaient-ils pas sur quelle base ces prix sont établis, sachant très bien qu’il n’y en a aucune ? Mais, plus encore, ne se demanderaient-ils pas qui a intérêt à maintenir un tel système de prix inutiles notoirement absurde ? Si l’ED cherche à satisfaire les intérêts des Citoyens, pourquoi les oblige-t-elle à payer ce qui pourrait être « gratuit », pourquoi limite-t-elle leur pouvoir d’achat alors qu’il pourrait être indéfini, pourquoi les contraint-elle à économiser, à se priver, à compter, bref à garder des pratiques capitalistes alors que le capitalisme n’existe plus ? Non, décidément, par quelque bout que l’on prenne l’ED, c’est un désastre en perspective !

 

En conclusion, ce n’est pas par hasard que la monnaie & le monde qui l’entoure sont tels que nous les connaissons. Le capitalisme est inscrit dans les gênes de Largent, même si un contexte favorable — une certaine évolution — est nécessaire pour qu’il se développe. Donner à la monnaie une autre finalité que la sienne, modifier légalement son fonctionnement naturel, humaniser sa logique inhumaine, est voué à l’échec. Ce n’est pas la peine de tenter l’aventure, c’est couru d’avance. De plus, cette aventure ne ferait que faire perdre confiance à des hommes qui, après l’échec du communisme, mirent des siècles à reprendre confiance en eux & en l’avenir. Sans compter que, étant impossible d’être à la fois au four & au moulin, le fait de s’engager dans la voie de l’ED empêcherait l’Homme de s’engager dans celle de la SDT. Heureusement que la force des choses commande les grandes destinées de l’Humanité, que l’objet de la Révolution ne sera pas un choix & que la SDT, elle, est inscrite dans l’ordre des choses !

L’ED est très proche de la SDT. Théoriquement, il serait donc facile, une fois l’ED dans l’impasse, de passer à la SDT. Pourtant il n’en serait rien. Car, pour instaurer une SDT, il faut être affranchi des préjugés monétaires alors que l’ED en est prisonnière & est obsédée par son système de crédits. Le principal reproche à l'égard de l'ED est donc de maintenir vivante la croyance en la nécessité d'une monnaie, d'une unité de valeur, croyance sur laquelle repose le capitalisme lui-même. Sa vision du monde n'est pas assez révolutionnaire pour pouvoir amener la Révolution qui doit ouvrir l'ère de l'Humanité.

Insistons enfin sur le fait que l'ED, au-delà de ses erreurs, a posé de bons Principes & entrevu les conséquences de l'Egalité. Mais, en tendant vers ces Principes sans savoir se défaire de certains préjugés monétaires, cette théorie se retrouve comme assise entre deux chaises, le système monétaire & ses inconvénients d'un côté, la SDT sans ses avantages de l'autre. Autant dire que cette position est inconfortable & intenable. Jamais la société ne pourrait adopter — du moins durablement — un tel système & l'ED est condamnée à rester à l'état théorique. Quant à ses partisans espérons que cet article leur aura ouvert les yeux & qu'ils reconnaîtront la SDT comme le seul projet cohérent véritablement conforme à leurs aspirations.

08:11 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

vendredi, 04 janvier 2013

PENSEE DU JOUR : de la séparation des pouvoirs

Dépouiller le peuple de la souveraineté sous prétexte de séparer les pouvoirs est l'assurance qu'ils seront moins séparés que confisqués.

Le principe de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire suppose que lesdits pouvoirs peuvent être circonscrits et doivent être concentrés en quelques corps ou quelques individus, étrangers entre eux, et ôtés au peuple souverain. Or il n'est aucun pouvoir que le peuple n'ait pas sur lui-même. Tous émanent de lui ; il peut les concentrer tous. Rien ne peut du moins se faire en son nom sans son consentement. Il s'ensuit que ce ne sont pas les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire qui doivent être séparés mais seulement les corps et les individus qui, quel que soit le mode de leur sélection, sont les instruments de ces pouvoirs, tous devant être subordonnés au peuple et soumis à sa volonté, de sorte que ces pouvoirs sont exercés in fine par le peuple souverain. Hors de cette acception, la séparation des pouvoirs est le tombeau de la démocratie.

La Déclaration des droits porte, artile 16 : Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. Elle oublie de préciser qu'il n'y a de constitutionnelle que la volonté du peuple. Sans cette précision, il est fatal que les pouvoirs constitués n'aient de contre-pouvoirs qu'eux-mêmes, qu'ils interfèrent voire se confondent, qu'ils ne se voient plus comme les instruments de l'autorité mais comme ses propriétaires et qu'ils finissent par usurper la souveraineté nationale.

jeudi, 20 décembre 2012

TOUS MES LIVRES

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N'ayant aucun moyen de mesurer le nombre de téléchargements, j'apprécierais que les "téléchargeurs" se manifestent en toute simplicité. Je serais par ailleurs ravi de recevoir des commentaires des lecteurs et de discuter avec eux.

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16:32 Écrit par Philippe Landeux dans - MES LIVRES, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (8) |  Facebook | |  Imprimer |

lundi, 17 décembre 2012

DEBAT Reynald Secher vs Philippe Landeux - Robespierre (la Vendée)

Enquête & débat : Pour ou contre Robespierre ? (Robespierre et la Vendée)

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Le débat entre Reynald Secher et moi a eu lieu samedi 15 décembre 2012, au matin. Dans mon esprit, ce débat devait porter, non sur Robespierre, dont je suis un « spécialiste », mais sur la guerre de Vendée, puisque M. Secher a consacré sa vie à clamer sur tous les toits que la République a commis un génocide en Vendée. Du reste, en apprenant le véritable objet du débat, je ne me suis fait aucune illusion. Comme certains brandissent hystériquement la loi du 22 prairial an II pour condamner Robespierre sans rémission, je me doutais bien que M. Secher ramènerait tout à la question de la Vendée pour condamner et Robespierre et le Comité de salut public et la République et la Révolution.

Sachant que tel serait de même le réflexe de beaucoup, j’ai consacré un chapitre de mon « Robespierre » à cette question qui, pourtant, ne le concerne en rien, si ce n’est de très loin. Ayant vu tous les arrêtés du Comité de salut public, je savais que la thèse du génocide (et celle d’un Robespierre « génocideur ») ne tenait pas (même si cet épisode de l’histoire de France a effectivement été affreux) et, partant, qu’un livre ne pourrait prouver réellement le contraire. De fait, il n’y a rien dans le livre de M. Secher. (Deux arrêtés : celui du 26 juillet 1793 qui dément toute intention génocidaire, et celui du 27 novembre 1793, signé entre autres par Robespierre, sur la nomination du général Turreau (qui ne conçut et ne mit en œuvre son plan qu’en janvier 1794).) Il y en a moins dans son livre de 400 pages que dans mon chapitre de 20 pages.

Il s’ensuit que, pour soutenir sa thèse, en particulier ses accusations contre Robespierre, M. Secher est obligé de noyer le poisson en recourant à des procédés surprenants pour un historien : procès d’intention, interprétations ridicules, extrapolations fantastiques, exagérations manifestes, parallèles douteux, généralités insipides, comparaisons grotesques, raccourcis spectaculaires, citations hors sujet, affirmations gratuites, négation des faits, mépris de la chronologie, anachronismes, amalgames, diversions, omissions, dissimulations, insinuations, inversions, etc. Lui qui accuse la République d’avoir mené une guerre idéologique est dans l’idéologie pure !

Je ne suis pas encore à l’aise devant une caméra et c'était la première fois que je débattais, contrairement à M. Secher. Ce dernier l’emporte donc sur la forme. Mais soyez attentif au fond. Les procédés que je viens de signaler devraient vous sauter aux yeux. Il était question de Robespierre… M. Secher n’a fait que parler à tort et à travers en prenant ses élucubrations pour des arguments historiques. Ce qu’il dit n’est pas forcément faux, mais cela n’a jamais aucun rapport direct avec le sujet, à savoir Robespierre. Bref, M. Secher n’est pas un historien mais un impressionniste, un prestidigitateur.

A vous de juger. Bon visionnage…

 

Pour info : Je soutiens que le Comité a toujours essayé de distinguer les rebelles de la population en général, que sa tactique était de faire évacuer autant que possible la population des départements constituant la "Vendée militaire" pour ne plus avoir en face que les rebelles, qu'il prescrivait de traiter avec soin les évacués et qu'il envisageait même de les indemniser. Dans ces conditions, il est impossible de lui attribuer des intentions génocidaires. Je le dis, et je le prouve :

Le 20 février 1794, Garrau, Hentz et Francastel, représentants à l’armée de l’Ouest, arrêtent que les habitants du département de la guerre [c’est-à-dire la Vendée] se retireront à 20 lieues au moins. — Cet arrêté est connu par l’arrêté du Comité de salut public du 29 ventôse (19 mars) par lequel ce dernier demanda au Conseil exécutif provisoire de prendre « les mesures nécessaires pour que ces réfugiés ne puissent approcher de Paris à moins de vingt lieues ». (Tome XII, p. 53, n° 2)

26 février 1794. Lettre. De Nantes, Hentz, représentant à l’armée de l’Ouest, et Francastel, représentant dans l’Indre-et-Loire et le Maine-et-Loire, écrivent au Comité : « Voulez-vous faire une déportation des habitants de ce pays ? La voilà exécutée d’avance ; il ne restera plus qu’à prendre des mesures pour faire un sort aux Vendéens dispersés dans la République, pour les indemniser même généreusement, de sorte que, tout à la fois, nous trouverons les moyens de purger plus facilement la Vendée en détruisant ce qui va rester, et de disperser dans la République des gens qu’il sera toujours dangereux de laisser ensemble. Jamais les femmes de ce pays ne deviendront raisonnables ; c’est surtout elles qu’il faut expatrier. » (Tome XI, p. 425)

6 mars 1794. Lettre. De Cholet, Hentz, représentant à l’armée de l’Ouest, et Francastel, représentant dans l’Indre-et-Loire et le Maine-et-Loire, écrivent au Comité : « Le désespoir des brigands augmente en raison de leur détresse, et cet état les rend par moment redoutables. L’obligation de n’avoir que des petites colonnes laisse des vides, et ils se portent avec fureur là où nous ne sommes pas, là où tout n’est pas détruit ; nous venons d’apprendre qu’ils commettent leurs horreurs, c’est-à-dire leurs massacres des patriotes dans le canton de Loroux et autour de Saint-Florent. L’opiniâtreté des habitants de ce pays est inconcevable ; malgré nos proclamations de se retirer, les facilités que nous donnons aux réfugiés, il en est beaucoup qui restent. Cependant, notre mesure a produit le plus grand effet et il vient d’évacuer plus de dix mille personnes de la Vendée. Cela désole les brigands, qui vont se trouver seuls, et qui voient bien qu’on les fera infailliblement périr. Tout Cholet a évacué hier ; il n’y reste personne, on n’a rien brûlé. » (Tome XI, p. 577)

27 mars 1794. Lettre. Le Comité (sans autre précision) écrit aux représentants en Vendée : « Lorsqu’il se fait par vos ordres, citoyens collègues, des émigrations de citoyens de la Vendée, vous devez dans votre sagesse aviser aux moyens de leur assurer, dans les départements où ils passent et où ils arrivent, des moyens de subsistances, et ces moyens, les extraire des départements d’où ils sortent. » (In extenso) (Tome XII, p. 226)

Le 4 juin, le Comité (Billaud-Varenne, R. Lindet et B. Barère) arrêta que : “Les agents de la Commission feront publier dans le département Vengé une proclamation pour annoncer l’objet de leur mission, ordonner à tous les habitants de se retirer dans leurs communes et de se présenter au jour qui sera indiqué pour se faire inscrire sur la liste qui sera dressée de tous les habitants, et déclarer que ceux qui ne seront pas inscrits sur ces listes seront traités en rebelles. » (Supplément 3, p. 193)

12 juin 1794. Lettres. De Niort, Ingrand, représentant à l’armée de l’Ouest, écrit au Comité de salut public : « Chaque jour les brigands se portent sur les communes qui se trouvent entre le camp de Chiché et la Châtaigneraie et y égorgent les citoyens qu’ils rencontrent. Hier, douze hommes sont tombés à l’Absie, sous le fer de ces féroces assassins. Il est important de faire évacuer les communes qui se trouvent entre les camps et qui ne sont pas assez fortes pour se garder. » (Tome XIV, p. 280)

11 juillet 1794. Lettre. Bo, représentant à Nantes, écrit au Comité de salut public : « Faut-il ne nommer qu’une commission pour délivrer des certificats de civisme à tous les citoyens des départements qui ont fait partie du théâtre de la guerre de la Vendée et qui réclament des indemnités ? Si cela est, ces opérations seront très longues, car les certificats de civisme qu’elle accordera, devant être confirmés par les agents nationaux de districts et révisés ensuite par les représentants du peuple, demanderont beaucoup de temps avant que toutes ces formalités soient remplies. » (Tome XV, p. 91)

22:00 Écrit par Philippe Landeux dans - ACTUALITE & VIDEOS PERSO, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (8) |  Facebook | |  Imprimer |

mardi, 11 décembre 2012

Philippe Landeux sur ICI & MAINTENANT 06-12-2012 (video)

Sujet : Largent et la Cité.

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Cliquez sur l'image pour voir la vidéo

L'intégralité de l'émission (4h 37min) est disponible ICI en audio (en rimcast) pour la somme de 3€50, seule source de financement de la radio ICI & MAINTENANT.

08:47 Écrit par Philippe Landeux dans - ACTUALITE & VIDEOS PERSO, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

mercredi, 05 décembre 2012

6 DECEMBRE 2012 : le début de la fin du monde

Le jeudi 6 décembre, à partir de 23 heures jusqu'à pas d'heure, je serai l'invité de Lisandre, sur radio Ici & Maintenant (95.2 en région parisienne et sur Internet).

Ici_et_maintenant.jpg

J'ai été invité d'abord pour parler de Largent, mais nous aborderons aussi la question de la Cité, c'est-à-dire une société en système non-monétaire.

Le 6 décembre 2012 sera presque jour pour jour le 15e anniversaire de la naissance du Civisme. C'est en effet le 4 décembre 1997 que j'ai mis le doigt sur une idée inconcevable et d'une portée inimaginable, à savoir qu'un Citoyen a des droits, dont celui d'accéder au marché, parce qu'il est Citoyen.

Ce principe, cette simple phrase, révolutionne toute la philosophie politico-économique ; elle sape les fondements du système actuel ; elle anéantira tôt ou tard, non pas le monde, mais notre monde, celui que nous connaissons, celui de Largent. Dès lors, faut-il voir comme un signe de la Providence ou un hasard le fait que les idées les plus révolutionnaires qui soient seront diffusées pour la première fois sur les ondes françaises en décembre 2012 ?

Il ne se passera rien de tangible ce 6 décembre 2012, mais l'Histoire se souviendra que ce jour a été le début de la fin d'un monde

16:38 Écrit par Philippe Landeux dans - ACTUALITE & VIDEOS PERSO, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |

dimanche, 02 décembre 2012

PENSEE DU JOUR : humilité vs modestie

L'humilité est la vertu de ceux qui n'ont pas besoin d'être modestes.

07:00 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 7.1. PENSEES DU JOUR | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

samedi, 01 décembre 2012

PENSEE DU JOUR : extrême

Les cons finis ne connaissent aucune limite.

05:56 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 7.1. PENSEES DU JOUR | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

lundi, 26 novembre 2012

PENSEE DU jOUR : la valeur marchande

La valeur marchande d'une chose n'est pas le prix auquel elle a été payée mais celui auquel elle sera vendue. 

07:04 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 7.1. PENSEES DU JOUR | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

jeudi, 22 novembre 2012

PENSEE DU jOUR : tout ou rien

Quand on n'a pas les moyens de se faire une idée juste, autant ne pas avoir d'idée du tout.

mercredi, 14 novembre 2012

ENTRETIEN avec RIPOSTE LAIQUE au sujet de ROBESPIERRE

Publié le 12 novembre 2012

Robespierre - recto (léger).JPGRiposte Laïque : Tu viens de publier le livre « Robespierre, la Terreur des traîtres à la Nation » (Les Editions du Pont d’Arcole). Ceux qui te connaissent savent quelle est ton admiration pour ce personnage historique, par ailleurs fort contesté. Peux-tu d’abord te présenter à nos lecteurs ?

Philippe Landeux : Je suis originaire de Montpellier. J’approche la quarantaine ! Bon Dieu que le temps passe ! C’est en arrivant à Paris, en 1996, après mon service militaire, que j’ai réellement découvert Robespierre et la Révolution, en lisant dans le métro. Après avoir lu les journaux quelques temps, j’ai voulu lire des choses plus consistantes. Mon père m’avait parlé de Robespierre et je m’y étais déjà intéressé. Mais, cette fois, la chance ou autre chose a voulu que je tombe sur une de ses meilleures biographies, celle de Jean Massin. Son parcours surréaliste, son courage jusqu’au sacrifice en faveur du peuple, de l’Egalité, de la vraie démocratie, ses discours exaltants m’ont soufflé. A partir de là, j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur lui et la Révolution. Ces lectures m’ont amené, comme à cette époque, à réfléchir à des sujets de philosophie politique et à écrire, ce que je n’avais jamais fait, ayant eu un parcours scolaire plutôt scientifique. C’est ainsi que j’en suis venu à concevoir ma propre théorie, le « Civisme » avec son volet sur « Largent ». Je l’ai rédigée en quelques mois. Ne trouvant pas d’éditeur, j’ai voulu me faire connaître en écrivant sur un sujet plus consensuel. Robespierre pourrait paraître un mauvais choix dans cette optique, mais quand on sait ce que je prône par ailleurs, la difficulté devient toute relative !

Je me suis donc lancé dans un « Robespierre et la Révolution au jour le jour », c’est-à-dire une chronologie très détaillée de la Révolution avec, insérés en encadrés, les lettres, les interventions, les discours de Robespierre tant à l’Assemblée qu’aux Jacobins. Pour ce faire, je me suis bien sûr appuyé sur les Œuvres complètes publiées par la Société des études robespierristes. Pour compléter ce travail, j’ai également lu et compilé les arrêtés du Comité de salut public et la correspondance des représentants en mission (Recueils d’Aulard, suppléments de Bouloiseau). Enfin, je me suis plongé dans les archives du Tribunal révolutionnaire de Paris, intactes, fort heureusement !, afin d’avoir des chiffres exacts non seulement des exécutions, mais aussi des acquittements et des autres condamnations. Car, chose étrange, ce travail n’a pas été fait par les historiens professionnels, sinon mal. Ce travail m’a également permis d’acquérir une connaissance de première main sur les Commissions populaires et le Bureau de police générale.

Je suis donc un autodidacte, mais je crois pouvoir dire que, sur mon terrain, je n’ai guère de rivaux. Serge Ayoub que j’ai rencontré il y a trois ans et que je vois comme un jacobin, un robespierriste, n’en déplaise aux médias et à la gaucherie, l’a bien senti et m’a rapidement demandé d’écrire une notice sur Robespierre pour faire connaître cette figure du patriotisme français dans le milieu « nationaliste ». Aussitôt dit, aussitôt fait. 

Riposte Laïque : D’où te vient cette ferveur pour Robespierre ?

Philippe Landeux : De la grande, de la terrible injustice dont cet homme que l’on appelait à juste titre l’Incorruptible est victime. Il a été le champion de l’Egalité et de la démocratie, la pierre angulaire de la Révolution, le bon sens et la modération au milieu de la tempête, l’espoir des faibles et des innocents, le summum du patriotisme, le meilleur de la France, généreuse et intransigeante, le verbe de la République populaire, la terreur des traîtres à la nation, des démagogues, des va-t-en-guerre, des sanguinaires, des pourris, des profiteurs et des égoïstes, le père de la Gauche, de la vraie gauche, reconnu comme tel jusqu’à Jean Jaurès et on l’accuse encore de tout ce qu’il a combattu, on lui impute les crimes de ses ennemis, on perpétue les calomnies de ses détracteurs sans se demander qui étaient ces derniers ! Toutes les accusations atroces dirigées contre lui ont eu pour but d’étouffer ses paroles. Alors je citerai simplement celle-ci, tirée de sa déclaration des droits :

« Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse ».

Vous imaginez tous les intérêts que cet homme dérangeait ? Vous comprenez pourquoi il s’est fait tant d’ennemis, pourquoi leurs motifs contre lui étaient inavouables et pourquoi il a fallu en inventer ? Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. C’est exactement ce qu’ils ont fait avec Robespierre. Et Robespierre ne se faisait lui-même aucune illusion ! Il a fait son devoir d’honnête homme jusqu’au bout. Il défendait le peuple. En défendant Robespierre, tout homme du peuple ne fait que défendre sa propre cause. C’est, en somme, ce que disait Babeuf : « En relevant le robespierrisme, vous êtes sûrs de relever la démocratie ».

Riposte Laïque : Mais tu es conscient qu’aux yeux de nombre de nos compatriotes, il incarne l’époque sanglante de la Terreur, et l’exécution de nombre de ses compagnons révolutionnaires… qui finit par être victime de ses propres méthodes ?

Philippe Landeux : Bien évidemment ! Mais que valent les considérations de gens qui se permettent d’avoir un avis sur un tribun sans avoir jamais lu un de ses discours ? Du reste, cette opinion, cette idée reçue, n’est pas étonnante et je viens d’en donner la raison et l’origine. Il serait intéressant que les gens qui ont de Robespierre une opinion négative se demandent d’où ils la tiennent, qui la leur a inculquée ? J’aimerais bien qu’ils me disent quelle aurait été leur position à chacune des étapes de la Révolution, quel parti ils auraient pris, qui ils auraient suivi… Mais, pour cela, encore faudrait-il qu’ils connaissent la Révolution ! Alors, je suis sûr que, pour la plupart, ils s’apercevraient qu’ils auraient été constamment derrière Robespierre, comme le fut en son temps le peuple français.

Puisque je conseille de lire Robespierre, voici quelques-uns de ses textes et discours incontournables que l’on peut facilement trouver sur Internet : Discours contre le veto royal (septembre 1789), discours sur l’organisation des gardes nationales (décembre 1790), discours contre le Marc d’argent (avril 1791), article sur la liberté de la presse (11 mai 1791), discours contre la peine de mort (30 mai 1791), article sur le respect dû aux lois (juin 1792), discours sur les subsistances (2 décembre 1792), déclaration des droits (21 avril 1793), discours sur la Constitution à donner à la France (10 mai 1793), discours pour la liberté des cultes (21 novembre 1793), discours sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République (5 février 1794) et, enfin, son discours testament (8 thermidor – 23 juillet 1794).

Riposte Laïque : Que réponds-tu à ceux qui font le parallèle entre la Révolution française, et la période de la Terreur, avec l’Union soviétique de Staline, et les purges permanentes qui marquèrent son règne ?

Philippe Landeux : Je dirais, pour commencer, que Robespierre jouissait d’un immense prestige mais qu’il n’a jamais réellement eu LE pouvoir. Les révolutionnaires ont renversé la monarchie et se défiaient du pouvoir personnel. Ils n’ont jamais instauré de fonction présidentielle. Le pouvoir était éparpillé entre divers Comités et s’exerçait, en leur sein, de manière collégiale. Ainsi, Robespierre qui fit partie du Comité de salut public n’a jamais eu ni la position ni les ambitions ni les moyens d’un Staline ou d’un Hitler (auquel on le compare aussi parfois), puisque c’est bien à cette analogie que conduit cette comparaison. L’accusation est en elle-même ridicule !

Je dirais, ensuite, que c’est, une fois de plus, ignorer tout de la Révolution et de sa complexité que de supposer que tout ce qui arriva fut la volonté d’un seul homme alors même que nombre de choses arrivèrent malgré lui. Il en a cautionné certaines, il a été emporté par d’autres, il a fait ce qu’il pouvait, comme tout le monde !

Je dirais, enfin, que la Terreur fut un accident et non un projet ou une idéologie. Elle fut imposée par la guerre étrangère et la guerre civile, situation désespérée dont la République ne put sortir que par des mesures énergiques et violentes. Or qui est assez naïf pour croire qu’il y a des guerres propres, qu’elles se gagnent en gants blancs ? Qui est assez de mauvaise fois pour croire qu’il y avait d’un côté les gentils, de l’autre les méchants ? Tous les partis, quels que fussent leurs mobiles, se livraient une guerre à mort. Les vaincus étaient exécutés. C’était la règle du jeu. Et, à ce jeu-là, Robespierre était un modéré. Il est perçu comme le symbole de la Terreur, alors que ses contemporains connaissaient sa modération et celle de son frère et de ses amis. Les crimes reprochés à la Révolution ne furent pas commis par les « robespierristes » mais, précisément, par les ennemis de Robespierre (Fouché, Collot-d’Herbois, Fréron, Barras, Carrier, Fouquier-Tinville, etc.), c’est-à-dire par ceux qui eurent sa peau le 9 thermidor. N’oublions pas, d’ailleurs, que c’est la France, entraînée par les Girondins et la Cour, qui déclara la guerre, et que Robespierre (qui n’était plus député) s’était opposé de toutes ses forces à cette aventure qui, sans le sursaut du 10 août, faillit perdre la Révolution. Une de ses raisons était la crainte du césarisme…

Riposte Laïque : Dans la France du 21e siècle, qu’est-ce, selon toi, être révolutionnaire ?

Philippe Landeux : La réponse que je vais faire est toute personnelle. Un révolutionnaire lutte pour l’égalité des citoyens (en devoirs et en droits), connaît le moyen de l’instaurer (voir le Civisme) et, partant, s’attaque à la cause de l’inégalité. Pour moi, la cause de l’inégalité est Largent, c’est-à-dire la « croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échange ». De cette croyance, née du troc, découle la monnaie et le système monétaire sous toutes ses formes et avec tous ses vices. Or, dans un système monétaire, il y a nécessairement des riches et des pauvres qui, par définition, ne sont pas égaux en droits ; ils ne sont pas même égaux devant la loi (selon que vous serez puissants ou misérables…). L’Egalité dans un contexte monétaire est une vue de l’esprit, tout comme la démocratie. En fait, il est impossible de la concevoir correctement si l’on intègre Largent dans le raisonnement parce que l’on ne sait comment s’en affranchir. C’était la limite de Robespierre. Il est celui qui a posé le mieux les principes de l’ordre social, mais la Révolution n’a jamais été à sa portée. Il me plait de croire qu’il a eu cette intuition quand il a écrit et aussitôt raturé : « Quand leur intérêt [celui des riches] sera-t-il confondu avec celui du peuple ? Jamais. »

Bref, qui ne dénonce pas Largent ne peut être un révolutionnaire ; même bardé de bonnes intentions, c’est, de facto, un capitaliste et un contre-révolutionnaire. Robespierre était en son temps un révolutionnaire condamné à l’échec. Son exemple peut nous inspirer. Il a encore beaucoup de leçons à nous donner. La plus importante de toutes est qu’il a échoué et que ce ne fut pas sans raison. Les communistes ont cru que c’était parce qu’il refusait précisément d’être un dictateur. Je dis, moi, qu’il s’est fracassé contre Largent et que tous ceux qui suivront exactement ses traces connaîtront la même fin.

Je sais que s’attaquer à Largent paraît fou. Mais un révolutionnaire ne poursuit pas des hochets ; il vise au cœur ou, comme disait Marat, il porte la cognée à la racine.

19:34 Écrit par Philippe Landeux dans - ACTUALITE & VIDEOS PERSO, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

mercredi, 07 novembre 2012

ELECTIONS (dessin)

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11:10 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

lundi, 29 octobre 2012

PENSEE DU JOUR : confiance

La confiance ne se prête pas ; elle se donne. Celui qui la trahit ne vole rien ; il se perd tout seul.

06:25 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 7.1. PENSEES DU JOUR | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

vendredi, 26 octobre 2012

DROIT DANS LE MUR (Le retour à l'or, c'est mort !)

Je ne suis pas économiste financier, mais j’ai des théories sur la monnaie et je serais curieux d’avoir l’avis d’experts sur quelques-unes d’entre elles. Je me propose d’expliquer ici pourquoi un retour à l’or, dont il est question depuis quelque temps, n’est pas une solution, à défaut d’être impossible. Je vais aborder le sujet sous plusieurs angles qui tous amènent à la même conclusion.

Avant de nous occuper de la nature du support monétaire, de savoir quel support conviendrait le mieux dans les conditions actuelles, il faut, selon moi, nous interroger sur la nature de la monnaie elle-même. En effet, à quoi bon préconiser un nouveau support monétaire si la cause profonde de la crise financière est dans la nature du moyen d’échange qu’est la monnaie ? Qu’est-ce donc que la monnaie ?

Les réponses sont multiples. Retenons les plus importantes pour notre sujet. La monnaie est : une unité de valeur, un étalon de la valeur (marchande), un moyen d’établir des prix, un moyen d’achat et de paiement. Bref, la monnaie est un moyen d’échange qui repose sur la notion de valeur marchande. Il s’ensuit qu’elle est l’instrument d’un mode d’échange qui recourt à la notion de valeur marchande. Ce mode d’échange, le seul que nous connaissions, nous paraît si naturel qu’il ne nous vient pas à l’esprit de le considérer, encore moins de le contester. Tout est normal ! Tout va bien ! Or la monnaie repose sur la notion de valeur marchande parce qu’elle est une évolution du troc.

Sous le troc, les individus s’échangent des biens qui, de ce fait, sont mis en équivalence. C’est ainsi que naît l’idée que les biens ont une valeur marchande et que l’échange doit faire appel à cette notion. Mais ceci n’est en rien une vérité universelle et intemporelle. C’est cette forme particulière d’échange (de biens entre individus) qui engendre et impose de recourir à la notion de valeur marchande, et dès lors que les hommes croient que cette notion est nécessaire pour échanger, ils ne peuvent concevoir d’autre mode d’échange que l’échange individualiste, direct (troc) ou indirect (système monétaire) ; leur esprit est prisonnier de cette croyance. Ceci explique pourquoi tout change par la force des choses, sauf le mode d’échange. Les supports de la valeur ont eux-mêmes évolué (jusqu’à disparaître), mais le mode d’échange, lui, est resté fondamentalement le même depuis la nuit des temps. Cette remarque devrait à elle seule faire sentir que la « crise » actuelle est due à un anachronisme non seulement du moyen d’échange mais aussi et avant tout du mode d’échange, et qu’elle ne pourra être surmontée sans que quelques pendules soient remises à l’heure.

Pour être plus clair, la monnaie repose sur la notion de valeur marchande qui est apparue avec le troc, mode d’échange auquel les premiers producteurs n’ont pu échapper. Autrement dit, la notion de valeur marchande est née et n’a de raison d’être que dans un contexte de production artisanale. Il s’ensuit que la monnaie, quelles que soient sa nature et sa forme, n’a elle aussi de raison d’être que dans ce contexte. Or, en un siècle, la production est passée du mode artisanal au mode industriel. Le mode de production est donc radicalement différent aujourd’hui de ce qu’il a été durant les millénaires précédents. Les besoins économiques sont donc eux aussi différents. Peut-on dès lors imaginer qu’un moyen d’échange fondé sur la notion de valeur marchande (la monnaie), qui a rempli son office tant bien que mal pendant des siècles, ne réponde plus du tout aux besoins modernes inédits ? Peut-on raisonnablement supposer qu’un moyen d’échange inadapté à son contexte crée des difficultés économiques de plus en plus grandes que le système essaye de surmonter par des artifices et des fuites en avant, jusqu’à épuisement final ? C’est en tout cas ce que j’affirme.

Reste à comprendre pourquoi la monnaie convient à l’ère artisanale mais est inadaptée au monde industriel. Cette inadaptation tient nécessairement, d’une part, à ce qui distingue les deux modes de production, à savoir le volume de la production (Offre réelle), faible dans le premier cas, colossal dans le second, d’autre part, aux caractéristiques du système monétaire relativement au pouvoir d’achat global (Demande). Il semble assez évident que, si la monnaie ne convient plus lorsque la production est énorme, c’est qu’elle confère globalement un faible pouvoir d’achat, ce qui se ressent moins lorsque la production est faible elle aussi. Quelle que soit la monnaie, il y a en effet quelques riches et une masse de pauvres dans un système monétaire. L’accroissement des capacités productives n’y change rien. Par le simple jeu des valeurs, qui n’est lui-même que l’expression d’un rapport de force, le pouvoir d’achat des masses reste faible même s’il s’élève. Dans ces conditions, plus la production augmente, moins la « société » peut l’absorber. La recherche désespérée de clients amène d’ailleurs les entreprises à baisser leurs prix, leurs coûts, les salaires, à délocaliser, si bien que la situation générale empire. 

Mon premier argument contre le retour à l’étalon or ou, plus exactement, contre l’idée que ce retour serait une solution est donc qu’un moyen d’échange fondé sur la notion de valeur marchande est un anachronisme à l’heure de la production industrielle, que toute monnaie se comporte fondamentalement de la même manière (car toutes sont régies par les mêmes lois intrinsèques) et qu’aucune ne peut surmonter les contradictions mortelles dont nous subissons les effets, à défaut d’en saisir la véritable cause. Peu importe quelle monnaie nous utilisons ! Le problème est dans le fait même d’utiliser encore une monnaie, c’est-à-dire un moyen d’échange fondé sur la notion de valeur marchande. De l’or, des cacahuètes ou du vent, tant que l’on raisonne en terme de valeur marchande et d’unités, de quelque nature et sous quelque nom que ce soit, parce que l’on envisage l’échange d’un point de vue individualiste, on ne fait que changer les paramètres particuliers d’une équation dont le résultat ne peut jamais être satisfaisant d’un point de vue social.

Il est d’ailleurs une façon plus rapide de démontrer que la monnaie, quoique incontournable dans un contexte de production artisanale, n’est pas et n’a jamais été un moyen d’échange pertinent, c’est de remarquer que ce type de moyen d’échange n’a aucune dimension sociale alors qu’un moyen d’échange est par définition au cœur de la société. Jamais, dans les échanges monétaires, n’interviennent les notions de citoyenneté, de droit, de devoir, d’intérêt général, etc. Une monnaie sert à déterminer a posteriori la valeur des choses, pas à satisfaire les besoins des hommes ou à garantir les droits des citoyens. Au contraire ! Elle se gagne par des moyens plus ou moins légaux dont aucun n’est et ne peut être un devoir envers la société dans le contexte actuel. Elle incarne pourtant des droits (celui de participer aux échanges, d’accéder au marché et tous les droits plus ou moins directs qui en découlent), mais ne jouissent de ces droits que les individus qui disposent d’unités monétaires, et en proportion des unités dont ils disposent. Ce n’est pas la citoyenneté qui permet d’accéder au marché et d’exercer un droit reconnu et garanti par la société, mais seulement le fait de détenir des unités monétaires (et de s’en défaire). En somme, dans un système monétaire, avoir de l’argent est tout, être citoyen n’est rien. Si l’on ajoute que la monnaie induit un mode d’échange individualiste et inégalitaire (alors que l’égalité des citoyens en devoirs et en droits est le principe fondamental de l’ordre social), qu’elle est donc non seulement asociale mais aussi antisociale, comment s’étonner que les sociétés qui cautionnent l’existence d’un pareil moyen d’échange et les conceptions qui vont avec ne tournent pas rond et soient perpétuellement en crise ? Un retour à l’or ne changerait donc rien à l’affaire. Il ne ferait que perpétuer la logique monétaire et ses aberrations. Il est d’ailleurs prôné pour des raisons purement financières et économiques, jamais au nom des principes de l’ordre social. Tout est politique, sauf, semble-t-il, le paramètre le plus essentiel de la société !

Reste à comprendre pourquoi le retour à l’or apparaît, à tort, comme une solution face à la crise terminale en cours. Pour ce faire, il faut en premier lieu comprendre l’origine de cette crise.

Pour moi, la raison profonde de cette crise est que la monnaie, héritée du troc, est un moyen d’échange dont les limites et les incohérences d’un point de vue social deviennent mortelles dans un contexte de production industrielle. Autrement dit, elle est dans la combinaison explosive monnaie / modernité. Pour les économistes, ses causes sont multiples car ils les trouvent dans les symptômes de phénomènes qui, pour moi, ne sont déjà que des effets indirects. Qu’ils attribuent ou non cette « crise » au projet d’une poignée de banquiers d’asservir les nations par la dette, tous sont au moins d’accord sur le fait que la fragilité du système financier est due à l’internationalisation de la finance, à l’enchevêtrement des intérêts, aux produits dérivés, à la spéculation effrénée, à la création artificielle de monnaie (via les prêts bancaires sans provision), à l’abus de la planche à billets par les banques centrales (FED, BCE), aux crédits à la consommation tous azimuts, à l’obligation pour les États d’emprunter sur les marchés financiers et, bien sûr, à l’abandon de l’étalon or. À ces raisons s’ajoutent, aussi bien comme causes que comme effets, les idéologies ultra-libérales et libérales-libertaires (européistes, mondialistes et droits-de-l’hommistes), l’immigration de travail (dumping social), l’immigration de peuplement (déstabilisation générale), l’émigration, l’absence de protectionnisme économique (donc importations et concurrence déloyale, désindustrialisation, délocalisations, chômage), l’État providence devenu prodigue (prestations sociales inconsidérées, fiscalité accablante) et, en Europe, l’euro (carcan monétaire) et la perte de souveraineté des États (qui les empêche de manœuvrer au mieux des intérêts nationaux). Tout ceci est vrai. Le système financier s’emballe à mesure que les nations se décomposent, et il est assez facile de comprendre les interactions entre le réel et le monétaire. Pourtant, agir énergiquement et simultanément sur chacun de ces fronts serait vain. Ces hérésies politico-économiques ne sont pas le fait du hasard, de la fantaisie ou du machiavélisme ; elles sont logiquement engendrées par le déséquilibre entre le pouvoir d’achat global (faible de par la monnaie) et le potentiel productif (élevé en raison de l’industrialisation), déséquilibre que ces expédients ont pour but de corriger mais dont les effets positifs immédiats ne compensent pas les effets pervers à long terme.

Que peuvent faire des entreprises et une « société » confrontées à un manque de Demande intérieure par rapport à leur capacité de production en perpétuelle augmentation, sachant, du reste, que l’intérêt à court terme des entreprises et celui de la « société » sont opposés ? À moins de remettre en cause le mode d’échange et d’accès au marché qui limite par nature la Demande, toute solution, aussi illusoire et désastreuse soit-elle, tourne fatalement autour des principes suivants : trouver des clients à l’étranger, vendre moins cher, augmenter artificiellement le pouvoir d’achat. Ces principes sont à l’évidence le ressort de la colonisation, des politiques d’exportation, de l’immigration (de travail), des délocalisations, du crédit à la consommation, des politiques de relance de la Demande, de la création monétaire artificielle, etc., autant de politiques privées ou publiques qui s’accommodent mal de nations fortes, de citoyens fiers et d’individus intelligents, d’où la volonté de détruire les unes et d’émasculer et abrutir les autres par tous les moyens physiques et moraux.

Sans remonter à la cause des causes, sans même relier tous ces phénomènes entre eux, les « dissidents » sentent bien que la crise financière et la perte de souveraineté des États, donc de tout contrôle de leur part en matière économique, sont indissociables. Un retour à l’or ne peut d’ailleurs être qu’une décision étatique. Mais si des États forts et libres d’agir sont un préalable à toute politique économique, pourquoi revenir à l’étalon or semble-t-il nécessaire ? Parce que l’expérience a montré qu’affranchir la monnaie d’un gage métallique entraînait, par différents moyens, un accroissement délirant du signe et, donc, l’effondrement de sa valeur. Or un système monétaire ne peut pas fonctionner sans monnaie ou, ce qui revient au même, avec une monnaie sans valeur.

Bien que la notion de valeur marchande soit une vue de l’esprit, l’or a une réalité qui empêche sa valeur de s’effondrer, du moins de descendre en deçà d’un certain niveau. C’est en cela qu’il apparaît comme la solution face à un système monétaire en voie d’effondrement du fait que la monnaie ne repose plus sur rien, si ce n’est sur la confiance. Mais la véritable question n’est pas de savoir si un système monétaire basé sur l’or serait plus solide qu’un système basé sur rien (la réponse étant évidemment Oui), mais si l’or répondrait aux besoins de la société contemporaine autant sinon mieux que les monnaies actuelles, en grande partie virtuelles. Autrement dit, est-il utile de revenir à l’étalon or ? Alors se pose une autre question : Pourquoi a-t-il paru utile et a-t-il été utile en effet d’y renoncer ? Les besoins que l’or ne permettait plus de satisfaire seraient-ils mieux satisfaits aujourd’hui si nous revenions en arrière ? Cette fois, la réponse est Non.

Les monnaies ont été découplées de l’or pour favoriser la création monétaire, c’est-à-dire l’augmentation artificielle du pouvoir d’achat global. Peu importe que les décideurs aient agi dans leurs intérêts, cela répondait à une nécessité historique toujours d’actualité. Le problème est que l’accroissement de la masse monétaire entraîne la baisse de la valeur de la monnaie, laquelle doit être compensée par un nouvel accroissement (planche à billets, crédits, etc.), de sorte que ces injections indispensables tournent à l’overdose et sont mortelles à la longue. Il n’y a rien à faire pour éviter ce piège. Les limites de la monnaie condamnent les hommes à tricher avec les lois de Largent et à le payer un jour.

Mais, autre question : À quoi servirait l’or ? Payerait-on en pièces d’or, alors que la plupart des paiements et des transactions ne se font même plus en billets ? Notre mode de vie (achats et paiements par correspondance ou virement) et la complexité de l’économie ne le permettent plus ! En réalité, l’or serait déposé dans les banques et servirait de gage aux billets, aux unités virtuelles et aux crédits. Les pratiques controversées reprendraient par la force des choses, si tant est qu’elles aient cessé. L’or n’est donc pas un rempart contre la création artificielle de monnaie que la « société » moderne permet et dont elle a besoin. Ainsi, même en supposant que les nations se relèvent, que les États assument de nouveau leur rôle protecteur, l’économie tournerait toujours à la monnaie que le progrès technique a cependant rendu obsolète. La monnaie est désormais un facteur limitant. Essayez donc de mettre du charbon dans un moteur à explosion !

Dernière illusion : croire qu’une monnaie or serait forte et heureuse. Alors que les monnaies se dévaluent, le cours de l’or grimpe en flèche. Assurément, l’or est une valeur sûre dans le contexte actuel, une excellente valeur refuge. Mais l’or n’est pas monétisé. Rares sont les gens qui en ont, et nombreux ceux qui en veulent. Rétabli en tant qu’étalon et émis sous forme de pièces, sa valeur réelle ou relative baisserait. S’il redevient moyen d’échange, il circulera et tout le monde en aura, souvent peu, mais toujours plus qu’aujourd’hui. Car, évidemment, le système ne pourrait fonctionner qu’à cette condition. Revenir à l’or ne consisterait pas à priver de tout moyen d’échange ceux qui aujourd’hui n’en ont pas (d’or) et ainsi à mettre les particuliers et la « société » dans une situation pire que ce qu’elle est déjà. Dès lors, même en admettant que cette monnaie reste forte sur le plan international (par rapport à des monnaies de singes), que la multiplication artificielle du signe ne l’affaiblisse pas, les « citoyens » n’en tireraient pas avantage, puisque, par le jeu des valeurs et les principes de fonctionnement de la monnaie, les prix s’adapteraient, le pouvoir d’achat des masses baisserait, et l’éternel déséquilibre serait maintenu ou rétabli. Tout le monde était-il riche quand l’or était monnaie ? N’y avait-il pas de crises, de chômage, d’émeutes, de révolutions ?

Mon deuxième argument est donc que l’or, dans le contexte particulier actuel, n’aurait pas les vertus qu’on lui prête. Il servirait moins de monnaie que de gage, ce qui, dès lors, n’empêcherait pas la création artificielle de monnaie. Il pourrait certes limiter les dégâts mais il ne serait pas à hauteur de la tâche. En fait, la monnaie ne convient qu’aux « sociétés » préindustrielles, de sorte qu’un retour à l’or n’aurait véritablement de raison d’être que dans un monde apocalyptique, ayant renoncé de gré ou de force au progès technique.

CONCLUSION

L’idée d’un retour à l’or va de pair avec celle d’un retour à l’autorité de l’État. Il s’agit de sauver, dans le même temps, par un ensemble de mesures, le système monétaire et les nations. Une monnaie saine dans un corps social sain en quelque sorte !

Ceci suppose qu’il y a des monnaies plus saines que d’autres et écarte d’emblée l’hypothèse que le ressort de la crise financière pourrait être dans le concept même de monnaie. Mieux ! Ceci présente un retour en arrière comme une nécessité et occulte l’hypothèse que la nécessité soit au contraire de rompre avec le passé. Bref, l’idée de revenir à l’or fait fi des évolutions qui, hier, ont conduit à y renoncer et qui, demain, ne le réhabiliteront pas davantage. 

En toute logique, n’y a-t-il pas un lien entre le mode d’échange, les biens échangés, les biens produits et le mode de production, donc entre le mode d’échange et le mode de production ? Si Oui, le mode d’échange doit être adapté au mode de production. Si ce dernier change radicalement, l’échange doit lui aussi se pratiquer sur un autre mode, selon une nouvelle logique ? Or, en passant de la production artisanale à la production industrielle le mode de production a bel et bien changé radicalement. Le mode d’échange, lui, a été conservé moyennant des adaptations du moyen d’échange et des astuces qui, aujourd’hui, s’avèrent désastreuses.

Ce constat peut être interprété de deux manières. La mienne est que lesdites adaptations et astuces étaient et sont encore indispensables, inévitables mais manifestement insuffisantes aussi ingénieuses et extrêmes soient-elles ; qu’après avoir triché en vain avec les lois de la monnaie, il est temps de rompre avec la logique monétaire et de concevoir un mode d’échange digne d’une Société et du XXIe siècle. L’autre interprétation possible est qu’abandonner l’étalon or a été sinon une escroquerie, du moins une erreur et la porte ouverte à toutes les dérives, et qu’il suffit de faire machine arrière pour que les choses rentrent dans l’ordre.

Je compte sur les tenants de cette deuxième interprétation pour m’indiquer par où pêche la mienne.

Malgré tout, un retour à l’or est possible et même probable, faute de mieux, mais ce ne sera jamais que reculer pour mieux sauter. Le système monétaire va dans le mur quelle que soit la nature de la monnaie.

Philippe Landeux
13 septembre 2012

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