lundi, 03 septembre 2012
L'IMPOSTURE DES LUMIERES (présentation pour RL)
« Cet air de liberté au-delà des frontières,
Aux peuples étrangers qui donnait le vertige,
Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige,
Elle répond toujours du nom de Robespierre,
Ma France. »
Jean Ferrat, Ma France
A FORCE D’ETRE EBLOUI PAR LES LUMIERES
ON DEVIENT AVEUGLE
Présentation de L’IMPOSTURE DES LUMIERES
pour et publiée par Riposte Laïque
Je savais depuis longtemps que les Encyclopédistes et autres philosophes tels Voltaire que l’on appelle « les Lumières » n’étaient pas la tasse de thé de Robespierre, rousseautiste comme tous les vrais révolutionnaires (Marat, Saint-Just, Couthon, etc.). « La plus puissante et la plus illustre [secte], déclara-t-il dans son discours du 18 floréal an II (7 mai 1794), était celle qui fut connue sous le nom d'encyclopédistes. Elle renfermait quelques hommes estimables et un plus grand nombre de charlatans ambitieux. Plusieurs de ces chefs étaient devenus des personnages considérables dans l'Etat : quiconque ignorerait son influence et sa politique, n'aurait pas une idée complète de la préface de notre Révolution. Cette secte, en matière politique, resta toujours au-dessous des droits du peuple : en matière de morale, elle alla beaucoup au-delà de la destruction des préjugés religieux. » Mais c’est la conférence donnée en juin dernier par Marion Sigaut, historienne, sur l’anti-humanisme des Lumières qui a attiré mon attention sur le sujet et m’a donné les éléments pour comprendre cette hostilité.
Les Lumières dont l’oligarchie nous rebat les oreilles depuis deux siècles ne sont pas les humanistes que l’on croit ; leur idéal ne fut pas celui de la Révolution, du moins celui des révolutionnaires. C’est donc une maladresse, pour ne pas dire une forfaiture, que d’associer les Lumières et la Révolution, comme d’appeler « philosophes des Lumières » tous les philosophes de cette époque, et « révolutionnaires » tous les acteurs de la Révolution. Outre que ces amalgames empêchent de rien comprendre à cette époque, ils flattent les uns sans raison et relègue les autres, plus méritants, dans l’oubli.
J’ai donc écrit un texte sur le sujet, à la fois résumé et commentaire de ladite conférence. Etant très documenté (de nombreux textes en notes), il est trop long pour être publié ici. En voici néanmoins le lien :
http://philippelandeux.hautetfort.com/archive/2012/08/20/l-imposture-des-lumieres.html
Les textes cités font apparaître que les Lumières désiraient jouir tout de suite et le plus possible, sans entrave pour eux et à quelque prix que ce soit pour les autres, pour les pauvres en particulier. S’ils chahutaient les « grands », ils méprisaient le peuple destiné, selon eux, à les servir. Ils dénonçaient à l’occasion de réels abus, mais proposaient, à leur avantage, des solutions pire encore. Ces hommes n’ont jamais mérité du peuple et de l’humanité ! Les droits du citoyen, le bien public, la souveraineté du peuple, la paix sociale, l’indépendance nationale, la justice, l’Egalité, la Liberté, la vertu, la patrie, la postérité… des mots sous leur plume ! des foutaises dans leur esprit !
Ainsi n’ont-ils jamais réclamer l’abolition de l’esclavage, mais seulement la fin de la traite devenue non-rentable. C’est d’ailleurs par l’esclavage (dans une cage de fer et sous les coups) qu’ils voulaient remplacer la peine de mort, et c’est encore à l’esclavage, dans les colonies, qu’ils vouaient les mendiants et les orphelins des hôpitaux. Ils envisageaient aussi de confier les orphelins à des paysans qui leur refuseraient toute tendresse et les soumettraient à leur place au tirage de la milice. Le peuple n’était pas « digne d’être instruit » ! Pour éviter qu’il ne tombe dans la débauche, il fallait supprimer les fêtes de village et inciter voire forcer les paysans à travailler gratos le dimanche après-midi. Ne devait évidemment avoir le droit de cité que les propriétaires. Enfin, en matière économique, suppression de la police des subsistances, suppression des corporations, « laissez faire, laissez passer », autrement dit, liberté pour les riches d’acheter, d’accaparer, de spéculer, d’affamer le peuple et de le réprimer en cas de révolte. L’aristocratie des riches, voilà ce que prônaient les Lumières ! voilà quelle fut, sous la Révolution, la ligne des Constituants et des Girondins après eux !
La Constituante (les Lumières appliquées) [voir en bas de page les repères historiques sur la Révolution] avait fait semblant d’abolir les privilèges en les décrétant rachetables (nuit du 4 août 1789), divisé les citoyens en deux classes (actifs et passifs), instauré le suffrage censitaire, exclu les pauvres de la garde soi-disant nationale, adopté la loi martiale, maintenu la peine de mort (Robespierre fut le premier à en réclamer en vain l’abolition), perpétué l’esclavage, dépossédé l’Eglise au profit des bourgeois, restauré un roi parjure, brisé les corporations, interdit les associations d’ouvriers, interdit les pétitions, instauré ce que nous appelons aujourd’hui l’ultra-libéralisme ; bref, elle avait systématiquement favorisé riches et puissants. Les Girondins, quant à eux, défenseurs de la haute bourgeoisie, s’illustrèrent en jetant la France dans une guerre contre toute l’Europe au nom de la Liberté (en réalité pour renflouer les caisses publiques et garnir les coffres privés), et en la précipitant dans la guerre civile. L’Histoire qualifie tous ces braves gens de « modérés » !
C’est Robespierre qui, à la Constituante, avait défendu, souvent seul, les droits de la nation, du peuple, des ouvriers, des pauvres, de la presse, des soldats du rang, du bas clergé, des juifs (23 décembre 1789), des Noirs, etc.. Ce sont les Montagnards (Jacobins) qui supprimèrent la distinction entre citoyens passifs et actifs, abolirent réellement les droits féodaux (17 juillet 1793), armèrent le peuple, assurèrent le pain, gelèrent le prix des denrées et produits de première nécessité, firent la guerre aux sangsues publiques, projetèrent l’institution de l’école gratuite et obligatoire, envisagèrent un système de sécurité sociale, abolirent l’esclavage (4 février 1794), etc., sans parler du fait que c’est eux qui surent mobiliser les forces de la nation pour sauver la patrie que les Girondins orgueilleux et inconséquents avaient mise en danger. C’est la déclaration des droits de 1793, inspirée de celle de Robespierre, plus audacieuse, notamment sur la question de la propriété (garantie par la société et bornée comme tout droit), qui respire l’humanisme. Quoique suspendue aussitôt en raison des circonstances, c’est la Constitution de 1793 (24 juin), pas celle de 1791, que le peuple fit sienne et réclama jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ce ne sont pas les Girondins, mais les Jacobins qui, à défaut d’être imités, inspirèrent le peuple dans les grands moments de conquêtes sociales et de résistance nationale (1814, 1871, 1940). Ce ne sont pas les Jacobins, les révolutionnaires, les Rousseau, mais les Girondins, les Constituants, les Encyclopédistes, les Voltaire, en un mot les Lumières qui ouvrirent la voie de l’élitisme crapuleux, du cynisme politique, de l’universalisme utilitaire, de la tartufferie droits-de-l’hommiste, de l’ingérence propre sur elle, du colonialisme, de la guerre impérialiste (de rapine), de l’immigrationnisme (néo-esclavagisme), de l’anti-populisme (euphémisme pour anti-populaire, anti-patriotique, anti-démocratique), de l’européisme, du mondialisme, etc.
Ainsi, quand on parle des Lumières et de la Révolution comme d’un idéal, sans trop connaître ces sujets, à quelle ligne idéologique pense-t-on réellement : à celle des Lumières ou à celle des révolutionnaires ? Qui était réellement humaniste, progressiste et démocrate ? Les révolutionnaires bien sûr, et en premier lieu Robespierre qui formula pour la garde nationale la devise qui est devenue et est encore celle de la « République ».
Ce n’est donc pas rejeter l’idéal des révolutionnaires, considérés à tort comme celui des Lumières, que de démystifier les philosophes dits « des Lumières » eux-mêmes et rétablir la vérité au sujet des uns et des autres ; ce n’est jamais que rendre à César ce qui est à César ; c’est le devoir de tout honnête homme. A qui profite d’ailleurs la confusion qui soit interdit de creuser le cas des Lumières —et il ne faut pas creuser longtemps pour découvrir la supercherie — soit empêche de connaître les révolutionnaires dont le discours est encore révolutionnaire à bien des égards ? A qui, si ce n’est aux oligarques qui, à tort ou à raison, se réclament des Lumières pour en imposer au peuple ? Peut-on combattre un système en adoptant ses mythes et sa novlangue ?
C’est pourtant dans ce piège que sont tombés, dernièrement, Jean Pavée et Cyrano. « Que cache le réquisitoire contre Voltaire, si ce n’est la volonté de déconsidérer les Lumières, la République et la France ? » (Jean Pavée, 13 août 2012) « Nous aimons trop la France des Lumières, la Liberté, la vie, le rire, l’amour, l’humour, le vin, la spécificité de nos belles régions, la bonne chair, l’esprit gaulois, pour les abandonner sans combattre à l’islam des ténèbres, sa charia, son obscurantisme, son totalitarisme, son cléricalisme, son racisme, son sexisme, son antisémitisme, son homophobie, sa culture de la mort, ses voiles, son halal, son ramadan obligatoire, son jihad et ses casernes-mosquées. Nous aimons trop la liberté et la France des Lumières pour les abandonner à l’islam des ténèbres. » (Cyrano, 20 août 2012) Ces craintes seraient compréhensibles, ces arguments seraient recevables si les Lumières avaient été les patriotes et les démocrates supposés. Or ce n’est pas le cas. L’idéal invoqué ici n’est pas celui des Lumières à proprement parler.
Pourquoi les Français devraient-ils se sentir agressés quand est renversée une idole qui n’a jamais eu que du mépris pour le peuple ? Pourquoi des démocrates devraient-ils intervenir pour sauver la réputation des zélateurs de l’aristocratie des riches ? Pourquoi des patriotes mêleraient-ils leur cause à celle de « philosophes » qui n’ont jamais regardé les hommes et les nations que comme leurs jouets et leurs faire-valoir ? Il ne faut certes pas créer un vide, mais il faut arrêter de prendre des vessies pour des lanternes. Le peuple français a eu dans son histoire assez d’hommes et de femmes exemplaires pour l’inspirer dans tous les combats sans qu’il ait besoin de s’accrocher aux héros factices que ses ennemis lui fourguent à dessein. La résistance nationale a moins besoin d’un Voltaire que d’un Vercingétorix, d’un Charles Martel, d’une Jeanne d’Arc, d’un Robespierre, d’un Saint-Just, d’un Gambetta, d’un De Gaulle, d’un Jean Moulin, etc.. Dans la circonstance, le bon mot de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » est sans doute moins utile que cette maxime de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté » ou encore que cet article de la constitution de 1793, adopté le 18 juin (ironie de l’Histoire !) : « Le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire ».
Non ! ce n’est pas nous désarmer que de lâcher l’épée en carton que nos ennemis nous ont collée dans les mains. Que les oligarques et les traîtres à la patrie gardent leurs Lumières ; le peuple français est résolu à se sauver lui-même et redevient révolutionnaire.
Philippe Landeux
21 août 2012
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REVOLUTION : REPERES HISTORIQUES
1789
5 mai – Réunion des Etats généraux à Versailles. Robespierre est député du Tiers Etat d'Arras.
15, 16, 17 juin – Les députés du Tiers Etat se déclarent Assemblée Nationale.
27 juin – Louis XVI accepte la réunion des députés des trois Ordres (Noblesse, Clergé, Tiers Etats).
9 juillet – L’Assemblée Nationale proclame que son objet est la rédaction d’une constitution.
1791
21 juin – Fuite du roi. Repris, il est rétabli sur le trône.
17 juillet – Massacre des Parisiens (demandant la déchéance du roi) au Champ de Mars par la garde bourgeoise dite nationale.
30 septembre – Fin de la session de l’Assemblée constituante
1er octobre – Ouverture de la session de l’Assemblée législative. Robespierre n’est plus député. L’Assemblée est dominée par les Girondins.
1792
20 avril – La France déclare la guerre à l’Empereur d’Autriche.
10 août – Parisiens et fédérés des départements (marseillais et bretons) prennent d’assaut les Tuileries et renversent la monarchie.
21 septembre – Réunion de la nouvelle Assemblée dite Convention. La monarchie est abolie en France. Robespierre est député (élu de Paris). L’Assemblée est dominée par les Girondins, élus en province.
22 septembre – Proclamation de la République.
1793
11 mars – Massacre de Machecoul et début de l’insurrection en Vendée.
2 juin – Les Girondins sont chassés de la Convention, désormais dominée par les Montagnards (Jacobins).
27 juillet – Robespierre est appelé au Comité de salut public.
1794
27 juillet (9 thermidor an II) – Robespierre est décrété d’arrestation. Libéré par la Commune, il est repris et exécuté le lendemain. La bourgeoisie triomphe. La Révolution (au vrai sens du terme) est terminée.
18:27 Écrit par Philippe Landeux dans - REVOLUTION 1789-1794, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : lumières, robespierre, voltaire, philosophes, rousseau, révolution, révolutionnaires | Facebook | | Imprimer |
vendredi, 18 novembre 2011
LES DERNIERS MOTS DU "TYRAN" ROBESPIERRE
Le nom de Robespierre est aussi connu et souvent exécré que la réalité du personnage est méconnue et pourtant digne d’attention.
Il est chargé de tous les maux réels ou imaginaires de la Révolution, alors que des analyses sérieuses conduisent systématiquement à la même conclusion : Robespierre, dit l’Incorruptible, était un homme juste, honnête et modéré, qui, plongé au cœur d’une tourmente extraordinaire, fit ce qu'il put. Il défendit le peuple de toute son âme et il suffit de voir comment sont traités aujourd’hui ceux qui lui emboîtent le pas et tiennent, parfois sans le savoir, le même discours que lui pour comprendre que sa légende noire est l'oeuvre des ennemis du peuple. (Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage.) Il s’opposa à tous les excès. Loin d’être regardé comme un sanguinaire, il était l’espoir de tous les innocents. Mais son drame fut d’avoir plus de prestige que de pouvoir réel (le pouvoir personnel n’existait pas à l’époque). Il était le symbole vivant de la Révolution, de la démocratie égalitaire et populaire. Pour venir à bout de ce géant moral, il fallut l’écraser sous une montagne de mensonges… et les mensonges ont la vie dure. Certains les répètent par ignorance, d’autres, devinez qui, par intérêt.
Je ne vais pas ici vous raconter son histoire, d’excellents ouvrages existent déjà (Jean Massin, Ernest Hamel, Albert Mathiez) et vous trouverez à la fin de cet article des liens utiles pour une bonne connaissance. Ce que je veux, ici, c’est vous mettre sous les yeux un texte qui, personnellement, me transporte, un texte d’une vérité et d’une actualité si criantes qu’il fait vibrer toutes les fibres de mon être… Que dis-je, un texte ? Un discours prononcé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, à la face des députés. Comment un homme a-t-il pu avoir une telle audace, un tel génie ? Imaginez. Ecoutez. On a envie de le porter en triomphe, de sortir son glaive pour combattre à son côté. Mais il n’est plus, et on ne peut revenir en arrière. Alors on appelle pour qu’il réapparaisse parmi nous !
Voici donc le dernier discours de celui qui formula la devise dont la République, une parodie de république, se réclame encore :
« Peuple, souviens-toi que si, dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom.
» Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise ; toi, souverain reconnu qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes et non de destinées.
» Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-même sur tes propres affaires, et que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique.
» Sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre la cause et la morale publique sera accablé d'avanies et proscrit par les fripons ; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d'avoir trahi seront accusés d'ambition ; que l'influence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie.
» Tel est l'empire des tyrans armés contre nous : telle est l'influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir.
» Ainsi donc, les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être appelés dictateurs. Souscrirons-nous à cette loi ? Non : défendons le peuple, au risque d'en être estimés ; qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu.
» Dirons-nous que tout est bien ? Continuerons-nous de louer par habitude ou par pratique ce qui est mal ? Nous perdrions la patrie. Révélerons-nous les abus cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres ? On nous dira que nous ébranlons les autorités constituées ; que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. Que peut-on objecter à celui qui veut dire la vérité, et qui consent à mourir pour elle ? Disons donc qu'il existe une conspiration contre la liberté publique ; qu'elle doit sa force à une coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention ; que cette coalition a des complices dans le Comité de sûreté générale et dans les bureaux de ce Comité qu'ils dominent ; que les ennemis de la République ont opposé ce Comité au Comité de salut public, et constitué ainsi deux gouvernements : que des membres du Comité de salut public entrent dans ce complot ; que la coalition ainsi formée cherche à perdre les patriotes et la patrie. Quel est le remède à ce mal ? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du Comité de sûreté générale, épurer ce Comité lui-même, et le subordonner au Comité de salut public ; épurer le Comité de salut public lui-même, constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l'autorité nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté.
» Tels sont les principes. S'il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive le taire : car que peut-on objecter à un homme qui a raison, et qui sait mourir pour son pays ?
» Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n'est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie ; les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons dominera. »
Maximilien Robespierre
Fin de son discours prononcé à la Convention nationale,
8 thermidor an II (26 juillet 1794)
Deux jours plus tard, Robespierre montait à l’échafaud. Les « terroristes » souillés de crimes et de rapines qu’il avait dénoncés avaient enfin sa peau, avec l’appui des bourgeois qu’il avait toujours protégé contre la fureur des premiers. La Révolution, au sens propre du terme, était terminée. L’aristocratie de Largent avait enfin terrassé son plus redoutable adversaire. Elle avait affermit son pouvoir. Elle règne encore, et plus que jamais.
Je pourrais conclure ici. Mais vous ne m’en voudrez pas, j’espère, d’aller au-delà du but que je m’étais fixé. Peut-être n’avez-vous jamais eu l’occasion de lire Robespierre. Peut-être avez vous ressenti l’émotion que soulèvent ses paroles et comprenez-vous enfin pourquoi et comment cet homme s’est rendu immortel. Peut-être voulez-vous entretenir quelques instants de plus cette émotion en découvrant d’autres textes.
Robespierre fut toujours égal à lui même. Il ne varia pas d’un pouce. Il fut à la fin de la Révolution tel qu’il était en s’y engageant. Aussitôt après avoir été élu député aux Etats Généraux (fin avril 1789), il traça la conduite qui serait la sienne dans un texte, écrit pour lui seul, resté sous le titre de dédicace aux mânes de Jean-Jacques Rousseau.
« La conscience d’avoir voulu le bien de ses semblables est le salaire de l’homme vertueux ; vient ensuite la reconnaissance des peuples qui environnent sa mémoire des honneurs que lui ont déniés ses contemporains. Comme toi [Jean-Jacques Rousseau] je voudrais acheter ces biens au prix d’une vie laborieuse, aux prix même d’un trépas prématuré. Appelé à jouer un rôle au milieu des plus grands événements qui aient jamais agité le monde, assistant à l’agonie du despotisme et au réveil de la véritable souveraineté, près de voir éclater des orages amoncelés de toutes parts, et dont nulle intelligence humaine ne peut deviner tous les résultats, je me dois à moi-même, je devrai bientôt à mes concitoyens compte de mes pensées et de mes actes. »
Le texte suivant est une partie du discours qu’il prononça aux Jacobins le soir du 21 juin 1791, alors que la famille royale était en fuite, que l’Assemblée avait pris des mesures ridicules, comme si elle avait été complice, et que le risque de guerre civile menaçait, Louis XVI n’étant pas partie à la cueillette des champignons.
« Je sais que par une dénonciation, pour moi dangereuse à faire, mais non dangereuse pour la chose publique ; je sais qu’en accusant, dis-je, ainsi la presque universalité de mes collègues, les membres de l’assemblée, d’être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les autres par terreur, d’autres par ressentiment, par un orgueil blessé, d’autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu’ils sont corrompus, je soulève contre moi tous les amours-propres, j’aiguise mille poignards, et je me dévoue à toutes les haines. Je sais le sort qu’on me garde ; mais si, dans les commencements de la révolution et lorsque j’étais à peine aperçu dans l’Assemblée nationale, si, lorsque je n’étais vu que de ma conscience, j’ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, à la liberté, à la patrie, aujourd’hui que les suffrages de mes concitoyens, qu’une bienveillance universelle, que trop d’indulgence, de reconnaissance, d’attachement m’ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait une mort qui m’empêchera d’être témoin des maux que je vois inévitables. Je viens de faire le procès à l’assemblée nationale, je lui défie de faire le mien. »
Pour saisir l’ambiance électrique de cette séance, voici ce que Camille Desmoulins rapporta dans son journal Les Révolutions de France et de Brabant :
« Il fut écouté avec cette attention religieuse dont on recueille les dernières paroles d’un mourant. C’était en effet comme son testament de mort qu’il venait déposer dans les archives de la société. Je n’entendis pas ce discours avec autant de sang-froid que je le rapporte en ce moment, où l’arrestation du ci-devant roi a changé la face des affaires. J’en fus affecté jusqu’aux larmes en plus d’un endroit ; et lorsque cet excellent citoyen au milieu de son discours, parla de la certitude de payer de sa tête les vérités qu’il venait de dire, m’étant écrié : Nous mourons tous avant toi, l’impression que son éloquence naturelle et la force de ses discours faisaient sur l’Assemblée était telle que plus de 800 personnes se levèrent toutes à la fois et entraînées comme moi par un mouvement involontaire, firent un serment de se rallier autour de Robespierre, et offrirent un tableau admirable par le feu de leurs paroles, l’action de leurs mains, de leurs chapeaux, de tout leur visage, et par l’inattendu de cette inspiration soudaine. »
On a souvent dit que Robespierre parlait trop de lui, qu’il exagérait, qu’il voyait des complots partout. Trois semaines après cette séance, le 17 juillet, l’Assemblée et la municipalité de Paris firent massacrer par la garde nationale (alors exclusivement composée de bourgeois) les Parisiens assemblés au Champ de Mars pour signer une pétition réclamant, non la République, mais l’abdication du roi parjure. Le club des Jacobins ne dut lui-même de survivre qu'au sang froid de Robespierre.
A la fin de l’année précédente, en décembre 1790, Robespierre qui défendait le suffrage universel contre le suffrage censitaire et s’opposait à la partition des citoyens en deux classes (actifs et passifs) rédigea un discours sur l’organisation des gardes nationales qu’il n’eut pas la possibilité de prononcer et qui fut, à mon sens, un de ses plus grands. C’est à la fin de ce discours qu’il proposait que soit inscrite sur les drapeaux la devise Liberté, Egalité, Fraternité.
« C’est en vain qu’à ces droits inviolables on voudrait opposer de prétendus inconvéniens et de chimériques terreurs. Non. Non ; l’ordre social ne peut être fondé sur la violation des droits imprescriptibles de l’homme, qui en sont la base essentielle. Après avoir annoncé d’une manière si franche et si imposante, dans cette déclaration immortelle où nous les avons retracés, qu’elle était mise à la tête de notre code constitutionnel, afin que les peuples fussent à portée de la comparer à chaque instant, avec les principes inaltérables qu’elle renferme, nous n’affecterons pas sans cesse d’en détourner nos regard sous de nouveaux prétextes, lorsqu’il s’agit de les appliquer aux droits de nos commettans et au bonheur de notre patrie.
» L’humanité, la justice, la morale ; voilà la politique, voilà la sagesse des législateurs : tout le reste n’est que préjugé, ignorance, intrigue, mauvaise foi. Partisans de ces funestes systèmes, cessez de calomnier le peuple et de blasphémer contre votre souverain, en le représentant sans cesse indigne de jouir de ses droits, méchants, barbare, corrompu ; c’est vous qui êtes injustes et corrompus ; ce sont les castes fortunées auxquelles vous voulez transférer sa puissance. C’est le peuple qui est bon, patient, généreux ; notre révolution, les crimes de ses ennemis l’attestent : mille traits récents et héroïques, qui ne sont chez lui que naturels, en déposent. Le peuple ne demande que tranquillité, justice, que le droit de vivre ; les hommes puissans, les riches sont affamés de distinctions, de trésors, de voluptés. L’intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l’humanité ; c’est l’intérêt général. L’intérêt, le vœu des riches et des hommes puissans est celui de l’ambition, de l’orgueil, de la cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société. Les abus qui l’ont désolée furent toujours leur ouvrage : ils furent toujours les fléaux du peuple. Aussi, qui a fait notre glorieuse révolution ? Sont-ce les riches ? sont-ce les hommes puissans ? Le peuple seul pouvait la désirer et la faire ; le peuple seul peut la soutenir, par la même raison… Et l’on ose nous proposer de lui ravir les droits qu’il a reconquis !
» On veut diviser la nation en deux classes dont l’une ne semblerait armée que pour contenir l’autre, comme un ramas d’esclaves toujours prêts à se mutiner ! et la première renfermerait tous les tyrans, tous les oppresseurs, toutes les sangsues publiques ; et l’autre, le peuple ! Vous direz après cela que le peuple est dangereux à la liberté : ah ! il en sera le plus ferme appui, si vous la lui laissez. Cruels et ambitieux sophistes, c’est vous, qui à force d’injustices, voudriez le contraindre, en quelque sorte, à trahir sa propre cause par son désespoir. Cessez donc de vouloir accuser ceux qui ne cesserons jamais de réclamer les droits sacrés de l’humanité ! Qui êtes-vous pour dire à la raison et à la liberté : " vous irez jusques-là ; vous arrêterez vos progrès au point où ils ne s’accorderaient plus avec les calculs de notre ambition ou de notre intérêt personnel ? ". Pensez-vous que l’univers sera assez aveugle pour préférer à ces loix éternelles de la justice qui l’appellent au bonheur, ces déplorables subtilités d’un esprit étroit et dépravé, qui n’ont produit jusqu’ici que la puissance, les crimes de quelques tyrans et les malheurs des nations ?
» C’est en vain que vous prétendez diriger, par les petits manèges du charlatanisme et de l’intrigue de cour, une révolution dont vous n’êtes pas dignes : vous serez entraînés, comme de faibles insectes, dans son cours irrésistible ; vos succès seront passagers comme le mensonge, et votre honte, immortelle comme la vérité. »
La tirade suivante date du 27 avril 1792, soit une semaine après l’entrée en guerre. C’est une réponse aux attaques incessantes et impudentes des girondins Brissot et Guadet. Les Jacobins applaudirent à tout rompre.
« Le ciel qui me donna une âme passionnée pour la Liberté et qui me fît naître sous la domination des tyrans, le ciel qui prolongea mon existence jusqu’au règne des factions et des crimes, m’appelle peut-être à tracer de mon sang la route qui doit conduire mon pays au bonheur et à la Liberté ; j’accepte avec transport cette douce et glorieuse destinée. Exigez-vous de moi un autre sacrifice ? Oui, il en est un que vous pouvez demander encore : je l’offre à ma Patrie : c’est celui de ma réputation. Je vous la livre, réunissez-vous tous pour la déchirer, joignez-vous à la foule innombrable de tous les ennemis de la Liberté, unissez, multipliez vos libelles périodiques. Je ne voulais de réputation que pour le bien de mon pays ; si pour la conserver il faut trahir, par un coupable silence, la cause de la vérité et du peuple, je vous l’abandonne ; je l’abandonne à tous les esprits faibles et versatiles que l’imposture peut égarer, à tous les méchants qui la répandent. J’aurai l’orgueil encore de préférer, à leurs frivoles applaudissements, le suffrage de ma conscience et l’estime de tous les hommes vertueux et éclairés ; appuyé sur elle et sur la vérité, j’attendrai le secours tardif du temps qui doit venger l’humanité trahie et les peuples opprimés. » 27 avril 1792 aux Jacobins
Enfin, à la veille de l’élection présidentielle de 2012 qui sera suivie par l’élection législative, il n’est pas inutile de rappeler les conseils de Robespierre sur la façon de choisir entre les candidats. (Extrait d’une adresse lue aux Jacobins et approuvée le 19 juin 1791.)
« Dans les choix que vous ferez, songez que la vertu et les talens sont nécessaires, mais que des deux, la vertu est la plus nécessaire encore. La vertu sans talens peut être moins utile, les talens sans vertu ne peuvent être qu’un fléau. En effet la vertu suppose ou donne assez souvent les talens nécessaires aux représentans du peuple. Quand on aime la justice et la vérité, on aime les droits des citoyens, on les défend avec chaleur.
» Tenez-vous en garde contre les apparences trompeuses. Les amis et les ennemis de la liberté se présenteront à vous, avec les mêmes dehors et le même langage. Si vous voulez vous assurer des sentimens de quelques citoyens, remontez au-delà de l’époque où vous êtes aujourd’hui. L’homme ne se détache pas tout-à-coup de tous les préjugés qui ont formé ses sentimens.
» Si une fois dans la vie, un homme s’est montré vil, ou impitoyable, rejetez-le. Rejetez ces hommes qu’on a vu ramper dans les cours et s’humilier heureusement aux pieds d’un ministre ou d’une femme. Leur manière est changée, leur cœur est resté le même. Ils flattent aujourd’hui leurs concitoyens, comme ils flattaient les tyrans subalternes. On ne devient pas subitement, d’un vil adulateur, d’un lâche courtisan, un héros de la liberté.
» Mais si vous connaissiez des hommes qui ayent consacré leurs vies à venger l’innocence, si vous connaissiez quelqu’un d’un caractère ferme et prompt dont les entrailles se soient toujours émues au récit des malheurs de quelques-uns de ses concitoyens, allez le chercher au fond de sa retraite, priez-le d’accepter la charge honorable et pénible de défendre la cause du peuple, contre les ennemis déclarés de sa liberté, contre ses ennemis, bien plus perfide encore, qui se couvrent du voile de l’ordre et de la paix. Ils appellent ordre, tout système qui convient à leurs arrangemens, ils décorent du nom de paix, la tranquillité des cadavres, et le silence des tombeaux. »
Une connaissance plus profonde de Robespierre ne révèle pas un autre visage de lui. Ses actes furent à l’image de ses paroles. Comprenez-vous maintenant pourquoi il est injuste et scandaleux de le comparer à Hitler, Staline, Pol Pot ou quelque autre tyran et combien ceux qui établissent de telles comparaisons, sans d’ailleurs les étayer par autre chose que des poncifs, sont ridicules et ignorants, à moins qu’ils ne soient au contraire très instruits et conscients du danger, pour les puissants, de permettre au peuple de s’intéresser et de lire ses discours ? Croyez-vous encore que les ennemis du peuple agissent au hasard, qu’ils œuvrent pour le bien du peuple, qu’ils cherchent à l’éclairer sur ses droits, qu’ils décernent les honneurs aux bienfaiteurs de l’humanité ? Tout ce qu’ils adorent, brûlez-le ! Tout ce qu’ils haïssent, préservez-le ! Tout ce qu’ils cachent, déterrez-le ! Prenez systématiquement le contre-pied de ce qu’ils font et vous servirez plus sûrement vos intérêts. Entendez le contraire de ce qu’ils disent et vous approcherez plus que jamais de la vérité.
La cause du peuple et des patriotes d’hier est la même que celle de ceux d’aujourd’hui. Les Principes sont éternels. Les traits des traîtres aussi.
De Munich à Montoire !
Philippe Landeux
Pour en savoir plus sur le parcours et les idées de Robespierre :
http://philippelandeux.hautetfort.com/archive/2011/01/25/robespierre-histoire-version-developpee.html
Pour connaître les conceptions de Robespierre sur la démocratie :
http://philippelandeux.hautetfort.com/archive/2011/02/09/robespierre-et-la-democratie.html
Pour connaître sa philosophie économique :
http://philippelandeux.hautetfort.com/archive/2011/04/25/robespierre-et-le-libre-echange.html
Tous ses grands discours :
http://membres.multimania.fr/discours/discours.htm
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mercredi, 04 mai 2011
ROBESPIERRE Histoire (version développée)
« Robespierre, ce nom qui fait ta gloire, ce nom qui porte l’effroi dans l’âme des tyrans, sera le mot d’ordre qui nous ralliera pour les combattre. »
Les Jacobins de Caen à Robespierre (alors simple citoyen), 7 mars 1792
Robespierre fut un grand homme, un grand Français, le député le plus populaire et le plus grand révolutionnaire. En tant que tel, il fut l’objet d’attaques incessantes. Sa mémoire même fut souillée de calomnies. Même les raccourcis que l’histoire oblige parfois à faire transforment son portait du tout au tout. Ainsi, son nom est aussi célèbre que son histoire réelle et son œuvre sont méconnues du grand public.
Il est pourtant primordial de connaître la véritable histoire et les idées de cet homme qui incarna la Révolution et inspira des générations de patriotes. Les Français ignorent tout ce qu’ils lui doivent ; la République elle-même a oublié qu’elle lui doit jusqu’à sa devise. Bien qu’il ait vécu et ait été exécuté il y a plus de deux cents ans, beaucoup de ses idées sont encore révolutionnaires, plus révolutionnaires que celles des révolutionnaires autoproclamés, et la vie de cet homme que l’on appelait l’Incorruptible reste un exemple.
Je me flatte d’être robespierriste. Et si l’on me demande pourquoi, ou pourquoi je tiens tant à défendre sa mémoire et à rappeler son souvenir dans toute son authenticité, qu’il me suffise de citer ce mot de Babeuf :
« Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante, et naturellement dans tout le peuple. La raison en est simple, c’est que le robespierrisme est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques : donc en relevant le robespierrisme, vous êtes sûr de relever la démocratie. »
Il est impossible d’exposer ici la richesse de la pensée de Robespierre. Pour la connaître, il faut lire ses discours ou, au moins, de bonnes biographies (Jean Massin, Ernest Hamel) ou de bonnes histoires de la Révolution (Albert Mathiez, Albert Soboul, Georges Lefebvre). Mais pour se plonger ainsi dans l’étude, encore faut-il en sentir l’intérêt et ne plus avoir de lui l’image fausse et négative qui est généralement colportée.
Peindre Robespierre sous son véritable jour et anéantir les fausses idées reçues à son sujet pour donner envie de le lire est donc le but que je me propose. J'ai réalisé deux exposés dont le présent est la version développée. (version courte ici)
ROBESPIERRE Maximilien Marie Isidore (de) :
Né le 6 mai 1758 à Arras, exécuté à Paris le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II). Avocat, homme politique français, surnommé l’Incorruptible, universellement reconnu comme tel, figure emblématique de la Révolution française et du jacobinisme.
AVANT la Révolution
Sa mère mourut alors qu’il n’avait que six ans. Son père, avocat au barreau d’Arras, abandonna le foyer peu après. Elève studieux, il obtint des autorités ecclésiastiques une bourse pour le collège Louis le Grand, à Paris, où il fut sans doute l’élève le plus brillant puisque c’est à lui que revint l’honneur de faire au nom du collège le compliment à Louis XVI au retour de son sacre (le 11 juillet 1775).
Reçu avocat au parlement de Paris le 2 août 1781, il retourna à Arras où il fut admis au barreau de la ville le 8 novembre. Il avait encore de la famille sur place, grands-parents, oncles, tantes, et notamment sa sœur, Charlotte, et son jeune frère, Jean-Bon Augustin, appelé Augustin, surnommé Bonbon et plus tard Robespierre jeune, qu’il envoya étudier à Paris grâce à une bourse que son brillant parcours lui avait permis de décrocher pour lui. Son frère lui fut fidèle jusque dans la mort.
Il apparut de suite comme un avocat et un esprit brillants (cf. lettre de M. Ansart). Grand admirateur de Jean-Jacques Rousseau, il se fit le défenseur des faibles, des pauvres, des lumières. L’affaire la plus célèbre qu’il eut à plaider fut celle du paratonnerre de St-Omer, en mai 1783, qui, grâce à la publication de sa plaidoirie (procédé auquel il recourut régulièrement par la suite), eut un retentissement national. Dans son argumentaire, il invoquait entre autres les travaux d’un certain Marat, le futur Ami du Peuple. Une autre affaire retint l’attention, en 1786, celle de François Deteuf, maître cordier à Marchiennes, accusé de vol par un moine de l'abbaye de Saint-Sauveur d'Anchin qui se vengeait ainsi de sa sœur, Clémentine Deteuf, laquelle avait refusé ses avances. En défendant Deteuf, Robespierre n’attaquait pas la religion mais les vices d’une institution qui avait couvert les turpitudes du moine.
En mars 1782, il s’était vu attribuer un siège vacant de juge à la Salle épiscopale. La même année, il entrait dans la Société des Rosati, des jeunes gens réunis par l'amitié, le goût des vers, des roses et du vin, réunissant tout le gratin d’Arras. Il y croisa Lazarre Carnot, son futur collègue et ennemi au Comité de salut public. Il y rencontra également Joseph Fouché, oratorien, cheville ouvrière du complot du 9 thermidor. Le 15 novembre 1783, il fut admis à l’académie d’Arras dont il fut élu président à l’unanimité le 4 février 1786. En 1784, il remporta le deuxième prix du concours de l’académie de Metz, sur « l'origine de l'opinion qui étend sur tous les individus d'une même famille une partie de la honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable ».
Quoique le tableau soit brossé à grands traits, il ressort que Robespierre, avant la Révolution, avait tout pour lui : talent, culture, réussite et reconnaissance sociale. Voir en lui un personnage aigri et envieux relève de l’absurde. L’affirmation selon laquelle Robespierre aurait été franc-maçon relève elle aussi du fantasme.
Le 8 août 1788, le royaume étant au bord de la banqueroute, le roi convoqua les Etats Généraux, c’est-à-dire l’assemblée censée représenter le corps social à travers les trois ordres d’alors : la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat. Cette assemblée était seule autorisée à voter la levée de nouveaux impôts et c’est à cette seule fin qu’elle avait été convoquée. Pourtant, dans le même temps, chaque partie du peuple était appelée à rédiger ses doléances et le Tiers Etats comptait bien profiter de l’occasion pour les faire valoir.
Comme tant d’autres, Robespierre s’empara de la plume. En janvier, il publia anonymement un « Appel à la nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois », brochure dans laquelle il dénonçait la composition illégale des Etats d’Artois permanents, le mode de composition desdits Etats pour les Etats généraux (d’après lesquelles le véritable Tiers ne devait avoir que 10 voix sur 150) et tous les abus qui en découlaient. Cette brochure fut rééditée en avril, preuve de son succès. Son leitmotiv tenait dans cette phrase : « Rendez-lui [au Peuple] la liberté de choisir lui-même ses Représentans, l’Ordre renaît et les abus disparaissent. »
En mars suivant, il publia une adresse au peuple artésien dans laquelle il lui indiquait comment choisir ses représentants :
« Défiez-vous du patriotisme de fraîche date, de ceux qui vont partout prônant leur dévouement intéressé, et des hypocrites qui vous méprisaient hier et qui vous flattent aujourd’hui pour vous trahir demain. Interrogez la conduite passée des candidats : elle doit être le garant de leur conduite future. Pour servir dignement son pays, il faut être pur de tout reproche. »
Fin mars, la corporation des savetiers, la plus pauvre et la plus nombreuse de la ville, chargea Robespierre de rédiger ses doléances. Le 26 avril, il fut élu député du Tiers Etats d’Artois (5e sur 8). Robespierre était lancé dans la carrière politique qui fut toute sa vie.
C’est au début de la Constituante — probablement après le 14 juillet 1789, et non immédiatement après son élection — que Robespierre rédigea pour lui-même une dédicace aux mânes de Jean-Jacques Rousseau dans laquelle il traça la conduite qui fut en effet la sienne et qui, à ce titre, mérite d’être citée :
« La conscience d’avoir voulu le bien de ses semblables est le salaire de l’homme vertueux ; vient ensuite la reconnaissance des peuples qui environnent sa mémoire des honneurs que lui ont déniés ses contemporains. Comme toi je voudrais acheter ces biens au prix d’une vie laborieuse, aux prix même d’un trépas prématuré. Appelé à jouer un rôle au milieu des plus grands événements qui aient jamais agité le monde, assistant à l’agonie du despotisme et au réveil de la véritable souveraineté, près de voir éclater des orages amoncelés de toutes parts, et dont nulle intelligence humaine ne peut deviner tous les résultats, je me dois à moi-même, je devrai bientôt à mes concitoyens compte de mes pensées et de mes actes ».
Etats Généraux / Assemblée constituante
Robespierre était lancé dans la carrière politique. Ses principes étaient simples : unité nationale, souveraineté du peuple, égalité des citoyens en droits. Il n’en démordit jamais. Il devint ainsi le champion de la démocratie et de l’Egalité. Il en fut le martyr. Le 24 septembre 1791, le journal L’Ami du Roi lui rendit hommage en croyant le brocarder : « M. Robespierre, qui a toujours l’air de croire que ces discussions sont sérieuses [l’Assemblée retirait aux hommes libres de couleur les droits qu’elle leur avait accordés quatre mois plus tôt], monte à la tribune, armé d’un mortel discours. Ses raisons, on le devine. Unité, égalité, ces deux mots disent tout. »
Les Etats Généraux s’ouvrirent le 5 mai 1789, à Versailles. Robespierre qui, le lendemain, fêta ses 31 ans, était alors un inconnu au milieu de cette foule de 1139 députés. Il prit la parole pour la première fois le 18 mai. Il intervint des centaines de fois, que ce soit aux Etats Généraux ou à l’Assemblée constituante qui les remplaça officiellement le 27 juin 1789, et toujours pour défendre le peuple et les principes. En quelques mois, sa ténacité et sa rigueur le rendirent célèbre et populaire. Il n’était pas seulement un des députés siégeant du côté gauche, il fut très vite considéré comme le plus à gauche, à tel point qu’il était souvent isolé et devait soutenir ses idées seul contre tous. (Ainsi, le 3 mai 1790, Loustalot écrivit dans Les Révolutions de Paris : « Nous avons peu de ces hommes qui, cherchant plutôt à remplir leur devoir qu’à obtenir des applaudissements, se tiennent, comme M. de Robespierre, près des principes, et qui, bravant le reproche d’être trop chaleureux, réclament sans cesse les droits sacrés du peuple, lors même qu’ils prévoient qu’ils vont être sacrifiés. [...] Il vient de donner une nouvelle preuve de ce genre d’héroïsme en défendant seul la maintenue des districts de Paris. ») Si, dans ces conditions, il ne pouvait guère influencer les décisions de l’Assemblée à l’esprit bourgeois et aristocratique, en revanche son prestige atteignit des sommets inimaginables. Ce fut sa gloire et son malheur. Car il eut toujours plus de prestige que de pouvoir réel. Son ascendant sur les masses permit à ses détracteurs de le présenter comme un dictateur et de l’abattre en tant que tel alors qu’il n’eut jamais d’autre arme que le verbe au service de la raison.
Il est impossible de rappeler ici toutes les idées qu’il défendit, tous les discours qu’il prononça ou publia. Signalons néanmoins les plus importants.
Fin septembre 1789, il s’éleva contre le droit de veto accordé au roi. La discussion ayant été fermée avant qu’il ait pu prononcer son discours, il le publia :
« Celui qui dit qu’un homme a le droit de s’opposer à la Loi, dit que la volonté d’un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n’est rien, et qu’un seul homme est tout. S’il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du Pouvoir exécutif, il dit que l’homme établi par la Nation, pour faire exécuter les volontés de la Nation, a le droit de contrarier et d’enchaîner les volontés de la Nation. »
Le 22 octobre 1789, il s’éleva contre la distinction faite entre citoyens dits actifs (payant « une imposition directe de la valeur locale de trois journées de travail ») et citoyens dits passifs qui privait ces derniers de nombreux droits, dont celui de cité et celui de faire partie de la garde nationale. Il prônait, lui, le suffrage universel (pour les hommes, l’idée même de l’accorder aux femmes étant à l’époque inconcevable). Il ne fit pas de grands discours à ce sujet à cette époque. La moindre allusion soulevait un tollé général. En revanche, il en publia un et en donna lecture au club des Cordeliers en avril 1791. Rappelant les articles de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée par l’Assemblée l’année précédente et montrant la contradiction entre ses articles et la notion de suffrage censitaire, il poursuivait :
« Mais quel est donc après tout ce rare mérite de payer un Marc d’argent ou telle autre imposition à laquelle vous attachez de si hautes prérogatives ? Si vous portez au trésor public une contribution plus considérable que la mienne, n’est-ce pas par la raison que la société vous a procuré de plus grands avantages pécuniaires ? et, si nous voulons presser cette idée, quelle est la source de cette extrême inégalité des fortunes qui rassemble toutes les richesses en un petit nombre de mains ? Ne sont-ce pas les mauvaises lois, les mauvais gouvernements, enfin tous les vices des sociétés corrompues ? Or, pourquoi faut-il que ceux qui sont les victimes de ces abus, soient en plus punis de leur malheur, par la perte de la dignité de citoyen ! »
Fin décembre 1790, il publia un grand discours sur l’organisation des gardes nationales, dénonçant une fois de plus la distinction des citoyens entre passifs et actifs et les incohérences de l’Assemblée mais entrant aussi dans le détail de leur organisation selon les principes.
« La plus inévitable de toutes les loix, la seule qui soit toujours sûre d’être obéie, c’est la loi de la force. L’homme armé est le maître de celui qui ne l’est pas ; un grand corps armé, toujours subsistant au milieu d’un peuple qui ne l’est pas, est nécessairement l’arbitre de sa destinée ; celui qui commande à un corps, qui le fait mouvoir à son gré, pourra bientôt tout asservir. […] S’il est vrai que cette institution soit un remède contre le pouvoir exorbitant qu’une armée toujours sur pied donne à celui qui en dispose, il s’ensuit qu’elles ne doivent point être constituées comme les troupes de ligne ; qu’elles ne doivent point être aux ordres du prince ; qu’il faut bannir de leur organisation tout ce qui pourrait les soumettre à son influence ; puisqu’alors, loin de diminuer les dangers de sa puissance, cette institution les augmenterait, et qu’au lieu de créer des soldats à la liberté et au peuple, elle ne ferait que donner de nouveaux auxiliaires à l’ambition du prince. »
C’est à la fin de ce discours qu’il formula la devise que les gardes nationales devaient selon lui arborer sur leurs drapeaux : Liberté, Egalité, Fraternité.
Peu de gens savent que Robespierre fut le premier à réclamer l’abolition de la peine de mort (30 mai 1791). Quant à ceux qui ont vu dans ses positions ultérieures une contradiction, ils ont confondu Badinter et Robespierre. Ce n’est pas par humanité ou par sensiblerie que ce dernier l’avait réclamée, mais au nom des principes, au nom du droit à la légitime défense que les individus ont face à leurs agresseurs mais que la société n’a pas face à des auteurs de crimes ou délits de droit commun qui ne la menacent pas.
« Hors de la société civile, qu’un ennemi acharné vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont cultivé, puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue ; et la loi de la défense naturelle me justifie et m’approuve. Mais dans la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l’autoriser à lui donner la mort ? »
La France était alors en paix. Mais quand la France fut en guerre et la République, menacée, quand la société eut à se défendre, le même principe l’autorisait à tuer et justifiait l’exécution des contre-révolutionnaires. C’est ce qu’il explicita le 2 décembre 1792, lors du procès du roi :
« J’ai demandé l’abolition de la peine de mort à l’assemblée que vous nommez encore constituante ; et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais vous, qui ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer. Oui, la peine de mort, en général, est un crime, et par cette raison seule que, d’après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du corps social. Or, jamais la sûreté publique ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d’autres moyens, et mettre le coupable dans l’impuissance de lui nuire. »
Robespierre eut maintes fois l’occasion de démontrer qu’il n’était ni sectaire ni fanatique, qu’il ne se souciait que du bien commun, qu’il n’était attaché qu’aux principes et à la vérité et méprisait autant les démagogues que ce que nous appelons aujourd’hui le politiquement correct. Le 13 juillet 1791, il en donna un exemple en donnant aux Jacobins une leçon de république.
« On m’a accusé, au sein de l’assemblée, d’être républicain, on m’a fait trop d’honneur, je ne le suis pas. Si on m’eût accusé d’être monarchiste, on m’eut déshonoré, je ne le suis pas non plus. J’observerai d’abord que pour beaucoup d’individus les mots de république et de monarchie sont entièrement vides de sens. Le mot république ne signifie aucune forme particulière de gouvernement, il appartient à tout gouvernement d’hommes libres, qui ont une patrie. Or, on peut être libre avec un monarque comme avec un sénat. Qu’est-ce que la constitution française actuelle, c’est une république avec un monarque. Elle n’est donc point monarchie ni république, elle est l’un et l’autre. »
Un an plus tard, il précisa encore sa pensée :
« Est-ce dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ? Sont-ce les définitions inventées par les diplomates pour classer les diverses formes de gouvernement qui font le bonheur et le malheur des nations, ou la combinaison des lois et des institutions qui en constituent la véritable nature ? Toutes les constitutions politiques sont faites pour le peuple ; toutes celles où il est compté pour rien, ne sont que des attentats contre l’humanité ! Eh ! que m’importe que de prétendus patriotes me présentent la perspective prochaine d’ensanglanter la France, pour nous défaire de la royauté, si ce n’est pas la souveraineté nationale et l’égalité civile et politique qu’ils veulent établir sur ses débris ? Que m’importe qu’on s’élève contre les fautes de la cour, si loin de les réprimer, on ne cesse de les tolérer et de les encourager, pour en profiter ? Que m’importe que l’on reconnaisse, avec tout le monde, les vices de la constitution qui concernent l’étendue du pouvoir royal, si on anéantit le droit de pétition ; si on attente à la liberté individuelle, à celle même des opinions ; si on laisse déployer contre le peuple alarmé une barbarie qui contraste avec l’éternelle impunité des grands conspirateurs ; si on ne cesse de poursuivre et de calomnier tous ceux qui, dans tous les tems, on défendu la cause de la nation contre les entreprises de la cour et de tous les partis ? » (17 mai 1792)
A défaut d’avoir influencé l’ouvrage constitutionnel de l’Assemblée, Robespierre parvint à faire prévaloir son opinion sur des sujets annexes. Ce n’est pas parce qu’il était idiot ou ridicule qu’il n’était pas écouté, mais parce que ses principes contrariaient les intérêts des privilégiés. Et ce n’est pas non plus parce que les privilégiés étaient d’accord avec lui qu’il leur arriva de soutenir ses propositions, mais parce qu’ils n’avaient alors rien à perdre ou poursuivaient un autre but que lui. C’est ainsi qu’il obtint, en mai 1791, que les constituants, afin de ne pas prêter le flanc à la corruption, ne soient pas rééligibles (l’Assemblée limita cependant la portée de ce décret à la législature suivante). Dans le même esprit, et afin que le peuple, à défaut de faire les lois lui-même, ait au moins la consolation de renouveler souvent ses mandataires, il avait demandé en vain que le mandat de député soit limité à un an.
La Législative
Quand l’Assemblée nationale constituante acheva sa session, le 30 septembre 1791, la popularité de Robespierre était prodigieuse. Les Parisiens lui firent un triomphe. Il était rendu à la vie civile. Mais il avait trop fréquenté les hommes pour penser que son rôle était terminé. Tout commençait. Il lui restait la tribune des Jacobins que sa popularité et son intransigeance avait sauvés du désastre d’une scission et renforcés au mois de juillet précédent. (La fuite du roi en juin 1791, puis son rétablissement par l’Assemblée, avait provoqué un mouvement en faveur de sa déchéance qui suscita des divisions au sein des Jacobins que tous les leaders, excepté une poignée, quittèrent pour fonder un autre club, les Feuillants.)
Il connaissait mieux que quiconque les hérésies de la constitution de 1791. En renvoyant dans leurs foyers les députés sortants, il espérait que les députés nouveaux, éclairés par deux ans et demie de révolution, perfectionneraient l’ouvrage. Telle était sa conception du régime parlementaire. Il ne tarda pas à déchanter et à prendre ses responsabilités.
La nouvelle assemblée, dite législative, n’était plus composée que de bourgeois qui subirent rapidement l’ascendant d’un petit groupe d’entre eux, pour beaucoup originaires de Bordeaux, d’où leur nom de Girondins. (Nombre de Girondins, dont le plus fameux, Brissot, étaient inscrits aux Jacobins.) Représentant l’aristocratie de l’argent, les Girondins poussèrent l’Assemblée dans l’ultra-libéralisme. Leur devise était pour ainsi dire : Propriété, Liberté. Leur philosophie du libre échange se traduisait en pratique par la liberté d’accaparer, d’exploiter et d’affamer. N’y tenant plus, Robespierre lança son propre journal en mai 1792, intitulé Le défenseur de la Constitution. Il expliquait sa position, en apparence paradoxale, de manière suivante :
« C’est la constitution que je veux défendre, la constitution telle qu’elle est. On m’a demandé pourquoi je me déclarais le défenseur d’un ouvrage dont j’ai souvent développé les défauts : je réponds que, membre de l’Assemblée constituante, je me suis opposé, de tout mon pouvoir, à tous les décrets que l’opinion publique proscrit aujourd’hui : mais depuis le moment où l’acte constitutionnel fut terminé et cimenté par l’adhésion générale, je me suis toujours borné à en réclamer l’exécution fidèle, non pas à la manière de cette secte politique que l’on nomme modérée, qui n’en invoque la lettre et les vices que pour en tuer les principes et l’esprit ; non pas à la manière de la cour et des ambitieux qui, violant éternellement toutes les lois favorables à la liberté, exécutent avec un zèle hypocrite et une fidélité meurtrière toutes celles dont ils peuvent abuser, pour opprimer le patriotisme ; mais comme un ami de la patrie et de l’humanité, convaincu que le salut public nous ordonne de nous réfugier à l’abri de la constitution, pour repousser les attaques et l’ambition du despotisme. »
Chose plus surprenante, les Girondins avaient la passion de la guerre. A peine en poste, ils présentèrent les nobles émigrés réunis à Coblentz (Allemagne) comme un danger majeur et n’eurent de cesse d’engager la France dans une croisade pour la liberté. Leur but était double : détourner l’attention de leur politique intérieure et renflouer les finances publiques toujours mal en point avec du butin. Ils présentèrent également la guerre comme le moyen de démasquer le roi s’il trahissait. La suite leur donna raison mais prouva aussi que cet argument n’étaient pour eux qu’un prétexte.
Robespierre s’opposa de toutes ses forces à cette entreprise guerrière. Il prononça trois grands discours contre la guerre, les 18 décembre 1791, 2 et 11 janvier 1792. Selon lui, la guerre était inutile, les véritables ennemis de la Révolution étant à l’intérieur ; elle serait désastreuse, l’armée française étant désorganisée (en raison de l’émigration des officiers nobles et des conflits entre eux et la troupe), mal armée et les défenses de la France étant en ruine ; elle était dangereuse, car elle servait les desseins de la Cour qui en aurait la direction alors même qu’elle comptait sur les puissances étrangères pour étouffer la Révolution ; elle ruinerait la France ; elle dresserait contre la France les peuples étrangers (d’où son mot fameux : « Personne n’aime les missionnaires armés. ») ; elle exposerait au césarisme en cas de conflit prolongé. Ses arguments étaient sans réplique. Battus aux Jacobins dont ils faisaient alors partie, les Girondins travaillèrent l’Assemblée et les provinces. Le 20 avril 1792, Louis XVI, au nom de l’Assemblée nationale, déclarait la guerre à l’Empereur d’Autriche, une guerre inutile (les monarchies européennes, occupées à se déchirer entre elles, n’avaient pas l’intention de faire la guerre au pays le plus peuplé et le plus puissant d’Europe) qui allait durer plus de vingt ans.
La guerre ayant été déclarée bien malgré lui, Robespierre ne songea plus qu’aux moyens de la gagner.
« Messieurs, puisque la guerre est décrétée, je suis aussi d’avis de conquérir le Brabant, les Pays Bas, Liège, la Flandre, etc. La seule chose qui doive nous occuper désormais, ce sont les moyens d’exécuter cette utile entreprise ; c’est-à-dire, dans ce moment il faut faire, comme je l’ai proposé plusieurs fois, non pas la guerre de la cour et des intrigans dont la cour se sert, et qui à leur tour se servent de la cour, mais la guerre du peuple ; il faut que le peuple français se lève désormais et s’arme tout entier, soit pour combattre au-dehors, soit pour veiller le despotisme au-dedans. [...] Qu’on ne vienne pas nous dire : la guerre est déclarée, il ne faut pas décourager nos généraux ; il faut avoir confiance dans les autorités constituées. Non : c’est maintenant sur-tout qu’il faut surveiller le pouvoir exécutif et les autorités constituées. A cette condition, je ne crains pas non plus le pouvoir exécutif, ni les intrigues des traîtres de l’intérieur ; mais pour remplir cette condition, il faut croire à ces intrigues. [...] Ce n’est pas le roi ; le roi est un homme qui veut l’autorité absolue ; c’est un homme qui par lui-même est incapable de concevoir ce projet ; le roi est un homme qui, s’il avait été entouré d’hommes capables de lui faire entendre ses intérêts, aurait courbé sa tête sous la constitution. [...] »
Comme prévu, les premières rencontres avec l’ennemi tournèrent à la déroute. Le 27 mai, l’Assemblée décréta la déportation des prêtres réfractaires (à la constitution civile du clergé) qui prêchaient la contre-révolution. Le 8 juin, à l’appel du ministre de la guerre, girondin, elle décréta l’établissement sous les murs de Paris d’un camp de 20.000 fédérés, c’est-à-dire de gardes nationaux tirés des départements. Craignant que les fédérés ne soient choisis parmi les contre-révolutionnaires, Robespierre dénonça cette mesure aux Jacobins (il changea d’avis quand il vit que les fédérés étaient des patriotes). Le 11 juin, le roi apposa son veto sur ces deux décrets et, le lendemain, renvoya les ministres girondins qui n’avaient plus d’utilité à ses yeux puisque la guerre était déclarée. Le 20 juin, malgré les efforts de Robespierre pour s’y opposer, les Girondins soulevèrent les quartiers populaires de Paris pour que le roi reprenne des ministres parmi eux. Le peuple envahit les Tuileries où résidait le roi. Louis XVI fut humilié mais ne céda rien. Apprenant cela, La Fayette qui commandait une armée (en toute illégalité) tomba le masque. Il accourut illégalement à Paris dans l’espoir de soulever la garde nationale pour écraser les Jacobins, mais elle ne répondit pas à son appel et il s’en retourna tout piteux. Brissot et Robespierre étaient enfin d’accord sur quelque chose : La Fayette était un traître (les patriotes le considéraient ainsi de longue date) ; l’Assemblée devait le décréter d’accusation. Mais tandis que les Girondins ne savaient plus à quel Saint se vouer, Robespierre qui, dès le 10 février, avait rejeté les mesures partielles ne vit plus de salut que dans une insurrection qui renverserait la monarchie.
Aux déclarations illusoires de l’Assemblée qui décréta la patrie en danger le 11 juillet, aux mesures dilatoires des Girondins qui, autoproclamés républicains en 1791, ne cessaient de ménager le roi en 1792 pour régner en sous-ordre et menaçaient alors les républicains « du glaive de la loi », Robespierre allait droit au but et comptait sur les fédérés pour l’atteindre. « Vous n’êtes point venus pour donner un vain spectacle à la capitale et à la France… Votre mission est de sauver l’état. » (Aux Jacobins, le 11 juillet) Tandis que l’Assemblée et les Girondins s’évertuaient à les envoyer aux frontières, lui n’avait de cesse de les retenir à Paris (16 juillet). C’est lui qui rédigea les pétitions indignées contre le roi et les faiblesses de l’Assemblée que les fédérés présentèrent en leur nom. C’est à son appel que les sections parisiennes abolirent la distinction entre citoyens actifs et passifs pour que tous les citoyens puissent intégrer la garde nationale. C’est chez lui que les premières réunions en vue d’une insurrection unissant fédérés et Parisiens se tinrent. C’est lui que Pétion, son ancien collègue, alors maire de Paris, vint trouver dans l’espoir d’arrêter l’insurrection. Mais les dés étaient jetés. L’Assemblée n’ayant pas satisfait à l’ultimatum des sections parisiennes de déchoir Louis XVI, les sections appuyées par les fédérés se mirent en branle dans la nuit du 9 au 10 août. Dans la nuit, la commune de Paris fut remplacée par une commune insurrectionnelle, dont fit partie Robespierre et qui fut le véritable pouvoir révolutionnaire pendant deux mois, d’où la haine des Girondins à son endroit. Au matin, le palais des Tuileries fut pris d’assaut, ses défenseurs (gardes suisses et royalistes) n’ayant pas voulu mettre bas les armes et ayant tirés sur la foule qui avançait pour fraterniser. Sous la pression, l’Assemblée suspendit le roi qui s’était réfugié auprès d’elle et se désavoua en convoquant pour le mois de septembre une convention nationale.
A noter que, contrairement aux souhaits exprimés par Robespierre, le 1er août, d’« une convention nationale, dont les membres seront élus directement par les assemblées primaires, et ne pourront être choisis parmi ceux de l’assemblée constituante ni de la première législature », les Girondins se gardèrent bien d’adopter cette disposition. Alors que Robespierre se fermait une nouvelle fois la porte de l’Assemblée, démontrant qu’il avait bien fait adopter le décret sur l’inéligibilité des constituants par principe, les Girondins démontraient, eux, leur soif de pouvoir. Les ayant combattus en tant que simple citoyen, ayant mesuré l’étendue de leur ineptie, et s’étant en outre persuadé de l’importance de son propre rôle, Robespierre brigua de nouveau la législature. Le 5 septembre 1792, il fut le premier député élu de Paris.
La Convention girondine
Le 21 septembre, au lendemain de la victoire de Valmy, la Convention nationale ouvrait sa session. La monarchie fut aussitôt abolie en France. Le lendemain, en adoptant la proposition de Billaud-Varenne, député de Paris, de dater tous les documents de l’an I de la République, celle-ci fut indirectement proclamée. Mais l’unanimité des premiers jours n’était qu’illusoire. Les députés de Paris savaient que les Girondins avaient fait tous leurs efforts pour sauver la monarchie et accabler les révolutionnaires, et ils avaient de plus contre eux la plupart des députés de province que la propagande de ces derniers, maîtres de tous les rouages de l’Etat, avaient trompés sur leur compte. Le temps et l’expérience allaient finir par ouvrir les yeux de la majorité sur l’inconséquence, la petitesse, l’irascibilité et, au final, la dangerosité des Girondins.
Dès le 25 septembre, les Girondins ouvrirent les hostilités contre les députés de Paris, notamment Robespierre, Danton et Marat, et suscitèrent la défiance envers Paris en proposant pour la Convention une garde composée d’hommes tirés de tous les départements afin « que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d’influence, comme chacun des autres départements ». La Convention rejeta ce projet, mais les Girondins appelèrent quand même officieusement des provinciaux à venir à Paris, lesquels, une fois sur place et mieux informés sur leur compte, se retournèrent contre eux. Le 29 octobre, Louvet attaqua vivement Robespierre en exposant un astucieux roman, synthèse de toutes les calomnies girondines, préparé depuis longtemps dans le salon de Mme Roland, égérie des Girondins. En conclusion, il demandait le bannissement de Robespierre et la mise en accusation de Marat. Le 5 novembre, du haut de la tribune de la Convention, Robespierre lui répondit en défendant non seulement sa personne, mais surtout Paris, la Commune et la révolution du 10 août, et en appelant finalement à la concorde.
« J’ai vu à cette barre tels citoyens qui ne sont pas des Clodius, mais qui, quelque temps avant la révolution du 10 août, avaient eu la prudence de se réfugier à Rouen, dénoncer emphatiquement la conduite du conseil de la commune de Paris. Des arrestations illégales ? Est-ce donc le code criminel à la main qu’il faut apprécier les précautions salutaires qu’exige le salut public, dans les temps de crise amenés par l’impuissance même des lois ? Que ne nous reprochez-vous aussi d’avoir brisé illégalement les plumes mercenaires, dont le métier était de propager l’imposture et de blasphémer contre la liberté ? Que n’instituez-vous une commission pour recueillir les plaintes des écrivains aristocratiques et royalistes ? Que ne nous reprochez-vous d’avoir consigné tous les conspirateurs aux portes de cette grande cité ? Que ne nous reprochez-vous d’avoir désarmé les citoyens suspects ? d’avoir écarté de nos assemblées, où nous délibérions sur le salut public, les ennemis reconnus de la Révolution ? Que ne faites-vous le procès à la fois, et à la municipalité, et à l’assemblée électorale, et aux sections de Paris, et aux assemblées primaires même des cantons, et à tous ceux qui nous ont imités ? Car toutes ces choses-là étaient illégales, aussi illégales que la révolution, que la chute du trône et de la Bastille, aussi illégale que la liberté elle-même ? Mais que dis-je ? Ce que je présentais comme une hypothèse absurde n’est qu’une réalité très certaine. On nous a accusés, en effet, de tout cela, et de bien d’autres choses encore. [...] Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? »
Ce discours fit une telle sensation que la Convention en vota l’impression à la quasi unanimité et ferma la bouche à Barbaroux et à Louvet qui voulurent répondre.
Les Girondins devaient subir une autre défaite dans l’affaire du roi que leurs personnalités avaient jusque-là permis de différer. Ils s’essayèrent jusqu’au bout à de nouvelles manœuvres dilatoires qui les discréditèrent un peu plus et gonflèrent encore les rangs des Montagnards (nom donné aux députés les plus radicaux dont Robespierre était un des principaux leaders). Après avoir argué de l’inviolabilité du roi, demandé le jugement par le peuple, puis l’appel au peuple du jugement de la Convention, ils votèrent la mort mais réclamèrent le sursis de l’exécution. La Convention finit par voter la mort sans sursis ni appel. Louis XVI fut exécuté le 21 janvier 1793. Dans cette affaire, Robespierre s’était déclaré pour l’exécution du roi sans jugement, considérant qu’il avait été jugé par l’insurrection du 10 août, que la Convention ne pouvait ni déjuger le peuple ni supposer le roi innocent.
« Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c’est une idée contre-révolutionnaire, car c’est mettre la révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, il peut être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé : mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? » (3 décembre 1792)
Pendant ce temps, le peuple était inquiet pour sa subsistance et réclamait la taxation des denrées. Mais tout ce dont étaient capables les Girondins était de lui répondre : « La seule chose peut-être que l’Assemblée puisse se permettre sur les subsistances, c’est de proclamer qu’elle ne doit rien faire » (Roland, 19 novembre). C’était là le paradoxe insurmontable des Girondins qui voulaient faire la guerre à l’Europe tout en méprisant les guerriers de la France. La victoire dans ces conditions était impossible et c’est pour l’avoir compris que les députés tout aussi bourgeois qu’eux mais plus réalistes se tournèrent de plus en plus vers la Montagne.
Comme les Girondins ne désarmaient pas contre les Montagnards (arrestation de Marat, le 13 avril) et Paris, comme ils avaient le don de soutenir les traîtres (La Fayette, Dumouriez) et d’exaspérer le peuple, comme ils étaient à l’évidence aussi incapables qu’arrogants, une nouvelle journée devint nécessaire. Le 3 avril, Robespierre appela les sections à s’armer. Le 2 juin 1793, la Commune de Paris fit cerner la Convention par la garde nationale (composée de civils) jusqu’à ce qu’elle décrète d’arrestation les principaux Girondins, soit 22, sans compter les ministres Clavière et Lebrun. Il ne s’agissait alors que de les mettre hors d’état de nuire. Ils devaient être simplement gardés à domicile. Mais la moitié d’entre eux profita de cette clémence pour s’enfuir et soulever les départements. (C’est de Caen, où nombre d’entre eux s’étaient retrouvés, qu’arriva Charlotte Corday pour assassiner Marat, le 13 juillet.) La guerre civile qu’ils préparaient depuis deux ans devenait réalité. Elle avait même déjà commencé en Vendée où, début mars, la levée de 300.000 hommes avait été l’étincelle. Elle venait aussi d’éclater à Lyon (29 mai).
La Convention montagnarde / L'an II
Aussitôt maîtres de la Convention, les Montagnards hâtèrent la rédaction d’une constitution. Les maîtres mots : souveraineté du peuple, égalité des citoyens, solidarité nationale. « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes libres. (art. 27 de la Déclaration) » « Le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire. (art. 121 de la constitution) » Voilà pour le ton ! Le résultat fut la constitution la plus démocratique, la plus patriotique, la plus libre, la plus humaniste, la plus virile que la France ait connue et que, malheureusement, les circonstances ne permirent jamais d’appliquer. Les députés devaient être élus au suffrage universel et les lois, soumises à l’approbation du corps électoral (articles 56 à 60). La constitution elle-même devait être ratifiée par le peuple qui n’était pas souverain seulement en théorie, mais en pratique.
En préambule de cette constitution figurait une nouvelle déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui était grosso modo celle que Robespierre avait proposée aux Jacobins le 21 avril et que ces derniers avaient aussitôt adoptée à l’unanimité. Nombre d’articles étaient repris tels quels. Ainsi les articles 28 et 29 qui devinrent les articles 34 et 35 :
« Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. — Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Beaucoup n’avaient subit qu’une légère modification. Ainsi l’article 10 qui devint l’article 21 :
« Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux [La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, dans le texte original], soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »
Mais la déclaration de Robespierre était plus sociale, plus démocratique et plus patriotique (internationaliste) encore que sa copie.
« Dans tout état libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvernent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse. (art. 19) Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect. (art. 34) Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même état. (art. 35) Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes. (art. 36) »
Chose plus significative encore, les bourgeois de la Convention n’avaient pas retenu ses articles sur la propriété qu’il définissait comme suit :
« La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de bien qui lui est garantie par la loi. (art. 6) Le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui. (art. 7) Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables. (art. 8) Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral. (art. 9) »
La déclaration officielle disait simplement : « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. (art. 16) ». La propriété n’était donc pas reconnue comme un bienfait social mais comme une conquête individuelle. Elle n’avait plus pour borne les droits d’autrui. Les propriétaires pouvaient jouir sans entrave aux dépens de leurs concitoyens.
Il est à noter que c’est Robespierre qui, le 15 avril, avait décidé la Convention à faire précéder la constitution d’une déclaration au lieu de se précipiter, comme le voulait le Girondin Buzot, sur l’organisation du gouvernement. Le discours qu’il fit alors est caractéristique de sa tournure d’esprit, c’est-à-dire du bon sens qui lui ralliait les opinions :
« J’avoue que je ne conçois pas bien cette proposition ; qu’est-ce que l’organisation du gouvernement d’un peuple ? Ce n’est autre chose, si je ne me trompe, que les loix fondamentales qui forment sa constitution, qui constituent son gouvernement. Quelle est la base de la constitution et du gouvernement ? Ce sont, sans contredit, les droits des hommes. Quel est le but du gouvernement ? Quel est le but de la constitution ? C’est le bonheur des hommes, et par conséquent la conservation de leurs droits, de leur sûreté, de leur liberté, de leur propriété ; il faut donc avant d’instituer un gouvernement, bien déterminer et la nature et l’étendue des droits, dont la conservation est l’objet du gouvernement ; proposer de commencer par le gouvernement, c’est ne rien proposer, ou proposer la conséquence avant le principe. [...] Remarquez bien, citoyens, que le seul moyen de faire bien et même de faire vite cette constitution, c’est d’en établir d’abord les bases ; car, s’il n’est pas de principes posés, comment voulez-vous qu’on s’accorde sur les conséquences ? alors les discussions ne roulent que sur des détails et comme chacun part de bases et de principes opposés, qu’il modifie et qu’il appelle à son gré, parce qu’elles ne sont pas discutées dans l’opinion générale, il en résulte que la quantité des opinions est infinie, que les débats deviennent aussi interminables que tumultueux. Il faut donc pour procéder définitivement à une constitution, que chacun marche sur le même point : reconnaître les principes. »
Au sujet de la constitution, il est nécessaire de signaler le discours que Robespierre prononça à ce sujet le 10 mai 1793. Dans la mesure où Robespierre était l’âme des Jacobins, ses conceptions en la matière ne sont ni plus ni moins que le jacobinisme à l’état pur. Il est impossible de restituer ici l’ensemble de ses vues, mais il est utile de citer un passage qui tord le cou à la légende selon laquelle le jacobinisme serait par nature synonyme de centralisation :
« Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner : laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique, et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire. »
La centralisation que finit par connaître la Révolution doit moins à l’idéologie qu’aux circonstances et au processus engagé dans ce sens par la monarchie durant les siècles précédents.
Avec l’élimination des Girondins, le premier chapitre de la Convention était tourné. S’ouvrait la grande période révolutionnaire dite de l’an II, celles des défis et des titans, celle de la République assiégée et de la guerre civile, particulièrement terrible en Vendée, celle de la levée en masse, du maximum, de la déchristianisation, de la lutte des factions, de la Terreur, de la Convention montagnarde, de la prééminence du Comité de salut public, des ambitions sociales (suppression sans indemnité des droits féodaux, institution de l’école gratuite et obligatoire, adoption d’un embryon de sécurité sociale, abolition de l’esclavage), période qui s’achève le 10 thermidor, avec la mort de Robespierre et le retour en force de la bourgeoisie.
C’est cette période, durant laquelle Robespierre fut en première ligne, qui permit, en altérant les faits, d’étayer sa légende noire. Sept considérations à garder à l’esprit permettent cependant de révéler l’inanité de certaines controverses et de démasquer les impostures les plus manifestes et la mauvaise foi de ses détracteurs.
1) En l’an II, la République est déjà assiégée par toute l’Europe, tandis que la France est déchirée à l’intérieur par la guerre civile. Cette situation extrême eut fatalement des conséquences terribles et on peut même dire qu’elle conditionna toute la politique d’alors. Comment négliger un fait pareil ? Comment, en outre, oublier que Robespierre s’opposa de toutes ses forces à la déclaration de guerre et que les origines de la guerre civile remontaient aux politiques aristo-bourgeoise de la Constituante et bourgeoise, guerrière et anti-parisienne de la Gironde, politiques auxquelles Robespierre s’était également opposé ? En admettant qu’il fut un piètre pompier, du moins n’était-il pas le pyromane. Il est donc quelque peu hypocrite de lui jeter la pierre sans jamais songer à lapider les vrais responsables des problèmes dans lesquels les Montagnards durent se démener.
2) Les républicains qui venaient de renverser la monarchie avait en horreur le pouvoir personnel. La fonction présidentielle ne fut instituée que par De Gaulle, malgré les avanies de la gauche. A l’époque de la Révolution, une pareille fonction était inconcevable. Robespierre qui fut bien l’âme du Grand Comité au fort de la tempête n’eut donc jamais le pouvoir absolu et discrétionnaire que la légende lui prête. Les décisions importantes du Comité étaient prises collectivement. Ses collègues n’étaient d’ailleurs pas des marionnettes. C’étaient tous des hommes à poigne. Ils avaient autant de pouvoir que lui. Ils étaient libres d’en user. Ils le suivirent tant qu’ils furent d’accord avec lui ; ils l’écartèrent et finirent par le tuer quand ils se divisèrent. Robespierre n’avait la haute main ni sur l’armée, ni sur la police, ni sur le Trésor, pas même sur le Comité. S’il fut un dictateur, quel genre de dictateur était-il donc ? Le Comité de salut public lui-même n’avaient pas tous les pouvoirs pour la simple raison qu’il n’était pas le seul Comité et qu’il était, comme tous les comités, responsable devant la Convention qui pouvait s’opposer à ses décisions voire le casser, même si, pendant un an, elle reconduisit ses membres tous les mois.
3) Il n’y avait pas de partis politiques (au sens moderne du terme) à cette époque. Chacun se faisait gloire d’être libre de ses opinions (1). Les Jacobins et les clubs en général étaient avant tout des lieux de discussion. Ils réunissaient des individus opposés à certaines choses mais sans doctrine quant au reste, d’où leurs divisions internes. Ils étaient organisés pour fonctionner mais leurs membres étaient égaux, il n’y avait pas de hiérarchie entre eux. Tous pouvaient s’exprimer, et de la foule des orateurs émergeaient des leaders d’opinion qui n’étaient suivis et soutenus que dans la mesure où ils étaient convaincants. Il en était de même à la Convention et dans les Comités. Des tendances, des groupes se distinguaient mais les députés n’en étaient pas prisonniers et votaient, sur chaque sujet, selon leurs convictions. Nul ne pouvait être certain d’être toujours approuvé. Chaque débat était un combat pour rallier la majorité. Robespierre qui fut souvent suivi par la Convention, qui parvint même, en quelques occasions, à la retourner complètement par la seule force de ses arguments, ne fut pas toujours écouté, pas même par les Montagnards. Sa position n’était donc en rien celle d’un dictateur qui a le pouvoir et l’exerce sans consulter personne. Sa politique comme celle du Comité était moins l’expression de ses désirs qu’une adaptation aux besoins et aux pressions du moment.
4) La Révolution se déroula au XVIIIe siècle, à une époque où les moyens de circulation et de communication étaient encore rudimentaires. L’action sur le terrain, loin de Paris, dépendait essentiellement des hommes sur place. Le pouvoir ne pouvait donc agir qu’en dépêchant des hommes (agents divers, généraux, représentants en mission) qui, une fois livrés à eux-mêmes, étaient libres de faire et firent souvent ce qu’ils voulaient. En comparant leurs actes avec leurs ordres formels (ou l’esprit de ces ordres), il apparaît que les abus et les excès ne furent jamais ordonnés par la Convention ou le Comité, encore moins par Robespierre. Ils sont davantage imputables à des individus qu’à la Révolution. Il est vrai que cette limite technologique aurait moins pesé si le pouvoir avait été plus stable, plus structuré, plus strict et plus efficace, comme sous un Louis XIV ou un Napoléon. Mais c’est encore la preuve que le Comité de salut public n’avait pas un tel pouvoir, et que Robespierre en particulier, même en supposant qu’il ait été le maître du Comité, n’était pas plus un dictateur qu’il n’avait les moyens, ni la volonté d’ailleurs, d’en être un.
5) Les nations sont toujours en conflit, même en temps de paix apparente. La guerre secrète ne cesse jamais et est bien sûr plus intense en temps de guerre. Un aspect peu étudié de la Révolution, et surtout peu signalé, est l’influence des services secrets étrangers sur les événements durant cette période. Personne ne peut croire qu’ils cessèrent toute activité. Il est au contraire dans la logique des choses qu’ils en déployèrent une extraordinaire pour faire échec aux révolutionnaires et à la Révolution. Leurs efforts consistèrent fatalement à diviser, affaiblir, appauvrir, ruiner, désarmer, calomnier, discréditer, déshonorer, désinformer, désorganiser, troubler, apitoyer, assassiner, soudoyer, exciter, exagérer, minorer, décourager, etc.. Le propre des agents secrets actifs est soit d’agir dans l’ombre soit de s’agiter au grand jour. On ne peut que deviner leur présence en constatant les effets de leur action ou, au mieux, les prendre pour des traîtres, des tarés, des crapules ou des idiots ordinaires. En l’occurrence, toutes les difficultés de la Révolution, tous les crimes et les excès commis en son nom ne furent pas l’œuvre des services secrets étrangers ou de gens manipulés ou financés par eux, mais c’est cependant à bon droit que les révolutionnaires, et Robespierre en particulier, accusèrent l’Etranger ou du moins soupçonnèrent-ils sa main derrière chaque action ou opinion intrinsèquement contre-révolutionnaire, car, à défaut d’être responsable de tous, tous faisaient son jeu. Le « complot de l’Etranger » qu’ils invoquèrent souvent n’avait peut-être pas l’unité qu’ils imaginaient ; les manœuvres étrangères n’en étaient pas moins réelles et redoutables. Si l’accusation de connivence avec l’Etranger fut rarement prouvée (chose toujours difficile à faire), elle fut souvent justifiée d’un point de vue dialectique et importait d’ailleurs moins que les faits reprochés. Bref, s’il est impossible de mesurer l’impact (concret et psychologique) de l’activité des services étrangers sur la Révolution, elle existât fatalement et fût assurément négative pour l’image de la Révolution et des révolutionnaires auxquels il est donc injuste d’attribuer certains faits et de reprocher certaines erreurs.
6) Robespierre était un homme sensible, réfléchi, honnête et ferme, mais modéré. Le peindre comme un être sanguinaire rend incompréhensible ses positions et oblige à expliquer les faits de manière invraisemblable voire à les dénaturer pour corroborer la légende. La meilleure preuve n’est-elle pas que le 9 thermidor fut l’œuvre des hommes de sang et de rapines ? Tous les hommes violents et corrompus le haïssaient. Tous les opprimés se tournaient vers lui. Il avait dit, aux Girondins, le 5 novembre 1792 : « Vous saurez un jour quel prix vous devez attacher à la modération de l’ennemi que vous vouliez perdre. » Or c’est bien lui qui sauva d’une mort certaine les « 73 » députés qui protestèrent contre l’expulsion des Girondins. Des dizaines de faits attestent sa modération dans tous les domaines. Mais Robespierre n’était pas seul. Il avait des collègues, des ennemis ; il y avait la Convention, des factions ; il y avait aussi le peuple. S’il fut un personnage central de la Révolution, tout ce qui se fit en l’an II, en particulier les excès (à ne pas confondre avec les rigueurs nécessaires), ne peut honnêtement lui être imputé.
7) Tous les protagonistes de la période révolutionnaire, incarnant chacun des systèmes différents voire opposés, dans tous les cas inconciliables, se livraient une guère à mort. Les chefs en particulier ne devaient attendre aucune pitié de la part de leurs adversaires. Il y eut quelques violences avant 1792 (du peuple sur les nobles ou des bourgeois sur le peuple). Mais c’est une fois de plus la guerre voulue par la Cour et les Girondins qui, dès 1792, bien avant 1793, déchaîna les passions et plongea la Révolution dans un cycle infernal. Les victimes ne méritent pas plus de larmes que leurs vainqueurs ne méritent d’invectives. C’était la guerre. Vaincre ou mourir était la règle du jeu. Tous la connaissaient ; tous l’appliquèrent bon gré malgré quand ils eurent la force pour eux. Ce mot de Hérault de Séchelles qui ne passait pas précisément pour un sauvage et qui paya même de sa tête le fait d’avoir été soupçonné de livrer à l’ennemi les secrets du Comité illustre bien cet état d’esprit : « Il faut sans rémission évacuer, renfermer tout individu suspect. La liberté ne compose pas. Nous pourrons être humains quand nous serons assurés d’être vainqueurs. » (Lettre à Carrier, représentant dans la Seine-Inférieure, 29 septembre 1793)
Deux mois après l’expulsion des Girondins de la Convention, Robespierre fut élu membre du Comité de salut public (27 juillet). Etant donné son passé et son renom, il devint aussitôt l’incarnation du Comité aux yeux du grand public et des étrangers. Il lui apporta son énergie, sa détermination, son prestige. Son objectif : à l’extérieur, la paix dans la victoire ; à l’intérieur, paix civile et justice sociale. Mais, pour avoir la paix, il fallait frapper juste, fort et vite, non se coucher (comme Danton) ; il fallait stabiliser le pouvoir pour qu’il puisse agir avec la vigueur requise, donc asseoir l’autorité du Comité, défendre son existence, son action et ses membres ; il fallait éviter de multiplier les ennemis de la République, la faire aimer du peuple, la mettre dans tous les domaines en état de vaincre, étouffer les voix divergentes et écraser les ennemis irréductibles.
La victoire n’était pas seulement au bout du fusil ; elle était un tout. Robespierre s’intéressait donc à tout, comme le montrent les notes dans ses carnets, quoiqu’il s’occupa essentiellement de politique générale. Nous ne pouvons ici rapporter ni même évoquer toutes les affaires dans lesquelles il intervînt. Nous ne retiendrons que les six plus importants sujets, objets de polémiques : la déchristianisation, la Terreur, l’idéal de la Révolution, les factions, l’Etre suprême et la loi du 22 prairial.
La déchristianisation.
L’assassinat de Marat avait fait de lui un martyr et donné lieu à des processions populaires en sa mémoire, mouvement que l’on appela culte des martyrs. Les révolutionnaires avaient leur trinité : Le Pelletier de Saint-Fargeau (ami de Robespierre, assassiné à Paris le 20 janvier), Chalier (maire de Lyon, exécuté) et Marat. Ce « culte » païen, combiné au dépouillement des églises à des fins militaires ou financières, ouvrit la porte au culte « religieux » de la Raison. Initié, le 26 septembre, dans la Nièvre par Fouché qui était athée, ce nouveau culte se répandit commune une traînée de poudre, d’abord à Paris, grâce à Chaumette, procureur syndic de la Commune, puis dans tout le pays par le biais des représentants en mission. Mais, contrairement à Fouché et Chaumette, ceux que l’on appelle les déchristianisateurs n’étaient pas athées, pas même les plus virulents. Généralement, rousseauistes, ils étaient déistes pour la plupart. Ils croyaient en Dieu, sous quelque nom que ce soit, mais rejetaient les dogmes du catholicisme et l’emprise de l’Eglise. L’implication du clergé dans la contre-révolution décupla leur hostilité envers lui et ils résolurent de le balayer. Pour la plupart des adeptes, le culte de la Raison n’était donc que leur affirmation de la croyance en Dieu, en un Etre suprême, laquelle se passait de prêtres.
Ce mouvement eut un énorme succès auprès des Sans-culottes (ouvriers, petits patrons) et des bourgeois, notamment dans les villes. Les prêtres, les évêques abdiquaient en masse, qui volontairement, qui sous la contrainte, qui dans un but contre-révolutionnaires. Les scènes d’abdication se succédaient dans les clubs et à la Convention. Les églises étaient fermées d’autorité. C’est dans cette ambiance que, le 5 octobre, la Convention adopta le principe du calendrier républicain qui, remplaçant les semaines par des décades, supprimait au passage les dimanches. Robespierre était hostile à l’adoption de ce calendrier comme il était viscéralement hostile au culte de la Raison. Il se trompait quand il pensait que les adeptes de ce culte étaient athées, l’athéisme étant pour lui synonyme d’immoralité bourgeoise et aristocratique, mais il avait raison quand il craignait que, mal interprété comme il l’avait fait lui-même, ce culte ne soit du pain béni pour la propagande contre-révolutionnaire des autres pays européens, tous chrétiens, et ne dresse également les Français attachés au culte catholique contre la Révolution. En somme, il considérait ce mouvement comme contre-révolutionnaire et ses promoteurs comme des agents de l’Etranger.
Ses craintes, partagées par tous ses collègues du Comité, n’étaient que trop justifiées. Des centaines de mouvements quasi insurrectionnels agitèrent la France (cf. les lettres des représentants en mission). Le 21 novembre, alors que le flot semblait irrésistible, il jeta tout son prestige dans la balance. Ce fut un coup de tonnerre. Sa rhétorique imparable atterra ses détracteurs. Le discours qu’il prononça aux Jacobins à cette occasion, sous les applaudissements, contient tout ce qu’il dit par la suite sur le même sujet, mais surtout tout ce qui fonde la laïcité aujourd’hui, d’où l’importance de le citer longuement.
« Je ne vois plus qu’un seul moyen de réveiller parmi nous le fanatisme, c’est d’affecter de croire à sa puissance. Le fanatisme est un animal féroce et capricieux ; il fuyait devant la raison : poursuivez-le avec de grands cris, il retournera sur ses pas. […] Que des citoyens, animés par un zèle pur, viennent déposer sur l’autel de la patrie, les monumens inutiles et pompeux de la superstition pour les faire servir à son triomphe, la patrie et la raison sourient à ces offrandes. Que d’autres renoncent à telles ou telles cérémonies et adoptent sur toutes ces choses l’opinion qui leur paraît la plus conforme à la vérité, la raison et la philosophie peuvent applaudir à leur conduite. Mais de quel droit l’aristocratie et l’hypocrisie viendraient-elles ici mêler leur influence à celle du civisme et de la vertu ? De quel droit des hommes inconnus jusqu’ici dans la carrière de la Révolution, viendraient-ils chercher, au milieu de tous ces événemens, les moyens d’usurper une fausse popularité, d’entraîner les patriotes même à de fausses mesures, et de jeter parmi nous le trouble et la discorde ? De quel droit viendraient-ils troubler la liberté des cultes, au nom de la liberté, et attaquer le fanatisme par un fanatisme nouveau ? De quel droit feraient-ils dégénérer les hommages solennels rendus à la vérité pure, en des farces éternelles et ridicules ? Pourquoi permettrait-on de se jouer ainsi de la dignité du peuple, et d’attacher les grelots de la folie au sceptre même de la philosophie.
« On a supposé qu’en accueillant des offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n’a point fait cette démarche téméraire. La Convention ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes qu’elle a proclamée et de réprimer en même-temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l’ordre public ; elle ne permettra pas qu’on persécute les ministres paisibles du culte, et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu’ils oseront se prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens et pour armer les préjugés ou le royalisme contre la République. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ! ils la diront plus longtemps si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe.
« Il est des hommes qui veulent aller plus loin ; qui, sous le prétexte de détruire la superstition, veulent faire une sorte de religion de l’athéisme lui-même. Tout philosophe, tout individu, peut adopter là-dessus l’opinion qui lui plaira. Quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé ; mais l’homme public, mais le législateur, serait cent fois plus insensé, qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l’abhorre. La Convention n’est point un faiseur de livres, un auteur de systêmes métaphysiques ; c’est un corps politique et populaire, chargé de faire respecter, non seulement les droits, mais le caractère du peuple français. Ce n’est point en vain qu’elle a proclamé la Déclaration des droits de l’homme en présence de l’Être suprême.
« On dira peut-être que je suis un esprit étroit, un homme à préjugés ; que sais-je, un fanatique. J’ai déjà dit que je ne parlais ni comme un individu, ni comme un philosophe systématique, mais comme un représentant du peuple. L’athéisme est aristocratique ; l’idée d’un grand être qui veille sur l’innocence opprimée, et qui punit le crime triomphant, est toute populaire. Le peuple, les malheureux m’applaudissent ; si je trouvais des censeurs, ce serait parmi les riches et parmi les coupables. J’ai été, dès le collège, un assez mauvais catholique ; je n’ai jamais été ni un ami froid, ni un défenseur infidèle de l’humanité. Je n’en suis que plus attaché aux idées morales et politiques que je viens de vous exposer. Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.
« Je parle dans une tribune où l’impudent Guadet osa me faire une crime d’avoir prononcé le mot de Providence [26 mars 1792]. Et dans quel tems ? Lorsque le cœur ulcéré de tous les crimes dont nous étions les témoins et les victimes ; lorsque, versant des larmes amères et impuissantes sur la misère du peuple éternellement trahi, éternellement opprimé, je cherchais à m’élever au-dessus de la tourbe impure des conspirateurs dont j’étais environné en invoquant contre eux la vengeance céleste, à défaut de la foudre populaire. Ce sentiment est gravé dans tous les cœurs sensibles et purs ; il anima dans tous les temps les plus magnanimes défenseurs de la liberté. Aussi long-temps qu’il existera des tyrans, il sera une consolation douce au cœur des opprimés ; et si jamais la tyrannie pouvait renaître parmi nous, quelle est l’âme énergique et vertueuse qui n’appellerait point en secret, de son triomphe sacrilège, à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l’arrêt de mort de tous les tyrans. Il me semble du moins que le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l’Europe et de l’univers ; c’est celui du peuple français. Ce peuple n’est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses ; il ne l’est qu’au culte en lui-même, c’est-à-dire à l’idée d’une puissance incompréhensible, l’effroi du crime et le soutien de la vertu, à qui il se plaît à rendre des hommages qui sont autant d’anathèmes contre l’injustice et contre le crime triomphant. […]
« Ne voyez-vous pas le piège que nous tendent les ennemis de la République et les lâches émissaires des tyrans étrangers ? En présentant comme l’opinion générale, les travers de quelques individus et leur propre extravagance, ils voudraient nous rendre odieux à tous les peuples pour affermir les trônes chancelans des scélérats qui les oppriment. Quel est le tems qu’ils ont choisi pour ces machinations ? Celui où leurs armées combinées ont été vaincues ou repoussées par le génie républicain, celui où ils veulent étouffer les murmures des peuples fatigués ou indignés de leur tyrannie ; celui où ils pressent les nations neutres et alliées de la France de se déclarer contre nous. Les lâches ne veulent que réaliser toutes les calomnies grossières dont l’Europe entière reconnaissait l’impudence, et repousser de vous par les préjugés ou par les opinions religieuses, ceux que la morale et l’intérêt commun attiraient vers la cause sublime et sainte que nous défendons. Je le répète ; nous n’avons plus d’autre fanatisme à craindre que celui des hommes immoraux soudoyés par les cours étrangères pour éveiller le fanatisme et pour donner à notre Révolution le vernis de l’immoralité qui est le caractère de nos lâches et féroces ennemis. »
Le 5 décembre, au nom du Comité de salut public, Robespierre proposa à la Convention, qui l’adopta, une réponse au manifeste des rois ligués contre la République. En préambule, il revenait sur la machiavélisme de la déchristianisation et introduisait un nouveau thème, celui des factions, rivales et contraires en apparence, mais tendant de fait au même but : la ruine de la République.
« Toujours attentifs à renouer les fils de leurs trames funestes, à mesures qu’ils sont rompus par la main du patriotisme ; toujours habiles à tourner les armes de la liberté contre la liberté même, les émissaires des ennemis de la France travaillent aujourd’hui à renverser la République par républicanisme, et à rallumer la guerre civile par philosophie. Avec ce grand système de subversion et d’hypocrisie, coïncide merveilleusement un plan perfide de diffamation contre la Convention nationale et contre la nation elle-même. Tandis que la perfidie ou l’imprudence, tantôt énervait l’énergie des mesures révolutionnaires commandée par le salut de la patrie, tantôt les laissait sans exécution, tantôt les exagérait avec malice, ou les appliquait à contre-sens ; tandis qu’au milieu de ces embarras, les agens des puissances étrangères mettant en œuvre tous les mobiles, détournaient notre attention des véritables dangers et des besoins pressans de la République, pour la tourner toute entière vers les idées religieuses ; tandis qu’à une révolution politique ils cherchaient à substituer une révolution nouvelle, pour donner le change à la raison publique et à l’énergie du patriotisme ; tandis que les mêmes hommes attaquaient ouvertement tous les cultes, et encourageaient secrètement le fanatisme ; tandis qu’au même instant ils faisaient retentir la France entière de leurs déclamations insensées, et osaient abuser du nom de la Convention nationale pour justifier les extravagances réfléchies de l’aristocratie déguisée sous le manteau de la folie : les ennemis de la France marchandaient de nouveaux ports, vos généraux, vos armées ; rassuraient le fédéralisme épouvanté, intriguaient chez tous les peuples étrangers pour multiplier vos ennemis. Ils armaient contre vous les prêtres de toutes les nations ; ils opposaient l’empire des opinions religieuses à l’ascendant naturel de vos principes moraux et politiques ; et les manifestes de tous les gouvernemens nous dénonçaient à l’Univers comme un peuple de fous et d’athées. C’est à la Convention nationale d’intervenir entre le fanatisme qu’on réveille et le patriotisme qu’on veut égarer, et de rallier tous les citoyens aux principes de la liberté, de la raison et de la justice. Les législateurs qui aiment la patrie, et qui ont le courage de la sauver, ne doivent pas ressembler à des roseaux sans cesse agités par le souffle des factions étrangères. »
Le 8 décembre (18 frimaire), la Convention confirmait son décret sur la liberté des cultes. La déchristianisation violente était terminée, du moins à Paris.
La Terreur.
Eté 1793. La République faisait front de tous côtés. Au nord, les Anglais. Au nord-est, les Prussiens et les Autrichiens. A l’est, les Piémontais. Au sud-ouest, les Espagnols. A l’intérieur, les Vendéens ravageaient l’Ouest, les Toulonnais accueillaient les anglo-espagnols, les Marseillais menaçaient de faire de même, les Lyonnais défiaient la République. La trahison était partout à craindre. Partout des réticences, l’égoïsme et la corruption à comprimer. A Paris, les prix avaient augmenté, le peuple avait faim. Et avec cela, plus d’hommes que jamais sous les drapeaux (décret de levée en masse, le 23 août), autant de bras en moins dans les champs et les ateliers pour répondre aux besoins ordinaires et extraordinaires de la France.
Au matin du 5 septembre, la Convention adopta la réorganisation du tribunal révolutionnaire selon le projet de Merlin (de Douai), membre du Comité de législation. Son activité allait croître. Le même jour, à midi, les ouvriers parisiens qui, la veille, s’étaient rassemblés à la Commune, envahirent la Convention, brandissant des pancartes : « Guerre aux tyrans, guerre aux aristocrates, guerre aux accapareurs ». Robespierre présidait (un nouveau président était élu toutes les deux semaines) et laissa rapidement sa place à Thuriot. A la demande de Danton, une indemnité est votée pour que les sans-culottes puissent assister à la séance de leur section. La demande de Basire, appuyée par Léonard Bourdon et Billaud-Varenne (élu le lendemain au Comité de salut public), de définir le terme gens suspects et d’épurer les comités révolutionnaires est votée. Sur un rapport de Barère, fait au nom du Comité de salut public, la formation d’une armée révolutionnaire fut décrétée. Jeanbon Saint-André, lui aussi membre du Comité de salut public, réclama et obtint la possibilité d’effectuer des visites domiciliaires la nuit. Sans qu’elle ait été décrétée, la Terreur était désormais à l’ordre du jour. Robespierre n’y était pour rien. Tout au plus était-il d’accord avec les mesures adoptées (le 25 août, il avait parlé aux Jacobins de la nécessité de réorganiser le Tribunal révolutionnaire).
Les propositions décrétées furent convertis en décret les jours suivants. Le 9 septembre, la Convention votait l’organisation de l’armée révolutionnaire, suspendait la permanence des Sections (deux séances par semaine), et l’indemnisation des sectionnaires pauvres. Le 11, elle décrétait le maximum des prix. Le 17, elle votait la loi des suspects présentée par Merlin (de Douai). La définition des suspects était on ne peut plus large. Le 10 octobre, la Convention, sur le rapport de Saint-Just, membre du Comité de salut public, fait à la demande de la Convention elle-même (le 4 octobre), décréta que le gouvernement serait révolutionnaire jusqu’à la paix. Le 4 décembre (14 frimaire an II), l’organisation du gouvernement révolutionnaire était votée sur un rapport de Billaud-Varenne. (Notons qu’il fallut des mois pour le mettre en place partout, pour établir partout des autorités ayant la confiance du Comité, cœur du dispositif, et que, de ce fait, il ne fonctionna pleinement guère plus de quelques mois avant le 9 thermidor.) Toutes ces étapes montrent que les révolutionnaires agirent de manière empirique, pour répondre aux exigences des circonstances, et non par idéologie ni par plaisir.
Ce n’est que le 25 décembre (5 nivôse an II), trois mois après que la Terreur ait été instaurée de fait (une éternité en ce temps-là), que Robespierre la théorisa. Il n’en n’était pas l’instigateur. Il ne fut que la voix d’un régime légitime et humaniste aux abois. Son rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire fut acclamé, sanctionné par la Convention. Il suffit de le lire pour comprendre pourquoi.
« La théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi neuve que la révolution qui l'a amené. Il ne faut pas la chercher dans les livres des écrivains politiques, qui n'ont point prévu cette révolution, ni dans les lois des tyrans, qui, contens d'abuser de leur puissance, s'occupent peu d'en rechercher la légitimité ; aussi ce mot n'est-il pour l'aristocratie qu'un sujet de terreur ou un texte de calomnie ; pour les tyrans, qu'un scandale, pour bien des gens, qu'une énigme ; il faut l'expliquer à tous pour rallier au moins les bons citoyens aux principes de l'intérêt public.
« La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de la nation vers le but de son institution.
« Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder.
« La Révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ; la Constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible.
« Le gouvernement révolutionnaire a besoin d'une activité extraordinaire, précisément parce qu'il est en guerre. Il est soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses, parce que les circonstances où il se trouve sont orageuses et mobiles, et surtout parce qu'il est forcé de déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides, pour des dangers nouveaux et pressans.
« Le gouvernement constitutionnel s'occupe principalement de la liberté civile : et le gouvernement révolutionnaire, de la liberté publique. Sous le régime constitutionnel, il suffit presque de protéger les individus contre les abus de la puissance publique : sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre contre toutes les factions qui l'attaquent.
« Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort.
« Ces notions suffisent pour expliquer l’origine et la nature des lois que nous appelons révolutionnaires. Ceux qui les nomment arbitraires ou tyranniques sont des sophistes stupides ou pervers qui cherchent à confondre les contraires : ils veulent soumettre au même régime la paix et la guerre, la santé et la maladie, ou plutôt ils ne veulent que la résurrection de la tyrannie et la mort de la patrie. S'ils invoquent l'exécution littérale des adages constitutionnels, ce n'est que pour les violer impunément. Ce sont de lâches assassins qui, pour égorger sans péril la République au berceau, s'efforcent de la garrotter avec des maximes vagues dont ils savent bien se dégager eux-mêmes.
« Le vaisseau constitutionnel n'a point été construit pour rester toujours dans le chantier ; mais fallait-il le lancer à la mer au fort de la tempête, et sous l'influence de vents contraires ? C'est ce que voulaient les tyrans et les esclaves qui s'étaient opposés à sa construction ; mais le peuple français vous a ordonné d'attendre le retour au calme. Ses voeux unanimes, couvrant tout-à-coup les clameurs de l'aristocratie et du fédéralisme, vous ont commandé de le délivrer d'abord de tous ses ennemis.
« Il doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ; le modérantisme, qui est à la modération, ce que l’impuissance est à la chasteté, et l’excès qui ressemble à l’énergie, comme l’hydropisie à la santé. [...] S’il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressource qu’un cadavre. [...] Si donc on regardait comme criminels tous ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, on envelopperait dans une proscription commune, avec les mauvais citoyens, tous les amis naturels de la liberté, vos propres amis et tous les appuis de la république.
« En indiquant les devoirs du gouvernement révolutionnaire, nous avons marqué ses écueils. Plus son pouvoir est grand, plus son action est libre et rapide, plus il doit être dirigé par la bonne foi. Le jour où il tombera dans des mains impures ou perfides, la liberté sera perdue ; son nom deviendra le prétexte et l’excuse de la contre-révolution même ; son énergie sera celle d’un poison violent. [...] »
On chercherait en vain dans ce discours, comme dans les autres, une trace de folie. Tout est logique, justifié, raisonnable, à la hauteur des circonstances. L’homme qui fit ce rapport n’était pas altéré de sang. Moins d’une semaine plus tôt, le 20 décembre, c’est sur sa proposition et dans ses propres termes que la Convention avait décrété la création d’une commission chargée de rechercher et de faire libérer les patriotes arrêtés à tort : souci de justice sans tomber dans l’excès du modérantisme ou de l’indulgence. Mais le 24 décembre, Camille Desmoulins, son ami d’enfance et instrument de Danton, appela, dans son journal Le vieux Cordelier, à la création d’un comité de clémence. En dénaturant la proposition de Robespierre, en cherchant à substituer l’angélisme à la justice (révolutionnaire), Camille Desmoulins suscita la réaction de Billaud-Varenne qui, le 26, fit rapporter le décret, non sans que Robespierre le défendisse à nouveau, en vain cette fois. Cet épisode dit tout.
Robespierre affina encore sa théorie le 5 février (17 pluviôse an II). La violence — la violence d’Etat — est nécessaire quand l’Etat est en péril. Cette violence était du reste préférable à la violence populaire, telle qu’elle avait pu se déchaîner en septembre 1792. Mais, comme toute chose, elle recelait des pièges et des dangers à éviter autant que faire se pourrait.
« Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressans besoins de la patrie.
« On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté, ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; il a raison, comme despote : domptez par la terreur les ennemis de la liberté ; et vous aurez raison comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n’est-elle faite que pour protéger le crime ? [...]
« Jusqu’à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du peuple, barbarie ou rébellion ? Comme on est tendre pour les oppresseurs, et inexorables pour les opprimés ! Rien de plus naturel : quiconque ne hait point le crime, ne peut aimer la vertu. [...] Punir les oppresseurs de l’humanité, c’est clémence ; leur pardonner, c’est barbarie. [...] La rigueur des tyrans n’a pour principe que la rigueur : celle du gouvernement républicain part de la bienfaisance. Aussi, malheur à celui qui oserait diriger vers le peuple la terreur qui ne doit approcher que de ses ennemis ! Malheur à celui qui, confondant les erreurs inévitables du civisme avec les erreurs calculées de la perfidie, ou avec les attentats des conspirateurs, abandonne l’intrigant dangereux, pour poursuivre le citoyen paisible ! Périsse le scélérat qui ose abuser du nom sacré de la liberté, ou des armes redoutables qu’elle lui a confiées, pour porter le deuil ou la mort dans le cœur des patriotes ! Cet abus a existé, on ne peut en douter. Il a été exagéré, sans doute, par l’aristocratie : mais existât-il dans toute la république qu’un seul homme vertueux persécuté par les ennemis de la liberté, le devoir du gouvernement serait de la rechercher avec inquiétude, et de le venger avec éclat. [...] »
Pour Robespierre, il ne s’agissait pas là que de rhétorique. Telle fut bien la position qu’il adopta, qu’il essaya de faire prévaloir et qui fit de tous les extrémistes de la Terreur et de tous les pourris ses ennemis personnels. C’est eux, Fouché en tête, qui eurent sa peau.
L’idéal de la Révolution
Ce fameux rapport du 17 pluviôse sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République ne concernait pas seulement la Terreur, la République en guerre, il indiquait aussi l’idéal que la Révolution se proposait d’atteindre.
« Il faut prendre de loin ses précautions pour remettre les destinées de la liberté dans les mains de la vérité qui est éternelle, plus que dans celle des hommes qui passent, de manière que si le gouvernement oublie les intérêts du peuple, ou qu’il retombe entre les mains des hommes corrompus, selon le cours naturel des choses, la lumière des principes reconnus éclaire ses trahisons, et que toute faction nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du crime.
« Heureux le peuple qui peut arriver à ce point ! car, quelques nouveaux outrages qu’on lui prépare, quelles ressources ne présente pas un ordre des choses où la raison publique est la garantie de la liberté !
« Quel est le but où nous tendons ? la jouissance paisible de la liberté et de l’égalité ; le règne de cette justice éternelle, dont les lois ont été gravées, non sur le marbre ou sur la pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes, même dans celui de l’esclave qui les oublie, et du tyran qui les nie.
« Nous voulons substituer, dans notre pays, la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l’éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire, toutes les vertus et tous les miracles de la République, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.
« Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l’effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l’ornement de l’univers, et qu’en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir briller au moins l’aurore de la félicité universelle… Voilà notre ambition, voilà notre but.
« Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges ? Le seul gouvernement démocratique ou républicain : ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l’aristocratie n’est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n’est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière : un tel gouvernement n’a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.
« La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même.
« C’est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.
« Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la Révolution : tel est le but du système révolutionnaire que vous avez régularisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la République ; et le plan de votre administration doit être le résultat de l’esprit du gouvernement révolutionnaire, combiné avec les principes généraux de la démocratie. »
C’est finalement cet idéal, formulé par Robespierre, et, de manière générale, l’esprit égalitaire et démocratique de l’an II, dont Robespierre était là encore le champion, que tous les peuples et la postérité ont retenu comme étant l’idéal et l’esprit de la grande Révolution française, plus encore que les déclarations aristo-bourgeoises de 1789. C’est aussi la devise formulée par Robespierre que la République française fit sienne jusqu’à nos jours. Il n’y a pas de hasard.
L’an II fut sur tous les plans le moment fort de la Révolution, et Robespierre, le personnage le plus illustre du moment. Et ce n’est pas en raison du sang versé sous la Terreur que les bourgeois — qui en firent couler des torrents en d’autres temps — s’efforcèrent, par la suite, de noircir cette époque et Robespierre pour mettre en valeur 1789 et La Fayette mais parce que les idées qui furent alors développées étaient et sont encore une condamnation de leurs sophismes, de leur mesquinerie, de leur mépris pour le peuple, de leur lâcheté à l’heure du danger. Les idées d’un Robespierre sont encore révolutionnaires aujourd’hui à bien des égards, donc subversives et à étouffer pour ceux qui veulent que le peuple demeure nul. Pour étouffer ses idées, pour que personne ne s’y intéresse, il fallait salir, rendre exécrable ou faire oublier l’homme qui, deux jours avant d’être exécuté, déclarait encore du haut de la tribune de la Convention :
« Peuple, souviens-toi que si, dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom. Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise ; toi, souverain reconnu qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes et non de destinées.
« Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-même sur tes propres affaires, et que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique.
« Sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre la cause et la morale publique sera accablé d'avanies et proscrit par les fripons ; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d'avoir trahi seront accusés d'ambition ; que l'influence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie. Tel est l'empire des tyrans armés contre nous : telle est l'influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir.
« Ainsi donc, les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être appelés dictateurs. Souscrirons-nous à cette loi ? Non : défendons le peuple, au risque d'en être estimés ; qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu. »
Le lendemain, les brigands triomphaient. Robespierre, son frère, ses amis, ses partisans étaient conduits à l’échafaud. C’en était fait de la Révolution. L’aristocratie de Largent s’installait définitivement au pouvoir.
Les factions
Même d’accord sur un but, les hommes peuvent diverger sur la question des moyens. Ils divergent d’autant plus sur la question des moyens qu’ils ne sont d’accord qu’en apparence sur le but. Il était donc dans la nature des choses que, face au Comité de salut public, se dressent des hommes sincères ou hypocrites voulant faire plus que lui, d’autres voulant faire moins, tous pensant ou prétendant vouloir la Révolution et le bien de la République. Robespierre appela les premiers, ultra-révolutionnaires, les seconds, citra-révoltionnaires. L’Histoire connaît les premiers sous le nom de Cordeliers ou d’Hébertistes, les seconds, sous celui d’Indulgents ou de Dantonistes.
Au vrai, le premier courant ultra-révolutionnaire, antérieur à l’hébertisme, fut celui des Enragés, incarnés par Jacques Roux, un prêtre constitutionnel (celui-là même qui accompagna Louis XVI à l’échafaud), les jeunes Varlet, le harangueur de rue, et Leclerc d’Oze, lié aux Républicaines révolutionnaires. Le terme faction est trop fort les concernant ; ils n’avaient aucun lien entre eux. Contrairement à une idée reçue, leur idéal ne différait en rien de celui de Robespierre (cf. la déclaration des droits de Varlet), ils n’étaient pas plus avancés que lui. Ils étaient seulement plus impatients, plus turbulents, moins prudents, moins tacticiens, moins politiques ; en un mot, c’étaient des gauchistes. Plus proches du peuple que Robespierre de par leur origine et leur situation, ils étaient obsédés par la questions des subsistances et réclamaient à cor et à cris la punition des accapareurs et l’instauration du maximum. Ils n’avaient pas tort sur le fond, mais leur agitation incessante, depuis le début de 1793, avait d’abord gêné les Montagnards dans leur duel avec les Girondins, puis leur acharnement à critiquer la Constitution, la Convention et le Comité, à saper l’unité, obligea les Jacobins à les neutraliser. Des intimidations de la part des Jacobins et de la Convention suffirent pour que Leclerc et Varlet se fassent oublier. Jacques Roux, arrêté une première fois par sa section le 22 août (libéré le 27), une seconde fois par les Jacobins le 5 septembre, se poignarda le 12 janvier 1794 au milieu du tribunal de police correctionnelle qui venait de renvoyer son affaire au Tribunal révolutionnaire, pensant qu’il serait acquitté comme Marat (le 24 avril 1793). Ayant survécut à ses blessures, il se poignarda de nouveau, avec succès, un mois plus tard.
Robespierre intervint dans cette affaire, mais il ne fut au fond qu’un parmi les Jacobins qui tous, Marat en tête, réprouvaient les Enragés. Cependant, ces derniers avaient beau être impolitiques et insupportables, ils étaient honnêtes, sincères, désintéressés. Ceci explique sans doute pourquoi les révolutionnaires se contentèrent de les paralyser (comme ils voulaient d’ailleurs le faire initialement avec les Girondins). Mais c’est une tout autre espèce d’hommes qui leur succéda, des hommes plus éminents, plus ambitieux et plus dangereux, des hommes dont le plus connu fut Hébert, substitut du procureur syndic de la Commune et rédacteur du journal Le Père Duchesne, très apprécié des Sans-culottes.
Hébert qui n’avait pas été le moins farouche contre les Girondins et les Enragés ne semblait respirer que pour l’outrance. Ayant repris à son compte le programme des Enragés, plutôt axé sur les questions économiques, il y ajouta des mesures politiques radicales qu’il prônait tant dans son journal qu’aux Jacobins : proscription des nobles, des prêtres, Terreur et déchristianisation tous azimuts. Ce faisant, il attaquait le Comité de salut et ses membres qui, plus responsables, confrontés à la réalité des problèmes et à la difficulté de trouver des hommes compétents (parmi les bourgeois, les ex-prêtres et même les ex-nobles), ne voulaient ni ne pouvaient se permettre de tomber dans l’excès. Hébert marchait avec Chaumette, de la Commune, et était soutenu par Bouchotte, le ministre de la guerre qui diffusait son journal auprès des armées, par les chefs de l’armée révolutionnaire et, sur la fin, par les Cordeliers.
Mais une autre faction faisait pendant à celle-là, incarnée par Danton, homme plus que trouble, député de Paris, grand tribun, fondateur du club des Cordeliers, jacobin, partisan de tous les compromis et de la paix à tout prix. Il est avéré aujourd’hui qu’il avait été payé par la Cour, via Mirabeau, pour compromettre le mouvement révolutionnaire, et par l’Espagne, via Ocariz, pour sauver Louis XVI. En autres actes de corruption, il fut formellement accusé par le maréchal de camp Miaczynski d’avoir organisé avec Lacroix, à Liège et à Aix-la-Chapelle, deux fabriques de faux assignats, information que Miaczynski, condamné à mort le 17 mai, confia à des commissaires de la Convention le 18 mai avant d’être exécuté le 22. Danton couvrait ses manœuvres et ses échecs par de grandes déclarations. De fait, il soutint la création de toutes les institutions révolutionnaires et même l’instauration de la Terreur. Mais ses collègues n’étaient pas dupes. Certains se défiaient de son caractère, voire soupçonnaient ses trahisons ; d’autres, au contraire, partageaient ses vues et formaient avec lui la faction des Indulgents.
Ces deux factions rivales — aux contours mal définis, certains hommes pouvant même être classés dans les deux à la fois, suivant le sujet — attaquaient le Comité pour des raisons opposées et se dénonçaient mutuellement. Le Comité pouvait donc s’appuyer tantôt sur l’une pour contrer l’autre, tantôt sur l’autre pour contrer la première. Mais les attaques dont il était en permanence l’objet contrariaient son action et menaçaient jusqu’à son existence. En outre, elles divisaient les révolutionnaires à un moment où l’union était plus que jamais nécessaire. C’est d’abord à la raison et à la réconciliation qu’en appela Robespierre, en son nom et au nom du Comité, en présentant les dangers de telles attitudes. Sa première intervention, le 25 septembre, faisait suite à une attaque de la droite, motivée par les difficultés militaires :
« On nous accuse de ne rien faire, mais a-t-on donc réfléchi à notre position ? Onze armées à diriger, le poids de l’Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l’or des puissances étrangères à déjouer, des administrateurs infidèles à surveiller, à poursuivre, partout à aplanir des obstacles et des entraves à l’exécution des plus sages mesures ; tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider, eux qui se trouvent presque tous dans une caste puissante autrefois par ses richesses et encore par ses intrigues : telles sont nos fonctions. Croyez-vous que, sans unité d’action, sans le secret dans les opérations, sans la certitude de trouver un appui dans la Convention, le gouvernement puisse triompher de tant d’obstacles et de tant d’ennemis ? Non, il n’y a que la plus extrême ignorance ou la plus profonde perversité qui puissent prétendre que dans de pareilles circonstances, on ne soit pas un ennemi de la patrie, alors qu’on se fait un jeu cruel d’avilir ceux qui tiennent le timon des affaires, d’entraver leurs opérations, de calomnier leur conduite. »
Dans cette discussion, Billaud, Barère, Prieur (de la Marne) et Jeanbon Saint-André, tous membres du Comité, étaient aussi intervenus, mais c’est lui, Robespierre, qui obtint que la Convention unanime accorde toute sa confiance au Comité. Un mot fort applaudi de Basire illustre tout le prestige dont il jouissait : « Où en serions-nous donc si Robespierre avait besoin de se justifier devant la Montagne ? »
Le Comité ayant obtenu la confiance sans équivoque de la Convention, les factions ne purent plus l’attaquer frontalement et furent réduites à se déchirer entre elles, notamment aux Jacobins. Leur querelle s’intensifia fin novembre avec le retour de Danton, le 18 novembre. Objets d’attaques en raison de son comportement louche, il s’était retiré à Arcis-sur-Aube le 12 octobre. L’arrestation de son ami Chabot l’avait décidé à quitter sa retraite et à plaider désormais ouvertement l’indulgence (avec comme arrière pensée de renverser les Comités, de conclure une paix de compromis, de réviser la Constitution et de mâter les Sans-culottes, dixit Garat), à la grande fureur des hébertistes. Il entama sa campagne aux Jacobins, le 22 novembre, en s’opposant comme Robespierre, par tactique, à la déchristianisation mais aussi à la Terreur, en demandant « l’économie du sang des hommes ». (A cette époque, la Terreur ne représentait presque rien. Il n’y avait eu à Paris que 152 exécutions depuis l’instauration du Tribunal révolutionnaire en avril, pour 252 acquittements et 69 condamnations à des peines diverses.)
Dès le 5 décembre, par sa réponse au manifeste des rois ligués contre la République, Robespierre mit en garde les uns et les autres (voir plus haut) qui tous avaient trempé dans la déchristianisation qui semblait alors le principal moyen de la contre-révoltion. En disant que ce mouvement était une manœuvre de l’étranger, mais en n’accusant personne, il permettait aux naïfs de se reprendre. Mais les hypocrites ou les irresponsables étaient prévenus.
Le 25 décembre, la situation avait changé. Le 15 décembre avait paru le n° 3 du Vieux Cordelier de Camille Desmoulins qui appelait à la clémence. Le 17, les Indulgents avaient réussi à faire décréter d’arrestation Vincent et Ronsin. Le 19, était découverte l’implication de Fabre d’Eglantine, ami de Danton, qui avait dénoncé Chabot, dans la falsification d’un décret, elle-même rattachée à un vaste complot. Le 20, des femmes de Lyon étaient venues pleurer à la Convention. Robespierre lui-même avait obtenu la formation d’une commission de justice. Le 21, Fabre qui n’avait pas encore été arrêté obtenait l’arrestation de Mazuel, lieutenant de Ronsin. L’indulgence avait le vent en poupe. Mais les Sections grondaient et les ultra-révolutionnaires furent regonflés par Collot-d’Herbois, membre du Comité de salut public, de retour de Lyon. Le 23, aux Jacobins, alors que les accusations fusaient, Robespierre appela à l’union. « Soyez-en persuadés, la tactique de nos ennemis, et elle est sûre, c’est de nous diviser, on veut que luttant corps à corps, nous nous déchirions de nos propres mains. » Le 24, paraissait le n° 4 du Vieux Cordelier qui appelait à la fin de la Terreur. C’est donc dans ce contexte tendu que, le 25 décembre, Robespierre fit son rapport sur les Principes du gouvernement révolutionnaire (voir plus haut) dans lequel il parla pour la première fois de faction à propos des uns et des autres. Sa position était sans ambiguïté : « S’il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressource qu’un cadavre. » Position théorique en vérité.
Robespierre avait été assez proche de Danton depuis le début de la Révolution et était plus proche encore de Desmoulins qui était un ami d’enfance ; il avait été le témoin à son mariage et était même le parrain de son fils. Ces considérations le portèrent à les ménager autant qu’il put, jusqu’à ce qu’il devint impossible de les défendre. Le 10 janvier, il lâchait Desmoulins tout en faisant rapporter la décision des Jacobins de l’exclure de leur sein.
« Tous les hommes de bonne foi doivent s’apercevoir que je ne défends pas Camille Desmoulins, mais que je m’oppose seulement à sa radiation isolée parce que je sais que l’intérêt public n’est pas qu’un individu se venge d’un autre, qu’une coterie triomphe d’une autre. Il faut que tous les intrigans sans exception soient dévoilés et mis à leur place. Je termine en demandant que la Société, regardant son arrêté comme non avenu, s’occupe de discuter l’intrigue générale en ne prenant pas des intrigans isolés pour l’objet de sa discussion, ou que l’on mette à l’ordre du jour les crimes du gouvernement britannique. »
Le 7 janvier, Robespierre avait proposé aux Jacobins de cesser leurs disputes et de s’intéresser au gouvernement anglais. Cette idée n’était pas stupide. Les Jacobins en sentirent l’utilité et une douzaine au moins de discours furent en effet prononcés par la suite sur ce sujet. C’est alors que Robespierre tomba malade une première fois. Lorsqu’il revint, quinze jours plus tard, le 5 février (17 pluviôse), il fit son rapport sur les principes de morale politique, dans lequel il fustigeait les factions qui, pour être moins actives, n’avaient pas disparu pour autant :
« Les ennemis intérieurs du peuple français se sont divisés en deux factions, comme en deux corps d’armée. Elles marchent sous des bannières de différentes couleurs et par des routes diverses : mais elles marchent au même but ; ce but est la désorganisation du gouvernement populaire, la ruine de la Convention, c’est-à-dire, le triomphe de la tyrannie. L’une de ces deux factions nous pousse à la faiblesse, l’autre aux excès. L’une veut changer la liberté en bacchante, l’autre en prostituée. [...]
« Le faux révolutionnaire est peut-être plus souvent encore en-deçà qu’au-delà de la Révolution : il est modéré, il est fou de patriotisme, selon les circonstances. On arrête dans les comités prussiens, anglais, autrichiens, moscovites même, ce qu’il pensera le lendemain. Il s’oppose aux mesures énergiques, et les exagère quand il n’a pu les empêcher : sévère pour l’innocence, mais indulgent pour le crime : accusant même les coupables qui ne sont point assez riches pour acheter son silence, ni assez importans pour mériter son zèle ; mais se gardant bien de jamais se compromettre au point de défendre la vertu calomniée : découvrant quelquefois des complots découverts, arrachant le masque à des traîtres démasqués et même décapités ; mais prônant les traîtres vivans et encore accrédités : toujours empressé à caresser l’opinion du moment, et non moins attentif à ne jamais l’éclairer, et sur-tout à ne jamais la heurter : toujours prêt à adopter les mesures hardies, pourvu qu’elles aient beaucoup d’inconvéniens : calomniant celles qui ne présentent que des avantages, ou bien y ajoutant tous les amendemens qui peuvent les rendre nuisibles : disant la vérité avec économie, et tout autant qu’il faut pour acquérir le droit de mentir impunément : distillant le bien goutte-à-goutte, et versant le mal par torrens : plein de feu pour les grandes résolutions qui ne signifient rien ; plus qu’indifférent pour celles qui peuvent honorer la cause du peuple et sauver la patrie : donnant beaucoup aux formes du patriotisme ; très-attaché, comme les dévots dont il se déclare l’ennemi, aux pratiques extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action. [...]
« Si tous les coeurs ne sont pas changés, combien de visages sont masqués ! combien de traîtres ne se mêlent de nos affaires que pour les ruiner ! Voulez-vous les mettre à l’épreuve, demandez-leur, au lieu de serment et de déclaration, des services réels ?Faut-il agir ? Ils pérorent. Faut-il délibérer ? Ils veulent commencer par agir. Les temps sont-ils paisibles ? Ils s’opposeront à tout changement utile. Sont-ils orageux ? Ils parleront de tout réformer, pour bouleverser tout. Voulez-vous contenir les séditieux ? Ils vous rappellent la clémence de César. Voulez-vous arracher les patriotes à la persécution ? Ils vous proposent pour modèle la fermeté de Brutus ; ils découvrent qu’un tel a été noble, lorsqu’il sert la république ; ils ne s’en souviennent plus dès qu’il la trahit. La paix est-elle utile ? Ils vous étalent les palmes de la victoire. La guerre est-elle nécessaire ? Ils vantent les douceurs de la paix. Faut-il défendre le territoire ? Ils veulent aller châtier les tyrans au-delà des monts et des mers. Faut-il reprendre nos forteresse ? Ils veulent prendre d’assaut les églises et escalader le ciel. Ils oublient les Autrichiens pour faire la guerre aux dévotes. Faut-il appuyer notre cause de la fidélité de nos alliés ? Ils déclameront contre tous les gouvernemens du monde, et vous proposeront de mettre en état d’accusation le grand Mogol lui-même. Le peuple va-t-il au Capitole rendre grâce de ses victoires ? ils entonnent des chants lugubres sur nos revers passés. S’agit-il d’en remporter de nouvelles ? Ils sèment, au milieu de nous, les haines, les divisions, les persécutions et le découragement. Faut-il réaliser la souveraineté du peuple et concentrer sa force par un gouvernement ferme et respecté ? Ils trouvent que les principes du gouvernement blessent la souveraineté du peuple. Faut-il réclamer les droits du peuple opprimé par le gouvernement ? Ils ne parlent que du respect pour les lois, et de l’obéissance due aux autorités constituées.
« Ils ont trouvé un expédient admirable pour seconder les efforts du gouvernement républicain : c’est de le désorganiser, de le dégrader complètement, de faire la guerre aux patriotes qui ont concouru à nos succès. Cherchez-vous les moyens d’approvisionner vos armées ? vous occupez-vous d’arracher à l’avarice et à la peur les subsistances qu’elles resserrent ? Ils gémissent patriotiquement sur la misère publique et annoncent la famine. Le désir de prévenir le mal est toujours pour eux un motif de l’augmenter. dans le Nord, on a tué les poules, et on nous a privé des œufs, sous le prétexte que les poules mangent du grain. Dans le Midi il a été question de détruire les mûriers et les orangers, sous le prétexte que la soie est un objet de luxe, et les oranges une superfluité. Vous ne pourriez jamais imaginer certains excès commis par des contre-révolutionnaires hypocrites, pour flétrir la cause de la Révolution. »
Six jours plus tard, Robespierre tombait de nouveau malade pour un mois, du 13 février au 12 mars. C’est dans cet intervalle que la crise atteignit son paroxysme. Le danger le plus pressant vint finalement des ultras, des Cordeliers, sous l’impulsion de Vincent, Ronsin (libérés le 2 février), Momoro, Hébert, Carrier (le bourreau de Nantes, dénoncé par Jullien de Paris et rappelé sur l’avis de Robespierre) qui profitèrent de l’absence de Robespierre pour l’insulter et s’agiter sous prétexte des subsistances. Le 4 mars, ils appelèrent à l’insurrection. Mais ils avaient commis l’erreur classique de prendre Robespierre pour le maître. Le Comité pouvait fonctionner sans lui et tous ses membres firent bloc. Collot-d’Herbois notamment leur fit face. La menace d’une insurrection se précisait (quoique les Sections ne suivaient manifestement pas le mouvement).
Le 13 mars, suite au rapport de Saint-Just sur les factions de l’étranger, la Convention chargea l’accusateur public d’arrêter et de poursuivre « ceux qui seront convaincus d’avoir, de quelque manière que ce soit, favorisé dans la République le plan de corruption des citoyens, de subversion des pouvoirs et de l’esprit public ; d’avoir excité des inquiétudes à dessein d’empêcher l’arrivage des denrées à Paris ; d’avoir donné asile aux émigrés ; ceux qui auront tenté d’ouvrir les prisons ; ceux qui auront introduit des armes dans Paris dans le dessein d’assassiner le peuple et la liberté ; ceux qui auront tenté d’ébranler ou d’altérer la forme du gouvernement républicain. »
Les Cordeliers étaient visés aussi bien que les Indulgents. Le soir même, sur ordre de Fouquier-Tinville, l’accusateur public, les meneurs Cordeliers furent arrêtés. Dans les jours qui suivirent, Robespierre insista pour que la portée politique de cette affaire soit mise en relief (ce que n’avait pas fait Vadier dans son rapport et qui en voulut à mort à Robespierre de cette critique qu’il rappela comme un crime le 9 thermidor) mais s’opposa, aux Jacobins, à ce que les arrestations se multiplient. (Il couvrit ainsi Pache, le maire de Paris, Hanriot, commandant de la garde nationale, Boulanger, général de l’armée révolutionnaire, mais il s’opposa aussi à l’arrestation en masse des signataires des pétitions contre-révolutionnaires dites des 8.000 et des 20.000.) Après trois jour de procès, les Cordeliers furent exécutés, le 24 mars (4 germinal an II).
Mais si le Comité était résolu à en finir avec certains excès et le danger de gauche, tout en satisfaisant les revendications populaires légitimes, il n’entendait pas être débordé par sa droite. Le 18 mars, les députés compromis dans l’affaire de la Compagnie des Indes (vaste complot visant à discréditer la Convention), Fabre, Chabot, Basire, Delaunay, tous dantonistes, étaient décrétés d’accusation. Le 20, les Indulgents passaient à l’offensive à leur tour et obtenaient l’arrestation de Héron, agent du Comité de sûreté générale. Mais Robespierre intervint et fit rapporter le décret. Le 21 mars, jour de l’ouverture du procès des Cordeliers, était enfin publié le tableau du maximum. Le 27, l’armée révolutionnaire était licenciée. Le 29, La Convention décrétait la suppression des commissaires aux accaparements institués par les Sections pour veiller à l’application du maximum. Le lendemain, harcelé depuis des jours par ses collègues des deux Comités qui auraient fini par se passer de son avis, Robespierre consentit à l’arrestation des Indulgents, Danton et Desmoulins compris. Il avait d’ailleurs rencontré Danton la veille et s’était convaincu qu’il n’y avait rien à espérer. Les Indulgents furent donc arrêtés dans la nuit du 30 au 31 mars sur ordre des Comités de salut public et de sûreté générale. Cet ordre d’arrestation est celui qui revêt le plus grand nombre de signatures (18), preuve de l’unanimité des membres des Comités sur cette affaire.
Une fois de plus, le Comité n’avait frappé que les chefs. Or, contrairement aux Cordeliers, les meneurs Indulgents étaient pour la plupart députés et avaient encore des amis à la Convention qui, poussée par Legendre, s’agita en apprenant leur arrestation. Robespierre et Barère intervinrent et ramenèrent le calme. Le procès des Indulgents, dont Fabre était le principal accusé, quoique l’histoire en ait fait le procès de Danton, s’ouvrit le 2 avril. Le 5 avril (16 germinal an II), ils étaient exécutés. Seuls Camille Desmoulins et Philippeaux furent réhabilités par la Convention thermidorienne (le 11 vendémiaire an III), preuve qu’ils furent frappés par la Convention unanime, qui considérait Danton et ses amis comme des pourris.
Les factions étaient abattues (une troisième « fournée » eut lieu le 24 germinal an II, réunissant les personnages secondaires des deux factions, Chaumette, Lucille Desmoulins, la veuve d’Hébert, etc.), mais tous les factieux n’étaient pas morts, tandis que les caractères conduisant aux idées factieuses, démagogiques, extrémistes et défaitistes, sont impérissables. L’opposition n’étaient donc mâtée que pour un temps.
Il ressort que Robespierre participa à la nécessaire lutte contre les factions mais ne fut pas le seul acteur. Cette lutte n’avait rien de personnel. Les factions sapaient l’autorité de la Convention, attaquaient à tord et à travers les Comités, divisaient les révolutionnaires et menaçaient consciemment ou non la République. Beaucoup le comprirent et les combattirent. Leur écrasement ne fut en rien une victoire de Robespierre qui, non seulement, n’en retira pas une once de pouvoir en plus, mais, dut bientôt renoncer à exercer le peu qu’il avait, étant en bute à l’hostilité de ses collègues (le Comité n’étant plus menacé de l’extérieur, ses membres se désunirent jusqu’à s’entretuer).
L’Etre suprême
Robespierre reconnaissait n’avoir jamais été un bon catholique (21 novembre 1793). Mais, à l’instar de la plupart de ses contemporains et des hommes de tous les temps, il croyait en Dieu, en une puissance supérieure, en un créateur, en ce que l’on appelait alors l’Etre suprême. Il pensait également que les hommes ont une âme immortelle. Pour autant, il était loin d’être un bigot. Il ne raisonnait jamais en religieux, toujours en politique ; il ne s’appuyait pas sur des présupposés métaphysiques ou des vérités révélées, mais sur la nature humaine et les rapports sociaux.
En fait, il n’évoqua ses convictions personnelles qu’une seule fois, le 26 mars 1792, aux Jacobins, lorsque le girondin Guadet lui reprocha d’avoir répété le mot Providence. « J’avoue, dit ce denier, que, ne voyant aucun sens à cette idée, je n’aurais jamais cru qu’un homme qui a travaillé avec tant de courage pendant trois ans pour tirer le peuple de l’esclavage du despotisme pût concourir à le remettre ensuite sous l’esclavage de la superstition. » Cette attaque était une manœuvre politique pour déstabiliser celui qui contrariait les Girondins depuis des mois. Mais ce coup bas provoqua une telle indignation dans l’assistance que la presse girondine n’osa le rapporter. Robespierre en effet ne s’était pas laissé démonter et avait épanché son cœur.
« Quand j’aurai terminé ma courte réponse, je suis sûr que M. Guadet se rendra lui-même à mon opinion. J’en atteste son patriotisme et sa gloire qui ne peuvent être fondés que sur les principes que je viens de proposer ; mais l’objection qu’il ma faite, tient trop à mon honneur, à mes sentiments et aux principes reconnus par tous les peuples du monde, et par les assemblées de tous les peuples et de tous les tems, pour que je ne croye pas mon honneur engagé à les soutenir de toutes mes forces.
« La première objection porte sur ce que j’aurais commis la faute d’induire les citoyens dans la superstition après avoir combattu le despotisme. La superstition, il est vrai, est un des appuis du despotisme, mais ce n’est point induire les citoyens dans la superstition que de prononcer le nom de la divinité, j’abhorre autant que personne toutes ces sectes impies qui ses sont répandues dans l’univers pour favoriser l’ambition, le fanatisme et toutes les passions, en se couvrant du pouvoir secret de l’éternel qui a créé la nature et l’humanité, mais je suis bien loin de la confondre avec ces imbéciles dont le despotisme s’est armé. Je soutiens, moi, ces éternels principes sur lesquels s’étaie la faiblesse humaine pour s’élancer à la vertu. Ce n’est point un vain langage dans ma bouche, pas plus que dans celle de tous les hommes illustres qui n’en avaient pas moins de morale pour croire à l’existence de dieu.
« Oui, invoquer le nom de la providence et émettre une idée de l’être éternel qui influe essentiellement sur les destins des nations, qui me paraît à moi veiller d’une manière toute particulière sur la révolution française, n’est point une idée trop hasardée, mais un sentiment de mon cœur, un sentiment qui m’est nécessaire ; comment ne me serait-il pas nécessaire à moi qui, livré dans l’assemblée constituante à toutes les passions, à toutes les viles intrigues, et environné de tant d’ennemis nombreux, me suis soutenu. Seul avec mon âme, comment aurais-je pu soutenir des travaux qui sont au-dessus de la force humaine, si je n’avais point élevé mon âme. Sans trop approfondir cette idée encourageante, ce sentiment divin m’a bien dédommagé de tous les avantages offerts à ceux qui voulaient trahir le peuple. [...]
« On a dit encore que j’avais fait une injure aux sociétés populaires. Ah ! certes, messieurs, je vous en atteste tous, s’il est un reproche auquel je sois inaccessible, c’est celui qui me prête des injures au peuple, et cette injure consiste en ce que j’ai cité aux sociétés, la providence et la divinité. Certes je l’avoue, le peuple français est bien pour quelque chose dans la révolution. J’avoue que tous ceux qui étaient au-dessus du peuple auraient volontiers renoncé pour cet avantage à toute idée de la divinité, mais est-ce faire injure au peuple, aux sociétés affiliées que de leur donner l’idée d’une divinité, qui, suivant mon sentiment, nous sert si heureusement. Oui, j’en demande pardon à tous ceux qui sont plus éclairés que moi, quand j’ai vu tant d’ennemis créés contre le peuple, tant d’hommes perfides employés pour renverser l’ouvrage du peuple, quand j’ai vu que le peuple lui-même ne pouvait agir, et qu’il était obligé de s’abandonner à des hommes perfides ; alors plus que jamais j’ai cru à la providence et je n’ai jamais pu insulter, ni le peuple, ni les sociétés populaires, en parlant comme je l’ai fait, des mesures qu’il faut prendre pour la guerre ou pour la paix ; ni dans le retour que j’ai fait sur ce qui s’est passé. »
Robespierre exprimait là le sentiment général. Seuls des hypocrites et des athées fanatiques pouvaient et peuvent encore voir un angle d’attaque dans ce sujet qu’il n’abordait d’ailleurs jamais. Oubliaient-ils que toute l’Europe était chrétienne, que, à la demande de l’abbé de la Borde, la Constituante avait proclamé les droits de l’homme et du citoyen « en présence et sous les auspices de l’Etre suprême » (26 août 1789) ? Robespierre n’y était pour rien. Peut-être peut-on, avec beaucoup d’imagination, accuser Robespierre d’avoir contraint la Convention montagnarde à faire de même pour sa Déclaration du 24 juin 1793. Mais dira-t-on que la Convention thermidorienne, composée à quelque chose près des mêmes hommes que précédemment, tremblait encore au souvenir de Robespierre quand elle proclama, elle aussi en présence de l’Etre suprême, sa déclaration des devoirs et des droits de l’homme et du citoyen (22 août 1795) ? Et était-ce par fantaisie que Napoléon rétablit l’Eglise ? Non ! les Français dans leur immense majorité et quelle que fut leur classe n’étaient pas athées et n’avaient pas besoin que Robespierre leur inculque la croyance en un Etre suprême. Ils furent au contraire heureux de trouver un Robespierre pour les défendre quand, en l’an II, une infime minorité les brima pour leurs convictions religieuses.
C’est d’ailleurs le mouvement déchristianisateur qui explique pourquoi la Convention fut progressivement amenée à proclamer, par la bouche de Robespierre, l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme.
La déchristianisation symbolisée par la fermeture des églises et le culte de la Raison ne fut pas un mouvement athée comme Robespierre le pensait et comme les contre-révolutionnaires le prétendirent. Mais la violence dans les faits et l’ambiguïté dans les termes suscitèrent la stupeur, l’incompréhension et le rejet, d’où le décret du 18 frimaire (8 décembre) sur la liberté des cultes pour y mettre officiellement un coup d’arrêt. C’est alors que l’importance d’un autre paramètre apparut : le changement de calendrier.
La déchristianisation avait désorganisé l’ancien culte sans rien lui substituer. Le jour de fête était désormais le décadi, mais rien, ni thème ni budget, n’avait été prévu. Partout les révolutionnaires organisaient des fêtes selon leur inspiration, mais le défaut d’unité au niveau national se faisait cruellement sentir. Dès le mois de décembre, le malaise était signalait. Les demandes pressant le Comité d’organiser les fêtes décadaires ne cessèrent dès lors d’affluer.
Ainsi, le 24 février, dans une lettre particulièrement significative, le représentant Paganel, alors à Villefranche, signala au Comité la rivalité des dimanches et des décadis. « Une mesure générale [pour abattre les obstacles au développement de la raison] doit à la fois les attaquer dans toute la République. C’est à vous de la proposer, et à la Convention de l’établir. Le peuple respecte et choisit toutes institutions qui viennent d’elle. [...] Il faut qu’un jour marqué par le plaisir et par des sensations extraordinaires lui [le peuple] fasse oublier plusieurs jours de peine et de travail, et que le retour prévu de ce jour l’empêche de craindre les nouvelles peines qui le précèdent. Le dimanche est triste par lui-même et sous le rapport religieux, mais il donne lieu à des rassemblements, à des entretiens, à quelques danses. Les regards sont accoutumés ces jour-là à une sorte de spectacle. L’ennuyeux sermon est suivi de chants et de cérémonies précieuses au peuple, bien que tristes, tandis qu’on ne mettra rien à la place. [...] Hâtez-vous donc, citoyens mes collègues, de procurer aux citoyens des campagnes une sorte de fête décadienne, qui les rassemble et leur fasse trouver, à la place de cérémonies lugubres, les amusements et les instructions qui conviennent à des hommes libres. »
En fait, le Comité d’instruction publique s’était saisi du dossier dès le mois de janvier. Les 2 et 10 janvier, sur la proposition de Mathieu (de l’Oise), il avait adopté le principe qu’« il y aura[it] des fêtes révolutionnaires qui perpétueront les événements les plus remarquables de la Révolution. » Le 27 février (9 ventôse), ledit Comité avait arrêté que le projet de fêtes nationales et décadaires présenté par Mathieu serait imprimé et distribué aux membres de la Convention. L’article 5 de ce projet qui en comptait 37 stipulait : « Ces fêtes, instituées sous les auspices de l’Être-suprême, auront pour objet de réunir tous les citoyens, de leur retracer les droits et les devoirs de l’homme en société, de leur faire chérir la nature et toutes les vertus sociales. » Le 11 germinal (31 mars), le Comité autorisa Mathieu à se concerter avec le Comité de salut public au sujet de ce plan. Le 6 avril (17 germinal), Couthon annonça à la Convention, à sa grande satisfaction, que le Comité de salut public présenterait d’ici peu « un projet de fête décadaire dédié à l’Eternel, dont les Hébertistes n’ont pas ôté au peuple l’idée consolante ». La simple annonce de ce projet de décret suscita partout l’enthousiasme. Le 6 mai, de Quillan (Aude), Chaudron-Roussau écrivit au Comité : « Le décret de la Convention sur la croyance d’un Etre suprême y a produit [à Carcassonne] un très bon effet. Les hébertistes avaient ici quelques disciples. L’un d’eux a été professeur des maximes d’athéisme. A l’avant-dernière décade, mes coopérateurs et moi l’avons accablé en lui répliquant, et il n’est point d’acte de bienfaisance qui eût excité dans le peuple autant de reconnaissance que cette réfutation publique d’une doctrine d’athée et l’assurance que nous n’avons pas manqué d’y joindre, que nos principes sur la croyance d’un Dieu étaient ceux de la Convention et du Comité de salut public. » Des fêtes expressément dédiées à l’Etre suprême avaient déjà eu lieu dans de nombreuses villes, sans parler des célébrations ordinaires dans les temples de la Raison qui n’étaient pas autre chose. Ainsi, Lejeune signala au Comité que, le 6 avril, à Dôle, il avait inauguré, au milieu de quatre à cinq mille citoyens en liesse, « le temple consacré à l’éternelle vérité, c’est-à-dire à l’Etre suprême ».
C’est après toutes ces péripéties et dans ce contexte que, le 18 floréal (7 mai), Robespierre fit à la Convention son fameux rapport sur les idées religieuses et morales, au terme duquel il proposait de reconnaître à la face du monde l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme et d’adopter un plan de fêtes décadaires qui reprenait en le simplifiant celui de Mathieu.
« Ne consultez que le bien de la patrie et les intérêts de l’humanité. Toute institution, toute doctrine qui console et qui élève les âmes, doit être accueillie ; rejettez toutes celles qui tendent à les dégrader et à les corrompre. Ranimez, exaltez tous les sentimens généreux et toutes les grandes idées morales qu’on a voulu éteindre ; rapprochez par le charme de l’amitié et par le lien de la vertu les hommes qu’on a voulu diviser. Qui donc t’a donné la mission d’annoncer au peuple que la Divinité n’existe pas, ô toi qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie ? Quel avantage trouves-tu à persuader l’homme qu’une force aveugle préside à ses destinées, et frappe au hasard le crime et la vertu ; que son âme n’est qu’un souffle léger qui s’éteint aux portes du tombeau ? [...] Je ne conçois pas du moins comment la nature aurait pu suggérer à l’homme des fictions plus utiles que toutes les réalités ; et si l’existence de Dieu, si l’immortalité de l’âme, n’étaient que des songes, elles seraient encore la plus belle de toutes les conceptions de l’esprit humain.
« Je n’ai pas besoin d’observer qu’il ne s’agit pas ici de faire le procès à aucune opinion philosophique en particulier, ni de contester que tel philosophe peut être vertueux, quelles que soient ses opinions, et même en dépit d’elles, par la force d’un naturel heureux ou d’une raison supérieure. Il s’agit de considérer seulement l’athéisme comme national, et lié à un système de conspiration contre la République. Eh ! que vous importe à vous, législateurs, les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquent les phénomènes de la nature ? Vous pouvez abandonner tous ces objets à leurs disputes éternelles : ce n’est ni comme métaphysiciens, ni comme théologiens, que vous devez les envisager. Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans la pratique, est la vérité.
« [...] Il résulte du même principe qu’on ne doit jamais attaquer un culte établi qu’avec prudence et avec une certaine délicatesse, de peur qu’un changement subit et violent ne paraisse une atteinte portée à la morale, et une dispense de la probité même. Au reste, celui qui peut remplacer la Divinité dans le système de la vie sociale est à mes yeux un prodige de génie ; celui qui, sans l’avoir remplacée, ne songe qu’à la bannir de l’esprit des hommes, me paraît un prodige de stupidité ou de perversité. [...] »
« Cette secte [les encyclopédistes], en matière politique, resta toujours au-dessous des droits du peuple : en matière de morale, elle alla beaucoup au-delà de la destruction des préjugés religieux. Ses coryphées déclamaient quelquefois contre le despotisme, et ils étaient pensionnés par les despotes ; ils faisaient tantôt des livres contre la Cour, et tantôt des dédicaces aux rois, des discours pour les courtisans, et des madrigaux pour les courtisanes ; ils étaient fiers dans leurs écrits, et rampans dans les anti-chambres. Cette secte propagea avec beaucoup de zèle l’opinion du matérialisme qui prévalut parmi les grands et parmi les beaux esprits. [...] Ils ont combattu la Révolution, dès le moment qu’ils ont craint qu’elle n’élevât le peuple au-dessus de toutes les vanités particulières [...] Tel artisan s’est montré habile dans la connaissance des droits de l’homme, quand tel faiseur de livres, presque républicain en 1788, défendait stupidement la cause des rois en 1793. [...]
« Fanatiques, n’espérez rien de nous. Rappeler les hommes au culte pur de l’Être suprême, c’est porter un coup mortel au fanatisme. Toutes les fictions disparaissent devant la Vérité et toutes les folies tombent devant la Raison. Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre d’elles-mêmes dans la religion universelle de la Nature. [...]
« Prêtres ambitieux, n’attendez donc pas que nous travaillions à rétablir votre empire ; une telle entreprise serait même au-dessus de notre puissance. Vous vous êtes tués vous-mêmes, et on ne revient pas plus à la vie morale qu’à l’existence physique. Et, d’ailleurs, qu’y a-t-il entre les prêtres et Dieu ? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres ! Il ne connaît rien de si ressemblant à l’athéisme que les religions qu’ils ont faites. A force de défigurer l’Être suprême, ils l’ont anéanti autant qu’il était en eux ; ils en ont fait tantôt un globe de feu, tantôt un bœuf, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi. Les prêtres ont créé Dieu à leur image : ils l’ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable. Ils l’ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendants de Clovis, pour régner sous son nom et se mettre à sa place. Ils l’ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l’ont appelé sur la terre que pour demander à leur profit des dîmes, des richesses, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. Le véritable prêtre de l’Être suprême, c’est la Nature ; son temple, l’univers ; son culte, la vertu ; ses fêtes, la joie d’un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la fraternité universelle, et pour lui présenter l’hommage des cœurs sensibles et purs. Prêtres, par quel titre avez-vous prouvé votre mission? Avez-vous été plus justes, plus modestes, plus amis de la vérité que les autres hommes ? Avez-vous chéri l’égalité, défendu les droits des peuples, abhorré le despotisme et abattu la tyrannie ? [...]
« Le patriote n'est autre chose qu'un homme probe et magnanime dans toute la force de ce terme. C'est peu d'anéantir les rois, il faut faire respecter à tous les peuples le caractère du peuple français. C'est en vain que nous porterions au bout de l'univers la renommée de nos armes, si toutes les passions déchirent impunément le sein de la patrie. Défions-nous de l'ivresse même des succès. Soyons terribles dans les revers, modestes dans nos triomphes, et fixons au milieu de nous la paix et le bonheur par la sagesse et par la morale. Voilà le véritable but de nos travaux ; voilà la tâche la plus héroïque et la plus difficile. Nous croyons concourir à ce but, en vous proposant le décret suivant.
Art. I. Le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre suprême, et l’immortalité de l’âme.
II. Il reconnaît que le culte digne de l’Etre suprême est la pratique des devoirs de l’homme.
III. Il met au premier rang de ces devoir de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autre tout le bien qu’on peut, et de n’être injuste envers personne.
VI. La République française célèbrera tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793.
VII. Elle célèbrera, aux jours des décadis, les fêtes dont l’énumération suit : A l’Etre suprême et à la Nature. Au Genre humain. Au Peuple français. Aux Bienfaiteurs de l’humanité. Aux Martyrs de la liberté. A la Liberté et à l’Egalité. A la République. A la Liberté du Monde. A l’amour de la Patrie. A la haine des Tyrans et des Traîtres. A la Vérité. A la Justice. A la Pudeur. A la Gloire et à l’Immortalité. A l’Amitié. A la Frugalité. Au Courage. A la Bonne foi. A l’Héroïsme. Au Désintéressement. Au Stoïcisme. A l’Amour. A la Foi conjugale. A l’Amour paternel. A la Tendresse maternelle. A la Piété filiale. A l’Enfance. A la Jeunesse. A l’Age viril. A la Vieillesse. Au Malheur. A l’Agriculture. A l’Industrie. A nos Ayeux. A la Postérité. Au Bonheur.
XI. La liberté des cultes est maintenue conformément au décret du 18 frimaire.
XII. Tout rassemblement aristocratique et contraire à l’ordre public sera réprimé.
XIII. En cas de troubles, dont un culte quelconque serait l’occasion ou le motif, ceux qui les exciteraient par des prédications fanatiques, ou par des insinuations contre-révolutionnaires ; ceux qui les provoqueraient par des violences injustes et gratuites seront également punis selon la rigueur des lois.
XV. Il sera célébré le 20 prairial prochain [8 juin] une fête nationale en l’honneur de l’Etre suprême. »
Accueilli avec enthousiasme par la Convention et la France entière, ce discours fut rapporté par de nombreux journaux, imprimé à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et traduit dans toutes les langues. La Convention croula sous les félicitations. C’était bien elle qui était félicitée, plus encore que Robespierre qui n’avait été que son organe. Celle-ci, néanmoins, le porta à sa présidence le 4 juin, afin qu’il préside la première des fêtes qu’il avait si brillamment concouru à faire instaurer.
On le voit, toutes les fêtes décadaires étaient placées sous les auspices de l’Etre suprême, mais une seule, la première, Lui était spécialement dédiée. Cet ordre ne tenait pas du hasard. Les révolutionnaires sentaient la nécessité de rassurer le peuple sur leurs intentions en matière religieuse et de couper court à la propagande contre-révolutionnaire les présentant comme des athées, et la Révolution, comme l’Antéchrist. En pratique, les fêtes majestueuses et populaires qui eurent lieu partout en France le 20 prairial ressemblèrent en tous points aux fêtes de la Raison tant sur le plan du cérémonial que des discours. Ce ne furent rien moins que de grandes « messes » patriotiques, comme l’avait été, à Paris, la fête de la fédération du 14 juillet 1790 — que nous célébrons officiellement aujourd’hui.
En fait, il n’y eut jamais à proprement parler de « culte de l’Etre suprême », expression qui sous-entend une sorte de fanatisme religieux et permet à certains de présenter Robespierre comme le pontife de ce culte, quand ils ne lui prêtent pas la volonté plus absurde encore d’avoir voulu faire de ce culte la dernière étape avant l’instauration d’un culte de la personnalité, de la sienne en l’occurrence. Il ne devait y avoir dans l’année qu’une fête en l’honneur de l’Etre suprême. Cette fête, comme toutes les autres, devait être organisée et dirigée par des membres des autorités constituées locales, donc selon leurs talents et leur sensibilité. Il n’y avait ni texte sacré ni liturgie ni clergé. Le décret du 18 floréal n’instaurait donc pas une nouvelle religion, encore moins un « culte » fanatique, mais plutôt une forme de laïcité.
Quant à Robespierre, il fournit lui-même la preuve de son peu de fanatisme lorsque, le 15 mai (26 floréal), aux Jacobins, il répondit au jeune Marc-Antoine Jullien, dit Jullien de Paris, qui, suite au décret du 18 floréal, proposait de chasser de la République tous les athées :
« Il est des vérités qu’il faut présenter avec ménagement, telle cette vérité professée par Rousseau, qu’il faut bannir de la République tous ceux qui ne croient pas à la divinité. Ce principe cité dans l’adresse ne doit pas être adopté, ce serait inspiré trop de frayeur à une grande multitude d’imbéciles ou d’hommes corrompus. Je ne suis pas d’avis qu’on les poursuive tous, mais seulement ceux qui conspirent contre la liberté. Je crois qu’il faut laisser cette vérité dans les écrits de Rousseau, et ne pas la mettre en pratique. »
Certains ont prétendu que Robespierre fut à l’apogée de son pouvoir le 20 prairial. En réalité, il n’eut pas le lendemain de la fête plus de pouvoir qu’il n’en avait la veille ou les mois précédents. De la popularité, oui, mais pas de pouvoir concret. En fait, c’est à ce moment-là que les membres du Comité donnèrent libre cours à leurs divergences politiques (notamment sur la conduite de la guerre, sur l’application des lois de ventôse et de la Terreur) et à leurs animosités personnelles et que Robespierre perdit toute influence sur eux. En outre, dès le 15 juin (27 prairial), le Comité de sûreté générale, par l’entremise de Vadier, athée indécrottable, s’acharna à le tourner en ridicule avec l’insignifiante affaire Catherine Théot, avant de s’attacher à le rendre odieux en répandant de fausses rumeurs. (Buonarroti, un intime de Robespierre, qui retrouva Vadier en Belgique après la restauration, dit de lui : « Haïr les Nobles et se moquer de la religion, voilà toute la politique de Vadier. ») Le 1er juillet, Robespierre avait tellement de pouvoir que, dégoûté par les petites et criminelles manœuvres, il cessait de participer au Comité et ne parut même plus à la Convention avant le 8 thermidor (26 juillet). Dans l’intervalle, on ne le vit que cinq fois aux Jacobins (les 1er, 11, 14, 16 et 24 juillet). C’est à eux qu’il confia son désarroi le 1er juillet et leur indiqua qu’elle allait être sa conduite.
Le 8 thermidor, après près de quatre semaines d’absence, il se présentait à la Convention armé d’un discours mémorable. L’impression en fut décrétée. Mais ses ennemis (Vadier, Cambon, Panis, Amar) qu’il venait de dénoncer à demi mots se jetèrent dans la bataille et firent rapporter le décret, sous prétexte de soumettre son discours à l’examen des Comités. Robespierre avait perdu la première manche et ne devait pas remporter la revanche. Le lendemain, parmi les accusations contradictoires (Billaud-Varenne lui reprocha d’avoir protégé Danton, et Garnier (de l’Aube), d’être étouffé par son sang.) dont l’accablèrent ses ennemis pour l’empêcher de parler, Vadier rappela l’affaire Catherine Théot et l’attitude de Robespierre qui avait imposé en toute illégalité à Fouquier-Tinville de l’enterrer. Personne cependant ne critiqua le décret du 18 floréal. Billaud-Varenne déclara même : « Il a accusé le gouvernement d’avoir fait disparaître tous les monuments consacrés à l’Etre suprême ; eh bien ! apprenez que c’est par Couthon… ». Quelle qu’ait été cette affaire, cette déclaration indique que le gouvernement adhérait pleinement au décret du 18 floréal. Jamais d’ailleurs la Convention ne l’abrogea.
Et, s’il fallait encore une preuve que Robespierre n’imposa pas l’Etre suprême à la Convention et à la France, mais exprima alors le sentiment général, il suffirait de citer cette lettre de Lambert, représentant dans la Côte-d’Or et la Haute-Marne, qui, le 8 août (21 thermidor), de Dijon, écrivit à la Convention : « Le supplice de Robespierre et de ses complices doit faire absoudre l’Etre suprême dans l’esprit de tous ceux qui jusqu’alors avaient douté de son existence. »
La loi du 22 prairial an II
La loi du 22 prairial (10 juin 1794) sur la réorganisation du Tribunal révolutionnaire que Robespierre demanda à Couthon de rédiger et de présenter à la Convention et qu’il soutint est pour beaucoup d’historiens un mystère et pour tous ses détracteurs son plus grand crime. Elle ouvrit, dit-on, la période de la Grande Terreur. Il est pourtant facile de comprendre la raison d’être de cette loi et les effets que Robespierre pouvait légitimement en attendre, quoi qu’il fut déçu par son application. Il est tout aussi facile de montrer que les polémiques ne sont soutenables que par des omissions coupables et des apparences trompeuses.
Cette loi avait pour but d’accélérer les procédures du Tribunal révolutionnaire. Elle prévoyait, outre la nomination, l’augmentation du nombre des juges et des jurés, la division du Tribunal en plusieurs sections (articles 1, 2 et 3), et, sauf cas particuliers (art. 14 et 15), la suppression tant de l’interrogatoire préalable des accusés (art. 12) que de la comparution de témoins (art. 13). Tout devait se faire en public. Le jugement, la mort ou l’acquittement (art. 7), reposait entièrement sur la conscience des jurés patriotes (art. 8 et 16). Les défenseurs étaient de fait supprimés (art. 16). Les motifs passibles du Tribunal révolutionnaire étaient précisés (art. 5 et 6), de sorte que ne puissent y être déférés des prévenus passibles des tribunaux ordinaires (art. 20). Enfin, ne pouvaient déférer des prévenus au Tribunal que la Convention, les Comités de salut public et de sûreté générale, les représentants en mission et l’accusateur public (art. 10 et 11).
Il est évident que cette loi faisait partie d’un ensemble. La considérer isolément oblige à dénaturer le caractère et les intentions de ses promoteurs pour l’expliquer, du moins pour expliquer les interprétations fantaisiste des dispositions de la loi elle-même. En vérité, la loi du 22 prairial ne fut pas l’œuvre du seul Robespierre qui aurait perdu les pédales ; elle ne fut pas imaginée dans la panique, après les tentatives d’assassinat dont il avait été l’objet (la dernière, le 23 mai, celle de Cécile Renault, semble du reste avoir été une affaire montée de toute pièce par le Comité de sûreté générale) ; elle n’allongeait pas la liste des crimes passibles du Tribunal révolutionnaire ; elle n’avait pas non plus pour but d’atteindre quelques députés terroristes ou corrompus ; elle n’ouvrit pas la période de la Grande Terreur qui n’est d’ailleurs qu’une illusion d’optique ; elle ne plongea pas la France dans l’horreur absolu ; les abus qui eurent cependant lieu par la suite ne furent pas des conséquences de cette loi mais des conséquences de sa violation et du non respect d’autres dispositions. La loi du 22 prairial était intimement liée aux lois et décrets des 8, 13 et 23 ventôse et du 27 germinal et, de manière générale, à l’état d’esprit des révolutionnaires.
Pour ne pas tomber dans les explications simplistes et mensongères et éviter les affirmations aussi fausses que gratuites, dont l’objet est généralement d’accabler Robespierre, et pour prouver ce qui vient d’être dit, il faut donc connaître la genèse de cette loi et l’histoire avant et après son adoption.
Dès le 29 octobre 1793, à l’occasion du procès des Girondins, Audouin, au nom des Jacobins, avait demandé à la Convention « 1° de débarrasser le tribunal révolutionnaire des formes qui étouffent la conscience et empêchent la conviction ; 2° d’ajouter une loi qui donne aux jurés la faculté de déclarer qu’ils sont assez instruits ». Osselin avait aussitôt transformé en motion une partie de la pétition et la Convention avait décrété que les débats au Tribunal cesseraient dès que les jurés seraient en état de prononcer. Lorsque la rédaction du décret définitif fut présentée, Robespierre intervint sur la question du délai :
« La rédaction qui vous est proposée, dit-il, ne vous conduit pas au but que vous voulez atteindre ; votre but est d’empêcher qu’on ne rende interminables les procès des conspirateurs. Vous voulez qu’une prompte justice soit rendue au peuple, tout en faisant jouir les accusés de l’établissement bienfaisant des jurés. La rédaction d’Osselin est trop vague, elle laisse les choses dans l’état où elles sont. En voici une qui concilie les intérêts des accusés avec le salut de la patrie. Je propose de décréter qu’après trois jours de débats, le président du tribunal demandera aux jurés si leur conscience est assez éclairée ; s’ils répondent négativement, l’instruction du procès sera continuée jusqu’à ce qu’ils déclarent qu’ils sont en état de prononcer ».
Appuyée par Barère, cette proposition complémentaire avait été aussitôt adoptée.
Le 27 novembre suivant (7 frimaire), les représentants à Commune-Affranchie (Lyon), dont Collot-d’Herbois, avaient arrêté la création de la Commission révolutionnaire, en « considérant que l’exercice de la justice n’a besoin d’autre forme que l’expression de la volonté du peuple ; que cette volonté énergiquement manifestée doit être la conscience des juges [...] ».
Le 9 février (21 pluviôse), le Comité (Robespierre, Billaud-Varenne, Jeanbon St-André et C.-A. Prieur) avait noté, dans un arrêté à propos de l’habitude prise par les jurés de motiver leur opinion : « Cette manière nouvelle d’influencer les opinions, incompatible avec la célérité et la pureté des jugements, peut substituer insensiblement le pouvoir de la parole ou de l’intrigue à celui de la raison et à la voix de la conscience, rappelle que les jurés doivent se contenter de donner leur déclaration purement et simplement, conformément aux principes et à la loi, sans se livrer à aucune discussion. »
Les 26 février (8 ventôse) et 3 mars 1794 (13 ventôse), avec les lois de ventôse adoptées sur le rapport de Saint-Just, les biens des condamnés devaient être distribués aux indigents, aux sans-culottes, « selon le tableau que le Comité de sûreté générale lui en aura présenté et qui sera rendu public », de sorte qu’ils profitent de la Révolution et y soient plus que jamais attachés. Il fallait donc juger rapidement les suspects et éventuellement les condamner. La Convention avait donc voté dans la foulée, 13 mars (23 ventôse), la création de six Commissions populaires qui, établies à Paris, seraient chargées de juger les détenus. En conséquence, la Convention vota, le 16 avril (27 germinal), les mesures de police générale présentées par Saint-Just, d’après lesquelles tous les prévenus de conspiration devaient être transférés à Paris. C’était suspendre de fait tous les tribunaux révolutionnaires de province et donner un travail énorme à celui de Paris. Le 22 avril (3 floréal), le Comité de salut public (Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne) arrêta : « Le décret du 27 germinal [16 avril] disposant que tous les prévenus de conspiration seront traduits, de tous les points de la République, au Tribunal révolutionnaire à Paris, et que des Commissions populaires seront établies pour le 15 floréal [4 mai], les opérations des Commissions révolutionnaires [de province] sont provisoirement suspendues. » On ne saurait dire plus clairement. (Pour être tout à fait exact, quelques tribunaux révolutionnaires furent maintenus ou rétablis en mai : celui d’Arras, jusqu’au 10 juillet, de Bordeaux, de Nîmes, de l’armée de la Moselle et, à l’Ouest, celui de Noirmoutier, de Laval-Vitré-Rennes et de l’armée de l’Ouest. La Commission d’Orange qui n’existait pas alors fut elle aussi établie en mai, le 10.)
Le 20 avril (1er floréal), la Convention, sur un rapport de Billaud-Varenne, décréta que les ennemis de la République seraient punis sans pitié. Le 8 mai (19 floréal), sur le rapport fait par Couthon au nom des Comités de salut public et de législation réunis, la Convention décréta encore que, en exécution de l’article premier de la loi du 27 germinal, tous les crimes contre-révolutionnaires, définis par les lois antérieures, seraient du ressort du Tribunal révolutionnaire de Paris, où qu’ils aient été commis dans la République.
Le 13 mai (24 floréal), conformément au décret du 23 ventôse (13 mars), les Comités de salut public et de sûreté générale réunis (Voulland, Billaud-Varenne, Robespierre, B. Barère, C.-A. Prieur, Couthon, Amar, Elie Lacoste, Louis (du Bas-Rhin), Dubarran, Jagot, Carnot et Vadier) arrêtèrent la création de la première Commission populaire chargée de juger les détenus, de trier d’un côté les patriotes incarcérés à libérer, d’un autre les suspects à déporter ou à envoyer au Tribunal. « Les membres de la Commission [...] ne perdront jamais de vue le salut de la patrie, qui leur est confié et qui doit être la règle suprême de leurs décisions. Ils vivront dans cet isolement salutaire qui concilie aux juges le respect et la confiance publique et qui est le plus sûr garant de l’intégrité des jugements. Ils repousseront toutes sollicitations et fuiront toutes les relations particulières qui peuvent influencer les consciences et affaiblir l’énergie des défenseurs de la liberté (Ecrit par Billaud-Varenne.) ». Une seconde Commission fut établie le lendemain. Chaque Commission populaire était composée de cinq membres. Trinchard, membre de la première Commission, et Laporte le jeune, membre de la seconde, étaient jurés au Tribunal révolutionnaire. Subleyras et Laviron, membres de la seconde Commission, furent nommés jurés le 22 prairial. Le 24 mai (5 prairial), le Comité (sans précision) arrêta que « le traitement des membres composant les deux Commissions populaires établies à Paris, sera le même que celui des juges du Tribunal révolutionnaire, et que les dépenses s’ordonnanceront de la même manière que pour ce tribunal ».
Par ailleurs, le Comité institua une Commission révolutionnaire à Orange le 10 mai (20 floréal). Avignon, Arles, Tarascon, Marseille, en un mot la Provence avait été le théâtre d’insurrections et de complots. Il était impossible de transférer à Paris les neuf à dix mille personnes qui attendaient leur jugement ni de faire déplacer le triple de témoins. Comme le tribunal révolutionnaire de Marseille n’existait plus en vertu de la loi du 27 germinal, le représentant Maignet avait réclamé l’établissement d’une Commission pour le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône. L’arrêté autorisant cette Commission était écrit par Robespierre et signée par Collot-d’Herbois, Robespierre, Barère, Billaud-Varenne, Couthon. Le 18 mai (29 floréal), le Comité (Carnot, Billaud et Couthon) rédigea une instruction pour cette Commission. « La preuve requise pour la condamnation sont tous les renseignements de quelque nature qu’ils soient, qui peuvent convaincre un homme raisonnable et ami de la liberté. La règle des jugements est la conscience des juges éclairés par l’amour de la justice et de la patrie. Leur but est le salut public et la ruine des ennemis de la patrie. Les membres de la commission auront sans cesse les yeux fixés sur ce grand intérêt ; ils lui sacrifieront toutes les considérations particulières. Ils vivront dans cet isolement salutaire, qui est le plus sûr garant de l’intégrité des juges et qui, par cela même, leur concilie la confiance et le respect. Ils repousseront toutes sollicitations dangereuses. » Cette instruction était manifestement inspirée par le fonctionnement des Commissions populaires et inspira à son tour les articles 8 et 16 du décret du 22 prairial. (Sur 591 prévenus, environ 300 furent condamnés à mort, une centaine, à de la réclusion ou à des amendes, et près de 200 furent acquittés.)
Le 22 mai (3 prairial), le Comité (Robespierre) donna aux Commissions populaires séantes au Muséum tous les moyens pour enquêter.
« Elles feront paraître devant elles les prévenus, lorsqu’elles le jugeront nécessaire. Elles pourront appeler des citoyens pour en prendre des renseignements, soit sur les faits, soit sur les individus. Cette faculté s’étendra jusqu’aux fonctionnaires publics, notamment les membres des Comités révolutionnaires ou de surveillance, et ce, de toutes les parties de la République, sauf à user de cette faculté avec la plus grande réserve. Les papiers que l’on saura exister dans tel endroit, et même dans les Comités de la Convention, pourront être demandés. Lorsque les Commissions découvriront dans l’examen d’une affaire de nouveaux coupables, elles auront le droit de lancer un mandat d’arrêt, en prévenant le Comité de salut public dans les vingt-quatre heures après l’arrestation. Elles auront le droit de mandat d’amener contre les citoyens non fonctionnaires publics qui, étant appelés pour donner des renseignements, ne se rendraient pas. »
Les Commissions commencèrent à produire des listes de personnes à libérer, déporter ou envoyer au Tribunal à partir du 7 juin (19 prairial). (En tout, elles dressèrent 124 listes : 97 de personnes à envoyer au Tribunal révolutionnaire, 15 de personnes à déporter et au moins 4, mais probablement 12, de personnes à libérer. Toutes les pièces relatives aux listes de libération ont disparu ou ont été détruites. Seuls subsistent deux messages des Commissions aux Comités qui en mentionnent 4 (3 + 1).)
Trois jour plus tard (un hasard ?), le 22 prairial (10 juin), Couthon présenta à la Convention la fameuse loi qui n’était finalement que la synthèse de dispositions antérieures. Comme quelques députés firent des objections, Robespierre intervint pour qu’elle soit discutée article par article, ce qui fut fait. Ruamps qui le premier s’était élevé contre cette loi et avait prétendu qu’il se brûlerait la cervelle si elle était adoptée n’en fit rien et avoua même, le 6 germinal an III, qu’à cette époque il conspirait déjà contre Robespierre. Les conspirateurs cherchaient alors à l’obliger à se défendre d’intentions qu’il n’avait pas pour que la Convention, à force d’entendre les mêmes accusations infondées, finisse par douter de lui et craindre pour elle-même. Il reste toujours quelque chose de la calomnie. Ainsi, le lendemain, en l’absence des membres du Comité, Bourdon (de l’Oise), appuyé par Bernard (de Saintes), réclama un décret additionnel pour assurer les députés qu’ils ne pourraient être poursuivis que par la Convention, comme si le Comité avait voulu changer les choses en la matière. Merlin (de Douai) intervint et la Convention, « considérant que le droit exclusif de la représentation nationale de décréter ses membres d’accusation et de les faire mettre au jugement est un droit indéniable », décréta qu’il n’y avait pas lieu à délibérer.
Mais, le lendemain, les membres du Comité protestèrent contre le considérant lui-même. Couthon estimant qu’il injuriait le Comité réclama son retrait, sous les applaudissements. Bourdon (de l’Oise) balbutia de plates excuses. Robespierre intervint. « Ce n’est pas par des rétractations éternelles et peut-être concertées ; ce n’est pas par des discours qui, sous les apparences de l’accord et du patriotisme, concourent toujours au système si souvent interrompu et si souvent repris de diviser la représentation nationale, que l’on peut justifier ces démarches. Ce qu’à dit Couthon est resté dans toute sa force, et il est bien démontré qu’il n’y avait pas lieu aux plaintes qui ont été faites. » Appuyé par Billaud-Varenne et Barère, le considérant fut rapporté. C’était la dernière « victoire » de Robespierre et sa dernière intervention à la Convention avant le 8 thermidor.
La loi du 22 prairial était désormais en vigueur. Pour autant, les listes des Commissions populaires ne furent pas transmises au Comité, pour approbation, ni au Tribunal révolutionnaire, pour application des sentences. Les quatre autres Commissions prévues n’étaient toujours pas établies. Les lois de ventôse en faveur des pauvres rencontraient une sourde obstruction tant au sein du Comité de salut public que du Comité de sûreté générale qui devait dresser le tableau des indigents. C’était là le fond de la querelle entre Robespierre et les membres des Comités.
A cela s’ajoutaient néanmoins les différends politiques, les rivalités de personnes et les questions d’autorité. Carnot, Lindet et Prieur (de la Côte d’Or) aspiraient à une politique bourgeoise. Carnot était en outre favorable à la guerre de conquête, tandis que Robespierre désirait mettre fin à la guerre une fois le territoire national libéré et la République à l’abri. Carnot s’était également heurté à Saint-Just et au frère de Robespierre sur des questions stratégiques. (Ce dernier avait proposé pour l’armée d’Italie un plan conçu par Bonaparte, que celui-ci appliqua avec succès en 1796 et que Carnot rejeta alors.) Moins claires sont les raisons de la rupture de Collot-d’Herbois (le compère de Fouché à Lyon) et de Billaud-Varenne avec Robespierre, et encore moins celles du louvoyant Barère (dont Robespierre admirait la puissance de travail mais n’appréciait pas les « carmagnoles », ses rapports pompeux sur les victoires françaises). Les membres éminents du Comité de sûreté générale, eux, ne supportaient plus l’ascendant du Comité de salut public et celui de Robespierre en particulier ; ils avaient en travers l’Etre suprême et ils n’acceptaient pas la création du Bureau de police générale au sein du Comité de salut public. (Ce Bureau, vu par le Comité de sûreté générale comme un concurrent, avait été créé par décret le 26 germinal pour surveiller les personnes publiques. Il fut d’abord dirigé par Saint-Just, puis, en son absence, par Robespierre ou Couthon. Ses arrêtés, environ 460 — concernant des arrestations, des transferts, des destitutions, des nominations, etc. —, devaient cependant recevoir l’aval du Comité et, de fait, tous les membres accordèrent des signatures. Seules six personnes arrêtées sur ses ordres furent exécutées.)
Pendant ce temps, le Tribunal révolutionnaire tournait à plein régime. Avec la loi du 27 germinal qui supprimait les tribunaux de province, le nombre d’exécutions avait logiquement triplé à Paris, par rapport aux décades précédentes ; mais il avait encore doublé depuis le 22 prairial. La simplification des procédures n’expliquait pas tout. Les prévenus étaient désormais envoyés par dizaines au Tribunal révolutionnaire et les « fournées » qui avaient été exceptionnelles avant étaient maintenant l’ordinaire. Cette pratique odieuse n’était pas prescrite par la loi du 22 prairial, mais l’opinion publique habilement manipulée ne pouvait que lui en attribuer la cause et, partant, en accuser Robespierre. Le summum fut atteint avec la fournée dite « des chemises rouges », le 17 juin (29 prairial). Le Comité de sûreté générale et Fouquier-Tinville étaient derrière la manœuvre.
Contre le premier, Robespierre ne pouvait rien dans l’immédiat. En revanche, il essaya de faire destituer Fouquier. Le 26 juin (8 messidor), Herman, robespierriste, ex-président du Tribunal révolutionnaire, commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, adressa ce mot à Desvieux, président du tribunal du 3ème arrondissement : « Je te crois bon patriote et éclairé ; je m’adresse à toi pour que, dans ta conscience républicaine, tu m’indiques un citoïen propre à remplir les fonctions d’accusateur public, que le Comité de Salut public m’a chargé de rechercher. Prompte réponse. Salut et fraternité. » Robespierre n’obtint pas satisfaction. Le 29 juin, il se heurta violemment à ses collègues du Comité qui le traitèrent de dictateur. A partir du 1er juillet, il ne parut plus au Comité. Il exposa les raisons de son retrait le soir même aux Jacobins :
« Quand le crime conspire dans l’ombre la ruine de la liberté, est-il pour des hommes libres, des moyens plus forts que la vérité et la publicité ? Irons-nous, comme les conspirateurs, concerter dans des repaires obscurs, les moyens de nous défendre contre leurs efforts perfides ? Irons-nous répandre l’or et semer la corruption ? En un mot, nous servirons-nous contre nos ennemis des mêmes armes qu’ils emploient pour nous combattre ? Non. Les armes de la liberté et de la tyrannie sont aussi différentes, que la liberté et la tyrannie sont opposées. Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis, il ne nous reste d’autre ressource que la vérité, et le tribunal de l’opinion publique, et d’autre appui que les gens de bien. »
L’absence de celui que la France et l’Europe voyaient, à tort, comme le chef de la Révolution et de la République finit par s’ébruiter et par inquiéter. D’autant plus que Robespierre dénonçait aux Jacobins ses ennemis, leurs manœuvres, leurs calomnies et les excès de la Terreur. Les membres des Comités sentirent la nécessité de se réconcilier avec lui. Pour gage de leur sincérité, ils ratifièrent enfin les listes dressées par les Commissions populaires. La première, cumulant 36 listes portant sur 150 détenus à envoyer au Tribunal révolutionnaire, fut ratifiée le 20 juillet (2 thermidor). Ils la lui firent porter chez lui. Il la signa à son tour. Ils en ratifièrent deux autres le lendemain. Une cumulait 66 petites listes et portait sur 313 détenus à envoyer au Tribunal révolutionnaire ; l’autre cumulait 14 listes portant sur 47 détenus à déporter. Le 22 juillet (4 thermidor), les Comités arrêtèrent la création des quatre dernières Commissions populaires. Le lendemain, Robespierre assistait à la séance des Comités. Mais il ne crut pas en leur bonne foi. Deux jours plus tard, il portait ses plaintes à la Convention et, deux jours après, sa tête à l’échafaud.
Ainsi, la loi du 22 prairial an II ne fut pas un caprice ou un délire de Robespierre. Elle n’avait pas été conçue à la hâte ; elle faisait partie d’un tout. De ce fait, il est possible que Couthon et Robespierre l’aient rédigée et présentée à la Convention sans en informer leurs collègues du Comité de salut public, mais rien dans cette loi n’était nouveau ni dans la forme ni dans l’esprit, rien ne pouvait les choquer eux qui, tous, un mois plus tôt, avaient cautionné l’établissement de la Commission d’Orange qui en était le modèle. En outre, les Commissions populaires dont l’établissement avait été décrété dans le cadre des lois de ventôse, qui devaient mâcher le travail du Tribunal révolutionnaire et qui commençaient à fonctionner permettaient d’accélérer les procédures dudit Tribunal. Quant au Comité de sûreté générale, si ses membres furent vexés de ne pas avoir été prévenus de la présentation de cette loi, ce n’est certes pas son contenu qui pouvait les émouvoir.
Deux documents prouvent jusqu’à l’évidence ces affirmations. Le 13 juillet, de Tulle, Roux-Fazillac, représentant dans la Corrèze et le Puy-de-Dôme, consulta le Comité pour savoir s’il devait envoyer au Tribunal révolutionnaire des accusés prévenus de complicité d’émigration, de conduite incivique ou de propos contre-révolutionnaires. « La marche du tribunal [local] se trouve barrée par le décret du 22 prairial, qui veut que les ennemis du peuple soient jugés par le Tribunal révolutionnaire et qui prohibe aux autorités constituées d’y envoyer ceux qui peuvent être dans cette classe, sans avoir obtenu l’autorisation des Comités de salut public et de sûreté générale. Je vous ai déjà demandé, citoyens collègues, si les commissions populaires, décrétées par la Convention, seraient mises en activité, et si le décret du 22 prairial y suppléait. » Le 23 juillet, le Comité (sans autre précision) lui répondit : « Les lois du 19 floréal [8 mai] et 22 prairial déterminent si précisément les crimes dont la connaissance est exclusivement attribuée au Tribunal révolutionnaire, qu’il n’est pas possible d’élever un doute sur ce point. C’est à lui qu’il appartient, suivant l’article 10 de cette dernière loi, d’y traduire ceux dont le crime est désigné comme attentatoire à la liberté du peuple et à la marche de la Révolution. Quant aux autorités constituées, l’article 11 exige qu’elles en préviennent les Comités de salut public et de sûreté générale, et qu’elles obtiennent leur autorisation. Nous nous reposons d’ailleurs sur ta sagacité et ton amour pour la chose publique. Jusqu’à ce que les Commissions populaires soient en pleine activité dans toute la République, il n’y a pas d’autre marche à suivre que celle qui est prescrite par les lois des 27 germinal [16 avril, sur les mesures de police générale], 19 floréal [8 mai, précision sur la loi du 27 germinal] et 22 prairial. »
Les détracteurs de Robespierre qui ne s’embarrassent guère de la logique, des faits et de preuves ont prétendu que cette loi élargissait à l’infini les crimes passibles du Tribunal révolutionnaire ce qui, selon eux, serait la cause de l’augmentation considérable des exécutions. Autrement dit, la loi du 22 prairial était plus vague que la loi précédemment en vigueur. Or la loi en vigueur était toujours celle du 17 septembre 1793 qui définissait ainsi les suspects :
« Sont réputés gens suspects : 1° ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme, et ennemis de la liberté ; 2° ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par la loi du 21 mars, de leurs moyens d’exister et de l’acquit de leurs devoirs civiques ; 3° ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; 4° les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou par ses commissaires et non réintégrés, notamment ceux qui ont été ou doivent être destitués en vertu de la loi du 14 août dernier ; 5° ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœur, et agents d’émigrés qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ; 6° ceux qui ont émigré dans l’intervalle du 1er juillet 1789 à la publication de la loi du 8 avril 1792, quoiqu’ils soient rentrés en France dans le délai fixé par cette loi, ou précédemment. »
La loi du 22 prairial définissait les suspects dans l’article 6 :
« Sont réputés ennemis du peuple ceux qui auront provoqué le rétablissement de la royauté, ou cherché à avilir ou à dissoudre la Convention nationale et le gouvernement révolutionnaire et républicain dont elle est le centre ; Ceux qui auront trahi la République dans le commandement des places et des armées, ou dans toute autre fonction militaire, entretenu des intelligences avec les ennemis de la République, travaillé à faire manquer les approvisionnements ou le service des armées ; Ceux qui auront cherché à empêcher les approvisionnements de Paris, ou à causer la disette dans la République ; Ceux qui auront secondé les projets des ennemis de la France, soit en favorisant la retraite et l’impunité des conspirateurs et de l’aristocratie, soit en persécutant et calomniant le patriotisme, soit en corrompant les mandataires du peuple, soit en abusant des principes de la révolution, des lois ou des mesures du gouvernement, par des applications fausses et perfides ; Ceux qui auront trompé le peuple ou les représentants du peuple, pour les induire à des démarches contraires aux intérêts de la liberté ; Ceux qui auront cherché à inspirer le découragement pour favoriser les entreprises des tyrans ligués contre la République ; Ceux qui auront répandu de fausses nouvelles pour diviser ou pour troubler le peuple ; Ceux qui auront cherché à égarer l’opinion et à empêcher l’instruction du peuple, à dépraver les mœurs et à corrompre la conscience publique, et altérer l’énergie et la pureté des principes révolutionnaires et républicains, ou en arrêter les progrès, soit par des écrits contre-révolutionnaires ou insidieux, soit par toute autre machination ; Les fournisseurs de mauvaise foi qui compromettent le salut de la République ; Ceux qui, étant chargés de fonctions publiques, en abusent pour servir les ennemis de la révolution, pour vexer les patriotes, pour opprimer le peuple ; Enfin, tous ceux qui sont désignés dans les lois précédentes relatives à la punition des conspirateurs et contre-révolutionnaires, et qui, par quelques moyens que ce soit et de quelques dehors qu’ils se couvrent, auront attenté à la liberté, à l’unité, à la sûreté de la République, ou travaillé à en empêcher l’affermissement. »
La longueur de cette définition atteste à elle seule la plus grande précision de la loi du 22 prairial an II comparée à celle du 17 septembre 1793. La liste des crimes passibles du Tribunal révolutionnaire, dictée par l’expérience, se voulait aussi exhaustive que possible. Elle était moins concise pour qu’il y ait moins d’abus. Qu’il y ait eu des abus ne signifie pas que la loi les ait provoqués et que Robespierre en ait été responsable, d’autant plus que nous savons qu’ils furent le fait de ses ennemis.
Les admirateurs de Robespierre, en revanche, ont prétendu que la loi du 22 prairial, dans l’esprit des robespierristes, ne devait servir qu’à atteindre une poignée de députés terroristes ou corrompus. Ils citent à l’appui la déclaration que fit Couthon aux Jacobins, le 6 thermidor : « la vertu et l’énergie de la Convention nationale peuvent écraser à volonté les cinq ou six petites figures humaines dont les mains sont pleines des richesses de la République et dégoûtantes du sang des innocents qu’ils ont immolés ». Cette déclaration ne prouve pas leur assertion, tandis que la connaissance de la Révolution montre qu’une loi pour saisir quelque députés était inutile (des députés avaient déjà été arrêtés et exécutés). Du reste, la loi avait à l’évidence une portée générale ; elle n’était pas faite pour viser cinq ou six personnes. En somme, cette thèse suppose que les robespierristes avaient mal calculé leur coup et furent inconséquents dans cette affaire, ce qui est à la fois insultant pour eux et tout aussi loin de la vérité que les thèses de leurs détracteurs.
On a reproché à cette loi, donc à Robespierre, de violer toutes les règles de la justice en supprimant les interrogatoires préalables, les témoins et les défenseurs. Mais, outre qu’il ne s’agissait pas là de justice ordinaire mais de justice révolutionnaire, que supprimait réellement cette loi comparé au fonctionnement antérieur du Tribunal ? Seulement des illusions entraînant des lourdeurs. Les interrogatoires préalables étaient inconsistants. Les témoins, quand il y en avait ne prouvaient rien. Quant aux défenseurs, il était de notoriété publique qu’ils escroquaient leurs clients. D’où l’article 16 : « La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés, des jurés patriotes ; elle n’en accorde point aux conspirateurs. » Tous les révolutionnaires étaient depuis longtemps dans cet état d’esprit. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les détenus devaient être jugés par les Commissions populaires qui, elles, avaient reçu de Robespierre lui-même les moyens d’enquêter, d’interroger prévenus et témoins.
Les détracteurs de Robespierre s’acharnent à prétendre que la loi du 22 prairial ouvrit le règne de la Grande Terreur et s’indignent de l’explosion du nombre des exécutions. Ils feignent d’oublier que la loi du 27 germinal avait supprimé les tribunaux révolutionnaires de province et que, de ce fait, la plupart des exécutions avaient lieu depuis à Paris, de sorte que la Terreur à Paris doit être rapportée à la France. Ainsi le nombre d’exécutions augmenta à Paris, non avec la loi du 22 prairial, mais dès la fin germinal (même s’il est vrai qu’il augmenta encore après le 22 prairial), parce qu’elles avaient quasiment cessé partout ailleurs. Au niveau national, le nombre d’exécutions ne se maintint pas, il chuta en raison de la difficulté d’envoyer à Paris tous les suspects. Ainsi, loin d’inaugurer une Grande Terreur, les lois des 27 germinal et 22 prairial an II mirent quasiment fin à la Terreur. Si le but des révolutionnaires, et de Robespierre en particulier, avait été de plonger la France dans la Terreur et les abus, ils auraient couvert la France de tribunaux. Ils firent l’inverse. Il y avait des tribunaux partout ; ils n’en laissèrent subsister qu’un, à Paris. Que peut en déduire le bon sens sur leurs intentions ? Auraient-ils procédé autrement s’ils avaient voulu réduire la Terreur, la contrôler et se donner les moyens de l’arrêter le moment venu ?
Si l’on veut néanmoins parler de Grande Terreur à Paris, l’honnêteté commande d’en dater le début au 27 germinal, et non au 22 prairial (On sait pourquoi seule cette deuxième date retient l’attention de certains.) et de signaler qu’environ 60 % des condamnés étaient des provinciaux, ce qui permet de relativiser la terreur qu’éprouvèrent les Parisiens.
On ne saurait cependant parler de la Terreur à Paris sans avancer de chiffres. La représentation du nombre des exécutions sous forme de graphique permet de distinguer 5 phases.
1) d’avril 1793 (le Tribunal révolutionnaire avait été institué le 10 mars 1793, mais les premières exécutions eurent lieu en avril) au 20 octobre = 20 décades.
- 93 exécutions (dont 74 provinciaux, soit 79,5 %), soit 4,65 / décade
- 210 libérations
- 50 peines autres que la mort
2) du 21 octobre 1793 au 20 février 1794 (2 ventôse an II) = 12 décades
- 271 exécutions (dont 134 provinciaux, soit 49,4 %), soit 22,58 / décade
- 299 libérations
- 99 peines autres que la mort
3) du 21 février au 10 avril (21 germinal an II) = 5 décades
- 198 exécutions (dont 115 provinciaux, soit 58 %), soit 39,6 / décade
- 105 libérations
- 18 peines autres que la mort
Total des trois premières périodes, d’avril 1793 au 10 avril 1794 = 37 décades :
- 562 exécutions (dont 323 provinciaux, soit 57,47 %), soit 15,2 / décade
- 614 libérations
- 167 peines autres que la mort
4) du 11 avril (22 germinal) au 10 juin (22 prairial an II) = 6 décades
- 713 exécutions (dont 432 provinciaux, soit 60,6 %), soit 118,8 / décade
- 296 libérations
- 62 peines autres que la mort
5) du 11 juin au 29 juillet (9 thermidor an II) = 5 décades
- 1364 exécutions (dont 809 provinciaux, soit 59,3 %), soit 272,8 / décade
- 308 libérations
- 29 peines autres que la mort
Total pour la Terreur à Paris, d’avril 1793 au 9 thermidor an II
- 2639 exécutions (dont 1564 provinciaux, soit 1075 Parisiens sur 600.000)
- 1218 libérations
- 258 autres peines que la mort
Ces chiffres, rigoureusement exacts, tirés des archives du Tribunal révolutionnaire, confirment que si Grande Terreur il y eut à Paris, elle commença avec la loi du 27 germinal, puisqu’il y eut dans les six décades qui suivirent plus d’exécutions que durant les 37 qui précédèrent. Ils montrent en outre que, contrairement aux impressions que laissent les récits des anciens suspects, les Parisiens n’eurent finalement pas grand chose à craindre de la Terreur qui fit moins de 0,2 % de victimes parmi eux, que cette période fut loin d’être pour eux la plus terrible de l’histoire. En 1871, par exemple, les Versaillais en fusillèrent sans jugement autour de 20.000 en une semaine. A l’échelle de la France, les historiens estiment à environ à 17.000 le nombre d’exécutions, et à 40.000 le nombre de victimes de la Terreur en comptant les exécutions sommaires et les décès en prison, soit 0,15 % d’une population qui comptait 26 millions d’âmes, ou encore l’équivalent d’une bataille napoléonienne. (N’entrent pas dans ces chiffres les morts de la guerre à l’Ouest.)
Les concerts d’indignation ont donc quelque chose d’exagéré et de partial. Malgré des abus certains, les révolutionnaires ne furent pas des sanguinaires. La République aux abois ne pouvaient pas être sauvée sans verser de sang, mais les chiffres montrent qu’ils n’en versèrent pas tant que cela. Même le Tribunal révolutionnaire de Paris, présenté comme un tribunal de sang, acquitta près d’un tiers des prévenus. Les acquittements furent moins nombreux après le 27 germinal et surtout après le 22 prairial, mais il y en eut quand même plus de 600. La proportion des condamnations fut logiquement plus élevée durant cette période puisque furent déférées au Tribunal et souvent envoyées de loin les personnes les plus notoirement contre-révolutionnaires.
Ceci explique sans doute pourquoi Robespierre ne s’éleva pas contre les exécutions, en définitive peu nombreuses, mais contre les arrestations abusives, c’est-à-dire la manière aveugle et criminelle de certains d’exercer la Terreur.
« Est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes, et porté la terreur dans toutes les conditions ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, oubliant les crimes de l’aristocratie et protégeant les traîtres, avons déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la révolution redoutable au peuple même ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes, fruit de l’obsession des traîtres, avons promené le glaive sur la plus grande partie de la Convention nationale, et qui demandions dans les sociétés populaires la tête de six cents représentants du peuple ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. » (8 thermidor)
Enfin, l’idée que la loi du 22 prairial instaura la Grande Terreur fait dire à certains que les députés tremblaient, comme s’ils avaient désormais une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Bouloiseau écrit à ce propos : « Tant de sièges vides hantaient les députés qui se demandaient quand viendrait leur tour ! ». Cette phrase semble vouloir dire que beaucoup de députés avaient été exécutés et que le restant craignait que Robespierre ne les élimine aussi grâce à la loi de prairial. Ceci n’a tout bonnement aucun sens.
Tout d’abord, Robespierre n’était pas plus maître des verdicts du Tribunal révolutionnaire qu’il n’était libre d’y envoyer qui il voulait. Il ne put même pas y traduire ses ennemis déclarés qui, pour la plupart, étaient des ordures notoires. (Après le 9 thermidor, Vadier déclara que « le comité de sûreté générale avait tout fait en faveur de Tallien, Fouché et autres, pour détourner l’effet des dénonciations portées contre eux, par la raison qu’ils étaient poursuivis par Robespierre. ») Il appartenait d’ailleurs toujours à la Convention d’y traduire ses membres.
Ensuite, que représentaient les places vides ? Aucun député ne fut arrêté durant la « Grande Terreur ». Osselin fut bien exécuté le 26 juin 1794 (et ce fut le seul député dans ce cas), mais il avait été arrêté en novembre 1793. Furent également exécutés les 19 et 25 juin, mais à Bordeaux, les Girondins fugitifs Guadet, Salle et Barbaroux (Buzot et Pétion s’étant suicidés). Manquaient donc les Girondins exécutés ou hors la loi, ceux incarcérés que Robespierre avait seul défendus, les Indulgents (qui, à l’exception de Desmoulins et Philippeaux, ne furent pas réhabilités par la Convention thermidorienne), quelques fripons condamnés par la Convention, et surtout les représentants en mission (plus d’une soixantaine) ou en congé ou décédés naturellement ou morts au combat ou assassinés. Excepté les amis de Danton, rares étaient donc les députés qui pouvaient voir dans les places vides des raisons de craindre pour eux-mêmes !
Quelques députés furent cependant effrayés à cette époque, non par cette loi, mais par les insinuations des ennemis de Robespierre et les fausses listes de proscription mises en circulation par Fouché. Encore ces manœuvres eurent-elles moins d’effet que prévu, puisque les comploteurs qui avaient si mauvaise réputation durent encore négocier dans la nuit du 8 au 9 thermidor le soutien de la Plaine pour la journée du lendemain, preuve que la Plaine participa moins au 9 thermidor par crainte que par intérêt politique. Pourquoi d’ailleurs, avec ou sans la loi du 22 prairial, les députés de la Plaine auraient-ils redouté Robespierre, lui qui professait un respect sans borne pour la Convention et avait pour ennemis personnels tous ceux qui la déshonoraient ? La loi du 22 prairial ne faisait qu’accélérer les procédures du Tribunal révolutionnaire ; l’important, pour un député, était donc de ne pas être décrété d’arrestation, ce qui ne pouvait se faire sans l’aval de la Convention. Or, de ce point de vue, la Plaine avait bien plus à craindre des ennemis de Robespierre qui avaient pour eux le nombre que de Robespierre lui-même qui n’avait que son prestige à opposer et qui était le plus en danger. Révolutionnaire éminent, il ne pouvait être atteint qu’après un long travail de sape auquel ses ennemis s’employèrent sans relâche durant des mois.
Finalement, Robespierre et ses amis furent les seuls députés exécutés selon la loi du 22 prairial qui fut abrogée le 14 thermidor an II (1er août) sur l’intervention de Lecointre (de Versailles).
La fin d’un « tyran »
« Le 9 thermidor, lasse de la dictature de Robespierre, de ses excès et de la Terreur, la Convention décrète Robespierre d’arrestation. » Telle est généralement la façon dont l’événement est présenté et expliqué dans le même temps. Robespierre fut arrêté et exécuté, logique, parce que c’était un tyran. L’affaire est entendue. Mais, comme dit un jour Cambacérès à Napoléon, « cela a été un procès jugé, mais non plaidé ». En effet, à y regarder de plus près, cette présentation n’est ni un résumé ni un raccourci mais une falsification des faits, un mensonge éhonté.
Cette explication suppose la pureté des intentions de la Convention, puisqu’elle renversa une tyrannie. Mais qui furent réellement les acteurs de l’événement ? qui étaient les ennemis de Robespierre ?
Au premier rang, Fouché, le futur ministre de la police de Napoléon, le suppôt de tous les régimes. Robespierre ne lui pardonnait pas les mitraillades de Lyon et l’oppression des patriotes lyonnais. Vadier, Amar, Jagot, Dubarran, les hommes du Comité de sûreté général, prêts à envoyer n’importe qui au Tribunal révolutionnaire pourvu que cela leur permette de nuire à Robespierre. Carnot, l’homme de la guerre de conquête, quand Robespierre voulait la paix dès que possible. Il était considéré par les Robespierristes comme leur plus grand ennemi. Tallien, outrancier et vénal de notoriété publique. Les compères de Marseille, Fréron, le futur leader de la Jeunesse dorée, méprisé de tous, et Barras, futur homme clé du régime le plus pourri que la France ait connu, à savoir le Directoire. Bernard (de Saintes), l’escroc, l’ennemi de Robespierre jeune qui distinguait l’erreur du crime et avait libéré ceux qu’il avait arrêtés dans le Jura. André Dumont, le tartuffe, futur proscripteur de ses collègues. Bourdon (de l’Oise), à propos du quel Robespierre avait écrit qu’il « s’est couvert de crimes en Vendée, où il s’est donné le plaisir, dans ses orgies avec le traître Tunck, de tuer des volontaires de sa main. Il joint la perfidie à la fureur… Cet homme se promène avec l’air d’un assassin qui médite un crime. Il semble poursuivi par l’image de l’échafaud et des Furies. » Les amis de Danton, aussi pourris que lui : Legendre, Guffroy, Courtois, Garnier (de l’Aube) qui tous persécuteront les Jacobins et les anciens membres des Comités. D’autres pourris tels que le ci-devant Rovère, coupable de concussion efferéne dans le Midi. Voilà quels étaient les ennemis personnels de Robespierre ; c’était la lie de la Convention.
Quant à la masse des députés de la Convention, la Plaine ou le Marais, c’est selon, elle était composée de bourgeois qui n’avaient soutenus la Montagne qu’en raison des circonstances, pour faire face au péril. Elle ne partageait pas l’idéal social, démocratique et égalitaire des Jacobins et de Robespierre dans lequel elle avait cependant trouvé un protecteur face à tous les furieux de caractère ou de posture. Elle était fondamentalement girondine, capitalo-libérale et accessoirement républicaine. Le Directoire lui convint, et l’Empire plus encore. Pour l’heure, elle était prise entre Robespierre et les Jacobins d’un côté, les terroristes et les pourris de l’autre. Arbitre de la situation, elle avait le choix entre soutenir les premiers et leur politique sociale contre les seconds qu’elle craignait et détestait, ou soutenir les seconds contre les premiers qui ne la menaçaient pas physiquement mais avec lesquels elle était fondamentalement, politiquement et économiquement en désaccord. En définitive, elle préféra s’entendre avec les pourris qu’écouter l’Incorruptible. Elle savait que ce dernier était l’âme de la Révolution et sentit qu’en l’éliminant elle n’aurait plus grand chose à craindre des excités.
Ces derniers, en présentant Robespierre comme un tyran, en lui reprochant leurs propres excès, en associant robespierrisme et terrorisme, firent de toute mesure de rigueur (de la part des révolutionnaires) et de toute revendication sociale un crime ; ils fournirent eux-mêmes à tous les contre-révolutionnaires le prétexte de dénoncer la Révolution et l’occasion de sortir impunément de l’ombre ; bref, ils provoquèrent une réaction inattendue qui balaya les plus sincères d’entre eux, les autres ayant aussitôt retourné leur veste. Ainsi, pour assouvir leurs intérêts particuliers ou leurs rancunes, ils compromirent l’intérêt général. Robespierre avait depuis longtemps signalé le danger de s’écarter de sa ligne. Ce n’est pas par vanité qu’il considérait ses ennemis personnels comme ceux de la Révolution. La suite lui donna raison, et nombre de ceux qui s’étaient acharnés à sa perte le reconnurent et exprimèrent des remords. Rien ne saurait être plus révélateur que ce mot de Cambon, chargé des finances, que Robespierre avait attaqué personnellement le 8 thermidor : « Nous avons tué la République au 9 thermidor, en croyant ne tuer que Robespierre ! Je servis à mon insu les passions de quelques scélérats. Que n’ai-je péri, ce jour-là, avec eux ! la liberté vivrait encore ! »
« Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. » Telle fut exactement la tactique utilisée par les Thermidoriens pour éliminer Robespierre et étouffer son souvenir. Il fut accusé de tout, chargé de tous les crimes, calomnié comme rarement quelqu’un l’a été. Mais le temps a passé et les passions devraient se calmer. Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que Robespierre fut un dictateur, que la Terreur fut son œuvre, qu’il fut responsable de tous les excès et qu’il tyrannisa la Convention.
Ce qu’il avait dit des Montagnards, face aux Girondins, le 28 octobre 1792, était encore vrai le concernant le 8 thermidor an II : « Ils nous accusent de marcher à la dictature, nous, qui n'avons ni armée, ni trésor, ni places, ni parti ; nous, qui sommes intraitables comme la vérité, inflexibles, uniformes, j'ai presque dit insupportables, comme les principes ». C’est cette rigueur morale, cette impossibilité de l’attaquer honnêtement, cette capacité intrinsèque à froisser les amours propres qui lui attira sans doute les plus profondes haines. Il avait fait de la vérité son arme ; il ne laissait à ses adversaires que le mensonge pour l’atteindre. De fait, tout ce qu’il dénonçait était vrai ; toutes les vilenies dont il fut accusé étaient fausses. Ainsi, tout dans son discours du 8 thermidor, qu’il appela lui-même son testament de mort, est rigoureusement exact, qu’il s’agisse de ses positions ou des manœuvres de ses ennemis. Rien n’a jamais été démenti, malgré les diversions. Il suffit donc de lire ce discours pour savoir qui il était, ce qu’il voulait, à quoi il était confronté, qui étaient ses ennemis, ce qu’ils firent, et de juger entre lui et eux.
« Ils m'appellent tyran… Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d'or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l'étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à notre liberté !) me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais avec eux. Dans leur détresse, qu'attendent-ils, si ce n'est le secours d'une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire et la liberté de notre pays ? On arrive à la tyrannie par le secours des fripons ; où courent ceux qui les combattent ? Au tombeau et à l'immortalité. Quel est le tyran qui me protège ? Quelle est la faction à qui j'appartiens ? C'est vous-mêmes. Quelle est cette faction qui, depuis le commencement de la révolution, a terrassé les factions, a fait disparaître tant de traîtres accrédités ? C'est vous, c'est le peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à laquelle je suis voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués. [...] Qui osera jamais servir la patrie, quand je suis obligé encore ici de répondre à de telles calomnies ? Ils citent comme la preuve d'un dessein ambitieux les effets les plus naturels du civisme et de la liberté ; l'influence morale des anciens athlètes de la révolution est aujourd'hui assimilée par eux à la tyrannie. Vous êtes, vous-mêmes, les plus lâches de tous les tyrans, vous qui calomniez la puissance de la vérité ! Que prétendez-vous, vous qui voulez que la vérité soit sans force dans la bouche des représentants du peuple français ? La vérité, sans doute, a sa puissance ; elle a sa colère, son despotisme ; elle a des accents touchants, terribles, qui retentissent avec force dans les cœurs purs, comme dans les consciences coupables, et qu'il n'est pas plus donné au mensonge d'imiter qu'à Salmonée d'imiter les foudres du ciel ; mais accusez-en la nature, accusez-en le peuple qui le sent et qui l'aime. »
« Comment pourrais-je ou raconter ou deviner toutes les espèces d’impostures qui ont été clandestinement insinuées, soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable ? Je me bornerai à dire que, depuis plus de six semaines, la nature et la force de la calomnie, l’impuissance de faire le bien et d’arrêter le mal, m’a forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du Comité de salut public, et je jure qu’en cela même je n’ai consulté que ma raison et ma patrie. Je préfère ma qualité de représentant du peuple à celle de membre du Comité du salut public, et je mets ma qualité d’homme et de citoyen français avant tout. [...] »
« On s'est attaché particulièrement à prouver que le tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang, créé par moi seul et que je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien, et même tous les fripons ; car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres. Ce cri retentissait dans toutes les prisons ; ce plan de proscription était exécuté à la fois dans tous les départements par les émissaires de la tyrannie. Ce n'est pas tout ; on a proposé dans ces derniers temps des projets de finance qui m'ont paru calculés pour désoler les citoyens peu fortunés et pour multiplier les mécontents. J'avais souvent appelé inutilement l'attention du Comité de salut public sur cet objet. Eh bien ! croirait-on qu'on a répandu le bruit qu'ils étaient encore mon ouvrage, et que, pour l'accréditer, on a imaginé de dire qu'il existait au Comité de salut public une commission des finances, et que j'en étais le président ? Mais comme on voulait me perdre, surtout dans l'opinion de la Convention nationale, on prétendit que moi seul avais osé croire qu'elle pouvait renfermer dans son sein quelques hommes indignes d'elle. On dit à chaque député revenu d'une mission dans les départements que moi seul avais provoqué son rappel ; je fus accusé par des hommes très officieux et très insinuants de tout le bien et de tout le mal qui avait été fait. On rapportait fidèlement à mes collègues, et tout ce que j'avais dit, et surtout ce que je n'avais pas dit. On écartait avec soin le soupçon qu'on eût contribué à un acte qui pût déplaire à quelqu'un ; j'avais tout fait, tout exigé, tout commandé ; car il ne faut pas oublier mon titre de dictateur. Quand on eut formé cet orage de haines, de vengeances, de terreurs, d'amours-propres irrités, on crut qu'il était temps d'éclater. Ceux qui croyaient avoir des raisons de me redouter se flattaient hautement que ma perte certaine allait assurer leur salut et leur triomphe ; tandis que les papiers anglais et allemands annonçaient mon arrestation, des colporteurs de journaux la criaient à Paris. Mes collègues devant qui je parle, savent le reste beaucoup mieux que moi ; ils connaissent toutes les tentatives qu'on a faites auprès d'eux pour préparer le succès d'un roman qui paraissait une nouvelle édition de celui de Louvet. Plusieurs pourraient rendre compte des visites imprévues qui leur ont été rendues pour les disposer à me proscrire. Enfin, on assure que l'on était prévenu généralement dans la Convention nationale qu'un acte d'accusation allait être porté contre moi ; on a sondé les esprits à ce sujet, et tout prouve que la probité de la Convention nationale a forcé les calomniateurs à abandonner ou du moins à ajourner leur crime. »
« Tous les fripons m'outragent ; les actions les plus indifférentes, les plus légitimes de la part des autres, sont des crimes pour moi. Un homme est calomnié dès qu'il me connaît. On pardonne à d'autres leurs forfaits ; on me fait un crime de mon zèle. [...] Je ne sais pas respecter les fripons : j'adopte bien moins encore cette maxime royale, qu'il est utile de les employer ; les armes de la liberté ne doivent être touchées que par des mains pures. Epurons la surveillance nationale, au lieu d'en pallier les vices. La vérité n'est un écueil que pour les gouvernements corrompus ; elle est l'appui du nôtre. »
« On veut détruire le gouvernement révolutionnaire, pour immoler la patrie aux scélérats qui la déchirent, et on marche à ce but odieux par deux routes différentes. Ici on calomnie ouvertement les institutions révolutionnaires, là on cherche à les rendre odieuses par des excès ; on tourmente les hommes nuls ou paisibles ; on plonge chaque jour les patriotes dans les cachots, et on favorise l'aristocratie de tout son pouvoir ; c'est là ce qu'on appelle indulgence, humanité. Est-ce là le gouvernement révolutionnaire que nous avons institué et défendu ? Non, ce gouvernement est la marche rapide et sûre de la justice, c'est la foudre lancée par la main de la liberté contre le crime ; ce n'est pas le despotisme des fripons et de l'aristocratie ; ce n'est pas l'indépendance du crime, de toutes les lois divines et humaines. Sans le gouvernement révolutionnaire, la République ne peut s'affermir, et les factions l'étoufferont dans son berceau ; mais s'il tombe en des mains perfides, il devient lui-même l'instrument de la contre-révolution. »
« Si l'on proposait ici de prononcer une amnistie en faveur des députés perfides, et de mettre les crimes de tout représentant sous la sauvegarde d'un décret, la rougeur couvrirait le front de chacun de nous : mais laisser sur la tête des représentants fidèles le devoir de dénoncer les crimes, et cependant, d'un autre côté, les livrer à la rage d'une ligue insolente, s'ils osent le remplir, n'est-ce pas un désordre encore plus révoltant ? C'est plus que protéger le crime, c'est lui immoler la vertu. »
Dans ce discours magnifique, Robespierre dévoilait tous les scandales, toutes les manœuvres de ses ennemis ; il rappelait ses positions modérées que, du reste, nul n’ignorait. Il mettait les révolutionnaires en garde à la fois contre le danger pour la Révolution de ne pas mettre eux-mêmes un terme aux excès et contre celui de le laisser seul les dénoncer. Il ne fut pas entendu. Passions, peurs et intérêts se mêlèrent pour l’immoler et, avec lui, la Révolution.
Rares sont les historiens qui ont relevé et senti l’importance d’une phrase qu’il avait écrite en juin ou juillet 1793 (après l'adoption de la constitution) dans son carnet et qu’il ratura aussitôt : « Quand leur intérêt [celui des riches] sera-t-il confondu avec celui du peuple ? Jamais. » Robespierre avait énoncé là une vérité qui lui apparut comme une impasse et qu'il raya comme pour la chasser de son esprit et ne pas se décourager lui-même. Inconsciemment, accidentellement, il avait mis le doigt sur le problème fondamental de la Révolution. Riches, pauvres : ces notions n’ont de sens que dans un système monétaire. Dans ce système, tout gravite autour de Largent, tout est façonné par lui. Qui ne court pas après est rattrapé par lui. Dans ce système, l’inégalité en fortune, et, partant, en droits, est une fatalité ; il y aura toujours des riches et des pauvres sous Largent. Jamais les « citoyens » ne seront donc égaux en droits dans un tel système, jamais les intérêts des individus composant la « société » ne seront confondus. Constat indéniable et inacceptable pour Robespierre, le champion de l’Egalité. Robespierre savait néanmoins que son rêve, dans ce monde-là, dans ce système-là, mais il n’en concevait pas d’autre, était une chimère ; il savait au fond de lui, même sans se l’avouer, que la Révolution était vouée à l’échec, qu’elle tournerait fatalement au profit des riches, au profit de l’aristocratie de Largent. L’Histoire l’a confirmé. Mais cette réflexion demeure la leçon essentielle de ce grand révolutionnaire pour les révolutionnaires futurs : l’Egalité, la Révolution sont une vue de l’esprit sous Largent (3). C’est donc Largent lui-même qu’il faut abattre, sous peine de tourner en rond. Robespierre qui était d’une logique implacable n’était pas parvenu à cette conclusion et, y serait-il parvenu, qu’il n’aurait rien pu faire. Mais ceci est une autre histoire.
Plongé dans l’action, Robespierre avait fait tout ce qui était au pouvoir d’un homme de bien, d’un homme honnête, raisonnable et généreux. Il n’était pas dans sa nature de baisser les bras. Il relevait les défis. Il finit néanmoins par désespérer. Les difficultés sans cesse renouvelées, des ennemis toujours plus nombreux, il sentait qu’au-delà des hommes une force mystérieuse s’opposait à la Révolution et l’emporterait. Sa confiance n’était plus que de façade. Alors, à disparaître, autant le faire avec panache. Tel était le sens de son discours du 8 thermidor.
Le 9 thermidor, il se débattit comme un diable à la Convention, par instinct de conservation. Mais la foi n’y était plus. L’insurrection spontanée de la Commune à l’annonce de son arrestation le surpris mais ne le ranima pas. Libéré, disposant des moyens d’écraser ses ennemis, il n’en fit rien. Il suivit ses partisans qui s’étaient levés, prêts à donner leur vie pour lui et pour la cause, mais la cause était perdue. Une victoire ce jour-là n’aurait rien changé. Il temporisa, tergiversa et se tua. Presque. Il avait la mâchoire fracassée quand il fut repris.
Le 10 thermidor, il fut exécuté avec 21 de ses partisans et amis. Les deux jours suivants, 82 municipaux, administrateurs de police, cadres de la garde nationale et Robespierristes divers furent exécutés. La Commune était anéantie. La Révolution, au sens social du terme (mais en a-t-elle un autre ?), était terminée.
Philippe Landeux
Janvier 2011
TEMOIGNAGES POSTHUMES DE CONTEMPORAINS
De son vivant, Robespierre reçut d’innombrables lettres qui attestent son patriotisme, son humanité, sa sagesse, sa douceur, sa générosité et sa popularité. Il est cependant facile de les présenter pour de la flagornerie même lorsqu’elles sont totalement désintéressées. Les témoignages en sa faveur en un temps où il était impératif d’exécrer sa mémoire sont déjà plus difficiles à contester, et carrément impossible lorsqu’ils émanent d’hommes qui concoururent à sa perte et qui démentent les légendes qu’ils fabriquèrent eux-mêmes.
Barras qui, dans la nuit du 9 au 10 thermidor, commandait les troupes de la Convention, laissa des mémoires dans lesquelles il rétablit la vérité sur Robespierre et donc sur ses ennemis :
« Robespierre se prononça contre les pillards, contre les fournisseurs, contre les échafauds. Il voulut arrêter ces exécutions, il s’opposa à l’arrestation de plusieurs députés, de grand nombre de citoyens recommandables, il fit hommage à la divinité, il parla clémence, il périt pour le retour aux principes de justice. » Il écrit ailleurs : « Toujours prompt à voler au secours des vainqueurs et à se déchaîner contre les vaincus, Barère, au nom des Comités, présenta un rapport aussi cruel que mensonger contre Robespierre ; il se déchaîna avec fureur contre ceux qui ne pouvaient plus se défendre : il eût même l’impudence d’accuser Robespierre d’avoir voulu rétablir le fils de Louis XVI sur le trône, et d’avoir, pour son propre compte, projeter d’épouser Madame, fille de ce monarque (aujourd’hui Mme la duchesse d’Angoulême). » Il déclara en outre à Alexandre Dumas qui le rapporta dans ses mémoires : « Je n’ai que deux regrets, je devrais dire deux remords, et ce seront les seuls qui seront assis à mon chevet le jour où je mourrai : j’ai le double remords d’avoir renversé Robespierre et élevé Bonaparte par le 13 vendémiaire. »
Barère avoua en 1832 :
« Depuis j’ai réfléchi sur cet homme ; j’ai vu que son idée dominante était l’établissement du gouvernement républicain, qu’il poursuivait en effet des hommes dont l’opposition entravait les rouages de ce gouvernement. Plût au ciel qu’il se trouvât actuellement dans la chambre des députés quelqu’un qui signalât ceux qui conspirent contre la liberté ! Nous étions alors sur un champ de bataille ; nous n’avons pas compris cet homme. [...] N’oubliez pas Robespierre ! C’était un homme pur, intègre, un vrai républicain. Ce qui l’a perdu, c’est sa vanité, son irascible susceptibilité, et son injuste défiance envers ses collègues... Ce fut un grand malheur ! »
Billaud-Varenne, membre du Comité de salut public, un des principaux adversaires de Robespierre le 9 thermidor, fut lui-même attaqué peu après et prépara un mémoire pour sa défense, dans lequel il rendit malgré lui hommage à Robespierre :
« Sous quels rapports eût-il pu paraître coupable ? S'il n'eût pas manifesté l'intention de frapper, de dissoudre, d'exterminer la représentation nationale, si l'on n'eût pas eu à lui reprocher jusqu'à sa popularité même... popularité si énorme qu'elle eût suffi pour le rendre suspect et trop dangereux dans un État libre, en un mot s'il ne se fût point créé une puissance monstrueuse tout aussi indépendante du comité de Salut public que de la Convention nationale elle-même, Robespierre ne se serait pas montré sous les traits odieux de la tyrannie, et tout ami de la liberté lui eût conservé son estime. » « Nous demandera-t-on, comme on l'a déjà fait, pourquoi nous avons laissé prendre tant d'empire à Robespierre ? Oublie-t-on que dès l'Assemblée constituante, il jouissait déjà d'une immense popularité et qu'il obtint le titre d'Incorruptible ? Oublie-t-on, que pendant l'Assemblée législative sa popularité ne fit que s'accroître...? Oublie-t-on que, dans la Convention nationale, Robespierre se trouva bientôt le seul qui, fixant sur sa personne tous les regards, acquittant de confiance qu'elle le rendit prépondérant, de sorte que lorsqu'il est arrivé au comité de Salut public, il était déjà l'être le plus important de la France ? Si l'on me demandait comment il avait réussi à prendre tant d'ascendant sur l'opinion publique, je répondrais que c'est en affichant les vertus les plus austères, le dévouement le plus absolu, les principes les plus purs. »
Banni de France et établi à Haïti, il se confia au docteur Chervin qui écrivit à son sujet : « La conversation de Billaud était riche de souvenirs nets et précis ; ses idées étaient originales, souvent bizarres, et quelques fois grandes et justes. Ses sentiments et ses opinions politiques n’avaient fléchi ni sur les hommes ni sur les choses, si ce n’est sur quelques points seulement. Par exemple, il avait changé d’opinion sur le 9 thermidor, qu’il appelait sa déplorable faute à lui, et il ajoutait : “Nous nous sommes bien trompés ce jour-là ! Nous avons recommencé, après cette journée, tous les chapîtres de la réaction anglaise ; on nous a infligé, comme on l’a fait à la mort de Cromwel, un système qui, sous l’apparence de la modération, nous a désignés comme des types de monstres, comme des loups à figure humaine, bons tout au plus à égorger. Ce système nous a conduits, à travers d’affreuses et implacables vengeances, des palinodies plus lâches encore, à la disette, la banqueroute, la vile banqueroute et les évènements du 1er prairial, à des torrents de sang patriote et pur !”
« “Oui, c’est au 14 germinal, date de la condamnation de Danton, et au 9 thermidor, que les patriotes on fait les deux fautes qui ont tout perdu. Nos divisions ont brisé ces jours-là l’unité du système révolutionnaire ; vous avez vu aussitôt l’influence revenir à des misérables, écartés pour vol, enfin à tous les fripons, les briseurs (des scellés), les oligarques, les royalistes. Les amis de Tallien ne s’endormirent pas : ils avaient vendu notre cause, et nous firent dénoncer par Lecointre, qu’ils proscrivirent ensuite avec nous, par Saladin et Goupilleau, qui avaient été nos séides, et qui offrirent nos têtes aux royalistes et à l’Europe. Nous étions pour les royalistes de lâches stupides, bien que nos actes fussent là ; bien que tout rayonnant de l’éclat terrible de notre dictature et de nos batailles. Ainsi nous, pauvres jacobins, nous qui avions châtié l’orgueil des rois, nous ne fûmes vaincus que par nos fautes et nos frères ; alors, nous fûmes jetés par eux aux flots de la mer en fureur, triste concession de l’ambition, de la cupidité et surtout de la peur.”
« “Je le répète : la Révolution puritaine a été perdue le 9 thermidor ; depuis, combien de fois j’ai déploré d’y avoir agi de colère ! Pourquoi ne laisse-t-on pas ces intempestives passions et toutes les vulgaires inquiétudes aux portes du pouvoir ? J’ai vu la réaction qui fit naître le 9 thermidor, c’était affreux ; la calomnie venait de partout. Cela dégoûte bien des révolutions. Nous, au moins, nous nous défendîmes avec dignité. Duhem leur tenait tête tous les jours. Les amis qui les secondaient étaient Lejeune, Fayau, Chasles, Goujon, Ruhl, etc., etc. Mais quelle tâche ! et puis nous avons disparu ! Mais l’ébauche révolutionnaire étaient sortie de nos mains et elle resta comme pierre tumulaire de l’ancien régime et plus forte que tous les partis réunis !”
« Hélas ! disait-il souvent, j’y ai trempé trop directement et avec une haine affreuse. Le malheur des révolutions, c’est qu’il faut agir trop vite; vous n’avez pas le temps d’examiner; vous n’agissez qu’en pleine et brûlante fièvre, sous l’effroi de ne pas agir; sous l’effroi, je m’entends, de voir avorter vos idées. Danton et ses amis étaient d’habiles gens, des patriotes invincibles à la tribune ou dans l’action publique, et nous les avons massacrés ! Ils n’avaient pas, comme nous, excepté le brave Westermann, le Murat de la République, les mains pures de trafics et de rapines; ils aimaient trop le luxe, mais ils avaient le cœur noble et révolutionnaire ; vous saurez leurs services un jour, quand on fera l’histoire sincère de notre époque. Celle de M. Lacretelle n’est qu’une œuvre sans faits, une œuvre fardée de rhéteur. Je reste avec la conviction intime qu’il n’y avait pas de 18 brumaire possible, si Danton, Robespierre et Camille fussent restés unis aux pieds de la tribune. »
Vadier retouva Baudot en exil. Ce dernier rapporta que « le seul acte qu’il [Vadier] se reprochait, était d’avoir pris un citoyen [Robespierre] pour un tyran. »
Sous le Directoire, Reubell confia à Carnot : « Je n'ai jamais eu qu'un reproche à faire à Robespierre, c'est d'avoir été trop doux. »
Choudieu qui, en l’an II, avait passé la plupart de son temps aux armées et qui y était encore le 9 thermidor écrivit dans ses mémoires :
« Robespierre est celui de tous les montagnards qui a été le plus exposé à des accusations de tout genre. Ses ennemis l’ont présenté comme un ambitieux sans talent. Il suffit de lire ses différents discours pour se convaincre combien il était supérieur à tous ceux qui l’accusèrent et qui n’ont pu le vaincre qu’en l’assassinant. Je n’aimais pas Robespierre parce qu’il n’était pas aimable, mais ce n’est pas une raison pour être injuste envers lui et pour me joindre à ses ennemis lorsqu’il n’est plus. Quant à son ambition, elle ne m’a paru jamais bien démontrée et je n’ai pu voir en lui pendant toute sa carrière politique qu’un républicain, trop austère peut-être, mais qui voulait sincèrement le triomphe de la liberté. [...] On aurait tort de croire que les hommes de cette coalition étaient dirigés par des vues d’humanité. Deux mobiles puissants les excitaient : la crainte d’expier eux-mêmes leurs forfaits sur l’échafaud et le désir de venger leurs amis. Et la preuve de ce que j’avance ici se voit dans leur conduite ultérieure. Après le 9 thermidor, ils continuèrent en effet le système de proscription auquel ils n’avaient jamais cessé de prendre part... »
Levasseur (de la Sarthe) qui, le 19 mars 1794, avait été dépêché par Robespierre dans la Seine-et-Oise pour réprimer les abus sans pour autant faire preuve de faiblesse, écrivit dans ses mémoires :
« [...] Les deux premières pièces [Lettres de Cadillot et de Jullien fils] que je viens de citer démontrent, je pense, jusqu’à la dernière évidence, qu’à Robespierre et à la partie du Comité de Salut public et de la Montagne qui votait avec lui ne doivent pas être attribuées les fureurs de quelques proconsuls qui ont souillé les fastes glorieux de la République. La dernière prouve aussi qu’au milieu d’une anarchie nécessaire les hommes de tête et de cœur songeaient à jeter les fondements d’un régime heureux et tranquille, mais assis sur l’égalité la plus complète, sur la liberté la plus absolue. “Pour fonder la république, il faut la faire aimer”, disait souvent Saint-Just. Il ne voulait donc ni l’avilir, ni l’ensanglanter. [...] Certains actes ont été cependant l’ouvrage de Robespierre et de ses adhérents. Tous étaient inflexibles, quand ils croyaient voir compromis le salut de la cause sainte. Aucun ne reculait devant les conséquences de ses principes, quelque déplorables qu’ils pussent être transitoirement et quelques actes douloureux qu’ils pussent entraîner. Ainsi ils ont frappé les chefs de la Gironde, les députés constituants qui rêvaient de la Constitution de 1791, et les fougueux compagnons d’Hébert et les amis corrompus de Danton. Mais de ces vengeances légales dont la nécessité leur semblait démontrée, aux sanglants holocaustes qui effrayèrent la France, il y a une distance immense ; il y a toute la distance d’un jugement qui frappe le crime, à l’assassinat qui déchire l’innocence au milieu de sa famille. La différence qui existait entre Robespierre, Saint-Just et un Carrier, un Collot, un Le Bon était celle qui sépare le magistrat juste, mais inflexible, d’un bourreau teint du sang qu’on l’a payé pour répandre.
« Robespierre et la Montagne excitaient, dit-on, aux excès. D’où vient qu’ils se sont séparés des vils et stupides démagogues de la Commune ? Robespierre et la Montagne brûlaient de répandre le sang. D’où vient qu’ils ont sévi contre un Vincent, un Ronsin et tant d’autres monstres sanguinaires ? D’où vient qu’à la tête des ennemis qui les ont renversés se sont placés les Collot-d’Herbois, les Billaud-Varenne, les Carrier, tous les hommes de meurtre, tous les tigres à face humaine de cette triste et glorieuse époque ? [...] »
Le docteur Souberbielle, juré au tribunal révolutionnaire, à la fois ami de Danton et intime de Robespierre :
« Pendant le procès de Danton, avec lequel j’étais très lié, je n’osai le regarder. J’étais décidé à le condamner, car j’avais la preuve certaine qu’il méditait le renversement de la République. Au contraire, j’aurais donné ma vie pour sauver Robespierre, que j’aimais comme un frère. Personne ne savait mieux que moi combien son dévouement à la République était sincère, désintéressé, absolu. Il a été le bouc émissaire de la Révolution ; mais il valait mieux qu’eux tous. »
Napoléon Bonaparte, Mémorail de Sainte-Hélène :
« Robespierre, disait Napoléon en présence de Gourgaud et de Mme de Montholon, a été culbuté parce qu'il voulait devenir modérateur et arrêter la Révolution. Cambacérès m'a raconté que, la veille de sa mort, il avait prononcé un magnifique discours qui n'avait jamais été imprimé. Billaud et d'autres terroristes, voyant qu'il faiblissait et qu'il ferait infailliblement tomber leurs têtes, se liguèrent contre lui et excitèrent les honnêtes gens soi-disant, à renverser le "tyran", mais en réalité pour prendre sa place et faire régner la terreur de plus belle. Le peuple de Paris, en jetant Robespierre à bas, croyait détruire la tyrannie, tandis que ce n'était que pour la faire refleurir plus que jamais. Mais, une fois Robespierre par terre, l'explosion fut telle que, quelque tentative qu'ils aient faite, les terroristes ne purent jamais reprendre le dessus. ». « Robespierre était incorruptible et incapable de voter ou de causer la mort de quelqu'un par inimitié personnelle ou par désir de s'enrichir. C'était un enthousiaste, mais il croyait agir selon la justice, et il ne laissa pas un sou à sa mort. Il avait plus de pitié et de conception qu'on ne pensait, et après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eu à combattre, son intention était de revenir à l'ordre et à la modération. On lui imputa tous les crimes commis par Hébert, Collot d'Herbois et autres. C'étaient des hommes plus affreux et plus sanguinaires que lui, qui le firent périr ; ils ont tout rejeté sur lui ». Selon Las Cases, Napoléon le pensait « le vrai bouc émissaire de la révolution, immolé dès qu'il avait voulu entreprendre de l'arrêter dans sa course (...). Ils [terroristes et thermidoriens] ont tout jeté sur Robespierre ; mais celui-ci leur répondait, avant de périr, qu'il était étranger aux dernières exécutions ; que, depuis six semaines, il n'avait pas paru aux comités. Napoléon confessait qu'à l'armée de Nice, il avait vu de longues lettres de lui à son frère, blâmant les horreurs des commissaires conventionnels qui perdaient, disait-il, la révolution par leur tyrannie et leurs atrocités, etc., etc. »
Nodier qui avait traversé la Révolution écrivit en 1829 dans la Revue de Paris :
« La nouvelle du 9 thermidor, parvenue dans les départements de l’Est, développa un vague sentiment d’inquiétude parmi les républicains exaltés, qui ne comprenaient pas le secret de ces événements, et qui craignaient de voir tomber ce grand œuvre de la Révolution avec la renommée prestigieuse de son héros, car derrière cette réputation d’incorruptible vertu qu’un fanatisme incroyable lui avait faite, il ne restait plus un seul élément de popularité universelle auquel les doctrines flottante de l’époque pussent se rattacher. Hélas ! se disait-on à mi-voix, qu’allons-nous devenir ? Nos malheurs ne sont pas finis puisqu’il nous reste encore des amis et des parents et que MM. Robespierre sont morts ! Et cette crainte n’était pas sans motif, car le parti de Robespierre venait d’être immolé par le parti de la Terreur. »
Détenu sous la Terreur, le royaliste Beaulieu écrivit un essai sur les causes et les effets de la Révolution. Le volume publié en 1808 commence par ces pages :
« On a vu dans le cours de cet ouvrage, que ceux qui firent la révolution du 9 thermidor, étaient fort loin d’être à l’abri des reproches dont ils chargeaient la mémoire de Robespierre. Ce n’était point immédiatement celui qu’on venait d’immoler, mais Collot-d’Herbois qui avait porté le ravage dans la ville de Lyon ; ce n’était point immédiatement Robespierre, mais M. Barrère qui avait faire rendre les épouvantables décrets qui devaient métamorphoser en ruines nos plus belles, nos plus opulentes cités ; et MM. Barrère et Collot-d’Herbois se joignirent à ceux qui ont écrasé Robespierre ; ils le proclamèrent tyran. Ce ne fut point Robespierre qui imagina de faire de la France une nation de sauvages, sans religion et sans foi ; on a vu qu’au contraire il prit le parti des prêtres, qu’une secte d’athées, suivant l’expression de Clootz, voulait septembriser, d’un bout de la France à l’autre.
Une chose qui a été sue de tout le monde, c’est que, six semaines avant la révolution du 9 thermidor, Robespierre ne paraissait plus aux comités ; et c’est à cette époque que les arrestations furent plus multipliées, et les exécutions plus épouvantables. On dira que le génie de cet homme affreux continuait d’y dominer par la présence de deux personnages qui lui étaient restés fidèles, MM. Couthon et Saint-Just. Mais comment pouvait-il se faire que des hommes qui faisaient trembler l’Europe entière, fussent forcés par la terreur d’un absent, les propos d’un paralytique, et d’un polisson aussi près de l’enfance que de l’âge viril, à rester les ministres d’un système d’horreurs dont l’imagination ne peut se faire une idée ?
Quoi qu’il en soit, il reste pour constant que les plus grandes violences depuis le commencement de l'année 1794, ont été provoquées par ceux-là mêmes qui ont écrasé Robespierre. Uniquement occupés, dans nos prisons, à rechercher dans les discours qu'on prononçait, soit aux Jacobins soit à la Convention, quels étaient les hommes qui nous laissaient quelque espoir, nous y voyions que tout ce qu'on disait était désolant, mais que Robespierre paraissait encore le moins outré.
Après l’exécution de Chaumette et autres, M. Tallien proposa de donner une nouvelle activité aux mesures contre les suspects. [Erreur. Référence à la séance du 21 mars, ou celle du 14 mars, qui, dans tous les cas, eut lieu avant l’exécution de Chaumette, le 13 avril, et même avant cette d’Hébert, le 24 mars.] Robespierre l’interrompit, et lui déclara que ce n’était point les suspects qu’il fallait craindre, qu’il y avait des hommes autrement dangereux ; et le persécuteur des suspects garda le silence. Les recueils du temps sont remplis de preuves de ce que j’avance ici : je ne les rapporterai pas, pour ne pas trop charger cet ouvrage ; il est facile de les consulter.
Aussi, si après le 9 thermidor l’opinion ne se fût pas prononcé d’une manière irrésistible, si quelques députés repentans de leurs fautes, ou moins coupables que leurs collègues, ne se fussent pas déterminés à faire cesser la tyrannie qui nous accablait, il est certain qu’on eût continué le système de destruction dont on a voulu supposer que Robespierre était l’unique directeur, ou au moins qu’on l’eût essayé.
A peine ce malheureux, à qui l’on a voulu faire jouer le rôle du bouc d’Israël, est-il immolé, que les déclamations contre tous ceux qui n’appartiennent pas à la secte des Jacobins, recommencent avec une nouvelle fureur. M. Barrère tonne contre les prétendus contre-révolutionnaires avec la même violence qu’auparavant, et leur déclare qu’il ne faut pas qu’ils s’imaginent que la victoire remportée contre Robespierre sera leur triomphe ; et les malheureux attendent encore la mort dans leurs tristes retraites. »
Babeuf, le futur organisateur de la conspiration dite des égaux, qui était incarcéré au moment du 9 thermidor, écrivit à Joseph Bodsonl e 28 février 1796 (9 ventôse An IV) :
« Mon opinion n’a jamais changé sur les principes, mais elle a changé sur quelques hommes. Je confesse aujourd’hui de bonne foi, que je m’en veux d’avoir vu autrefois en noir et le gouvernement révolutionnaire, et Robespierre, et Saint-Just, etc. Je crois que ces hommes valaient mieux à eux seuls que tous les révolutionnaires ensemble, et que leur gouvernement dictatorial était diablement bien imaginé. Tout ce qui s’est passé depuis que ni les hommes ni le gouvernement ne sont plus, justifie assez bien l’assertion. Je ne suis pas du tout d’accord avec toi qu’ils ont commis de grands crimes et bien fait périr des républicains. Pas tant, je crois : c’est la réaction thermidorienne qui en a fait périr beaucoup.
Je n’entre pas dans l’examen si Hébert et Chaumette étaient innocents. Quand cela serait, je justifie encore Robespierre. Ce dernier pouvait avoir à bon droit l’orgueil d’être le seul capable de conduire à son vrai but le char de la Révolution.
Des brouillons, des hommes à demi-moyens, selon lui, et peut-être aussi selon la réalité ; de tels hommes, dis-je, avides de gloire et remplis de présomption, tels qu’un Chaumette, peuvent avoir été aperçus par notre Robespierre avec la volonté de lui disputer la direction du char. Alors celui qui avait l’initiative, celui qui avait le sentiment de sa capacité exclusive, a dû voir que tous ces ridicules rivaux, même avec de bonnes intentions, entraveraient, gâteraient tout. Je suppose qu’il eût dit : “Jetons sous l’éteignoir ces farfadets importuns et leurs bonnes intentions”, mon opinion est qu’il fit bien.
Le salut de 25 millions d’hommes ne doit point être balancé contre le ménagement envers quelques individus équivoques. Un Régénérateur doit voir en grand. Il doit faucher tout ce qui le gêne, tout ce qui obstrue son passage, tout ce qui peut nuire à sa prompte arrivée au terme qu’il s’est prescrit. Fripons, ou imbéciles, ou présomptueux et ambitieux de gloire, c’est égal, tant pis pour eux ! Pourquoi s'y trouvent-ils ? Robespierre savait tout cela, et c’est en partie ce qui me le fait admirer. C’est ce qui me fait voir en lui le génie où résidaient de véritables idées régénératrices. Il est vrai que ces idées-là pouvaient entraîner toi et moi. Qu’est-ce que cela faisait si le bonheur commun fut venu au bout ?
Je ne sais, mon ami, si avec ces explications-là il peut encore être permis aux hommes de bonne foi comme toi de rester hébertistes.
L’hébertisme est une affection étroite dans cette classe d’hommes. Elle ne leur fait voir que le souvenir de quelques individus, et le point essentiel des grandes destinées de la République leur échappe.
Je ne crois pas encore avec toi impolitique, ni superflu, d’évoquer la cendre et les principes de Robespierre et de Saint-Just pour étayer notre doctrine. D’abord nous ne faisons que rendre hommage à une grande vérité sans laquelle nous serions trop au-dessous d’une équitable modestie. Cette vérité-là est que nous ne sommes que les seconds Gacques de la Révolution française.
N’est-il pas encore utile de démontrer que nous n’innovons rien, que nous ne faisons que succéder à de premiers généreux défenseurs du peuple qui, avant nous, avaient marqué le même but de justice et de bonheur auquel le peuple doit atteindre ? et en second lieu, réveiller Robespierre, c’est réveiller tous les patriotes énergiques de la République, & avec eux le peuple, qui autrefois n’écoutait et ne suivait qu’eux.
Ils sont nuls et impuissants, pour ainsi dire morts, ces patriotes énergiques, ces disciples de celui qu’on peut dire qui fonda chez nous la liberté. Ils sont, dis-je, nuls et impuissants depuis que la mémoire de ce fondateur est couverte d’une injuste diffamation. Rendez-lui son premier lustre légitime, tous les disciples se relèvent et bientôt ils triomphent. Le robespierrisme atterre de nouveau toutes les factions ; le robespierrisme ne ressemble à aucune d’elles, il n’est point factice ni limité. Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante, et naturellement dans tout le peuple. La raison en est simple, c’est que le robespierrisme est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques : donc en relevant le robespierrisme, vous êtes sûr de relever la démocratie. »
NOTES
(1) Dans ses Mémoires et Notes, Choudieu déclare : « M. l’abbé Georgel, qui présente rarement les choses sous leur véritable jour, dit, tome II, page 490 de son “Histoire”, que les députés qui faisaient partie des Jacobins étaient obligés par les statuts de faire serment de porter à l’Assemblée nationale toutes les motions adoptées par la Société. J’ai fait partie de la société des Jacobins et je puis affirmer que je n’y ai jamais prêté aucun serment et qu’aucun de mes collègues n’eût voulu contracter une semblable obligation. Comment peut-on avancer de pareilles absurdités ? Les principes des sociétés populaires et leur raison d’être ont toujours été d’assurer les libertés publiques, et celle des opinions étant la première de toutes, comment peut-on supposer qu’on ait pu imposé de pareilles conditions à des hommes qui ont donné tant de preuves d’indépendance ? » (p. 463)
(2) Cet article fut adopté le 18 juin 1793. Un député Girondin interpella les Montagnards : « Vous flattez-vous d’être toujours victorieux ? Avez-vous fait un traité avec la victoire ? » Basire lui répondit : « Nous en avons fait un avec la mort ! », et les Montagnards de se soulever en signe d’approbation. Robespierre intervint alors et la Convention adopta l’article. Il déclara : « Je n’aurais jamais cru qu’un représentant du peuple Français osât professer ici une maxime d’esclavage et de lâcheté. Je n’aurais jamais cru qu’il osât contester la vertu républicaine du peuple qu’il représente. Où a-t-il vu, cet homme, que nous fussions inférieurs aux Romains ? Où a-t-il vu, cet homme, que la Constitution que nous allons terminer fût au-dessous de ce Sénat despotique, qui ne connut jamais la Déclaration des Droits de l’Homme ? Où a-t-il vu que ce peuple qui verse son sang pour la liberté universelle, fût au-dessous des Romains, qui furent, non pas les héros de la liberté, mais les oppresseurs de tous les peuples ? Mais il n’y a rien à répondre à un tel homme. Nous décrèterons un article que nous sommes dignes de soutenir, en dépit de lui et de ses pareils. Qu’ils sachent, tous ceux qui ne savent pas deviner l’énergie d’un peuple libre, qu’ils sachent que cet article est l’expression de sa volonté. Un peuple qui traite sur son territoire avec les ennemis, est un peuple déjà vaincu, et qui a renoncé à son indépendance. Jamais le peuple français ne sera couvert de tant de honte qu’un homme qui, sous le despotisme, après avoir paru faire quelques pas vers l’avenir, rétrograde aujourd’hui. Que la liberté règne en France, cela est facile à concevoir : mais qu’il sache, cet homme, que non-seulement nous décrèterons l’article auquel il s’oppose, mais encore que nous le soutiendrons. » Un siècle et demi plus tard, le même jour, alors que la France était de nouveau envahie, le général De Gaulle affirma à son tour ce principe. Peut-être ignorait-il qu’il allait être à la Résistance ce que Robespierre avait été à la Révolution et qu’il ne faisait que marcher dans les traces de ce dernier. Dans des contextes différents, ces deux géants de l’histoire de France se ressemblent comme deux gouttes d’eau tant par leurs caractères, leurs idées, que par leur vision de la France. Tous deux étaient au-dessus des partis. Leurs noms furent en leur temps le cri de ralliement de tous les patriotes. Le gaullisme n’est jamais que du robespierrisme.
(3) Saint-Just en était inconsciemment arrivé à cette conclusion dans son rapport du 8 ventôse (26 février 1794) : « La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n’avons point pensé. L’opulence est dans les mains d’un assez grand nombre d’ennemis de la Révolution ; les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu’un empire puisse exister, si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement ? Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. » Tant que les révolutionnaires ne sauront ni ce qu’est exactement Largent ni comment l’abattre et élever à sa place l’Egalité, ils ne feront que des révolutions à moitié, vouées à l’échec.
12:52 Écrit par Philippe Landeux dans - REVOLUTION 1789-1794, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : robespierre, histoire | Facebook | | Imprimer |
mercredi, 30 mars 2011
AUTRES TEMPS, MEMES METHODES
Depuis quelques semaines, des milliers de Maghrébins (notamment tunisiens) débarquent dans l’île italienne de Lampedusa, porte ouverte sur l’Europe et en particulier sur la France, destination finale de tous ces immigrés-réfugiés clandestins. Alors qu’une marée humaine menace de déferler sur la France et que toute l’Europe en parle, les médias français ne pipent mot, sans doute pour ne pas stigmatiser ces braves fuyards et ne pas lepéniser les esprits en période électorale. Le Président de la République leur a du reste imposé le silence. Gageons que, pour une fois, ces objecteurs de conscience ne s’évertueront pas à désobéir ! D’ailleurs, le Président leur a donné mieux qu’un ordre ; il leur a offert une guerre. Tous les projecteurs sont désormais braqués sur la Libye déchirée par une guerre civile.
Les mêmes qui, il y a peu, s’indignaient que Marine Le Pen préconise d’envoyer la marine pour empêcher les débarquements continus à Lampedusa, et que, après elle, une députée UMP soit d’avis — opportunément — de remettre les envahisseurs dans les bateaux, bref ceux qui s’indignaient à l’idée que la France utilise la force pour défendre ses intérêts ont tous embouché la trompette guerrière et son d’avis que la France intervienne militairement dans un conflit complexe, périlleux, coûteux, qui ne la regarde en rien. La France n’a non seulement rien à gagner dans cette intervention qui fera des victimes innombrables, pas plus qu’elle ne gagne à déployer des troupes et à perdre régulièrement des soldats en Afghanistan, mais elle y perd son énergie, son crédit, ses finances.
Ainsi, quand il s’agit d’agir dans l’intérêt direct de la France, tous les prétextes (humanistes, administratifs, diplomatiques) sont bons pour ne rien faire ; mais quand la France n’a rien à faire, aucune considération ne doit la détourner d’une action inutile qui, à la longue, sera nuisible pour elle sur tous les plans. Et ce sont les mêmes qui tiennent ce double langage, qui, d’un côté, chouchoutent les étrangers chez nous et qui, d’un autre, sont chauds pour les massacrer chez eux (sans le reconnaître, bien sûr !) ; qui, d’un côté, condamnent la légitime défense et qui, d’un autre, appliquent la loi du plus fort ; qui, d’un côté, aiment sans mesure les immigrés (des pauvres, des malheureux, des victimes : des hommes, des vrais !) et, qui, d’un autre, haïssent au plus haut point les Français fiers de l’être et qui désirent le rester (des vilains racistes, des sous-hommes quoi !) ; qui, d’un côté, se la jouent « peace and love » et qui, d’un autre, ne reculent devant aucune violence contre leurs détracteurs ; qui, d’un côté, suscitent les problèmes par angélisme (pour les plus stupides) ou par calcul (pour les pervers) et qui, d’un autre, prétendent que les responsables sont ceux qui les constatent ; qui, d’un côté, accusent le patriotisme d’être cause des guerres et qui, d’un autre, provoquent les guerres au nom de l’humanité et des droits-de-l’homme, contre l’avis des patriotes ; qui, d’un côté, crachent sur l’armée et la nation et qui, d’un autre, en appellent à elles pour réaliser leurs desseins ; qui agitent devant l’opinion publique le danger « fasciste » alors qu’ils détiennent tous les pouvoirs et exercent une véritable dictature (une dictature politico-médiatique dont le seul but, du moins le seul résultat, est de détruire « leur » pays) ; qui se prétendent démocrates alors qu’ils n’ont que mépris pour le peuple et gouvernent sans le consulter.
Ces hypocrites, ces traîtres, ces collabos, ces vendus, ces menteurs, ces malades, ces idiots utiles rappellent ceux d’un autre temps. Les circonstances, les mots et les étiquettes ont changé, mais pas les procédés. Voici comment, moyennant quelques adaptations, Robespierre dénonçait le projet de déclarer la guerre et peignait les ennemis de la patrie.
SUR LA GUERRE :
« La guerre ! s’écrient la cour [l’Elysée] et le ministère, et leurs innombrables partisans. La guerre ! répète un grand nombre de bons citoyens, mus par un sentiment généreux [genre droits-de-l’hommistes], plus susceptibles de se livrer à l’enthousiasme du patriotisme, qu’exercés à méditer sur les ressorts des révolutions et sur les intrigues des cours [de l’oligarchie]. Qui osera contredire ce cri imposant ? Personne, si ce n’est ceux qui sont convaincus qu’il faut délibérer mûrement, avant de prendre une résolution décisive pour le salut de l’état, et pour la destinée de la constitution, ceux qui ont observé que c’est à la précipitation et à l’enthousiasme d’un moment que sont dues les mesures les plus funestes qui aient compromis notre liberté, en favorisant les projets, et en augmentant la puissance de ses ennemis, qui savent que le véritable rôle de ceux qui veulent servir leur patrie, est de semer dans un temps pour recueillir dans un autre, et d’attendre de l’expérience le triomphe de la vérité. »
[...]
» La guerre est toujours le premier vœu d’un gouvernement puissant qui veut devenir plus puissant encore. Je ne vous dirai pas que c’est pendant la guerre que le ministère achève d’épuiser le peuple et de dissiper les finances, qu’il couvre d’un voile impénétrable ses déprédations et ses fautes ; je vous parlerai de ce qui touche plus directement encore le plus cher de nos intérêts. C’est pendant la guerre que le pouvoir exécutif déploie la plus redoutable énergie, et qu’il exerce une espèce de dictature qui ne peut qu’effrayer la liberté naissante ; c’est pendant la guerre que le peuple oublie les délibérations qui intéressent essentiellement ses droits civils et politiques, pour ne s’occuper que des événements extérieurs, qu’il détourne son attention de ses législateurs et de ses magistrats, pour attacher tout son intérêt et toutes ses espérances à ses généraux et à ses ministres, ou plutôt aux généraux et aux ministres du pouvoir exécutif.
[...]
» Pour moi, qui ne puis m’empêcher de m’apercevoir de la lenteur des progrès de la liberté en France, j’avoue que je ne crois pont encore à celle des peuples abrutis et enchaînés par le despotisme. Je crois autant que personne aux prodiges que peut opérer le courage d’un grand peuple qui s’élance à la conquête de la liberté du monde ; mais quand je fixe les yeux sur les circonstances réelles où nous sommes ; [...] lorsque j’entends débiter avec emphase toutes ces déclamations sur la liberté universelle, à des hommes pourris dans la fange des cours [des partis et des officines antiracistes], qui ne cessent de la calomnier, de la persécuter dans leur propre pays ; alors je demande au moins que l’on veuille bien réfléchir sur une question de cette importance.
[...]
» Mais reconnaissons de sang-froid notre situation : voyez la nation divisée en trois partis ; les aristocrates [immigrés, Arabo-africains, musulmans], les patriotes, et ce parti mitoyen, hypocrite, qu’on nomme ministériel [UMPS, bobos-gauchos]. Les premiers seuls n’étaient point à craindre, et la liberté était établie, quand les intrigants qui s’étaient cachés sous le masque du patriotisme [du droits-de-l’hommisme], vinrent se jeter entre eux [les immigrés] et le peuple [français], pour établir un système aristocratique [immigrationniste] analogue à leurs intérêts personnels. La cour et le ministère après s’être ouvertement déclaré pour les aristocrates [l’immigration], semble avoir adopté les formes et les projets de cette tourbe machiavélique [UMPS, bobos-gauchos]. C’est peut-être un problème si ses chefs sont actuellement d’accord en tout avec les chefs du parti aristocratique [CFCM] ; mais ce qui est certain, c’est que les aristocrates [les immigrés] étant trop faibles par eux-mêmes pour renverser entièrement l’ouvrage de la révolution [éradiquer le peuple français], se trouveront tôt ou tard assez heureux d’obtenir les avantages de la composition [exceptions et aménagements raisonnables] que les autres [UMPS, bobos-gauchos] leur préparent, et qu’ils sont naturellement portés, par leur intérêt, à se liguer avec eux contre la cause du peuple et des patriotes.
[...]
» Je sais qu’il peut se rencontrer des circonstances heureuses où la foudre peut partir de ses mains [du peuple] pour écraser les traîtres ; mais au moins faut-il qu’il ait pu découvrir à temps leur perfidie. Il ne faut donc pas l’exhorter à fermer les yeux, mais à veiller ; il ne faut pas souscrire aveuglément à tout ce que proposent ses ennemis, et leur remettre le soin de diriger le cours et de déterminer le résultat de la crise qui doit décider de sa perte ou de son salut. [...] »
1er discours contre la guerre,
prononcé aux Jacobins le 18 décembre 1791.
« Les plus grandes questions qui agitent les hommes ont souvent pour base un malentendu ; il y en a, si je ne me trompe, même dans celle-ci ; il suffit de le faire cesser, et tous les bons citoyens se rallieront aux principes et à la vérité. Des deux opinions qui ont été balancées dans cette Assemblée, l’une [un jour l’immigration, un jour l’intervention militaire] a pour elle toutes les idées qui flattent l’imagination, toutes les espérances brillantes qui animent l’enthousiasme, et même un sentiment généreux soutenu de tous les moyens que le gouvernement le plus actif et le plus puissant peut employer pour influer sur l’opinion ; l’autre [la défense et la préservation du peuple français] n’est appuyée que sur la froide raison et sur la triste vérité. Pour plaire, il faut défendre la première ; pour être utile, il faut soutenir la seconde, avec la certitude de déplaire à tous ceux qui ont le pouvoir de nuire : c’est pour celle-ci que je me déclare.
[...]
» Pour moi, j’admire votre bonheur et ne l’envie pas. Vous étiez destiné à défendre la liberté sans défiance, sans déplaire à ses ennemis [euro-mondialistes, islamistes], sans vous trouver en opposition ni avec la cour, ni avec les ministres, ni avec les modérés [ni avec les médias]. Comme les routes du patriotisme sont devenues pour vous faciles et riantes ! Pour moi, j’ai trouvé que plus on avançait dans cette carrière, plus ou rencontrait d’obstacles et d’ennemis, plus on se trouvait abandonné de ceux avec qui on y était entré ; et j’avoue que, si je m’y voyais environné des courtisans [UMPS], des aristocrates [antiracistes, immigrés non-assimilés], des modérés [bobos-gauchos], je serais au moins tenté de me croire en assez mauvaise compagnie.
[...]
» La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis.
[...]
» Puisque l’orateur du genre humain [Anacharsis Clootz] pense que la destinée de l’univers est liée à celle de la France, qu’il défende avec plus de réflexion les intérêts de ses clients, ou qu’il craigne que le genre humain ne lui retire sa procuration. Laissez donc, laissez toutes ces trompeuses déclamations, ne nous présentez pas l’image touchante du bonheur, pour nous entraîner dans des maux réels ; donnez-nous moins de descriptions agréables, et de plus sages conseils.
[...]
» La destruction du parti patriotique est le grand objet de tous les complots ; dès qu’une fois ils l’ont anéanti, que reste-t-il, si ce n’est la servitude ? Ce n’est pas une contre-révolution que je crains ; ce sont les progrès des faux principes, de l’idolâtrie, et la perte de l’esprit public.
[...]
» Le peuple ne reconnaît les traîtres que lorsqu’ils lui ont déjà fait assez de mal pour le braver impunément. A chaque atteinte portée à sa liberté [sa souveraineté], on l’éblouit par des prétextes spécieux [droits-de-l’homme, fraternité universelle], on le séduit par des actes de patriotisme illusoires, on trompe son zèle et on égare son opinion par le jeu de tous les ressorts de l’intrigue et du gouvernement, on le rassure en lui rappelant sa force et sa puissance. Le moment arrive où la division règne partout, où tous les pièges des tyrans sont tendus, où la ligue de tous les ennemis de l’égalité [de la patrie] est entièrement formée, où les dépositaires de l’autorité publique en sont les chefs, où la portion des citoyens qui a le plus d’influence par ses lumières et par sa fortune est prête à se ranger de leur parti. Voilà la nation placée entre la servitude et la guerre civile. [...] On veut nous y mener ; nous avons déjà fait peut-être d’assez grands pas vers ce but : mais nous en sommes encore à une assez grande distance ; la liberté [la France] triomphera, je l’espère, je n’en doute pas même ; mais c’est à condition que nous adopterons tôt ou tard, et le plus tôt possible, les principes et le caractère des hommes libres [des patriotes], que nous fermerons l’oreille à la voix des sirènes qui nous attire vers les écueils du despotisme [euro-mondialisme], que nous ne continuerons pas de courir, comme un troupeau stupide, dans la route par laquelle on cherche à nous conduire à l’esclavage ou à la mort. [...] »
2e discours contre la guerre,
prononcé aux Jacobins le 2 janvier 1792.
SUR LES ENNEMIS DE LA PATRIE :
« Jetez un coup d’œil sur notre véritable situation : vous sentirez que la vigilance et l’énergie vous sont plus nécessaires que jamais. Une sourde malveillance contrarie partout les opérations du gouvernement [la volonté du peuple français] : la fatale influence des cours étrangères [ONU, USA, UE, Israël, Etats arabes], pour être plus cachée, n’en est ni moins active, ni moins funeste. [...]
» Les ennemis intérieurs du peuple français se sont divisés en deux factions, comme en deux corps d’armée. Elles marchent sous des bannières de différentes couleurs [capitalisme, droits-de-l’hommisme] et par des routes diverses : mais elles marchent au même but ; ce but est la désorganisation du gouvernement populaire, la ruine de la Convention, c’est-à-dire, le triomphe de la tyrannie [anéantissement de la souveraineté nationale par l’euro-mondialisme, éradication du peuple français par l’immigration et le métissage]. L’une de ces deux factions nous pousse à la faiblesse, l’autre aux excès. L’une veut changer la liberté en bacchante [au nom de droits de l’Homme], l’autre en prostituée [au nom de Largent].
» Des intrigans subalternes, souvent même de bons citoyens abusés, se rangent dans l’un ou l’autre parti : mais les chefs appartiennent à la cause des rois ou de l’aristocratie [de l’oligarchie], et se réunissent toujours contre les patriotes. Les fripons [de l’UMPS], lors même qu’ils se font la guerre, se haïssent bien moins qu’ils ne détestent les gens de bien. La patrie est leur proie ; ils se battent pour la partager : mais ils se liguent contre ceux qui la défendent.
» On a donné aux uns [à l’UMPS] le nom de modérés ; il y a peut-être plus d’esprit que de justesse dans la dénomination d’ultra-révolutionnaires [gauchistes], par laquelle on a désigné les autres [car ils n’ont de « gauche » que l’étiquette]. Cette dénomination, qui ne peut s’appliquer dans aucun cas aux hommes de bonne foi que le zèle et l’ignorance peuvent emporter au-delà de la saine politique de la révolution, ne caractérise pas exactement les hommes perfides que la tyrannie soudoie pour corrompre, par des applications fausses ou funestes, les principes sacrés de notre Révolution [les idées d’indépendance, de souveraineté nationale et de démocratie].
» Le faux révolutionnaire est peut-être plus souvent encore en deçà qu’au-delà de la Révolution : il est modéré, il est fou de patriotisme [des droits de l’Homme], selon les circonstances. On arrête dans les comités prussiens, anglais, autrichiens, moscovites même, ce qu’il pensera le lendemain. Il s’oppose aux mesures énergiques, et les exagère quand il n’a pu les empêcher : sévère pour l’innocence, mais indulgent pour le crime : accusant même les coupables qui ne sont point assez riches pour acheter son silence, ni assez importants pour mériter son zèle ; mais se gardant bien de jamais se compromettre au point de défendre la vertu calomniée : découvrant quelquefois des complots découverts, arrachant le masque à des traîtres démasqués et même décapités ; mais prônant les traîtres vivants et encore accrédités : toujours empressé à caresser l’opinion du moment, et non moins attentif à ne jamais l’éclairer, et surtout à ne jamais la heurter : toujours prêt à adopter les mesures hardies, pourvu qu’elles aient beaucoup d’inconvénients : calomniant celles qui ne présentent que des avantages, ou bien y ajoutant tous les amendements qui peuvent les rendre nuisibles : disant la vérité avec économie, et tout autant qu’il faut pour acquérir le droit de mentir impunément : distillant le bien goutte-à-goutte, et versant le mal par torrents : plein de feu pour les grandes résolutions qui ne signifient rien ; plus qu’indifférent pour celles qui peuvent honorer la cause du peuple et sauver la patrie : donnant beaucoup aux formes du patriotisme [du droits-de-l’hommisme] ; très attaché, comme les dévots dont il se déclare l’ennemi [gauchistes athées et islamistes marchent main dans la main], aux pratiques extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action [il est généreux avec l’argent public et rapiat avec le sien comme pas deux].
» Quelle différence trouvez-vous entre ces gens-là et vos modérés ? ce sont des serviteurs employés par le même maître, ou, si vous voulez, des complices qui feignent de se brouiller pour mieux cacher leurs crimes. Jugez-les, non par la différence du langage, mais par l’identité des résultats [la ruine de la France, l’anéantissement du peuple français]. Celui qui attaque la Convention nationale par des discours insensés [celui qui insulte les Français], et celui qui la [les] trompe pour la [les] compromettre, ne sont-ils pas d’accord ? Celui qui, par d’injustes rigueurs [diabolisation, diffamation, coups, poursuites judiciaires], force le patriotisme à trembler pour lui-même, invoque l’amnistie en faveur de l’aristocratie [des immigrés délinquants, des sans-papiers, des clandestins] et de la trahison [des notables de l’UMPS]. Tel appelait la France à la conquête du monde, qui n’avait d’autre but que d’appeler les tyrans à la conquête de la France. L’étranger hypocrite [Anacharsis Clootz] qui, depuis cinq années, proclame Paris la capitale du globe, ne faisait que traduire, dans un autre jargon, les anathèmes des vils fédéralistes [européistes] qui vouaient Paris à la destruction.
[...]
» L’aristocratie [immigrés et immigrationnistes] se constitue en sociétés populaires [associations antiracistes] ; l’orgueil contre-révolutionnaire [anti-français] cache, sous des haillons, ses complots et ses poignards ; le fanatisme brise ses propres autels [condamne l’assimilation] ; le royalisme [l’UMPS] chante les victoires de la République [défigurée] ; la noblesse [la gaucherie], accablée de souvenirs, embrasse tendrement l’égalité pour l’étouffer ; la tyrannie [l’UMP], teinte du sang des défenseurs de la liberté, répand des fleurs sur leur tombeau.
» Si tous les cœurs ne sont pas changés, combien de visages sont masqués ! combien de traîtres ne se mêlent de nos affaires que pour les ruiner !
» Voulez-vous les mettre à l’épreuve, demandez-leur, au lieu de serment et de déclaration, des services réels ?
» Faut-il agir ? Ils pérorent. Faut-il délibérer ? Ils veulent commencer par agir. Les temps sont-ils paisibles ? Ils s’opposeront à tout changement utile. Sont-ils orageux ? Ils parleront de tout réformer, pour bouleverser tout. Voulez-vous contenir les séditieux ? Ils vous rappellent la clémence de César. Voulez-vous arracher les patriotes à la persécution ? Ils vous proposent pour modèle la fermeté de Brutus ; ils découvrent qu’un tel a été noble, lorsqu’il sert la république ; ils ne s’en souviennent plus dès qu’il la trahit. La paix est-elle utile ? Ils vous étalent les palmes de la victoire. La guerre est-elle nécessaire ? Ils vantent les douceurs de la paix. Faut-il défendre le territoire ? Ils veulent aller châtier les tyrans au-delà des monts et des mers. Faut-il reprendre nos forteresse ? Ils veulent prendre d’assaut les églises et escalader le ciel. Ils oublient les Autrichiens pour faire la guerre aux dévotes. Faut-il appuyer notre cause de la fidélité de nos alliés ? Ils déclameront contre tous les gouvernements du monde, et vous proposeront de mettre en état d’accusation le grand Mogol lui-même. Le peuple va-t-il au Capitole rendre grâce de ses victoires ? ils entonnent des chants lugubres sur nos revers passés. S’agit-il d’en remporter de nouvelles ? Ils sèment, au milieu de nous, les haines, les divisions, les persécutions et le découragement. Faut-il réaliser la souveraineté du peuple et concentrer sa force par un gouvernement ferme et respecté ? Ils trouvent que les principes du gouvernement blessent la souveraineté du peuple. Faut-il réclamer les droits du peuple opprimé par le gouvernement ? Ils ne parlent que du respect pour les lois, et de l’obéissance due aux autorités constituées.
» Ils ont trouvé un expédient admirable pour seconder les efforts du gouvernement républicain : c’est de le désorganiser, de le dégrader complètement, de faire la guerre aux patriotes qui ont concouru à nos succès.
» Cherchez-vous les moyens d’approvisionner vos armées ? vous occupez-vous d’arracher à l’avarice et à la peur les subsistances qu’elles resserrent ? Ils gémissent patriotiquement sur la misère publique et annoncent la famine. Le désir de prévenir le mal est toujours pour eux un motif de l’augmenter. Dans le Nord, on a tué les poules, et on nous a privé des œufs, sous le prétexte que les poules mangent du grain. Dans le Midi, il a été question de détruire les mûriers et les orangers, sous le prétexte que la soie est un objet de luxe, et les oranges une superfluité.
» Vous ne pourriez jamais imaginer certains excès commis par des contre-révolutionnaires hypocrites, pour flétrir la cause de la Révolution. [...] D’où est sorti tout-à-coup cet essaim d’étrangers, de prêtres, de nobles, d’intrigants de toute espèce, qui au même instant s’est répandu sur la surface de la République, pour exécuter, au nom de la philosophie [des droits de l’homme], un plan de contre-révolution [un plan anti-français], qui n’a pu être arrêté que par la force de la raison publique ? Exécrable conception, digne du génie des cours étrangères liguées contre la Liberté, et de la corruption de tous les ennemis intérieurs de la République !
» C’est ainsi qu’aux miracles continuels opérés par la vertu d’un grand peuple, l’intrigue mêle toujours la bassesse de ses trames criminelles, bassesse commandée par les tyrans, et dont ils font ensuite la matière de leurs ridicules manifestes, pour retenir les peuples ignorants dans la fange de l’opprobre et dans les chaînes de la servitude. »
Discours sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République, prononcé à la Convention le 5 février 1793 (17 pluviôse an II).
Ces transpositions ne sont pas pure fantaisie. Elles fonctionnent parce qu’elles sont judicieuses. Le patriotisme, l’amour de la patrie, qui est au cœur du discours de Robespierre, existe toujours. Or les euro-mondialistes et les immigrationnistes qui détruisent la France quand ils ne lui crachent pas dessus ouvertement ne peuvent prétendre au rôle de patriotes : ils correspondent donc aux « modérés » et aux « ultra-révolutionnaires ». Seuls les aristocrates, les nobles émigrés sont anachroniques, mais les immigrés, les Arabo-africains les remplacent très bien. Les rôles ne peuvent être distribués autrement.
Ainsi, peu d’efforts sont nécessaires pour actualiser le discours implacable de Robespierre. Le passé éclaire le présent, et le présent permet sans doute aux patriotes de mieux comprendre Robespierre. Le comprendre ne veut d’ailleurs pas dire l’aimer. Certains le détestent parce qu’ils ont bien compris qu’il était l’ennemi irréductible des traîtres de leur espèce, d’autres parce que, quoique patriotes, leurs préjugés les détournent de l’étude ou les empêchent de reconnaître en lui un grand prédécesseur. De même, certains l’aiment comme un héros de roman tout en se comportant eux-mêmes comme des collabos. Il n’y a de cohérents que les patriotes qui l’aiment et l’honorent en écoutant ses conseils et en marchant sur ses traces.
En l’occurrence, quelle aurait été sa position face au débarquement de milliers de Maghrébins qui croient de plus qu’ils ont tous les droits, que tout leur est du, que nous n’avons qu’à nous résoudre au fait accompli ? Sans doute cet homme qui ne varia jamais dans ses principes, aurait-il déclaré quelque chose du genre :
« Il est plus facile de se livrer aux bons sentiments “que de consulter la raison”. (18 décembre 1791) Quand un pays a subi pendant 50 ans, sans raison, sans contrôle et sans gestion, une immigration massive, quand son peuple, menacé dans son identité et son existence même, arrive à l’évidence à saturation, l’intérêt général commande, en premier lieu, d’arrêter d’aggraver le mal, donc de repousser les nouveaux venus, avec violence si nécessaire. “Les grands maux appellent les grands remèdes. Les palliatifs ne font que les rendre incurables.” (29 juillet 1792) Dans ces circonstances, un éventuel recours à la force “est appuyé sur la plus sainte de toutes les lois, le salut du peuple ; sur le plus irréfragable de tous les titres, la nécessité” (25 décembre 1793). “Est-ce donc le code criminel à la main qu'il faut apprécier les précautions salutaires qu'exige le salut public, dans les temps de crise amenés par l'impuissance même des loix ?” (5 novembre 1792)
» Vous à qui toute mesure favorable à la France arrache des cris d’indignation, comme s’il était scandaleux qu’elle se préoccupe d’abord de ses intérêts comme le fait tout pays ; vous qui reniez votre race, votre peuple, votre patrie pour complaire à des étrangers qui, eux, sont fiers de qui ils sont et d’où ils viennent, c’est vous qui leur avez inspirés le mépris du peuple français et qui, à force d’en inviter, avez fait d’eux des envahisseurs. Vous qui pendant des décennies avez dilapidé la compassion des Français au nom des droits de l’homme, qui n’avez cessé de prêcher la haine de soi au nom de l’amour de l’autre, qui avez insulté la raison et la modération au nom de votre extrémisme philanthropique, c’est-à-dire d’une démagogie criminelle, c’est vous qui, par cette longue suite d’outrances et de trahisons aussi incompréhensibles que désastreuses — tant pour les Français que pour les immigrés —, c’est vous, dis-je, qui avez poussé la France au bord de l’abîme et placé le peuple français — et tous les peuples européens — dans l’obligation de choisir entre sa survie et l’humanité. Et vous voulez encore lui arracher des larmes pour qu’il s’aveugle une fois de plus sur son propre sort alors qu’il est en passe de n’avoir même plus les yeux pour pleurer ! Comme vous vous y entendez pour manier la pitié, vous qui êtes impitoyables pour les Français !
» Mais à quelque chose malheur est bon. Ils ouvrent enfin les yeux sur leur situation et sur votre compte. Ils réalisent que “les émissaires des ennemis de la France travaillent aujourd'hui à renverser la République par républicanisme, et à rallumer la guerre civile par philosophie.” (5 décembre 1793) “Des législateurs qui aiment la patrie, et qui ont le courage de la sauver, ne doivent pas ressembler à des roseaux sans cesse agités par le souffle des factions étrangères.” (ibid) “S’il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressource qu’un cadavre.” (25 décembre 1793) »
De Munich à Montoire !
Philippe Landeux
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mercredi, 09 février 2011
ROBESPIERRE ET LA DEMOCRATIE
Instaurer l’Egalité et la démocratie, du moins en favoriser l’instauration, fut l’objectif suprême de Robespierre, celui qui guida toute sa politique tout au long de sa carrière.
Pour ce qui est de l’Egalité, ses idées n’étaient pas très originales : il ne concevait guère mieux qu’une réduction des inégalités financières, via des impôts progressifs, des exemptions, des indemnités, des aides, des taxes, etc., bref il prônait ce que nous connaissons et appelons aujourd’hui l’Etat providence. Ce n’était pas une révolution même si c’était très avancé pour l’époque et quoique personne n’ait proposé mieux depuis.
En revanche, en ce qui concerne la démocratie, Robespierre en a posé les principes absolus (1) et, loin d’avoir été dépassée, sa pensée est encore révolutionnaire. Pour ceux qui croient que le système qu’ils ont sous les yeux est une démocratie, comme pour ceux qui croient que la dégénérescence actuelle est une conséquence de la Révolution en général et de Robespierre en particulier, rien ne peut mieux éclairer les premiers et détromper les seconds que la connaissance exacte de ses positions.
(1) Robespierre a bel est bien posé les principes absolus de la démocratie. Sa faiblesse est d’avoir ignoré qu’il ne peut pas y avoir de véritable démocratie dans l’inégalité, sous Largent. La démocratie ne peut pas apporter l’Egalité, puisque l’Egalité est la condition de la démocratie. L’Egalité et Largent sont fondamentalement incompatibles. (C’est ce que Robespierre sentit lorsqu’il écrivit puis ratura : « Quand leur intérêt [celui des riches] sera-t-il confondu avec celui du peuple ? Jamais. » juin 1793) Ne remettant pas en cause Largent, ne pouvant d’ailleurs pas le faire à son époque (voir la Théorie du Civisme), Robespierre fut inconsciemment réduit à concevoir une Egalité dénaturée par Largent, à présenter comme étant l’Egalité ce qui n’était jamais que moins d’inégalités. Son impuissance à instaurer l’Egalité, ne serait-ce qu’à la théoriser convenablement, ne fait cependant pas de lui un démagogue. Les démagogues ne sont pas ceux qui veulent l’Egalité et la démocratie qui doivent régner dans une Société digne de ce nom, mais bien ceux qui acceptent ou prônent l’inégalité au nom de Largent (car c’est toujours au nom de Largent que l’inégalité est acceptée ou prônée en dernière analyse) et défendent la tyrannie (oppression, exploitation, dictature) au nom de la Liberté.
Robespierre attachait une importance capitale aux lois et à leur formation. Tout en dépendait selon lui. Quelles soient justes (question de contenu) et légitimes (question de législateurs) l’emportait sur toute autre considération. En cela, il était démocrate avant d’être républicain, car la démocratie bien comprise touche au fond des choses alors que la république n’est jamais qu’une forme pouvant contenir tout et son contraire. Comme il le dit lui-même le 17 mai 1792 : « Est-ce dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ? »
Robespierre voulait que les droits des citoyens soient reconnus et garantis et que les élus, les législateurs, soient honnêtes de gré ou de force afin qu’ils œuvrent bien dans l’intérêt général. Toutes ses propositions tendaient à l'un ou l'autre de ces buts.
Robespierre ne formula pas d’un coup toutes ces propositions. Il le fit au gré des sujets à l’ordre du jour. Certaines ne furent faites qu’une fois ; il revint inlassablement sur d’autres. Il aurait été possible de les regrouper par thème mais nous les présenterons dans l’ordre chronologique autant que faire se pourra.
Des législatures courtes
Le 12 septembre 1789, Robespierre demanda en vain que les législatures durent un an, afin
« que le Peuple, qui était condamné à ne pouvoir faire ses loix lui-même, eut au moins la consolation de renouveler souvent ses Représentans ; et d’être ainsi en une continuelle activité pour défendre ses droits et sa liberté ».
Cette disposition fut adoptée par la constitution de 1793 (article 40). Dans son discours sur la constitution à donner à la France (10 mai 1793), il avait simplement proposé que la durée des fonctions des mandataires n’excède pas deux années (article 9).
Le suffrage universel
Dès le 22 octobre 1789, Robespierre s’opposa à la notion de suffrage censitaire. Son intervention est rapportée dans un journal :
« On a décidé ensuite conformément au projet du Comité, qu’il fallait payer en imposition directe la valeur de trois journées de travail ; c’est peu, c’est trop peu, sans doute ; mais on ne peut s’empêcher de concevoir un sentiment d’indignation quand on voit un Robespierre s’opposer de tout son pouvoir à ce qu’on exige aucune portion de contribution. Vil et détestable incendiaire, qui croit défendre la cause du peuple en l’armant contre ses défenseurs naturels ! Sans doute, elle est belle, elle est sublime en théorie, cette idée que tous les hommes ont un droit égal à la législation, mais qu’elle est fausse en pratique ! »
Le 20 avril 1791, aux Cordeliers, Robespierre prononça un grand discours contre l’idée d’assujettir le droit de cité à l’imposition d’un Marc d’argent :
« Vous [les députés] avez vous-mêmes reconnu cette vérité d’une manière frappante, lorsqu’avant de commencer votre grand ouvrage, vous avez décidé qu’il fallait déclarer solennellement ces droits sacrés, qui sont comme les bases éternelles sur lesquelles il doit reposer.
- Tous les hommes naissent et demeurent libres, et égaux en droits.
- Le souveraineté réside essentiellement dans la nation.
- La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à sa formation, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants, librement élus.
- Tous les citoyens sont admissibles à tous les emplois publics, sans aucune autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
« Voilà les principes que vous avez consacrés : il sera facile maintenant d’apprécier les dispositions que je me propose de combattre : il suffira de les rapprocher de ces règles invariables de la société humaine.
« Or, 1° la Loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peuvent concourir, en aucune manière, à sa formation ? Non. Cependant interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d’ouvriers, le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l’Assemblée législative ; qu’est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangers à la formation de la loi ? Cette disposition est donc essentiellement anti-constitutionnelle et anti-sociale.
« 2° Les hommes sont-ils égaux en droits, lorsque les uns jouissant exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membre du corps législatif, ou des autres établissements publics, les autres de celle de les nommer seulement, les autres restent privés en même temps de tous ces droits ? Non ; telles sont cependant les monstrueuses différences qu’établissent entre eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou passif ; moitié actif, et moitié passif, suivant les divers degrés de fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées d’impositions directes, ou un Marc d’argent. Toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles et anti-sociales.
« 3° Les hommes sont-ils admissibles à tous les emplois publics sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, lorsque l’impuissance d’acquitter la contribution exigée les écarte de tous les emplois publics, quels que soient leurs vertus et leurs talents ? Non ; toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles et anti-sociales.
« 4° Enfin, la nation est-elle souveraine, quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté ? Non ; et cependant vous venez de voir que ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français. Que serait donc votre déclaration des droits, si ces décrets pouvaient subsister ? Une vaine formule. Que serait la nation ? Esclave ; car la liberté consiste à obéir aux lois qu’on s’est données, et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre constitution ? Une véritable aristocratie. Car l’aristocratie est l’Etat où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujets. Et quelle aristocratie ? La plus insupportable de toutes ; celle des riches. »
Le suffrage universel fut bien sûr le mode de suffrage que Robespierre préconisa le 29 juillet 1792, aux Jacobins, pour l’élection des députés à la Convention qui n’était pas encore convoquée :
« Que tous les français domiciliés dans l’arrondissement de chaque assemblée primaire, depuis un tems assez considérable, pour déterminer le domicile, tel que celui d’un an, soit admis à y voter ; que tous les citoyens soient éligibles à tous les emplois sans autre privilège, que celui des vertus et des talens. Par cette seule disposition, vous soutenez, vous ranimez le patriotisme et l’énergie du peuple ; vous multipliez à l’infini les ressources de la patrie ; vous anéantissez l’influence de l’aristocratie et de l’intrigue ; et vous préparez une véritable convention nationale ; la seule légitime, la seule complète, que la France aurait jamais vue. »
Le suffrage universel est une des rares dispositions soutenues par Robespierre qui soit non seulement en vigueur aujourd’hui mais qui soit encore plus étendue qu’il ne l’envisageait lui-même. Il ne lui était en effet jamais venu à l’esprit de reconnaître aux femmes le droit de cité qu’elles n’obtinrent, du reste, en France, qu’en 1945.
Des députés exclusifs
Le 7 novembre 1789, pour faire la nique à Mirabeau, l’Assemblée décréta que ses membres ne pourraient accéder à aucun minitère ni aucune autre place à nomination royale. Robespierre n’intervint pas sur le sujet car il était d’accord avec le principe. Le 25 octobre 1790, au sujet de la Haute Cour nationale, il formula des exigences qui, dans son esprit, s’appliquaient sans nul doute aussi aux députés. Il demanda que les membres de ladite cour
« soient nommés par le peuple, que la durée de son autorité soit courte, qu’il [ce tribunal] soit surveillé par le corps législatif, qu’il soit aussi nombreux que la nature des choses peut le permettre, que les membres de la cour nationale ne pussent être réélus », qu’ils « ne puissent recevoir aucun dons, pension ni emploi du pouvoir exécutif, même pendant les deux ans qui suivront immédiatement le temps de leur magistrature ».
Une députation nombreuse
Le 18 novembre 1789, Robespierre exprima le désir que les Assemblées nationales soient composées d’au moins mille députés car il était persuadé que « plus elles seront nombreuses, plus l’intrigue aura de peine à s’y introduire, et plus la vérité paraîtra avec éclat ».
L’immunité parlementaire
Le 25 juin 1790, à l’Assemblée, Robespierre posa le principe de l’immunité parlementaire :
« Pour que les Représentans de la Nation jouissent de l’inviolabilité, il faut qu’ils ne puissent être attaqués par aucun Pouvoir particulier ; aucune décision ne peut les frapper si elle ne vient d’un pouvoir égal à eux, et il n’y a point de pouvoir de cette nature. Il existe un Pouvoir supérieur aux Représentans de la Nation, c’est la Nation elle-même. Si elle pouvait se rassembler en Corps, elle serait leur véritable Juge… Si vous ne consacrez ces principes, vous rendez le Corps législatif dépendant d’un Pouvoir inférieur, qui, pour le dissoudre, n’aurait qu’à décréter chacun de ses Membres. Il peut le réduire à la nullité, et toutes ces idées si vraies, si grandes d’indépendance et de liberté, ne sont plus que des chimères. Je conclus à ce qu’il ne soit déclaré qu’aucun Représentant de la Nation ne peut être poursuivi dans un Tribunal, à moins qu’il ne soit intervenu un acte du Corps législatif, qui déclare qu’il y a lieu à accusation. »
Pour Robespierre, immunité ne rimait pas avec impunité. Comme il le dit ici, les élus du peuple ne peuvent avoir de juge que le peuple même. Faute de contre-pouvoir populaire constitutionnel, il ne peut appartenir qu’aux élus de mettre en accusation l’un d’entre eux. Cela arriva souvent durant la Révolution. Mais cette solution est vicieuse en elle-même car elle fait trop de place à l’esprit de parti naturel à tout groupe et à l’esprit de corps naturel à toute institution. Robespierre en imagina donc une autre dont il sera question plus loin.
Contre le cumul des fonctions publiques
Le 25 août 1790, l’Assemblée exclut les prêtes des fonctions de juges. Robespierre appuya cette mesure sur deux principes :
« Quelle est donc la raison constitutionnelle qui doit nous déterminer à les exclure [les prêtres, devenus des fonctionnaires de par la constitution civile du clergé] des fonctions judiciaires ? Ce n’est point une raison particulière aux ecclésiastiques ; c’est une raison commune à tous les fonctionnaires publics ; c’est le principe que les fonctions publiques doivent être séparées. On ne doit point en réunir plusieurs, dans les mêmes mains : 1° parce que celui qui est chargé par la société de quelque emploi doit avoir tout le temps et toute la liberté nécessaire pour s’y livrer tout entier ; 2° parce qu’un citoyen qui réunirait plusieurs fonctions publiques serait trop puissant et trop redoutable à la liberté publique. »
Robespierre réitéra cette opinion dans son discours sur la constitution à donner à la France : « Nul ne peut exercer à la fois deux emplois publics. (art. X) » (10 mai 1793).
Le droit d’être armé
Décembre 1790, dans son discours publié sur l’organisation des gardes nationales, Robespierre affirma un droit oublié par les démocrates délavés et pourtant inséparable de la démocratie, celui pour tous les citoyens d’être amés :
« Etre armé pour sa défense personnelle est le droit de tout homme ; être armé pour défendre la liberté et l’existence de la commune patrie est le droit de tout citoyen. Ce droit est aussi sacré que celui de la défense naturelle et individuelle dont il est la conséquence, puisque l’intérêt et l’existence de la société sont composés des intérêts et des existences individuelles de ses membres. Dépouiller une portion quelconque des citoyens du droit de s’armer pour la patrie et investir exclusivement l’autre, c’est donc violer à la fois et cette sainte égalité qui fait la base du pacte social, et les loix les plus irréfragables et les plus sacrées de la nature. »
Le droit d’être armé peut être soumis à des modalités mais ne peut être contesté sur le principe. En l’occurrence, Robespierre, en parlant du droit d’être armé, soutenait le droit pour tout citoyen de faire partie de la garde nationale.
La liberté de la presse
Le 24 août 1789, lors de la discussion sur la déclaration des droits, Robespierre s’était prononcé pour la liberté illimitée de la presse. Le 11 mai 1791, il fit aux Jacobins un grand discours sur le sujet :
« La liberté de la presse doit être entière et indéfinie, ou elle n’existe pas. [...]
« Mais pourquoi prendre tant de soin pour troubler l’ordre que la nature établissait d’elle-même ? Ne voyez-vous pas que, par le cours nécessaire des choses, le tems amène la proscription de l’erreur et le triomphe de la vérité ? laissez aux opinions bonnes ou mauvaises un essor également libre, puisque les premières seulement sont destinées à rester. [...]
« Les lois, que sont-elles ? l’expression libre de la volonté générale, plus ou moins conforme aux droits et à l’intérêt des nations, selon le degré de conformité qu’elles ont aux lois éternelles de la raison, de la justice et de la nature. Chaque citoyen a sa part et son intérêt dans cette volonté générale ; il peut donc, il doit même déployer tout ce qu’il a de lumières et d’énergie pour l’éclairer, pour la réformer, pour la perfectionner. Comme dans une société particulière, chaque associé a le droit d’engager ses co-associés à changer les conventions qu’ils ont faites, et les spéculations qu’ils ont adoptées pour la prospérité de leurs entreprises : ainsi, dans la grande société politique, chaque membre peut faire tout ce qui est en lui, pour déterminer les autres membres de la cité à adopter les dispositions qui lui paraissent les plus conforme à l’avantage commun. [...]
« ... quel est le but essentiel de la liberté de la presse ? C’est de contenir l’ambition et le despotisme de ceux à qui le peuple a commis son autorité, en éveillant sans cesse son attention sur les atteintes qu’ils peuvent porter à ses droits. [...]
« Ce ne sont pas ces hommes incorruptibles, qui n’ont d’autre passion que celle de faire le bonheur et la gloire de leur patrie, qui redoutent l’expression publique des sentiments de leurs concitoyens. Ils sentent bien qu’il n’est pas si facile de perdre leur estime, lorsqu’on peut opposer à la calomnie une vie irréprochable et les preuves d’un zèle pur et désintéressé [...]
« Qui sont ceux qui déclament sans cesse contre la licence de la presse, et qui demandent des lois pour la captiver ? ce sont ces personnages équivoques, dont la réputation éphémère, fondée sur les succès du charlatanisme, est ébranlée par le moindre choc de la contradiction ; ce sont ceux qui voulant à-la-fois plaire au peuple et servir les tyrans, combattus entre le désir de conserver la gloire acquise en défendant la cause publique, et les honteux avantages que l’ambition peut obtenir en l’abandonnant, qui, substituant la fausseté au courage, l’intrigue au génie, tous les petits manèges des cours aux grands ressorts des révolutions, tremblent sans cesse que la voix d’un homme libre vienne révéler le secret de leur nullité ou de leur corruption ; qui sentent que pour tromper ou pour asservir leur patrie, il faut, avant tout, réduire au silence les écrivains courageux qui peuvent la réveiller de sa funeste léthargie, à-peu-près comme on égorge les sentinelles avancées pour surprendre le camp ennemi ; ce sont tous ceux enfin qui veulent être impunément faibles, ignorans, traîtres ou corrompus. »
Le 22 août 1791, aux Jacobins, il ajouta :
« Je pense bien que les calomniateurs doivent être poursuivis en justice : cependant je crois que les fonctionnaires doivent être soumis à la censure de l’opinion publique qui doit toujours être parfaitement libre. Si le magistrat avait le droit de poursuivre tous ses calomniateurs, l’écrivains patriote qui chercherait à faire observer la conduite du magistrat, serait obligé de lutter inégalement avec le magistrat, toutes les fois qu’il parlerait de lui. Le fonctionnaire public qui sera accusé à tort, saura, par l’exposé de sa conduite irréprochable, faire sortir sa vertu brillante d’un plus bel éclat. »
Cependant, le 19 avril 1793, alors que l’élaboration de la constitution commençait, il objecta au girondin Buzot qui réclamait lui aussi la liberté indéfinie de la presse :
« Il n’y a qu’une seule exception, qui n’est applicable qu’aux temps des révolution, et que Buzot paraît avoir méconnue, car les révolutions sont faites pour établir les droits de l’homme. Il faut même, pour l’intérêt de ces droits, prendre tous les moyens nécessaires pour le succès des révolutions. Or, l’intérêt de la Révolution peut exiger certaines mesures qui répriment une conspiration fondée sur la liberté de la presse. Par exemple, vous avez déjà adopté des loix qui combattent le principe que Buzot a voulu établir absolument et dans tous les temps. […] De telles mesures, quoique contraires au principe de la liberté indéfinie, qui doit régner dans un état de calme, sont cependant nécessaires dans ce moment ; et si vous ôtiez toute espèce de frein à la licence des conspirateurs qui pourraient inonder la France entière de libelles liberticides, vous porteriez un coup mortel à la liberté, et vous vous mettriez hors d’état d’assurer le maintien des droits de l’homme, qui doivent être la base de notre constitution. Il est plus nécessaire que jamais de maintenir, dans toute leur sévérité, ces lois révolutionnaires, qui étouffent le germe du royalisme et du fédéralisme, fléaux qui perdraient la République entière. »
Le droit de pétition
Les 9 et 10 mai 1791, à l’Assemblée, Robespierre défendit le droit illimité de pétition, c’est-à-dire le droit de s’adresser individuellement ou collectivement aux élus :
« Si en décrétant le droit de pétition vous avez pensé accorder aux Français un droit nouveau, vous vous êtes trompés. Le droit de pétition n’est autre chose que la faculté qui appartient à tout citoyen d’émettre son vœu et de demander à ceux qui peuvent subvenir à ses besoins ce qui lui est nécessaire. Les Français jouissaient de ce droit avant que vous fussiez assemblés, aucune loi ne l’avait limité, et le décret que vous rendriez pour mettre des bornes à ce droit, serait la seule chose nouvelle que vous eussiez faite à cet égard. […] Je déclare donc que je tiens encore à ces principes que j’ai soutenus sans cesse dans cette tribune ; j’y tiens jusqu’à la mort ; et nous serions réduits à une condition bien misérable, si l’on pouvait avec succès nous peindre comme des perturbateurs du repos public et comme les ennemis de l’ordre, parce que nous continuerions à défendre, avec énergie, les droits les plus sacrés dont nos commettans nous aient confié la défense, car nos commettans sont tous les Français, et je les défendrai tous, sur-tout les plus pauvres. (Applaudi) […] Une collection d’individus, comme un particulier, a le droit de pétition, et ce droit n’est point une usurpation de l’autorité politique : elle n’a rien de commun avec les pouvoirs qui doivent être rigoureusement réservés à ceux qui en sont investis par le peuple ; c’est au contraire un droit naturel, et je soutiens que puisque tout individu isolément a le droit de pétition, il n’est pas possible que vous interdisiez à une collection d’hommes quelque titre, quelque nom qu’elle porte, que vous lui interdisiez, dis-je, la faculté d’émettre son vœu et de l’adresser à qui que ce puisse être. » (9 mai)
« Le droit de pétition n’est autre chose que la faculté accordée à un homme, quel qu’il soit, d’émettre son vœu, de demander ce qu’il lui paraît le plus convenable, soit à son intérêt particulier, soit à l’intérêt général. Il est évident qu’il n’y a point là de droits politiques, parce qu’en adressant une pétition, en émettant un vœu, son désir particulier, on ne fait aucun acte d’autorité, on exprime à celui qui a l’autorité en main ce que l’on désire qu’il vous accorde. » (10 mai)
Le droit de pétition n’est pas celui de proposer, encore moins de provoquer, des référendums. Il y a loin entre presser des élus et les court-circuiter. Il ne vint jamais à l’esprit de Robespierre de faire cette proposition dans la mesure où ses autres propositions garantissaient la fidélité des élus en les assujettissant à la volonté du peuple.
La non rééligibilité immédiate des députés sortants
Les 16 et 18 mai 1791, à l’Assemblée, Robespierre prôna et obtint que les députés sortants ne soient pas rééligibles à la législature suivante. Il était très attaché à cette disposition (2).
(2) Robespierre avait bien sûr raison sur le principe : en redevenant régulièrement de simples citoyens, soumis aux lois comme tout un chacun, les députés n’en sont que plus motivés à faire de bonnes lois. Mais c’est oublier que, dans un système monétaire, les “citoyens” sont inégaux en droits, qu’il y a des riches et des pauvres et que les députés sont généralement riches ou s’enrichissent grâce à leur fonction. Les députés sont donc intéressés à faire des lois en faveur des riches. Il est vrai que si toutes les dispositions proposées par Robespierre étaient simultanément appliquées, les lois seraient aussi justes que possible. Il n’en demeurerait pas moins que les riches resteraient riches et puissants, ce qui, au final, ne changerait pas grand chose.
« Autant les peuples sont indolens ou facile à tromper, autant ceux qui les gouvernent sont habiles et actifs pour étendre leur pouvoir et opprimer la liberté publique ; c’est cette double cause qui a fait que les magistratures électives sont devenues perpétuelles et ensuite héréditaires. C’est l’histoire de tous les siècles, qui a prouvé qu’une loi prohibitive de la réélection est le plus sûr moyen de conserver la liberté. Parlez-vous d’un corps de représentans destinés à faire des lois, à être les interprètes de la volonté générale ? La nature même de leurs fonctions les rappelle impérieusement dans la classe des simples citoyens. Ne faut-il pas en effet qu’ils se trouvent dans la situation qui confond le plus leur intérêt et le vœu personnel avec celui du peuple ? Or, pour cela, il faut que souvent ils redeviennent peuple eux-mêmes. Mettez-vous à la place des simples citoyens, et dites de qui vous aimeriez mieux recevoir des lois, ou de celui qui est sûr de n’être bientôt plus qu’un citoyen ou de celui qui tient encore à son pouvoir par l’espérance de le perpétuer. [...]
« Vous dites que le corps législatif sera trop faible pour résister à la force du pouvoir exécutif, si tous les membres sont renouvelés tous les deux ans. [...] C’est dans votre système que le corps législatif sera trop faible pour résister, non pas à la force du pouvoir exécutif, mais à ses caresses et à ses séductions. Car, dès le moment où il sera assis sur les bases de la constitution, ce n’est pas à le détruire que le pouvoir exécutif s’appliquera, mais à le corrompre. [...]
« On a fait une autre objection qui ne me paraît pas plus raisonnable, lorsqu’on a dit que, sans l’espoir de la rééligibilité, on ne trouverait pas dans les vingt-cinq millions d’hommes qui peuplent la France, des hommes dignes de la législature. Ce qui me paraît évident, c’est que s’opposer à la réélection, est le véritable moyen de bien composer la législature. Quel est le motif qui doit appeler, qui peut appeler un citoyen vertueux à désirer ou à accepter cet honneur, le plus de ceux que la nation française puisse accorder à ses citoyens ? Sont-ce les richesses, le désir de dominer, et l’amour du pouvoir ? Non. Je n’en connais que deux : le désir de servir sa patrie : le second, qui est naturellement uni à celui-là, c’est l’amour de la véritable gloire, celle qui consiste, non dans l’éclat des dignités, ni dans le faste d’une grande fortune, mais dans le bonheur de mériter l’amour de ses semblables par des talens et des vertus. » (18 mai 1791) (Discours du 16 mai)
Le 1er août 1792, aux Jacobins, Robespierre qui était pourtant rééligible demanda que soit convoquée « une convention nationale, dont les membres seront élus directement par les assemblées primaires, et ne pourront être choisis parmi ceux de l’assemblée constituante ni de la première législature. »
Elections et votes à haute voix
Le 27 août 1792, alors que les élections pour la Convention approchaient, Robespierre qui présidait alors l’assemblée de la section de la place Vendôme proposa que, en raison des circonstances, les élections se fassent à haute voix et que le choix des députés soit soumis à l’examen des assemblées primaires. Ce mode d’élection fut adopté par toutes les sections de Paris. Le 5 novembre 1792, dans sa réponse à Louvet, il donna lui-même le détail de cette affaire :
« L'assemblée électorale avait arrêté unanimement que tous les choix qu'elle ferait seraient soumis à la ratification des assemblées primaires, et ils furent, en effet, examinés et ratifiés par les sections. A cette grande mesure, elle en avait ajouté une autre, non moins propre à tuer l'intrigue, non moins digne des principes d'un peuple libre, celle de statuer que les élections seraient faites à haute voix et précédées de la discussion publique des candidats. »
Le 10 mai 1793, dans son discours sur la constitution à donner à la France, il prôna de nouveau les délibérations et le vote à haute voix (voir plus loin). Du reste, comme il l’avait déjà demandé à la Constituante le 17 septembre 1791, et comme il l’inscrivit dans sa déclaration des droits, article 20, il était d’avis que les assemblées électorales soient totalement libres de régler leur police et d’adopter le mode de scrutin qui leur convenait. La Constitution de 1793 reprit à son compte cet article.
Des séances largement ouvertes au public
Le 6 décembre 1792, dans ses Lettres à ses commettants (titre de son nouveau journal), Robespierre fit une observation qui, dans l’esprit, rejoignait toutes ses propositions fondées sur les vertus de la lumière, par opposition aux vices de l’ombre.
« J’avoue que si quelque chose prouve à quel point nous sommes inconséquens dans notre conduite et mesquins dans nos institutions, c’est l’indifférence avec laquelle nous avons souffert que le Manège des Thuileries fut si long-tems le temple de la législation. On ne s’est pas même aperçu que la nature de ce local était incompatible avec la publicité, que nous semblions regarder comme la sauve-garde de la liberté. On ne peut pas dire que les représentans de 25 millions d’hommes délibèrent publiquement, lorsqu’ils ne peuvent être vus ou entendus que de trois ou quatre cents hommes entassés dans des cages étroites et incommodes. Etait-ce la publicité des tribunaux et des assemblées de Rome et des anciennes républiques ? Il y a avait un moyen simple et infaillible, et le seul peut-être de forcer les mandataires du peuple d’être digne de lui, et d’épargner à la patrie tous les maux qu’elle a soufferts, tous ceux qui la menacent encore ; c’était de les faire délibérer au moins sous les yeux de dix mille citoyens : nous n’y avons pas même pensé. Une magnifique salle d’opéra eût été bâtie en six semaines : après quatre ans, l’assemblée législative n’a pas encore un lieu décent, pour délibérer. »
Dans son discours sur la constitution à donner à la France, le 10 mai 1793, Robespierre affirma ce principe sous forme d’article :
« Les délibérations de la législature et de toutes les autorités constituées, seront publiques : la publicité qu'exige la Constitution est la plus grande publicité possible. La législature doit tenir ses séances dans un lieu qui puisse admettre douze mille spectateurs » (art. XIII).
Les tribunes de l’Assemblée nationale sont toujours aussi ridicules. Néanmoins la télévision permet à tous les « citoyens » qui le désirent d’assister à ses séances. Mais des téléspectateurs produisent-ils sur les législateurs le même effet que des spectateurs en chair et en os ?
Les députés sont les mandataires, non les représentants du peuple
Les lois faites par l’Assemblée doivent être ratifiées par le peuple
Robespierre aborda ces thèmes de manière implicite le 10 août 1791 lorsqu’il s’opposa à l’adoption de l’article suivant : « la nation, de qui émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation ».
« Il est impossible de prétendre, comme on l’a fait, que la nation était obligée de déléguer toutes les autorités, toutes les fonctions publiques ; qu’il n’y avait aucune manière d’en retenir aucune partie sans aucune modification que ce soit. Je n’examine pas un systême que l’assemblée a décrété, mais je dis que dans le systême de la constitution, on ne peut point rédiger l’article de cette manière ; on ne peut dire que la nation ne peut exercer ses pouvoirs que par délégation ; on ne peut dire qu’il y ait un droit que la nation n’ait point. On peut bien régler qu’elle n’en usera pas, mais on ne peut pas dire qu’il existe un droit dont la nation ne peut pas user si elle le veut. »
Le 16 juin 1793, à la Convention, il se montra plus explicite :
« Le mot représentant ne peut être appliqué à aucun mandataire du peuple, parce que la volonté ne peut se représenter. Les membres de la législature sont les mandataires à qui le peuple a donné la première puissance ; mais dans le vrai sens on ne peut pas dire qu’ils le représentent. La législature fait des lois et des décrets ; les lois n’ont le caractère de lois que lorsque le peuple les a formellement acceptées. Jusqu’à ce moment, elles n’étaient que des projets ; alors elles sont l’expression de la volonté du peuple. Les décrets ne sont exécutés avant d’être soumis à la ratification du peuple, que parce qu’il est censé les approuver : il ne réclame pas, son silence est pris pour une approbation. Il est impossible qu’un gouvernement ait d’autres principes. Ce consentement est exprimé ou tacite ; mais, dans aucun cas, la volonté souveraine ne se représente, elle est présumée. Le mandataire ne peut être représentant, c’est un abus de mot, et déjà en France on commence à revenir de cette erreur. »
Ce discours s’applique à tous les détenteurs d’autorité publique. Ils ne sont pas le peuple, ils ne sont que ses mandataires. Ils doivent être élus pour occuper légitimement leur fonction, mais l’élection ne leur confère pas la légitimité d’agir à leur guise : leurs actes ne sont légitimes qu’autant qu’ils sont approuvés par le peuple. Sans cette approbation, sans possibilité réelle pour le peuple de donner son accord ou de s’opposer à chacune des décisions de ses élus, le peuple n’est souverain que sur le papier et des élections ne sont qu’une mascarade démocratique.
Ce principe est celui qui impose l’approbation de la constitution par référendum. C’est celui qui fonde toute élection, tout référendum. C’est celui qui est systématiquement violé par une Assemblée qui édicte des lois sans que le peuple n’ait son mot à dire.
Que les élus sortants soient jugés
Le 10 mai 1793, dans le droit fil de son intervention du 25 juin 1790 sur l’inviolabilité des députés (voir plus haut), Robespierre proposa comme mesures constitutionnelles :
« XVI. Les membres de la législature ne pourront être poursuivis, par aucun tribunal constitué, pour raison des opinions qu'ils auront manifestées dans l'assemblée ; mais à l'expiration de leurs fonction, leur conduite sera solennellement jugée par le peuple qui les aura choisis. Le peuple prononcera sur cette question : tel citoyen a-t-il répondu oui ou non à la confiance dont le peuple l'a honoré ?
« XVII. Les faits positifs de corruption et de trahison qui pourraient être imputés aux fonctionnaires publics dont il est parlé aux deux articles précédens, seront jugés par le tribunal populaire, et leurs délits privés, par les tribunaux ordinaires.
« XVIII. Tous les membres de la législature et tous les membres de l'agence exécutive, seront tenus de rendre compte de leur fortune, deux ans après l'expiration de leur autorité. »
Considérer les gouvernants comme corruptibles, et le peuple bon
Le 21 avril 1793, dans sa déclaration des droits, Robespierre posa un principe essentiel, bien loin des conceptions des élites en général et de nos démocrates modernes en particulier, à savoir :
« Dans tout état libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvernent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse. » (article 19)
L’article 9 de la déclaration officielle de 1793 ne retint que la première phrase.
Indemniser ceux qui servent la chose publique
Une disposition qui avait un sens dans le contexte du XVIIIe siècle et que Robespierre ne cessa de réclamer fut l’indemnisation des électeurs pauvres obligés de perdre le salaire d’une ou plusieurs journées de travail pour participer aux élections. Il fit cette proposition dès les élections pour les Etats Généraux. Le 29 mars 1789,
« Il représenta que l’Assemblée comptait parmi ses membres plusieurs Artisans qui avaient consacré aux affaires de la Commune, quatre journées nécessaires à leur subsistance ; et conclut que l’humanité et la justice exigeaient que la Commune leur payât au moins les modiques salaires qu’elles auraient pu leur procurer ».
Le 30 août 1791, Robespierre soutint, en vain, une députation des électeurs du Pas-de-Calais qui réclamait une indemnité pour les électeurs mobilisés depuis 18 mois.
Le 10 mai 1793, dans son discours sur la constitution à donner à la France, il déclara :
« Qu’importe que la loi rende un hommage hypocrite à l’égalité des droits, si la plus impérieuse de toutes les lois, la nécessité, force la partie la plus saine et la plus nombreuse du peuple à y renoncer ? Que la patrie indemnise l’homme qui vit de son travail lorsqu’il assiste aux assemblées publiques ; qu’elle salarie par la même raison d’une manière proportionnée tous les fonctionnaires publics ; que les règles des élections, que les formes des délibérations soient aussi simples, aussi abrégées qu’il est possible ; que les jours des assemblées soient fixés aux époques les plus commodes pour la partie laborieuse de la nation. »
En conséquence, il proposa l’article suivant :
« VIII. Afin que l'inégalité des biens ne détruise point l'égalité des droits, la Constitution veut que les citoyens qui vivent de leur travail, soient indemnisés du tems qu'ils consacrent aux affaires publiques, dans les assemblées du peuple où la loi les appelle. »
Dans le même esprit, Robespierre soutint, le 17 septembre 1793, la mesure faite adoptée par Danton le 5 septembre portant que les citoyens pauvres qui assisteraient aux assemblées de section seraient indemnisés à hauteur de 40 sous.
« Il n’y a que l’aristocratie qui puisse entreprendre de faire croire au peuple qu’il est avili, parce que la patrie vient au-devant de ses besoins, et qu’elle tâche de rapprocher la pauvreté de l’insolente richesse. Pourquoi donc cet avilissement qu’on prétend jeter sur l’homme qui reçoit une indemnité de la justice nationale ? Sommes-nous donc avilis, nous représentants du peuple, en recevant l’indemnité qu’il nous accorde pour subvenir à nos besoins ? »
On voit que Robespierre, constant, ne pronait pas cette mesure par démagogie, par populisme, mais bien par principe, celui qui veut que les citoyens se consacrent à la chose publique et soient donc en état de le faire au besoin grâce à un secours de la société sans lequel celle-ci serait doublement injuste. Il commença pas appliquer ce principe aux pauvres mais il l’appliquait à tous les citoyens, à tous les fonctionnaires. Ainsi, le 20 janvier 1791, il se proposait de lire à l’Assemblée un discours sur l’organisation des tribunaux criminels dans lequel était écrit ceci :
« L’égalité des droits, qui assure à tous les Citoyens la faculté d’être élus par la confiance publique, serait illusoire, si la différence des fortunes mettait le plus grand nombre d’entr’eux dans l’impossibilité physique de soutenir le poids des fonctions nationales. C’est pour cela que je regarde comme tenant essentiellement à la liberté, l’article par lequel je propose d’indemniser les Jurés. J’avoue qu’en général ce n’est pas sans allarmes, que j’ai vu introduire encore le systême de laisser sans salaire un grand nombre de Fonctionnaires publics. Ce n’est pas surtout sans étonnement, que j’ai entendu les Membres du Comité prononcer cette maxime nouvelle, que si les Jurés étaient indemnisés, cette institution serait déshonorée. Les Juges, les Administrateurs, sont donc déshonorés, parce que la justice, la dignité, l’intérêt de la société exigent qu’ils soient salariés ? Les Législateurs sont donc déshonorés ! Le Roi, sur-tout, doit être bien humilié de sa liste civile ! Je ne sais si cette espèce de délicatesse-là paraît à quelqu’un bien sublime ? pour moi, je la trouve ou bien puérile, ou bien perfide. Oui, le plus dangereux de tous les pièges que l’on peut tendre au patriotisme, la plus funeste manière de trahir le peuple, en le livrant à l’aristocratie des riches, c’est sans contredit d’accréditer cette absurde doctrine, qu’il est honteux de n’être pas assez riche, pour vivre, en servant la Patrie sans indemnité ; c’est d’oser mettre en parallèle, avec quelques dépenses nécessaires, l’intérêt sacré de la liberté et de la Patrie. »
Le 3 mars 1791, Robespierre s’opposa à ce que les indemnités des députés servent en tout ou partie à financer un projet de tontine viagère :
« Le salaire des Représentans de la Nation n’est point une propriété individuelle, c’est une propriété nationale. La Nation leur donne une indemnité, parce que l’intérêt exige que tous les Citoyens soient en état de remplir l’emploi qui leur est confié. Pour cela elle leur accorde une indemnité légère en soi, mais qui acquiert une grande importance, parce qu’elle est nécessaire au bien public. En conséquence, toute motion tendante à détourner de sa destination le salaire des Représentans de la Nation, n’est point un secours accordé aux malheureux, c’est l’anéantissement du principe le plus intéressant de l’intérêt général. »
Le 14 décembre 1792, il posa le principe de manière générale :
« Qu’arriverait-il si on refusait une indemnité en faveur d’un citoyen quelconque que les suffrages ont porté à des places qui ne lui permettent pas de vaquer à ses affaires particulières ? Il en arriverait que les citoyens, dont les facultés ne permettraient pas d’abandonner leurs moyens de subsistance ordinaire, se trouveraient écartés des places ; et certes, ne serait-ce pas alors que, par ce fait, le peuple perdrait sa souveraineté pour n’avoir pas les moyens d’exercer ses doits. »
Une démocratie, une nation
Robespierre n’a jamais abordé clairement la question du droit de cité. A qui appartient ce droit ? La réponse était pour lui évidente : aux citoyens français qui, ensemble, constituent le peuple souverain. La démocratie n’avait de sens que dans le cadre de la nation. Mais qu’est-ce qu’un citoyen français ? Il ne disserta jamais sur ce sujet qui, du reste, est double : un citoyen français possède à la fois la citoyenneté et la nationalité qui sont deux choses différentes. Ne pas distinguer ces deux concepts empêche de définir chacun d’eux convenablement, tandis que les confondre oblige à donner du tout une définition scabreuse (3). Parler de « droits naturels », comme le faisait Robespierre, tout en ne concevant les droits que dans la cadre d’une société induit le même genre d’acrobaties intellectuelles. Il est cependant possible d’avoir une position finale relativement juste à condition d’en appeler au bon sens et d’occulter ainsi les mauvais postulats qui ne peuvent être invoqués en tant que principes. C’est ainsi que, malgré quelque faiblesses dialectiques, l’intuition et le sens pratique évitèrent à Robespierre de tomber dans la démagogie universaliste qui de nos jours fait des ravages.
(3) La constitution de 1793 qui reprit en bonne partie les idées de Robespierre mais qui constituait malgré tout un compromis, définissait l’état de citoyen français comme suit :
ART. 4. Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail ou acquiert une propriété ou épouse une Française ou adopte un enfant ou nourrit un vieillard ; tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - est admis à l'exercice des droits de citoyen français.
ART. 5. L'exercice des Droits de citoyen se perd par la naturalisation en pays étranger, par l'acceptation de fonctions ou faveurs émanées d'un gouvernement non populaire, par la condamnation à des peines infamantes ou afflictives, jusqu'à réhabilitation.
Aussi, ne partagea-t-il pas l’angélisme de la Constituante et des Girondins au sujet des étrangers. Les accueillir, donner asile aux persécutés, avoir pour eux certains égards est une chose ; leur accorder le droit de cité en est une autre, surtout en temps de guerre et de révolution. Sur ce point, ses interventions de plus en plus radicales ne laissent aucun doute sur ses positions qui, à l’heure de l’immigration massive, méritent d’être méditées.
Le 25 février 1793, aux Jacobins, Robespierre parla des troubles qui avaient eu lieu dans la journée dans la rue des Lombards :
« A côté des citoyens honnêtes, nous avons vu des étrangers et des hommes opulents, revêtus de l’habit respectable de sans-culotte. Nous en avons entendu dire : " On nous promettait l’abondance après la mort du roi, et nous sommes plus malheureux depuis que ce pauvre roi n’existe plus. " Nous en avons entendu déclamer, non pas contre la portion intrigante et contre-révolutionnaire de la Convention, qui siège où siégeaient les aristocrates de l’Assemblée constituante, mais contre la Montagne, mais contre la députation de Paris et contre les Jacobins, qu’ils représentaient comme accapareurs. »
Le 8 juin 1793, Robespierre proposa à la Convention de « faire une loi qui bannisse les étrangers ».
Le 29 juillet 1793, aux Jacobins, Robespierre demanda que les déserteurs étrangers soient arrêtés mais s’opposa à l’arrestation de tous les étrangers.
« Je demande qu’on envoie sur le champ une députation au maire de Paris et au commandant-général de la garde nationale parisienne, pour les engager à faire mettre en état d’arrestation tous les déserteurs qui se trouvent en ce moment dans la capitale. […] Je n’ai pas dû demander que tous les étrangers fussent arrêtés, car c’était le seul et le plus efficace moyen de les bannir sans ressource, or il en est un plus grand nombre, dont les lumières, les vertus et le patriotisme servent utilement la chose publique, mais vous ne devez pas mettre de ce nombre les déserteurs autrichiens qu’une longue habitude nous a rendus tous suspects. Je demande que les hommes, qu’un sentiment impérieux fait regarder comme des traîtres, que ces hommes qui ont eu l’audace de venir dans notre sein au nom de vos ennemis qui sont aussi ceux du peuple, que ces hommes enfin dont la conduite, d’après leur propre aveu, n’est pas exempte de louche, soient mis, mais mis seuls, en état d’arrestation ; s’ils sont innocens, nous saurons les dédommager de cette rigueur passagère ; s’ils sont coupables, ils doivent nous payer sans grâce les nombreux sacrifices que nous faisons toujours à la liberté. »
Le 1er août 1793, la Convention décréta l’arrestation des « étrangers des pays avec lesquels la République est en guerre, et non domiciliés en France avant le 14 juillet 1789. »
Le 6 septembre 1793, la Convention décréta l’arrestation des « étrangers nés sur le territoire des puissances avec lesquelles la République française est en guerre », jusqu’à ce qu’il en soit ordonné autrement. Etaient exceptés les artistes et tous les ouvriers pour lesquels deux citoyens attesteraient le patriotisme, et tous ceux qui, n’étant ni l’un ni l’autre, avaient donné des preuves de civisme et d’attachement à la République.
Le 7 septembre 1793, la Convention décréta l’arrestation des banquiers étrangers, étant souvent soit des espions soit des agents de corruption, et la pose des scellés sur leurs papiers.
Le 16 octobre 1793, Robespierre appuya le rapport de Saint-Just portant l’arrestation de tous les ressortissants des puissances en guerre contre la République.
« Depuis le commencement de la Révolution, on a dû remarquer qu’il existe en France deux factions bien distinctes, la faction anglo-prusienne [Brissot, Petion, Clootz, etc.], et la faction autrichienne [Proli, Guzman, etc.], toutes deux réunies contre la République, mais divisées entre elles pour leurs intérêts particuliers. Vous avez porté un grand coup à la faction anglo-prussienne ; l’autre n’est pas morte, vous avez à la terrasser. Je le répète, je ne crois pas si légèrement à la philosophie des Anglais ; ceux qui sont dans ce cas, sont des prodiges. Je me défie indistinctement de tous ces étrangers dont le visage est couvert du masque du patriotisme, et qui s’efforcent de paraître plus républicains et plus énergiques que nous. Ce sont ces ardens patriotes qui sont les plus perfides artisans de nos maux. Ils sont les agens des puissances étrangères, car je sais bien que nos ennemis n’ont pas manqué de dire : Il faut que nos émissaires affectent le patriotisme le plus chaud, le plus exagéré, afin de pouvoir s’insinuer plus aisément dans nos Comités et dans nos assemblées ; ce sont eux qui sèment la discorde, qui rôdent autour des citoyens les plus estimables, autour des législateurs même les plus incorruptibles ; ils emploient le poison du modérantisme et l’art de l’exagération pour suggérer des idées plus ou moins favorables à leurs vue secrettes (On applaudit). Propose-t-on une mesure sage, mais cependant courageuse et calculée sur l’étendue des besoins de la patrie ? Ils disent aussitôt qu’elle est insuffisante, et demande une loi plus populaire en apparence, mais qui, par leurs menées, deviendrait un instrument de destruction. Propose-t-on une mesure plus douce, mais calculée encore sur les besoins de la patrie ? Ils s’écrient qu’il y a de la faiblesse, que cette mesure va perdre la patrie. Ce sont ces agens qu’il faut atteindre, c’est à eux qu’il faut parvenir en dépit de leur art perfide et du masque dont ils ne cessent de se couvrir. Ces agens là sont de tous les pays. Il y a des Espagnols, des Anglais, des Autrichiens ; il faut les frapper tous (Vifs applaudissemens). La mesure est rigoureuse, elle pourra atteindre quelques philosophes amis de l’humanité ; mais cette espèce est si rare, que le nombre des victimes ne sera pas grand. D’ailleurs, cette espèce est si généreuse et si magnanime, qu’elle ne s’aigrira pas contre les mesures qui doivent assurer la prospérité de la France, le bonheur du genre humain et de la terre même qui leur a donné le jour, et où la tyrannie domine encore (On applaudit). »
Le 12 décembre 1793, aux Jacobins, Robespierre proposa et obtint l’exclusion d’Anacharsis Clootz, autoproclamé Orateur du genre humain. Cette intervention est particulièrement d’actualité. C’est un cas d’école.
« Pouvons-nous regarder comme patriote un baron allemand ? Pouvons-nous regarder comme sans-culotte un homme qui a plus de cent mille livres de rente ? Pouvons-nous croire républicain l’homme qui ne vit qu’avec les banquiers [Vandenyver], les contre-révolutionnaires ennemis de la France ? non, Citoyens, mettons-nous en garde contre les étrangers qui veulent paraître plus patriotes que les Français eux-mêmes. Cloots, tu passes ta vie avec nos ennemis, avec les agens et les espions des puissances étrangères ; comme eux, tu es un traître qu’il faut surveiller. Citoyens, Cloots vient de tout vous expliquer ; il connaît les Vandenyver, et les connaissait pour des contre-révolutionnaires. Il vous assure qu’il a cessé de les voir, mais c’est encore là une fourberie de Prussien. Pourquoi donc, Cloots, si tu connaissais les Vandenyver pour des contre-révolutionnaires, es-tu venu solliciter leur élargissement au Comité de sûreté générale : parle, qu’as-tu à répondre.
« Mais ces inculpations sont peu de choses, quand il est question de M. Cloots. Ses trahisons tiennent à un système mieux ourdi. Citoyens, vous l’avez vu tantôt aux pieds du tyran et de la Cour, tantôt aux genoux du peuple... Lorsqu’une faction liberticide dominait au milieu de nous, lorsque les chefs tenaient les rênes du gouvernement, Cloots embrassa le parti de Brissot et de Dumouriez. Lorsque ces derniers servaient les puissances étrangères, et nous faisaient déclarer la guerre, le prussien Cloots appuyait leurs opinions avec frénésie ; il faisait des dons patriotiques, vantait les généraux, et voulait qu’on attaquât l’Univers... Sa conduite ne lui en attira pas moins le mépris de la faction. L’amour-propre lui fit publier un pamphlet intitulé "Ni Marat ni Roland". Il y donnait un soufflet à ce dernier, mais il en donnait un plus grand à la Montagne.
« J’accuse Cloots d’avoir augmenté le nombre des partisans du fédéralisme. Ses opinions extravagantes, son obstination à parler d’une République universelle, à inspirer la rage des conquêtes, pouvaient produire le même effet que les déclamations et les écrits séditieux de Brissot et de Lanjuinais. Et comment Cloots pouvait-il s’intéresser à l’unité de la République, aux intérêts de la France ; dédaignant le titre de citoyen français, il ne voulait que celui de citoyen du monde. Eh ! s’il eût été bon Français, eût-il voulu que nous tentassions la conquête de l’Univers ? Eût-il voulu que nous fissions un département français du Monomotapa ? Eût-il voulu que nous déclarassions la guerre à toute la terre et à tous les élémens ? [...]
« Il est une troisième crise dont M. Cloots pourra se vanter, mais ce ne sera que devant des imbecilles ou des fripons... Je veux parler du mouvement contre le culte, mouvement qui, mûri par le temps et la raison, eût pu devenir excellent, mais dont la violence pouvait entraîner les plus grands malheurs, et qu’on doit attribuer aux calculs de l’aristocratie... Gobel, dont vous connaissez tous la conduite politique, était du nombre de ces prêtres qui se plaignaient de la réduction de leurs traitemens, et dont l’ambition voulait ressusciter l’hydre du ci-devant clergé... Et cependant nous avons vu cet évêque changer subitement de ton, de langage et d’habit, se présenter à la barre de la Convention nationale, et nous offrir ses lettres de prêtrise. Eh ! Cloots, nous connaissons tes visites et tes complots nocturnes. Nous savons que, couvert des ombres de la nuit, tu as préparé avec l’évêque Gobel cette mascarade philosophique. Tu prévoyais les suites funestes que peuvent avoir de semblables démarches ; par cela même, elles n’en plaisaient que davantage à nos ennemis.
« Cloots croyait sans doute que les vrais amis du peuple avaient pris le change et étaient dupes de ces mascarades. Il vint se targuer au Comité de ce bel exploit... " Mais, lui dis-je, vous nous avez dit dernièrement qu’il fallait entrer dans les Pays-Bas, leur rendre l’indépendance, et traiter les habitans comme des frères... Pourquoi donc cherchez-vous à nous aliéner les Belges en heurtant des préjugés auxquels vous les savez fortement attachés ? ... — Oh ! oh ! répondit-il, le mal était déjà fait... On nous a mille fois traités d’impies. — Oui, mais il n’y avait pas de faits " (Cloots pâlit, n’osa pas répondre et sortit). Citoyens, regarderez-vous comme patriote un étranger qui veut être plus démocrate que les Français et qu’on voit tantôt au Marais, tantôt au-dessus de la Montagne ? car jamais Cloots ne fut à la Montagne ; il fut toujours au-dessous ou au-dessus. Jamais il ne fut le défenseur du peuple français mais celui du genre humain.
« Citoyens, je vous prie de faire une réflexion : quand nous avons décrété des lois rigoureuses contre les nobles, Cloots a été excepté ; quand nous avons décrété l’arrestation des étrangers, Cloots a encore été excepté ; que dis-je excepté ! dans ce moment-là même, Cloots fut élu président des jacobins [le 9 novembre, jusqu’au 30] : donc, par une conséquence infaillible, le parti de l’étranger domine au milieu des Jacobins. »
Cette tirade contre Clootz n’était pas la première. Le 2 janvier 1792, au moment des discussions sur la guerre, à laquelle Clootz était favorable, Robespierre s’en était déjà pris à lui.
« Puisque l'orateur du genre humain pense que la destinée de l'univers est liée à celle de la France, qu'il défende avec plus de réflexion les intérêts de ses clients, ou qu'il craigne que le genre humain ne lui retire sa procuration. Laissez donc, laissez toutes ces trompeuses déclamations, ne nous présentez pas l'image touchante du bonheur, pour nous entraîner dans des maux réels ; donnez-nous moins de descriptions agréables, et de plus sages conseils. »
Relevons cette lettre de Saint-Just et Lebas, en mission à Strasbourg, qui, le 14 décembre 1793, annoncèrent à Robespierre qu’ils envoyaient au Comité de salut public l’accusateur public Euloge Schneider, « un ci-devant prêtre, un sujet de l’Empereur. Il sera, avant son départ, exposé sur l’échafaud de la guillotine. Cette punition, qu’il s’est attiré par sa conduite insolente, a été aussi commandée par la nécessité de réprimer les étrangers. Ne croyons pas les charlatans cosmopolites, et ne nous fions qu’à nous mêmes. »
Le 25 décembre 1793, suite au rapport de Robespierre sur les principes du gouvernement révolutionnaire, la Convention décréta qu’« aucun étranger ne pourra être admis à représenter le peuple français. » Le lendemain, elle les exclut de toutes les fonctions publiques.
Les révolutionnaires en général et Robespierre en particulier n’étaient ni chauvins ni xénophobes, mais ils n’étaient pas naïfs et l’expérience leur apprit à se méfier des étrangers, immigrés ou réfugiés, qui, poursuivant leurs intérêts ou agissant pour le compte de puissances étrangères, poussèrent souvent aux maladresses et aux excès préjudiciables à la Révolution, quand ils ne trempèrent pas dans des affaires de corruption. L’heure était alors trop grave pour ne pas prendre de précautions légitimes à leur sujet.
Quoi qu’il en soit, il ressort que, aux yeux de Robespierre, les étrangers ayant par nature un point de vue étranger ne devaient pas avoir le droit de cité en France. Ce fondateur de la gauche considèrerait sans aucun doute comme des traîtres et des démagogues criminels ceux qui aujourd’hui nient la France et le peuple français, crachent sur le patriotisme, prônent l’immigration à outrance, croient qu’il suffit de sacraliser l’immigré pour être de gauche, considèrent comme d’extrême droite ceux qui n’acceptent pas l’invasion de leur pays, substituent la préférence étrangère à la préférence nationale, tolèrent la double nationalité, vantent le multiculturalisme, débinent la démocratie sous le nom de populisme et réclament dans le même temps le droit de vote pour les étrangers.
Le respect des lois
Le 17 juin 1792, dans son Défenseur de la Constitution, Robespierre publia un article particulièrement important sur « le respect du aux lois et aux autorités constituées ». Il contient tant de choses en rapport avec le sujet qu’il mérite d’être cité in extenso.
« Les lois sont les conditions et le lien de la société ; tout membre de la société qui leur refuse l’obéissance, cesse de l’être par celle même.
« Les lois peuvent être considérées sous deux aspects, par rapport au souverain, c’est-à-dire à la nation ; par rapport aux sujets, c’est-à-dire aux individus.
« Le souverain est au-dessus des lois ; le sujet doit leur être toujours soumis. La nation peut changer, à son gré, la loi qui est son ouvrage ; chaque citoyen est toujours obligé de la respecter.
« Quiconque veut maintenir, par la force ou par artifice, une loi que la volonté de la nation a proscrite, est rebelle à la loi ; il se révolte contre le souverain même en qui réside la puissance législative. Alors la loi même a cessé de l’être, quoiqu’elle conserve encore ce nom, et qu’elle continue d’obtenir une soumission forcée. C’est en vain qu’Appius et les décemvirs, étendant leur autorité au de là des bornes et de la durée que le peuple a prescrites, commandent encore aux Romains, au nom de la loi ; la loi réclame contre leur tyrannie ; elle n’attend que la mort de Virginie et le réveil du peuple, pour punir les tyrans.
« Aussi long-tems que la majorité exige le maintien de la loi, tout individu qui la viole, est rebelle. Qu’elle soi sage ou absurde, juste ou injuste, il n’importe ; son devoir est de lui rester fidèle.
« Telle est la nature du respect qu’il lui doit : l’obéissance.
« Quant au respect, qui est un sentiment, qui suppose l’adhésion du cœur et de l’esprit à la sagesse ou à la justice de la loi, nulle puissance humaine ne peut l’imposer, et le maintien de l’ordre ne l’exige pas. Il dépend de l’opinion qui est essentiellement libre et indépendante. Le législateur n’est point infaillible, fût-il le peuple lui-même. Les chances de l’erreur sont bien plus nombreuses encore, lorsque le peuple délègue l’exercice du pouvoir législatif à un petit nombre d’individus ; c’est-à-dire, lorsque c’est seulement par fiction que la loi est l’expression de la volonté du plus grand nombre, ou ce qui est présumé l’être ; mais je ne respecte que la justice et la vérité. J’obéis à toutes les lois ; mais je n’aime que les bonnes. La société a droit d’exiger ma fidélité, mais non le sacrifice de ma raison : telle est la loi éternelle de toutes les créatures raisonnables.
« Si les bonnes lois ont, seules, droit à cette sorte de respect, elles sont sûres aussi de l’obtenir. La sagesse a sur les hommes un empire naturel ; et tous obéissent avec joie, quand c’est l’intérêt général qui commande. Les bonnes lois amènent de bonnes mœurs qui, à leur tour, cimentent leur puissance. Est-il quelques individus pervers ou égarés par l’intérêt personnel ? La volonté générale les contient, et la force publique les subjugue facilement. Tels sont les élémens simples de l’ordre social et de l’économie politique. Ils sont établis pour des hommes, ils doivent être fondés sur la morale et sur l’humanité. Si je vois le législateur suivre des principes opposés, je ne reconnais plus le législateur ; j’aperçois un tyran.
« Le législateur place dans la loi elle-même le principe de la soumission des citoyens ; il sait que, quand la volonté générale se fait entendre, il ne faut pas tant d’appareil pour la faire exécuter. Le législateur a plus de confiance dans la nature humaine ; il cherche à l’élever, à la perfectionner : le tyran la calomnie ; il avilit le peuple, il fait toujours marcher la loi au milieu des armes et des bourreaux, parce que la loi qu’il fait n’est qu’une volonté injuste et particulière, opposée à celle de la société entière. L’obéissance ne lui suffit pas, il impose un morne silence ; il exige pour ses lois un culte superstitieux et une croyance aveugle ; il punit, comme des blasphèmes, les écrits et les discours qui dévoilent ses erreurs et ses crimes. Il veut ravir aux hommes jusqu’aux moyens de perfectionner leur raison et leur bonheur, en leur défendant de s’éclairer mutuellement sur leurs intérêts les plus chers ; il feint de redouter la liberté des opinions, pour l’autorité des lois : il ne la craint que pour son ambition, pour sa cupidité, pour son ineptie.
« Chez un peuple libre et éclairé, le droit de censurer les actes législatifs est aussi sacré que la nécessité de les observer est impérieuse. C’est l’exercice de ce droit qui répand la lumière, qui répare les erreurs politiques, qui affermit les bonnes institutions, amène la réforme des mauvaises, conserve la liberté, et prévient le bouleversement des états. La démonstration des vices d’une loi ne la détruit pas ; mais elle prépare doucement l’opinion publique à en désirer l’abrogation ; elle dispose sensiblement l’autorité souveraine à la réaliser. La loi n’est que l’expression de la volonté générale : la volonté générale n’est que le résultat des lumières générales ; et les lumières générales ne peuvent être formées et accrues, que par la libre communication des pensées entre les citoyens. Quiconque met des entraves à ce commerce sublime détruit l’essence même de la loi ; il en étouffe le germe, qui est la raison publique ; il paralyse la puissance législative elle-même.
« Sous le gouvernement représentatif, surtout, c’est-à-dire, quand ce n’est point le peuple qui fait les lois, mais un corps de représentans, l’exercice de ce droit sacré est la seule sauve-garde du peuple contre le fléau de l’oligarchie. Comme il est dans la nature des choses que les représentans peuvent mettre leur volonté particulière à la place de la volonté générale, il est nécessaire que la voix de l’opinion publique retentisse sans cesse autour d’eux, pour balancer la puissance de l’intérêt personnel et les passions individuelles ; pour leur rappeler, et le but de leur mission et le principe de leur autorité. Là, plus qu’ailleurs, la liberté de la presse est le seul frein de l’ambition, le seul moyen de ramener le législateur à la règle unique de la législation. Si vous l’enchaînez, les représentans, déjà supérieurs à toute autorité, délivrés encore de la voix importune de ces censeurs, éternellement caressés par l’intérêt et par l’adulation, deviennent les propriétaires ou les usufruitiers paisibles de la fortune et des droits de la nation ; l’ombre même de la souveraineté disparaît, il ne reste que la plus cruelle, la plus indestructible de toutes les tyrannies ; c’est alors qu’il est au moins difficile de contester la vérité de l’anathème foudroyant de Jean-Jacques Rousseau contre le gouvernement représentatif absolu.
« Les principes que nous avons exposés, s’appliquent aux autorités constituées : mais il y a là-dessus des idées bien intéressantes à développer, et des notions bien confuses à éclaircir.
« Les autorités constituées ont droit au même respect que la loi, puisque c’est la loi qui les a établies. Les actes publics qui en émanent doivent obtenir la soumission, sans ôter la liberté des opinions sur leur conformité aux règles de la justice. Mais il ne faut pas les confondre avec les hommes qui les exercent, il faut soigneusement distinguer le magistrat de l’individu. Les fonctionnaires publics de tous les pays commettent assez généralement, à cet égard, une erreur aussi funeste que commune. Ils ont coutume de rejeter sur la perversité des peuples les désordres de la société ; ils les accusent de rebellion, lorsqu’eux seuls sont coupables d’orgueil et d’injustice, et de tout tems ce grand procès fut décidé contre les peuples ; car ce sont les fonctionnaires publics qui le jugent. Ceux-ci sont naturellement enclins à s’identifier eux-mêmes avec l’autorité publique qui leur est confiée ; ils se croient propriétaires de ce dépôt, et en disposent sans scrupule au profit de leur vanité, de leur ambition, et de leur cupidité ; ils mettent sans façon leurs personnes à la place de la nation. Comment se regarderaient-ils comme ses mandataires ? jamais la nation ne se présente devant eux, avec les traits auguste du souverain ; ils ne voient que des individus dans l’humble attitude de supplians ou de courtisans ! Font-ils quelque bien ? Ils croient accorder une grâce ! Font-ils quelque mal ! Ils croient exercer un droit . De là, tous les égaremens de l’orgueil et tous les crimes de la tyrannie. Ceux qu’ils oppriment osent se plaindre ? Ils crient à la désobéissance, à la rebellion. Ils invoquent le respect dû aux autorités constituées ; ils jurent que la tranquillité publique est troublée ; ils les immolent au nom de la loi.
« Pour arracher l’espèce humaine à cet avilissement, il faut lui rappeler les véritables principes du gouvernement ; il faut retracer, aux yeux des gouvernans et des gouvernés, leurs droits et leurs devoirs. Les emplois publics ne sont ni des honneurs, ni des prérogatives ; ce sont des charges. Ceux qui les exercent ne sont pas les dominateurs des peuples, mais leurs chargés d’affaires. Tout citoyen doit obéissance au magistrat ; hors de l’exercice de ses fonction, le magistrat n’est plus qu’un individu, l’égal de ses concitoyens. Le magistrat doit à la nation respect et fidélité ; Sa dignité, c’est le choix du peuple ; ses distinctions sont ses vertus ; ses privilèges, ses devoirs, sa gloire, de bien servir la patrie.
« Malheureusement les serviteurs du peuple ne se chargent bien souvent de ses affaires que pour faire les leurs ; et ils les font de telle manière que bientôt ils le ruinent, le dépossèdent et le forcent à les servir lui-même. Sous quelle autre idée peut-on se représenter les despotes orgueilleux et les magistrats prévaricateurs ? Presque partout le véritable souverain est détrôné, le père de famille chassé de son patrimoine, et le monde ne présente qu’une triste et ridicule comédie où les valet insultent à leur maître après l’avoir dépouillé.
« " Les peuples seront heureux, disait Platon, lorsque les magistrats deviendront philosophes ou lorsque les philosophes deviendront magistrats ". En quoi consiste cette philosophie ? à savoir qu’il ne faut point voler le bien d’autrui ; que, si c’est un crime d’attenter à la propriété des individus, ce n’est point une vertu de ravir celle des nations ; qu’une injustice ne devient ni plus légitime, ni moins odieuse, lorsqu’elle fait le malheur, non d’un citoyen et d’une famille, mais du genre humain, que ceux qui punissent le brigandage et le meurtre ne doivent pas être eux-mêmes les plus coupables des brigands et des assassins.
« Combien cette simple règle de morale épargnerait aux hommes de dissensions et de calamités ? Alors au moins ceux qui gouvernent, s’appliqueraient à bien gouverner, et non à faire croire qu’ils gouvernent bien. Ils ne commanderaient pas la confiance et l’estime, comme on lève un impôt ; ils la mériteraient. La mériter, est le seul moyen de l’obtenir : la réclamer éternellement, seulement par des paroles, et en faire une maxime du gouvernement, c’est avertir qu’on en est indigne. L’économe fidèle aime bien agir sous l’œil du maître, et lui rendre compte. Celui qui le conjure de fermer les yeux, et qui affecte de regarder sa surveillance comme une injure, en prouve clairement la nécessité. Tout fonctionnaire public qui montre une vive sensibilité pour les imputations dont il est l’objet, qui prétend qu’on avilit les autorités constituées toutes les fois qu’on censure sa conduite, est un mandataire qui crie à ses commettans de fermer les yeux, parce qu’il a quelque trame perfide à achever contre le salut et contre la liberté du peuple. Le peuple doit toujours avoir les yeux ouvert sur ses agens, comme le père de famille sur ses serviteurs.
« Cette doctrine n’est pas celle des tyrans : mais, sans doute, elle est celle de la raison, de la justice et de la nature. Si vous croyez les tyrans, elle n’est bonne qu’à troubler la tranquillité publique, et à renverser la société.
« Quant à la société, ce sont les tyrans qui la détruisent ; car il est impossible de reconnaître une société légitime dans ce partage où tous les avantages et toute la puissance appartiennent à un seul ou à plusieurs, la servitude, la misère et l’opprobre à tous. La tranquillité ! Ah ! sans doute, il est facile d’avoir la paix avec les brigands, si vous leur abandonnez le trésor qu’ils veulent vous ravir. Mais l’esclavage est-il la tranquillité ? Non, c’est la mort. La tranquillité, c’est l’ordre public, c’est l’harmonie sociale. Peut-elle exister sans la justice, sans la liberté, sans le bonheur ? Quels sont ceux qui la troublent ? Sont-ce les tyrans qui violent les droits des peuples, ou les peuples qui les réclament ? Peuples, tyrans, voilà toute votre cause ; que la raison, que l’humanité la juge une fois, et non la force et le despotisme. »
En résumé, selon Robespierre, la démocratie qui suppose que les citoyens soient égaux en droits et jouissent de tous les droits que la société est susceptible de leur garantir (afin qu’ils puissent exercer toutes leurs facultés) implique des mesures de trois ordres.
Premièrement, qu’ils jouissent de leurs droits ou qu’ils aient à les conquérir, les citoyens doivent pouvoir les connaître, les revendiquer et le cas échéant les défendre, d’où l’attachement de Robespierre à la liberté illimitée de la presse, au droit de pétition individuel et collectif et à celui, pour tous, d’être armés ou, du moins, de pouvoir faire partie de la garde nationale.
Deuxièmement, faute d’un législateur suprême juste et inamovible, les lois, pour être légitimes, le plus justes possible et dès lors respectables, doivent être l’ouvrage direct ou indirect du peuple même, d’où l’attachement de Robespierre pour la ratification des lois par le peuple, quels que soient les législateurs (Cette disposition consacre à elle seule la souveraineté du peuple. Si le peuple est bien le souverain, il n'y a aucun obstacle aux dispositions secondaires qui deviennent presque superflues.), et la possibilité pour tous d’être éligibles et de participer aux élections des députés, d’où le suffrage universel et l’indemnisation des électeurs pauvres.
Troisièmement, dans le cas où les précautions précédentes ne seraient pas prises, l’honnêteté devrait suppléer. Autrement dit tout doit être fait pour que les citoyens ayant droit de cité élisent des hommes honnêtes et que les élus, une fois en fonction, soient contraints à l’honnêteté. Etant toujours plus difficile de guérir que de prévenir, c’est ici que les précautions se multiplient et portent sur les différentes étapes des mandats : avant, pendant et après.
Afin que le choix des députés soit le plus judicieux possible, et non le fruit de l’intrigue, les assemblées électorales doivent être libres de régler leur police, quoiqu’elles soient invitées à procéder aux élections à haute voix.
Afin que l’assemblée législative ne trompe pas le peuple et que les députés ne soient pas détournés de leur mission par l’ambition et la corruption, il faut en premier lieu que ces derniers soient salariés (pour ne pas être payés par d’autres, d’après le mot de Buzot, 3 mars 1791), qu’ils ne puissent être nommés à quelque poste que ce soit par le pouvoir exécutif, qu’ils soient au contraire révocables à volonté par leurs mandants, que leur mandat soit court et qu’ils n’en aient pas d’autres, qu’ils ne soient pas immédiatement rééligibles, qu’ils soient nombreux et qu’ils délibèrent sous les yeux d’un vaste public.
Enfin, au cas où certains auraient malgré tout trouvé le moyen d’être infidèles en tant que législateurs ou malhonnêtes en tant qu’individus, ils doivent rendre compte de leur mandat à leurs mandants et être à jamais exclus des fonctions publiques si ces derniers leur refusent leur confiance ; ils doivent en outre être en permanence justiciables devant un tribunal spécial des abus de pouvoir et des délits de droit commun.
On pourrait ajouter un quatrième niveau, une dernière sauvegarde : ce serait les dispositions du premier niveau qui permettent de faire pression moralement et physiquement sur les législateurs, voire de passer outre : liberté de la presse, droit de pétition, auquel il faudrait ajouter celui de provoquer des référendums, et droit d’être armé. Alors la boucle serait bouclée.
Maintenant, pour faire tout à fait œuvre utile, il ne saurait être question d’achever cette étude sans présenter in extenso les deux textes dont nous avons déjà donné quelques extraits et qui fondent le robespierrisme et, partant, le jacobinisme authentique, à savoir la déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon Robespierre, proposée aux Jacobins et adoptée par eux le 21 avril 1793, et son discours sur la constitution à donner à la France, fait à la Convention le 10 mai 1793.
Droits de l’homme et du citoyen, selon Robespierre (21 avril 1793)
Les représentants du peuple Français réunis en convention nationale, reconnaissant que les lois humaines qui ne découlent point des lois éternelles de la justice, ne sont que des attentats de l’ignorance et du despotisme contre l’humanité ; convaincus que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des crimes et des malheurs du monde, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur, le magistrat la règle de ses devoirs, le législateur l’objet de sa mission. En conséquence, la convention nationale proclame, à la face de l’univers et sous les yeux du législateur immortel, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.
ARTICLE Premier — Le but de toute association politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, et le développement de toutes ses facultés.
ART. 2 — Les principaux droits de l’homme sont ceux de pourvoir à la conservation de l’existence et la liberté.
ART. 3 — Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales. L’égalité des droits est établie par la nature ; la société, loin d’y porter atteinte, ne fait que la garantir contre l’abus de la force qui la rend illusoire.
ART. 4 — La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme, d’exercer à son gré toutes ses facultés ; elle a la justice pour règle, les droits d’autrui pour bornes, la nature pour principe, et la loi pour sauvegarde.
ART. 5 — Le droit de s’assembler paisiblement, le droit de manifester ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, sont des conséquences si nécessaires du principe de la liberté de l’homme, que la nécessité de les énoncer suppose ou la présence, ou le souvenir récent du despotisme.
ART. 6 — La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de bien qui lui est garantie par la loi.
ART. 7 — Le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui.
ART. 8 — Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables.
ART. 9 — Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral.
ART. 10 — La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
ART. 11 — Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire, sont une dette de celui qui possède le superflu. Il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.
ART. 12 — Les citoyens, dont les revenus n’excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance, sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques ; les autres doivent les supporter progressivement selon l’étendue de leur fortune.
Cet article ne figure pas dans la version que Robespierre publia dans ses Lettres à ses commettans. Il avait réalisé que dispenser une partie des citoyens de payer des impôts serait en faire une classe de citoyens à part, division qui donnerait des arguments aux partisans du suffrage censitaire. Le 17 juin 1793, à la Convention, alors que certains soutenaient l’exonération des pauvres, il déclara : « J’ai partagé un moment l’erreur de Ducos, je crois même l’avoir écrite quelque part ; mais j’en reviens aux principes, et je suis éclairé par le bon sens du peuple, qui sent que l’espèce de faveur qu’on lui présente n’est qu’une injure. En effet, si vous décrétez, sur-tout constitutionnellement, que la misère excepte l’honorable obligation de contribuer aux besoin de la patrie, vous décrétez l’avilissement de la partie la plus pure de la Nation ; vous décrétez l’aristocratie des richesses, et bientôt vous verriez ces nouveaux aristocrates, dominant dans les législatures, avoir l’odieux machiavélisme de conclure que ceux qui ne payent point les charges ne doivent point partager les bienfaits du gouvernement ; il s’établirait une classe de prolétaires, une classe d’ilotes, et l’égalité et la liberté périraient pour jamais. N’ôtez point aux citoyens ce qui leur est le plus nécessaire, la satisfaction de présenter à la République le denier de la veuve. Bien loin d’écrire dans la Constitution une distinction odieuse, il faut au contraire y consacrer l’honorable obligation pour tout citoyen de payer les contribution. Ce qu’il y a de populaire, ce qu’il y a de juste, c’est le principe consacré dans la déclaration des droits, que la société doit le nécessaire à tous ceux qui ne peuvent se le procurer par leur travail. Je demande que ce principe soit inséré dans la Constitution, que le pauvre qui doit une obole pour la contribution, la reçoive de la patrie pour la reverser dans le trésor public. » Sa proposition fut adoptée. Pourtant, dans la rubrique Contributions publiques, la Constitution indiqua simplement : « Nul citoyen n'est dispensé de l'honorable obligation de contribuer aux charges publiques. » (article 101).
ART. 13 — La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.
ART. 14 — Le peuple est le souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis. Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires.
ART. 15 — La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté du peuple.
ART. 16 — La loi doit être égale pour tous.
ART. 17 — La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société ; elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.
ART. 18 — Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme, est essentiellement injuste et tyrannique ; elle n’est point une loi.
ART. 19 — Dans tout état libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvernent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse.
ART. 20 — Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais le vœu qu’elle exprime doit être respecté comme le vœu d’une portion du peuple, qui doit concourir à former la volonté générale. Chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté ; elle est essentiellement indépendante de toutes les autorités constituées, et maîtresse de régler sa police et ses délibérations.
ART. 21 — Tous les citoyens sont admissibles à toutes les fonctions publiques, sans aucune autre distinction que celle des vertus et des talents, sans aucun autre titre que la confiance du peuple.
ART. 22 — Tous les citoyens ont un droit égal de concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi.
ART. 23 — Pour que ces droits ne soient point illusoires et l’égalité chimérique, la société doit salarier les fonctionnaires publics, et faire en sorte que les citoyens qui vivent de leur travail, puissent assister aux assemblées publiques où la loi les appelle, sans compromettre leur existence ni celle de leur famille.
ART. 24 — Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu’ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi.
ART. 25 — Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d’un homme, exercé par qui que ce soit, même au nom de la loi, hors des cas déterminés par elle et des formes qu’elle prescrit, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s’y soumettre ; et si on veut l’exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force.
ART. 26 — Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique appartient à tout individu. Ceux à qui elles sont adressées, doivent statuer sur les points qui en font l’objet ; mais ils ne peuvent jamais ni en interdire, ni en restreindre, ni en condamner l’exercice.
ART. 27 — La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen.
ART. 28 — Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre du corps social, lorsque le corps social est opprimé.
ART. 29 — Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.
ART. 30 — Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits.
ART. 31 — Dans l’un et l’autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression, est le dernier raffinement de la tyrannie.
ART. 32 — Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics.
ART. 33 — Les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.
ART. 34 — Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect.
ART. 35 — Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même état.
ART. 36 — Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes.
ART. 37 — Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et comme des brigands rebelles.
ART. 38 — Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers qui est la nature.
Discours sur la Constitution à donner à la France (10 mai 1793)
« L'homme est né pour le bonheur et pour la liberté, et partout il est esclave et malheureux ! La société a pour but la conservation de ses droits et la perfection de son être, et partout la société le dégrade et l'opprime ! Le temps est arrivé de le rappeler à ses véritables destinées ; les progrès de la raison humaine ont préparé cette grande révolution, et c'est à vous qu'est spécialement imposé le devoir de l'accélérer.
« Pour remplir votre mission, il faut faire précisément tout le contraire de ce qui a existé avant vous.
« Jusqu’ici l'art de gouverner n'a été que l'art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre, et la législation le moyen de réduire ces attentats en système : les rois et les aristocrates ont très bien fait leur métier ; c'est à vous maintenant de faire le vôtre, c'est-à-dire de rendre les hommes heureux et libres par les lois.
« Donner au gouvernement la force nécessaire pour que les citoyens respectent toujours les droits des citoyens, et faire en sorte que le gouvernement ne puisse jamais les violer lui-même, voilà à mon avis le double problème que le législateur doit chercher à résoudre. Le premier me paraît très facile : quant au second, on serait tenté de le regarder comme insoluble si l'on ne consultait que les événements passés et présents sans remonter à leurs causes.
« Parcourez l'histoire : vous verrez partout les magistrats opprimer les citoyens, et le gouvernement dévorer la souveraineté ; les tyrans parlent de séditions ; le peuple se plaint de la tyrannie quand le peuple ose se plaindre, ce qui arrive lorsque l'excès de l'oppression lui rend son énergie et son indépendance. Plût à Dieu qu'il pût les conserver toujours ! Mais le règne du peuple est d'un jour ; celui des tyrans embrasse la durée des siècles.
« J'ai beaucoup entendu parler d'anarchie depuis la révolution du 14 juillet 1789, et surtout depuis la révolution du 10 août 1792 ; mais j'affirme que ce n'est point l'anarchie qui est la maladie des corps politiques, mais le despotisme et l'aristocratie. Je trouve, quoiqu'ils en aient dit, que ce n'est qu'à compter de cette époque tant calomniée que nous avons eu un commencement de lois et de gouvernement, malgré les troubles qui ne sont autre chose que les dernières convulsions de la royauté expirante, et la lutte d'un gouvernement infidèle contre l'égalité.
« L'anarchie a régné en France depuis Clovis jusqu'au dernier des Capets. Qu'est-ce que l'anarchie, si ce n'est la tyrannie, qui fait descendre du trône la nature et la loi pour y placer des hommes ?
« Jamais les maux de la société ne viennent du peuple, mais du gouvernement. Comment n'en serait-il pas ainsi ? L'intérêt du peuple c'est le bien public ; l'intérêt de l'homme en place est un intérêt privé. Pour être bon, le peuple n'a besoin que de se préférer lui-même à ce qui n'est pas lui ; pour être bon il faut que le magistrat s'immole lui-même au peuple.
« Si je daignais répondre à des préjugés absurdes et barbares, j'observerais que ce sont le pouvoir et l'opulence qui enfantent l'orgueil et tous les vices ; que c'est le travail, la médiocrité, la pauvreté, qui sont les gardiens de la vertu ; que les vœux du faible n'ont pour objet que la justice et la protection des lois bienfaisantes ; qu'il n’estime que les passions de l'honnêteté ; que les passions de l’homme puissant tendent à s'élever au-dessus des lois justes, ou à en créer de tyranniques ; je dirais enfin que la misère des citoyens n'est autre chose que le crime des gouvernements. Mais j'établis la base de mon système par un seul raisonnement.
« Le gouvernement est institué pour faire respecter la volonté générale ; mais les hommes qui gouvernent ont une volonté individuelle, et toute volonté cherche à dominer ; s'ils emploient à cet usage la force publique dont ils sont armés, le gouvernement n'est que le fléau de la liberté. Concluez donc que le premier objet de toute Constitution doit être de défendre la liberté publique et individuelle contre le gouvernement lui-même.
« C'est précisément cet objet que les législateurs ont oublié ; ils se sont tous occupés de la puissance du gouvernement ; aucun n'a songé aux moyens de le ramener à son institution ; ils ont pris des précautions infinies contre l'insurrection du peuple et ils ont encouragé de tout leur pouvoir la révolte de ses délégués. J'en ai déjà indiqué les raisons ; l'ambition, la force, et la perfidie ont été les législateurs du monde ; s’ils ont asservi jusqu'à la raison humaine en la dépravant, et l'ont rendue complice de la misère de l’homme ; le despotisme a produit la corruption des mœurs et la corruption des mœurs a soutenu le despotisme. Dans cet état de choses, c'est à qui vendra son âme au plus fort pour légitimer l’injustice et diviniser la tyrannie. Alors la raison n'est plus que folie ; l'égalité, anarchie ; la liberté, désordre ; la nature, chimère ; le souvenir des droits de l’humanité, révolte : alors on a des bastilles et des échafauds pour la vertu, des palais pour la débauche, des trônes et des chars de triomphe pour le crime : alors on a des rois, des prêtres, des nobles, des bourgeois, de la canaille, mais point de peuple et point d’hommes.
« Voyez ceux mêmes d'entre les législateurs que le progrès des lumières publiques semble avoir forcés à rendre quelque hommage aux principes ; voyez s'ils n'ont pas employé leur habileté à les éluder lorsqu’ils ne pouvaient plus les raccorder à leurs vues personnelles ; voyez s’ils ont fait autre chose que varier les formes du despotisme et les nuances de l’aristocratie ! Ils ont fastueusement proclamé la souveraineté du peuple, et ils l’ont enchaîné ; tout en reconnaissant que les magistrats sont des mandataires, ils les ont traités comme ses dominateurs et comme ses idoles ; tous se sont accordés à supposer le peuple insensé et mutin, et les fonctionnaires publics essentiellement sages et vertueux. Sans chercher des exemples chez les nation étrangères, nous pourrions en trouver de bien frappants au sein de notre révolution, et dans la conduite même des législateurs qui nous ont précédés. Voyez avec quelle lâcheté elles encensaient la royauté ! avec quelle impudence elles prêchaient la confiance aveugle pour les fonctionnaires publics corrompus, avec quelle insolence elles avilissaient le peuple ! avec quelle barbarie elles l'assassinaient ! Cependant voyez de quel côté étaient les vertus civiques : rappelez-vous les sacrifices généreux de l’indigence, et la honteuse avarice des riches ; rappelez-vous le sublime dévouement des soldats, et les infâmes trahisons des généraux ; le courage invincible, la patience magnanime du peuple ; et le lâche égoïsme, la perfidie odieuse de ses mandataires !
« Mais ne nous étonnons pas trop de tant d'injustices. Au sortir d’une si profonde corruption comment pouvaient-ils respecter l'humanité, chérir l'égalité, croire à la vertu ? Nous, malheureux, nous élevons le temple de la liberté avec des mains encore flétries des fers de la servitude ! Qu'était notre ancienne éducation, sinon une leçon continuelle d’égoïsme et de sotte vanité ? Qu'étaient nos usages et nos prétendues lois, sinon le code de l'impertinence et de la bassesse, où le mépris des hommes était soumis à une espèce de tarif, et gradué suivant des règles aussi bizarres que multipliées ? Mépriser et être méprisé, ramper pour dominer, esclaves et tyrans tour à tour, tantôt à genoux devant un maître, tantôt foulant aux pieds le peuple, telle était notre destinée, telle était notre ambition à nous tous tant que nous étions, hommes bien nés ou hommes bien élevés, honnêtes gens ou gens comme il faut, hommes de loi et financiers, robins ou hommes d'épée. Faut-il donc s'étonner si tant de marchands stupides, si tant de bourgeois égoïstes conservent encore pour les artisans ce dédain insolent que les nobles prodiguaient aux bourgeois et aux marchands eux-mêmes ? Ô le noble orgueil ! ô la belle éducation ! Voilà cependant pourquoi les grandes destinées du monde sont arrêtées ! voilà pourquoi le sein de la patrie est déchiré par des traîtres ! voilà pourquoi les satellites féroces des despotes de l'Europe ont ravagé nos moissons, incendié nos cités, massacré nos femmes et nos enfants ! Le sang de trois cent mille Français a déjà coulé ; le sang de trois cent mille autres va peut-être couler encore afin que le simple laboureur ne puisse siéger au sénat à côté du riche marchand de grains, afin que l’artisan ne puisse voter dans les assemblées du peuple à côté de l’illustre négociant ou du présomptueux avocat, et que le pauvre intelligent et vertueux ne puisse garder l’attitude d'un homme en présence du riche imbécile et corrompu ! Insensés, qui appelez des maîtres pour ne point avoir d’égaux, croyez-vous donc ne que les tyrans adopteront tous les calculs de votre triste vanité et de votre lâche cupidité ? Croyez-vous que le peuple, qui a conquis la liberté, qui versait son sang pour la patrie quand vous dormiez dans la mollesse ou que vous conspiriez dans les ténèbres, se laissera enchaîner, affamer, égorger par vous ? Non. Si vous ne respectez ni l’humanité, ni la justice, ni l’honneur, conservez du moins quelque soin de vos trésors, qui n'ont d'autre ennemi que l’excès de la misère publique, que vous aggravez avec tant d'imprudence ! Mais quel motif peut toucher des esclaves orgueilleux ? La voix de la vérité qui tonne dans les cœurs corrompus ressemble aux sons qui retentissent dans les tombeaux, et qui ne réveillent point les cadavres.
« Vous donc à qui la liberté, à qui la patrie est chère, chargez-vous seuls du soin de la sauver ; et puisque le moment où l’intérêt pressant de sa défense semblait exiger toute votre attention, est celui où l’on veut élever précipitamment l’édifice de la Constitution d’un grand peuple, fondez-la du moins sur la base éternelle de la vérité !
« Posez d’abord cette maxime incontestable que le peuple est bon, et que ses délégués sont corruptibles, que c’est dans la vertu et dans la souveraineté du peuple qu’il faut chercher un préservatif contre les vices et le despotisme du gouvernement.
« De ce principe incontestable tirons maintenant des conséquences pratiques, qui sont autant de bases de toute Constitution libre.
« La corruption des gouvernements a sa source dans l’excès de leur pouvoir et dans leur indépendance du souverain. Remédiez à ce double abus.
« Commencez par modérer la puissance des magistrats.
« Jusqu'ici les politiques qui ont semblé vouloir faire quelque effort, moins pour défendre la liberté que pour modifier la tyrannie, n'ont pu imaginer que deux moyens de parvenir à ce but : l'un est l'équilibre des pouvoirs, et l'autre le tribunat.
« Quant à l'équilibre des pouvoirs, nous avons pu être les dupes de ce prestige dans un temps où la mode semblait exiger de nous cet hommage à nos voisins, dans un temps où l'excès de notre propre dégradation nous permettait d'admirer toutes les institutions étrangères qui nous offraient quelque faible image de la liberté ; mais pour peu qu'on réfléchisse on s'aperçoit aisément que cet équilibre ne peut être qu'une chimère ou un fléau ; qu'il supposerait la nullité absolue du gouvernement s'il n'amenait nécessairement une ligue des pouvoirs rivaux contre le peuple ; car on sent aisément qu'ils aiment beaucoup mieux s'accorder que d'appeler le souverain pour juger sa propre cause : témoin l'Angleterre, où l'or et le pouvoir du monarque font constamment pencher la balance du même côté ; où le parti de l'opposition même ne paraît solliciter de temps en temps la réforme de la représentation nationale que pour l'éloigner, de concert avec la majorité qu'elle semble combattre ; espèce de gouvernement monstrueux, où les vertus publiques ne sont qu'une scandaleuse parade, où le fantôme de la liberté anéantit la liberté même, où la loi consacre le despotisme, où les droits du peuple sont l’objet d'un trafic avoué, où la corruption est dégagée du frein même de la pudeur.
« Eh ! que nous importent les combinaisons qui balancent l'autorité des tyrans ? C'est la tyrannie qu'il faut extirper : ce n'est pas dans les querelles de leurs maîtres que les peuples doivent chercher l'avantage de respirer quelques instants, c'est dans leur propre force qu'il faut placer la garantie de leurs droits.
« C'est par la même raison que je ne suis pas plus partisan de l'institution du tribunat ; l'histoire ne m'a pas appris à la respecter. Je ne confie point la défense d’une si grande cause à des hommes faibles ou corruptibles ; la protection des tribuns suppose l’esclavage du peuple. Je n'aime point que le peuple romain se retire sur le Mont-Sacré pour demander des protecteurs à un sénat despotique et à des patriciens insolents : je veux qu'il reste dans Rome, et qu'il en chasse tous ses tyrans. Je hais autant que les patriciens eux-mêmes et je méprise beaucoup plus ces tribuns ambitieux, ces vils mandataires du peuple, qui vendent aux grands de Rome leurs discours et leur silence, et qui ne l'ont quelquefois défendu que pour marchander sa liberté avec ses oppresseurs.
« Il n'y a qu'un seul tribun du peuple que je puisse avouer, c’est le peuple lui-même : c'est à chaque section de la République française que je renvoie la puissance tribunitienne ; et il est facile de l'organiser d'une manière également éloignée des tempêtes de la démocratie absolue et de la perfide tranquillité du despotisme représentatif.
« Mais avant de poser les digues qui doivent défendre la liberté publique contre les débordements de la puissance des magistrats, commençons par la réduire à de justes bornes.
« Une première règle pour parvenir à ce but, c'est que la durée de leur pouvoir doit être courte, en appliquant surtout ce principe à ceux dont l’autorité est plus étendue ;
« 2° Que nul ne puisse exercer en même temps plusieurs magistratures ;
« 3° Que le pouvoir soit divisé ; il vaut mieux multiplier les fonctionnaires publics que de confier à quelques-uns une autorité trop redoutable ;
« 4° Que la législation et l’exécution soient séparées soigneusement.
« 5° Que les diverses branches de l'exécution soient elles-mêmes distinguées le plus qu'il est possible, selon la nature même des affaires, et confiées à des mains différentes.
« L’un des plus grands vices de l'organisation actuelle c'est la trop grande étendue de chacun des départements ministériels, où sont entassées diverses branches d'administration très distinctes par leur nature.
« Le ministère de l'intérieur surtout, tel qu'on s'est obstiné à le conserver jusqu'ici provisoirement, est un monstre politique, qui aurait provisoirement dévoré la République naissante si la force de l'esprit public, animé par le mouvement de la révolution, ne l'avait défendue jusqu'ici et contre les vices de l’institution et contre ceux des individus.
« Au reste, vous ne pourrez jamais empêcher que les dépositaires du pouvoir exécutif ne soient des magistrats très puissants ; ôtez-leur donc toute autorité et toute influence étrangère à leurs fonctions.
« Ne permettez pas qu'ils assistent et qu'ils votent dans les assemblées du peuple pendant la durée de leur agence. Appliquez la même règle aux fonctionnaires publics en général. Eloignez de leurs mains le trésor public ; confiez-le à des dépositaires et à des surveillants qui ne puissent participer eux-mêmes à aucune autre espèce d’autorité.
« Laissez dans les départements, et sous la main du peuple, la portion des tributs publics qu'il ne sera pas nécessaire de verser dans la caisse générale, et que les dépenses soient acquittées sur les lieux autant qu'il sera possible.
« Vous vous garderez bien de remettre à ceux qui gouvernent des sommes extraordinaires, sous quelque prétexte que ce soit, surtout sous le prétexte de former l'opinion.
« Toutes ces manufactures d'esprit public ne fournissent que des poisons : nous en avons fait récemment une cruelle expérience, et le premier essai de cet étrange système ne doit pas nous inspirer beaucoup de confiance dans ses inventeurs. Ne perdez jamais de vue que c'est à l'opinion publique de juger les hommes qui gouvernent, et non à ceux-ci de maîtriser et de créer l'opinion publique.
« Mais il est un moyen général et non moins salutaire de diminuer la puissance des gouvernements au profit de la liberté et du bonheur du peuple. Il consiste dans l'application, de cette maxime, énoncée dans la Déclaration des Droits que je vous ai proposée. La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société, elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.
« Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner : laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l'administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle et tout ce qui n'appartient pas naturellement à l'autorité publique, et vous aurez laissé d'autant moins de prise à l'ambition et à l'arbitraire.
« Respectez surtout la liberté du souverain dans les assemblées primaires. Par exemple, en supprimant ce code énorme qui entrave et qui anéantit le droit de voter sous le prétexte de le régler, vous ôterez des armes infiniment dangereuses à l'intrigue et au despotisme des directoires ou des législatures ; de même qu’en simplifiant le code civil, en abattant la féodalité, les dîmes, et tout le gothique édifice du droit canonique, on rétrécit singulièrement le domaine du despotisme judiciaire. Quelqu'utiles que soient toutes ces précautions, vous n’aurez rien fait encore si vous ne prévenez la seconde espèce d'abus que j'ai indiquée, qui est l’indépendance du gouvernement.
« La Constitution doit s'appliquer surtout à soumettre les fonctionnaires publics à une responsabilité imposante, en les mettant dans la dépendance réelle non des individus, mais du souverain.
« Celui qui est indépendant des hommes se rend bientôt indépendant de ses devoirs : l'impunité est la mère comme la sauvegarde publique, et le peuple est toujours asservi dès qu'il n'est plus craint.
« Il est deux espèces de responsabilité, l’une qu’on peut appeler morale, et l'autre physique.
« La première consiste principalement dans la publicité ; mais suffit-il que la Constitution assure la publicité des opérations et des délibérations du gouvernement ? Non, il faut encore lui donner toute l'étendue dont elle est susceptible.
« La nation entière a le droit de reconnaître la conduite de ses mandataires. Il faudrait, s'il était possible, que l'assemblée des délégués du peuple délibérât en présence du peuple entier ; un édifice vaste et majestueux, ouvert à douze mille spectateurs, devrait être le lieu des séances du corps législatif ; sous les yeux d'un si grand nombre de témoins, ni la corruption, ni l'intrigue, ni la perfidie n'oseraient se montrer ; la volonté générale serait seule consultée ; la voix de la raison et de l’intérêt public serait seule entendue. Mais l'admission de quelques centaines de spectateurs encaissés dans un local étroit et incommode offre-t-elle une publicité proportionnée à l’immensité de la nation, surtout lorsqu'une foule d'ouvriers mercenaires effraient le corps législatif pour intercepter ou pour altérer la vérité par les récits infidèles qu'ils répandent dans toute la République ? Que serait-ce donc si les mandataires eux-mêmes méprisaient cette petite portion du public qui les voit, s'ils voulaient faire regarder comme deux espèces d'hommes différentes les habitants du lieu où ils résident et ceux qui sont éloignés d'eux, s'ils dénonçaient perpétuellement ceux qui sont les témoins de leurs actions à ceux qui lisent leurs pamphlets, pour rendre la publicité non seulement inutile, mais funeste à la liberté ?
« Les hommes superficiels ne devineront jamais quelle a été sur la révolution l’influence du local qui a recelé le corps législatif, et les hommes de mauvaise foi n'en conviendront pas ; mais les amis éclairés du bien public n'ont pas vu sans indignation qu'après avoir appelé les regards du peuple autour d'elle pour résister à la cour, la première législature les ait fuis autant qu'il était en son pouvoir lorsqu'elle a voulu se liguer avec la cour contre le peuple ; qu'après s'être en quelque sorte cachée à l’Archevêché, où elle porta la loi martiale, elle se soit renfermée dans le Manège, où elle s'environna de baïonnettes pour ordonner le massacre des meilleurs citoyens au Champ-de-Mars, sauver le parjuré Louis, et miner les fondements de la liberté ! Ses successeurs se sont bien gardés d’en sortir. Les rois ou les magistrats de l'ancienne police faisaient bâtir en quelques jours une magnifique salle d'Opéra, et, à la honte de la raison humaine, quatre ans se sont écoulés avant qu'on eût préparé une nouvelle demeure à la représentation nationale ! Que dis-je ? celle même où elle vient d'entrer est-elle plus favorable à la publicité et plus digne de la nation ? Non, tous les observateurs se sont aperçus qu’elle a été disposée avec beaucoup d'intelligence par le même esprit d'intrigue, sous les auspices d'un ministre pervers, pour retrancher les mandataires corrompus contre les regards du peuple. On a même fait des prodiges en ce genre ; on a enfin trouvé le secret, recherché depuis si longtemps, d'exclure le public en l’admettant ; de faire qu'il puisse assister aux séances, mais qu'il ne puisse entendre, si ce n'est dans le petit espace réservé aux honnêtes gens et aux journalistes ; qu’ils soit absent et présent tout à la fois, la postérité s'étonnera de l'insouciance avec laquelle une grande nation a souffert si longtemps ces lâches et grossières manœuvres, qui compromettaient à la fois sa dignité, sa liberté et son salut.
« Pour moi, je pense que la Constitution ne doit pas se borner à ordonner que les séances du corps législatif et des autorités constituées seront publiques, mais encore qu'elle ne doit pas dédaigner de s'occuper des moyens de leur assurer la plus grande publicité ; qu'elle doit interdire aux mandataires le pouvoir d'influer en aucune manière sur la composition de l’auditoire, et de rétrécir arbitrairement l'étendue du lieu qui doit recevoir le peuple. Elle doit pourvoir à ce que la législature réside au sein d'une immense population, et délibère sous les yeux de la plus grande multitude possible de citoyens infinie.
« Le principe de la responsabilité morale veut encore que les agents du gouvernement rendent à des époques déterminées et assez rapprochées des comptes exacts et circonstanciés de leur gestion ; que ces comptes soient rendus publics par la voie de l'impression, et soumis à la censure de tous les citoyens ; qu'ils soient envoyés en conséquence à tous les départements, toutes les administrations et à toutes les communes.
« A l'appui de la responsabilité morale il faut déployer la responsabilité physique, qui est en dernière analyse la plus sûre gardienne de la liberté ; elle consiste dans la punition des fonctionnaires publics prévaricateurs.
« Un peuple dont les mandataires ne doivent compte à personne de leur gestion n'a point de constitution ; un peuple dont les mandataires ne rendent compte qu'à d'autres mandataires inviolables n'a point de constitution, puisqu’il dépend de ceux-ci de le trahir impunément, et de le laisser trahir par les autres. Si c'est là le sens qu'on attache au gouvernement représentatif, j'avoue que j'adopte tous les anathèmes prononcés contre lui par Jean-Jacques Rousseau. Au reste, ce mot a besoin d’être expliqué, comme beaucoup d'autres, ou plutôt il s'agit bien moins de définir le gouvernement français que de le constituer.
« Dans tout état libre les crimes publics des magistrats doivent être punis aussi sévèrement et aussi facilement que les crimes privés des citoyens, et le pouvoir de réprimer les attentats du gouvernement doit retourner au souverain.
« Je sais que le peuple ne peut pas être un juge toujours en activité, aussi n'est-ce pas là ce que je veux ; mais je veux encore moins que ses délégués soient des despotes au-dessus des lois. On peut remplir l'objet que je propose par des mesures simples dont je vais développer la théorie.
« 1° Je veux que tous les fonctionnaires publics nommés par le peuple puissent être révoqués par lui, selon les formes qui seront établies, sans autre motif que le droit imprescriptible qui lui appartient de révoquer ses mandataires.
« 2° Il est naturel que le corps chargé de faire les lois surveille ceux qui sont commis pour les faire exécuter : les membres de l'agence exécutive seront donc tenus de rendre compte de leur gestion au corps législatif. En cas de prévarication, il ne pourra pas les punir, parce qu'il ne faut pas lui laisser ce moyen de s'emparer de la puissance exécutive ; mais il les accusera devant un tribunal populaire, dont l'unique fonction sera de connaître ces prévarications des fonctionnaires publics. Les membres du corps législatif ne pourront être poursuivis par ce tribunal pour raison des opinions qu'ils auront manifestées dans les assemblées, mais seulement pour les faits positifs de corruption ou de trahison dont ils pourraient être prévenus. Les délits ordinaires qu'ils pourraient commettre sont du ressort des tribunaux ordinaires. Dans l'un et dans l'autre cas ils pourront être jugés, ainsi que les autres fonctionnaires et les autres citoyens, sans qu'il soit nécessaire que le corps législatif ait déclaré qu'il y a lieu à accusation contre eux ; seulement l'accusateur public du tribunal sera tenu d'informer le corps législatif des poursuites dirigées contre les membres prévenus.
« A l'expiration de leurs fonctions les membres de la législature et les agents de l'exécution ; ou ministres, pourront être déférés au jugement solennel de leurs commettants : le peuple prononcera simplement s'ils ont conservé ou perdu sa confiance. Le jugement qui déclarera qu'ils ont perdu sa confiance emportera l'incapacité de remplir aucune fonction publique. Le peuple ne décernera pas de peine plus forte ; et si les mandataires sont coupables de quelques crimes particuliers et formels, il pourra les renvoyer au tribunal établi pour les punir.
« Ces dispositions s’appliqueront également aux membres du tribunal populaire.
« Quelque nécessaire qu'il soit de contenir les magistrats, il ne l'est pas moins de les bien choisir : c'est sur cette double base que la liberté doit être fondée. Ne perdez pas de vue que dans le gouvernement représentatif il n'est pas de lois constitutives aussi importantes que celles qui garantissent la pureté des élections.
« Ici je vois répandre de dangereuses erreurs ; ici je m’aperçois qu'on abandonne les premiers principes du bon sens et de la liberté pour poursuivre de vaines abstractions métaphysiques. Par exemple, on veut que dans tous les points de la République les citoyens votent pour la nomination de chaque mandataire, de manière que l'homme de mérite et de vertu qui n'est connu que de la contrée qu'il habite ne puisse jamais être appelé à représenter ses compatriotes, et que les charlatans fameux, qui ne sont pas toujours les meilleurs citoyens ni les hommes les plus éclairés, ou les intrigants portés par un parti puissant qui dominerait dans toute la République, soient à perpétuité et exclusivement les représentants nécessaires du peuple français.
« Mais en même temps on enchaîne le souverain par des règlements tyranniques ; partout on dégoûte le peuple des assemblées ; on en éloigne les sans-culottes par des formalités infinies : que dis-je ? on les chasse par la famine, car on ne songe pas même à les indemniser du temps qu'ils dérobent à la subsistance de leurs familles pour le consacrer aux affaires publiques.
« Voilà cependant les principes conservateurs de la liberté que la constitution doit maintenir : tout le reste n'est que charlatanisme, intrigue et despotisme.
« Faites en sorte que le peuple puisse assister aux assemblées publiques, car lui seul est l'appui de la liberté et de la justice : les aristocrates, les intrigants en sont les fléaux.
« Qu'importe que la loi rende un hommage hypocrite à l’égalité des droits, si la plus impérieuse de toutes les lois, la nécessité, force la partie la plus saine et la plus nombreuse du peuple à y renoncer ? Que la patrie indemnise l'homme qui vit de son travail lorsqu'il assiste aux assemblées publiques ; qu'elle salarie par la même raison d'une manière proportionnée tous les fonctionnaires publics ; que les règles des élections, que les formes des délibérations soient aussi simples, aussi abrégées qu'il est possible ; que les jours des assemblées soient fixés aux époques les plus commodes pour la partie laborieuse de la nation.
« Que l'on délibère à haute voix : la publicité est l'appui de la vertu, la sauvegarde de la vérité, la terreur du crime, le fléau de l'intrigue. Laissez les ténèbres et le scrutin secret aux criminels et aux esclaves : les hommes libres veulent avoir le peuple pour témoin de leurs pensées. Cette méthode forme les citoyens aux vertus républicaines ; elle convient à un peuple qui vient de conquérir sa liberté, et qui combat pour la défendre : quand elle cesse de lui convenir la République n'est déjà plus.
« Au surplus, que le peuple, je le répète, soit parfaitement libre dans ses assemblées ; la Constitution ne peut établir que les règles générales, nécessaires pour bannir l'intrigue et maintenir la liberté même ; toute autre gêne n’est qu'un attentat à la souveraineté.
« Qu'aucune autorité constituée surtout ne se mêle jamais ni de sa police, ni de ses délibérations.
« Par-là vous aurez résolu le problème encore indécis de l'économie politique populaire, de placer dans la vertu du peuple et dans l'autorité du souverain le contrepoids nécessaire des passions du magistrat et de la tendance du gouvernement à la tyrannie.
« Au reste, n’oubliez pas que la solidité de la Constitution elle-même s’appuie sur toutes les institution, sur toutes les lois particulières d'un peuple ; quelque nom qu'on leur donne ; elles doivent toutes concourir avec elle au même but ; elle s'appuie sur la bonté des mœurs, sur la connaissance et sur le sentiment des droits sacrés de l’homme.
« La déclaration des Droits est la constitution de tous les peuples ; les autres lois sont muables par leur nature et sont subordonnées à celle là. Qu'elle soit sans cesse présente à tous les esprits ; qu'elle brille à la tête de votre code public : que le premier article de ce code soit la garantie formelle de tous les droits de l'homme ; que le second porte que toute loi qui les blesse est tyrannique et nulle ; qu’elle soit portée en pompe dans vos cérémonies publiques ; qu'elle frappe les regards du peuple dans toutes ses assemblées, dans tous les lieux où résident ses mandataires ; qu'elle soit écrite sur les murs de nos maisons ; qu'elle soit la première leçon que les pères donneront à leurs enfants.
« On me demandera peut-être comment, avec des précautions si sévères contre les magistrats, je puis assurer l’obéissance aux lois et au gouvernement. Je réponds que je l’assure davantage précisément par ces précautions là même : je rends aux lois et au gouvernement toute la force que j’ôte aux vices des hommes qui gouvernent et qui font les lois.
« Le respect qu’inspire le magistrat dépend beaucoup plus du respect qu’il porte lui-même aux lois que du pouvoir qu'il usurpe, et la puissance des lois est bien moins dans la force militaire qui les entoure que dans leur concordance avec les principes de la justice et avec la volonté générale.
« Quand la loi a pour principe l'intérêt public, elle a le peuple lui-même pour appui, et sa force est la force de tous les citoyens, dont elle est l'ouvrage et la propriété. La volonté générale et la force publique ont une origine commune : la force publique est au corps politique ce qu'est au corps humain le bras, qui exécute spontanément ce que la volonté commande, et repousse tous les objets qui peuvent menacer le cœur ou la tête.
« Quand la force publique ne fait que seconder la volonté générale, l'état est libre et paisible ; lorsqu'elle la contrarie, l'état est asservi ou agité.« La force publique est en contradiction avec la volonté générale dans deux cas : ou lorsque la loi n’est pas la volonté générale, ou lorsque le magistrat l’emploie pour violer la loi. Telle est l'horrible anarchie que les tyrans ont établie de tout temps sous le nom de tranquillité, d'ordre public, de législation et de gouvernement ; tout leur art est d'isoler et de comprimer chaque citoyen par la force pour les asservir tous à leurs odieux caprices, qu'ils décorent du nom de loix.
« Législateurs, faites des lois justes ; magistrats, faites-les religieusement exécuter : que ce soit là toute votre politique, et vous donnerez au monde un spectacle inconnu, celui d'un grand peuple libre et vertueux.Art. I. La Constitution garantit à tous les Français les droits imprescriptibles de l'homme et du citoyen énoncés dans la déclaration précédente.
II. Elle déclare tyrannique et nul tout acte de la législation ou du gouvernement qui les viole.
III. La Constitution française ne reconnaît d'autre gouvernement légitime que le gouvernement républicain, ni d'autre république que celle qui est fondée sur la liberté et sur l'égalité.
IV. La République française est une et indivisible.
V. La souveraineté réside essentiellement dans le Peuple Français ; tous les fonctionnaires publics sont ses mandataires : il peut les révoquer de la même manière qu'il les a choisis.
VI. La Constitution ne reconnaît d'autre pouvoir que celui du souverain ; les diverses portions d'autorités exercées par les différens magistrats, ne sont que des fonctions publiques, qu'il leur délègue pour l'avantage commun.
VII. La population et l'étendue de la République obligent le peuple français à se diviser en sections, pour exercer sa souveraineté ; mais ses droits ne sont ni moins réels, ni moins sacrés que s'il délibérait tout entier, dans une assemblée unique.
En conséquence, chaque section du souverain ne peut être soumise, ni à l'influence, ni aux ordres d'aucune autorité constituée, et les mandataires qui attentent, soit à la liberté, soit à la sûreté, soit à la dignité d'une portion du peuple, sont coupables de rebellion envers le peuple entier.
VIII. Afin que l'inégalité des biens ne détruise point l'égalité des droits, la Constitution veut que les citoyens qui vivent de leur travail, soient indemnisés du tems qu'ils consacrent aux affaires publiques, dans les assemblées du peuple où la loi les appelle.
IX. La durée des fonctions des mandataires du peuple ne peut excéder deux années.
X. Nul ne peut exercer à la fois deux emplois publics.
XI. Les fonctions exécutives, les fonctions législatives et les fonctions judiciaires sont séparées.
XII. La Constitution ne veut pas que la loi même puisse garantir la liberté individuelle, sans aucun profit pour le bien public ; elle laisse aux communes le droit de régler leurs propres affaires, en ce qui tient à l'administration générale de la République.
XIII. Les délibérations de la législature et de toutes les autorités constituées, seront publiques : la publicité qu'exige la Constitution est la plus grande publicité possible. La législature doit tenir ses séances dans un lieu qui puisse admettre douze mille spectateurs.
XIV. Tout fonctionnaire public est responsable au (sic) peuple.
XV. Il sera établi un tribunal dont l'unique fonction sera de connaître de leurs prévarications.
XVI. Les membres de la législature ne pourront être poursuivis, par aucun tribunal constitué, pour raison des opinions qu'ils auront manifestées dans l'assemblée ; mais à l'expiration de leurs fonctions, leur conduite sera solennellement jugée par le peuple qui les aura choisis. Le peuple prononcera sur cette question : tel citoyen a-t-il répondu oui ou non à la confiance dont le peuple l'a honoré ?
XVII. Les faits positifs de corruption et de trahison qui pourraient être imputés aux fonctionnaires publics dont il est parlé aux deux articles précédens, seront jugés par le tribunal populaire, et leurs délits privés, par les tribunaux ordinaires.
XVIII. Tous les membres de la législature et tous les membres de l'agence exécutive, seront tenus de rendre compte de leur fortune, deux ans après l'expiration de leur autorité.
XIX. Lorsque les droits du peuple seraient violés par un acte de la législature, ou du gouvernement, chaque département pourra le déférer à l'examen du reste de la République ; et dans le délai qui sera déterminé, les assemblées primaires s'assembleront pour manifester leur vœu sur ce point.
XX. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen sera placée dans l'endroit le plus apparent des lieux où les autorités constituées tiendront leurs séances ; elle sera portée, en pompe, dans toutes les cérémonies publiques ; elle sera le premier objet de l'instruction publique.
19:51 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 9.1. PAROLES D'HOMMES | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : robespierre, démocratie, discours, universel, principes | Facebook | | Imprimer |
mardi, 25 janvier 2011
ROBESPIERRE Histoire (version courte)
Robespierre fut un grand homme, un grand Français, le député le plus populaire et le plus grand révolutionnaire. En tant que tel, il fut l’objet d’attaques incessantes. Sa mémoire même fut souillée de calomnies. Même les raccourcis que l’histoire oblige parfois à faire transforment son portait du tout au tout. Ainsi, son nom est aussi célèbre que son histoire réelle et son œuvre sont méconnues du grand public.
Il est pourtant primordial de connaître la véritable histoire et les idées de cet homme qui incarna la Révolution et inspira des générations de patriotes. Les Français ignorent tout ce qu’ils lui doivent ; la République elle-même a oublié qu’elle lui doit jusqu’à sa devise. Bien qu’il ait vécu et ait été exécuté il y a plus de deux cents ans, beaucoup de ses idées sont encore révolutionnaires, plus révolutionnaires que celles des révolutionnaires autoproclamés, et la vie de cet homme que l’on appelait l’Incorruptible reste un exemple.
Je me flatte d’être robespierriste. Et si l’on me demande pourquoi, ou pourquoi je tiens tant à défendre sa mémoire et à rappeler son souvenir dans toute son authenticité, qu’il me suffise de citer ce mot de Babeuf :
« Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante, et naturellement dans tout le peuple. La raison en est simple, c’est que le robespierrisme est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques : donc en relevant le robespierrisme, vous êtes sûr de relever la démocratie. »
Il est impossible d’exposer ici la richesse de la pensée de Robespierre. Pour la connaître, il faut lire ses discours ou, au moins, de bonnes biographies (Jean Massin, Ernest Hamel) ou de bonnes histoires de la Révolution (Albert Mathiez, Albert Soboul, Georges Lefebvre). Mais pour se plonger ainsi dans l’étude, encore faut-il en sentir l’intérêt et ne plus avoir de lui l’image fausse et négative qui est généralement colportée.
Peindre Robespierre sous son véritable jour et anéantir les fausses idées reçues à son sujet pour donner envie de le lire est donc le but que je me propose. J'ai réalisé deux exposés dont le présent est la version courte. (version développée ici)
ROBESPIERRE Maximilien Marie Isidore (de) :
Né à Arras, le 6 mai 1758 – Exécuté à Paris le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II). Avocat. Homme politique français. Figure emblématique de la Révolution française. Âme des Jacobins et de la Montagne.
Avant la Révolution
Sa mère meurt en couche alors qu’il n’a que six ans. Son père, avocat, bouleversé par la mort de sa femme, abandonne le foyer peu après. Ses deux sœurs, Charlotte et Henriette qui mourra à 22 ans, et son frère, Augustin Bon, surnommé Bonbon ou, plus tard, Robespierre jeune, sont recueillis par des parents, lui-même par son grand-père maternel. Studieux, remarqué par les autorités ecclésiastiques d’Arras, il se voit accordé une bourse d’étude au collège Louis-le-Grand à Paris. Elève brillant, il aura l’honneur de faire au nom du collège le compliment à Louis XVI au retour de son sacre. (11 juillet 1775) Reçu avocat le 2 août 1781 au barreau de Paris, il retourne à Arras où il est admis au barreau le 8 novembre. Ses débuts sont prometteurs. Admirateur de Rousseau, il se fait le défenseur des pauvres. En 1782, il se voit confié par l’Evêque d’Arras un siège de juge à la salle épiscopale. Cette même année, il est admis à la Société des Rosatis, « des jeunes gens réunis par l'amitié, le goût des vers, des roses et du vin ». En 1783, il entre à l’Académie d’Arras dont il sera élu président, à l’unanimité, le 4 février 1786. En 1784, il obtient le deuxième prix du concours de l'Académie de Metz, sur « l'origine de l'opinion qui étend sur tous les individus d'une même famille une partie de la honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable ».
Première élection
La convocation des Etats Généraux par Louis XVI l’enflamme. En janvier 1789, il publie une brochure pragmatique qui rencontre un franc succès et est rééditée en avril : « Appel à la nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois ». En mars, il rédige le cahier de doléances de la corporation des savetiers, la plus pauvre et la plus nombreuse d’Arras. Le 26 avril, il est élu député, un des huit députés du Tiers Etat d’Artois.
La Constituante
Inconnu du grand public, il n’a que peu de part aux premiers événements de la Révolution. Mais sa rigueur, sa constance, son intransigeance, son honnêteté vont rapidement faire de lui une des vedettes (du côté gauche) de l’Assemblée constituante issue des Etats Généraux. Ses principes qui ne varieront jamais sont : égalité des citoyens en droits, souveraineté du peuple. Ses opinions trop démocratiques ne prévaudront pas au sein de cette assemblée constituée pour moitié de bourgeois, pour l’autre de nobles et d’ecclésiastiques. Aucun article de la constitution de 1791 ne sera son œuvre. Mais son acharnement à défendre, souvent seul et en vain, la cause populaire fait de lui le héros du peuple et lui vaut rapidement d’être surnommé l’Incorruptible. Cela fait aussi de lui la bête noire des royalistes et des riches, de tous les honnêtes gens qui veulent le peuple nul et qui inaugurent les calomnies qui courent toujours sur son compte.
De tous les combats, il se prononce contre la loi martiale, contre le veto royal, contre le suffrage censitaire, contre le cumul des fonctions publiques, contre l’esclavage, contre la peine de mort (pour les crimes de droit commun), pour le rattachement d’Avignon à la France, pour le suffrage universel, pour l’institution de jurés, pour le droit de pétition, pour la liberté de la presse, pour le mariage des prêtres, pour la présence de soldats en nombre égal à celui des officiers dans les cours martiales.
Ni monarchiste ni républicain, peu lui importe la forme du gouvernement pourvu que les droits des citoyens et du peuple soient respectés. Dans un discours sur l’organisation des gardes nationales (décembre 1790), applaudi par toutes les sociétés patriotiques, il formule la devise que reprendra la IIIe république : Liberté Egalité Fraternité. Son seul véritable succès parlementaire est l’obtention de la non rééligibilité des députés sortants, quoique le décret, contrairement à sa proposition, limite cette non rééligibilité à la législature suivante. Au sortir de la dernière séance de la Constituante, le 30 septembre 1791, les Parisiens lui font un triomphe. Sa popularité et sa renommée sont immenses dans toute la France. En juin 1791, la municipalité de Toulon l’avait fait citoyen de la ville ; en mars, celle de Marseille lui avait demandé d’être son défenseur, comme il avait été celui des Avignonnais.
Les Jacobins
S’il n’a aucune influence sur l’Assemblée, il en a au contraire beaucoup au club des Jacobins qui réunit les députés les plus avancés (tous les personnages célèbres de la Révolution en font partie, La Fayette, Mirabeau, Siéyes, Talleyrand, Barnave, Lameth, Duport, Barère, Le Chapelier, Lanjuinais, Liancourt, etc.) et où la parole est plus libre. Les séances du club sont ouvertes au public, rapportées par les journaux et font l’objet d’un procès verbal envoyé aux sociétés affiliées partout en France. Mais c’est après la fuite du roi, en juin 1791, qu’il devient réellement et jusqu’à sa mort l’âme (non pas le maître) du club. C’est lui qui sauve son existence, le consolide et l’incarne aux yeux de l’opinion publique lorsque les divergences sur les suites à donner à la fuite du roi poussent la plupart des membres (246 députés) à faire défection et à fonder le club éphémère et impopulaire des Feuillants.
La Législative
Redevenu simple citoyen, Robespierre, après un bref séjour dans son pays, revient à Paris. Il pensait que la nouvelle Assemblée, dite Législative, travaillerait à corriger par de bonnes lois les défauts de la constitution. Mais déjà les nouveaux députés influents que l’on appelle Girondins — car originaires de Bordeaux mais aussi d’autres villes portuaires telles Nantes ou Marseille — n’ont que la guerre en tête, à l’instar de la Cour qui ne voit son salut que dans une défaite militaire. C’est aux Jacobins, dont les Girondins sont alors membres, qu’il va s’opposer de toutes ses forces à leur projet qu’il juge absurde et naïf (les véritables ennemis sont à l’intérieur, pas à Coblentz) et pressent dangereux pour la Révolution et désastreux dans tous les cas (risque de césarisme). Les Girondins, irascibles et intrigants, ne lui pardonneront pas cette opposition vigoureuse, d’autant plus qu’ils sont les champions de la bourgeoisie quand lui défend le peuple.
Quand la guerre est déclarée à l’Empereur d’Autriche (20 avril 1792), tout ce que Robespierre a annoncé se réalise ; elle tourne au désastre. Mais, malgré les trahisons, les Girondins ne songent qu’à sauvegarder leur pouvoir en passant des compromis avec la Cour. Robespierre, au contraire, prône le renversement de la monarchie, la convocation d’une convention nationale (dont doivent être exclus, selon lui, les ex-constituants, dont lui-même, et les députés en fonction) et appelle le peuple de Paris et les fédérés des départements à l’insurrection.
Le 10 août, le palais des Tuileries est pris d’assaut, l’Assemblée suspend le roi qui s’est réfugié auprès d’elle et convoque une convention nationale. Une nouvelle municipalité parisienne est mise en place par les sections de la capitale : la Commune insurrectionnelle. La section des piques désigne Robespierre pour y siéger.
La Législative étant discréditée et condamnée, c’est la Commune qui détient le pouvoir, assure l’intérim et prend les mesures de circonstance : envoi d’agents dans les départements pour informer de l’événement ou effectuer des réquisitions, perquisitions pour trouver des armes, recrutement des volontaires, arrestation des contre-révolutionnaires notoires (lesquels, à l’annonce des trahisons de Longwy et de Verdun, seront massacrés dans les prisons avant le départ des volontaires).
Le 20 septembre, à Valmy, l’armée française et les volontaires arrêtent les austro-prussiens qui, dès lors, battent en retraite. (Le caractère victorieux de cette rencontre est contesté. Le retrait des troupes austro-prussiennes serait le résultat de négociations menées par Danton. Il est néanmoins constant que les armées ennemies étaient dans un état lamentable et que les troupes françaises auraient pu les exterminer si elles n’avaient été retenues et obligées de suivre de loin leur retraite.) La Belgique tombe entre les mains des Français.
La Convention girondine
Les Girondins n’ont pas eu le panache des Constituants et n’ont pas suivi Robespierre : ils ne se sont pas fermés la porte de la réélection. Robespierre qui a déjà eu à les combattre sur un pied d’inégalité se représente donc. Le 5 septembre, il est le premier député désigné par Paris. Il est également élu spontanément par le Pas-de-Calais. De manière générale, Paris qui connaît bien les Girondins désigne des hommes populaires et énergiques qui formeront la base de la tendance opposée à la Gironde : la Montagne.
Pour l’heure les Girondins tiennent tous les ministères et tous les postes de la Convention. La session s’ouvre le 21 septembre. La monarchie est abolie en France. Dès le lendemain, les Girondins commencent à attaquer la députation de Paris et à semer la défiance contre cette ville. Leurs attaques incessantes et combinées sont de plus en plus pressantes et particulièrement dirigées contre Robespierre, Danton et Marat. Le summum est atteint lorsque, le 29 octobre, Louvet prononce un véritable réquisitoire contre Robespierre, accusé d’aspirer à la dictature, et la Commune de Paris.
Robespierre lui répond le 5 novembre et terrasse ses accusateurs en montrant l’insanité de leurs accusations, eux qui n’ont rien fait pour la Révolution et la République, et en rappelant les mérites de la Commune de Paris à l’heure du danger. L’impression de son discours est votée à la quasi unanimité. Les députés de province qui étaient prévenus contre Paris par la propagande girondine sont détrompés et ne veulent plus entendre les Girondins. La Convention, jusque-là paralysée par les querelles de personnes, peut enfin s’occuper du sort du roi.
Estimant qu’un procès présume Louis XVI innocent alors que le 10 août a tranché la question, Robespierre se prononce pour son exécution pure et simple. La majorité en décide autrement. Les Girondins dont le but est rien moins que clair multiplient alors les manœuvres dilatoires. Après avoir argué de l’inviolabilité du roi, puis proposé que le roi soit jugé par le peuple, ils proposent que le jugement de la Convention soit soumis à la ratification du peuple et votent finalement la mort, mais avec sursis. Leur échec est complet sur toute la ligne : la majorité de la Convention (malgré les entreprises de corruption) a suivi les Montagnards. Le ci-devant roi est condamné à mort le 20 janvier 1793 et exécuté le lendemain.
Les sujets à l’ordre du jour sont alors l’économie, la guerre et la constitution. Champions des riches et partisans du libre échange, euphémisme pour désigner la liberté d’accaparer et d’affamer pour s’enrichir, les Girondins refusent toute intervention autre que la répression alors que le peuple est confronté à la dévaluation de la monnaie et aux difficultés d’approvisionnement, voire à la faim. Cette politique de la part de ceux qui ont plongé la France dans la guerre, qui viennent de la déclarer à l’Angleterre (1er février) et à l’Espagne (7 mars), semble à beaucoup inconséquente. Un pays en guerre a besoin de son peuple pour la faire. Il faut donc satisfaire le peuple pour lui donner des raisons de se battre. En outre, les Girondins s’ingénient à prendre le contre-pied des Montagnards et défendent Dumouriez qui perd la Belgique, tente même de retourner ses troupes contre la Convention, comme La Fayette l’année précédente, et expose de nouveau la France à l’invasion. Enfin, ils n’ont rien perdu de leur haine contre les Montagnards et Paris contre laquelle ils excitent les départements. Le 13 avril, alors que 300 députés pour la plupart Montagnards sont en mission pour le recrutement, ils obtiennent l’arrestation de Marat et sa traduction au Tribunal révolutionnaire. Acquitté le 24 avril, les Parisiens le reconduisent triomphalement à la Convention.
Cet état de rivalité, alors que l’unité est plus que jamais nécessaire, ne peut plus durer. L’inconséquence, l’incompétence, l’égoïsme, l’orgueil, la malveillance et la mesquinerie des Girondins, leur puérilité qui confine à la trahison, leur défiance envers Paris qui les pousse au fédéralisme, gâtent tout et empêchent la Convention d’agir. Sans le sursaut du 10 août auquel ils se sont opposés de toutes leurs forces, la guerre était perdue et la Révolution avec elle. Maintenant, Marseille se soulève contre Paris à leur appel (29 avril). Bordeaux aussi. Le 4 mars, les paysans vendéens, déçus par la politique bourgeoise de la constituante et de la législative, se sont insurgés contre le recrutement, lui aussi conséquence de la politique guerrière girondine. Lyon s’apprête à lever l’étendard de la révolte (29 mai).
Le 13 mars, aux Jacobins, Robespierre avait rejeté toute idée d’insurrection partielle et avait appelé une dernière fois les Girondins à revenir à la raison. Il ne pensait pas les départements prêts à accepter une insurrection qui, par ailleurs, confirmerait la propagande girondine. Mais, le 27 mars, il appelle les sections qui devront bientôt se lever à bannir tous les traîtres. Les Jacobins adoptent sa proposition. Deux jours plus tard, il fixe le programme de salut public qui sera bientôt appliqué point par point par la Montagne. Le 3 avril, avec la trahison de Dumouriez qui ne fait plus aucun doute (il est décrété hors la loi le même jour et passe à l’ennemi deux jours plus tard), il appelle les sections à s’armer et, de son côté, renonce à ses fonctions de membre du Comité de défense générale, essentiellement composé de Girondins, auquel il avait été adjoint le 26 mars. A la tribune de la Convention, il demande un décret d’accusation contre les Girondins en général et Brissot en particulier. Le 2 juin, la garde nationale et les Sans-culottes cernent la Convention et l’obligent à décréter d’arrestation 22 Girondins ainsi que Clavière, ministre des contributions publiques, et Lebrun, ministre des affaires étrangères.
L’intention des Montagnards est simplement d’écarter les Girondins qui sont littéralement renvoyés chez eux, en détention. Mais beaucoup profitent de cette clémence pour s’enfuir et soulever les départements. Le 13 juillet, Charlotte Corday qui arrive de Caen où plusieurs d’entre eux se sont réfugiés poignarde Marat. Après Le Pelletier, le 20 janvier, c’est le deuxième Montagnard assassiné.
La Convention montagnarde / l’an II
Entre temps, la Convention a repris à zéro l’ouvrage constitutionnel et a adopté une constitution, la plus démocratique et la plus patriotique de l’histoire de France, le 24 juin. Le 18 juin, Robespierre a soutenu que le peuple français ne ferait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire. Cette constitution est précédée, sur le vœux de Robespierre (10 mai), d’une déclaration des droits qui, à quelque chose près, est celle qu’il avait proposée et que les Jacobins avaient adoptée le 21 avril. N’y manque que ses conceptions sur la propriété qui, selon lui, est une institution sociale qui doit être limitée comme tout droit.
Le 27 juillet, à la faveur de la démission de Gasparin, il est proposé et élu membre du Comité de salut public qui s’occupe de la guerre, des relations internationales et de la politique générale. La situation est tragique. La France est attaquée de tous côtés et les deux tiers des départements sont en révolte contre Paris. Mais le prestige de Robespierre confère au Comité l’assurance et l’autorité et bientôt la confiance (25 septembre) et la stabilité qui lui sont nécessaires pour faire face, notamment pour soumettre les généraux au pouvoir politique et étouffer les factions.
Au Comité, dont les décisions ultimes sont collégiales, Robespierre s’intéresse à tout mais sa fonction est essentiellement politique. Son but, outre l’unité du Comité, est l’unité du peuple français. Il est partisan de mesures à la fois énergiques et raisonnables (modérées). Il abhorre la démagogie, les excès et la corruption qui déshonorent la République, la Révolution et la Convention.
Il mène son premier grand combat, fin nombre, contre la déchristianisation violente (fermeture des églises, renversement des croix, abdications volontaires ou forcées des prêtres, mascarades antireligieuses, oppression des fidèles, etc.), symbolisée par le culte de la Raison qu’il prend, à tort, pour un mouvement athée mais qui, effectivement, donnait du grain à moudre à la propagande contre-révolutionnaire et menaçait d’embraser la France. Inauguré à Nevers par Fouché, importé à Paris par Chaumette, procureur syndic de la Commune, applaudi par la Convention, relayé dans les départements par les représentants en mission, la vague semblait irrésistible. Illusion ! Les campagnes résistaient, se révoltaient. Des centaines de mouvements quasi insurrectionnels étaient signalés partout. Le 21 novembre, aux Jacobins, Robespierre se dresse et oppose tout son prestige et ses principes à ce courant furieux qui menace de désoler et de perdre la République ; il démontre que les déchristianisateurs sont des contre-révolutionnaires qui, au mieux, s’ignorent ; il appelle au respect de la liberté des cultes. Dès lors, le torrent reflue. Le 5 décembre (15 frimaire), la Convention adopte la réponse au manifeste des rois ligués contre la République qu’il lui présente au nom du Comité et dont le préambule est une nouvelle charge contre la déchristianisation. Le lendemain, sur un nouveau rapport de Robespierre, elle rappelle qu’elle a proclamé la liberté des cultes dans la constitution (art. 7) et défend toute violence à leur endroit, à moins qu’ils soient prétextes de troubles à l’ordre public. Ce décret ramena le calme partout dès lors qu’il fut connu et respecté.
Le 25 décembre (5 nivôse), Robespierre énonce les principes du gouvernement révolutionnaire institué le 4 décembre (14 frimaire) et théorise, de fait, la Terreur qui, elle, est en vigueur depuis le 5 septembre. Il n’a pas instauré la Terreur qui s’est imposée d’elle-même. Il n’a même en rien contribué à son instauration, contrairement à Merlin (de Douai), Billaud-Varenne ou Danton. Qu’il l’ait théorisée ne fait pas de lui son instigateur. De même, le gouvernement révolutionnaire fut l’œuvre de Billaud-Varenne et de Saint-Just. Robespierre n’était pas contre, mais il est bon de rappeler qu’il n’était pas seul, que tout ne fut pas son œuvre et qu’il faut rendre à César ce qui est à César.
Au reste, que signifiait ce grand mot de « Terreur » ? Que la République en guerre punirait désormais de mort ses ennemis déclarés. Cela n’avait rien de nouveau. Précisément, Robespierre ne fit que justifier la violence d’Etat en indiquant son but, ses principes, ses obstacles et ses dangers. La Terreur n’était finalement rien de plus que la reconnaissance du droit, pour un régime aux abois, de tuer ses ennemis mortels intérieurs, droit fondé sur le principe de légitime défense, à l’instar du droit, pour un Etat en guerre, de tuer ses ennemis extérieurs incarnés par les soldats étrangers. La Terreur n’était pas un but mais une nécessité passagère. Comme avait dit Saint-Just : « Il faut gouverner par le fer ceux qui ne peuvent l’être par la justice » (10 octobre). Mais Robespierre ajoutait :
« Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : La vertu, sans laquelle la Terreur est funeste ; la Terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. » « Ces notions suffisent pour expliquer l’origine et la nature des lois que nous appelons révolutionnaires. Ceux qui les nomment arbitraires ou tyranniques sont des sophistes stupides ou pervers qui cherchent à confondre les contraires : ils veulent soumettre au même régime la paix et la guerre, la santé et la maladie, ou plutôt ils ne veulent que la résurrection de la tyrannie et la mort de la patrie. S'ils invoquent l'exécution littérale des adages constitutionnels, ce n'est que pour les violer impunément. Ce sont de lâches assassins qui, pour égorger sans péril la République au berceau, s'efforcent de la garrotter avec des maximes vagues dont ils savent bien se dégager eux-mêmes. [...] Il [le gouvernement révolutionnaire] doit se rapprocher des principes ordinaires et généraux, dans tous les cas où ils peuvent être rigoureusement appliqués, sans compromettre la liberté publique. La mesure de sa force doit être l'audace ou la perfidie des conspirateurs. Plus il est terrible aux méchans, plus il doit être favorable aux bons. Plus les circonstances lui imposent de rigueurs nécessaires, plus il doit s'abstenir des mesures qui gênent inutilement la liberté publique, et qui froissent les intérêts privés, sans aucun avantage public. »
Au passage, Robespierre brosse une fois de plus le portrait des factions.
« Il [le gouvernement révolutionnaire] doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l'excès ; le modérantisme, qui est à la modération, ce que l'impuissance est à la chasteté, et l'excès qui ressemble à l'énergie, comme l'hydropisie à la santé. Les tyrans ont constamment cherché à nous faire reculer vers la servitude, par les routes du modérantisme ; quelquefois aussi ils ont voulu nous jetter dans l'extrêmité opposée. Les deux extrêmes aboutissent au même point. Que l'on soit en-deça ou en-delà du but, le but est également manqué. Rien ne ressemble plus à l'apôtre du fédéralisme, que le prédicateur intempestif de la République une et universelle. L'ami des rois et le procureur du genre humain s'entendent assez bien. Le fanatisme couvert de scapulaires, et le fanatique qui prêche l'athéisme, ont entr'eux beaucoup de rapports. Les barons démocrates sont les frères des marquis de Coblentz ; et quelquefois les bonnets rouges sont plus voisins des talons rouges qu'on ne pourrait le penser. Mais c'est ici que le gouvernement a besoin d'une extrême circonspection, car tous les ennemis de la liberté veillent pour tourner contre lui, non-seulement ses fautes, mais même ses mesures les plus sages. Frappe-t-il sur ce qu'on appelle exagération ? Ils cherchent à relever le modérantisme et l'aristocratie. S'il poursuit ces deux monstres, ils poussent de tout leur pouvoir à l'exagération. Il est dangereux de leur laisser les moyens d'égarer le zèle des bons citoyens ; il est plus dangereux encore de décourager et de persécuter les bons citoyens qu'ils ont trompés. Par l'un de ces abus, la république risquerait d'expirer dans un mouvement convulsif ; par l'autre, elle périrait infailliblement de langueur. »
Il a déjà dit tout cela à plusieurs reprises, notamment le 25 septembre et le 5 décembre. Les factieux sont prévenus ; les égarés sont invités à se ressaisir avant que le Comité ne sévisse.
La première faction, celle des ultra-terroristes, est représentée d’abord par Hébert et sa feuille Le Père Duchesne puis par les Cordeliers ; la seconde, celle des Indulgents, par Fabre, Danton, Desmoulins et sa feuille Le Vieux Cordelier. Tous sont Jacobins. Malgré Robespierre qui ne cesse de présenter à chacun les dangers de leur attitude, ils persistent à se déchirer et à attaquer, pour des raisons opposées, la politique du Comité. On ne se refait pas ! Les premiers sont essentiellement inconséquents et ambitieux : ils veulent la Terreur pour s’élever. Le seconds sont essentiellement jouisseurs et corrompus : ils ne veulent plus de la Terreur pour ne pas monter eux-mêmes à l’échafaud. Tous guettent le faux pas.
Les Cordeliers croient le moment venu d’agir lorsque Robespierre qu’ils appellent l’endormeur tombe malade en février 1794 (du 13 février au 12 mars). Ils s’agitent et appellent à l’insurrection le 4 mars (appel que, du reste, les sections n’entendent pas). Mais les collègues de Robespierre font front, notamment Collot-d’Herbois. Le 13 mars, c’est Saint-Just qui dénonce à la Convention la faction de l’Etranger et donne le signal à Fouquier-Tinville, l’accusateur public, pour arrêter les meneurs Cordeliers qui sont arrêtés le soir même et exécutés le 24 mars (4 germinal). Le Comité peut dès lors mettre un terme à certains abus. Il fait notamment supprimer l’armée révolutionnaire (7 germinal) et remanie la Commune de Paris (8-9 germinal).
Il n’a pas pour autant l’intention de se laisser déborder par les Indulgents qui croient à leur tour le moment venu d’agir. Dans la nuit du 30 au 31 mars, les Comités réunis de salut public et de sûreté générale ordonnent leur arrestation. Robespierre qui connaît Danton depuis le début de la Révolution et Camille Desmoulins, depuis son enfance (il fut le témoin de son mariage et est même le parrain de son fils), a longtemps hésité. Mais, pressé par ses collègues (Barère, Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne, Saint-Just, Vadier), il s’est laissé fléchir — ses collègues auraient fini par se passer de son consentement dans le cas contraire. Deux rencontres avec Danton, la dernière le 29 mars, lui ont ôté ses derniers scrupules. Le 31 mars, c’est lui qui fait taire les amis de Danton à la Convention qui, sur le rapport de Saint-Just, « décrète d’accusation Camille Desmoulins, Hérault, Danton, Philippeaux, Delacroix, prévenus ce complicité avec d’Orléans et Dumouriez, avec Fabre d’Eglantine et les ennemis de la République, d’avoir trempé dans la conjuration tendant à rétablir la monarchie, à détruire la représentation nationale et le gouvernement républicain. En conséquence, elle ordonne leur mise en jugement avec Fabre d’Eglantine. » Le procès des Indulgents est avant tout celui de Fabre, ami de Danton, impliqué dans la conspiration de Batz dont l’affaire dite de la Compagnie des Indes n’est que la partie visible. Les Indulgents sont exécutés le 5 avril (16 germinal).
Pour Robespierre, rien n’est changé. Il n’a ni plus ni moins de pouvoir qu’avant ; il est simplement un membre du Comité de salut public. Son prochain grand sujet sera l’organisation des fêtes décadaires.
Au lendemain de l’exécution des Indulgents, le 6 avril, Couthon annonce à la Convention que le Comité lui présentera d’ici peu « un projet de fête décadaire dédié à l’Eternel, dont les Hébertistes n’ont pas ôté au peuple l’idée consolante ». L’adoption du calendrier républicain, le 5 octobre 1793, a bouleversé le temps. Le décadi a remplacé le dimanche et supprimé la messe. De partout, les lettres affluent demandant que la Convention et le Comité pallient au vide ainsi créé. Le Comité d’instruction publique s’est saisi dès le mois de janvier du dossier et a déjà présenté aux députés, fin février-début mars, sous forme d’imprimé, le projet de Mathieu (de l’Oise). C’est ce projet, simplifié, précédé d’un long rapport, que Robespierre présente à la Convention le 7 mai (18 floréal). Ce rapport, au terme duquel la Convention décrète que le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme (tout en confirmant le décret du 18 frimaire sur la liberté des cultes) et fixe les thèmes auxquels seront consacrés les décadis, est accueilli par la Convention et la France entière avec un enthousiasme extraordinaire. Il semble que l’heure de la réconciliation nationale soit venue. La première fête est fixée au 20 prairial (8 juin). Elle est spécialement dédiée à l’Etre suprême, contrairement aux autres qui sont simplement placées sous ses auspices. C’est un acte politique après les désordres provoqués par la déchristianisation et l’ambiguïté du culte de la Raison. Il ne s’agit cependant en rien d’un nouveau culte ou d’une nouvelle religion.
Le 4 juin (16 prairial), la Convention porte Robespierre à sa présidence à l’unanimité afin qu’il préside la fête qui doit avoir lieu quatre jours plus tard. (Ce n’était pas la première fois que Robespierre présidait. Un président de la Convention n’avait rien à voir avec un actuel président de la République. Il changeait tous les quinze jours et n’avait d’autre fonction que de diriger les débats de l’Assemblée ou, à l’occasion, de présider des fêtes officielles à Paris.) Cet honneur se révèle empoisonné. La fête de l’Etre suprême est grandiose, majestueuse, populaire (400.000 participants à Paris, selon un témoin), mais la position de Robespierre prête aux calomnies de la part de ses ennemis. Car il en a, beaucoup : les amis de Danton, les amis d’Hébert, les athées, les corrompus, les terroristes, les hommes violents et sans moralité. Il les entend dans son dos qui murmurent, qui l’insultent. Quand il rentre chez lui le soir, il sait qu’ils auront sa peau.
Deux jours plus tard, Couthon présente à la Convention la loi plus controversée, celle du 22 prairial qui réorganise le Tribunal révolutionnaire, accélère ses procédures et précise les motifs qui en sont passibles. Quelques députés protestent. Robespierre intervient pour la faire adopter article par article. Son nom est désormais associé à cette loi qui, appliquée ou plutôt dénaturée par ses ennemis personnels, va devenir entre leurs mains un moyen de le discréditer.
En fait, cette loi n’avait rien d’incongru ni de nouveau. Elle était liée aux lois de ventôse, à celle du 27 germinal et à l’institution de la Commission d’Orange, le 21 floréal.
Les 8 et 13 ventôse (26 février, 3 mars), sur des rapports de Saint-Just, la Convention avait décrété que les biens des condamnés seraient distribués aux indigents d’après le tableau qu’en ferait le Comité de sûreté générale. Dans cette optique, elle avait décrété, le 23 ventôse (13 mars), l’établissement de six Commissions populaires qui seraient chargées de juger les ennemis de la Révolution détenus dans les prisons. Le 27 germinal (16 avril), toujours sur rapport de Saint-Just, elle avait voté les mesures de police générale d’après lesquelles tous les prévenus de conspiration devaient être transférés à Paris. C’était suspendre de fait tous les tribunaux révolutionnaires de province et donner un travail énorme à celui de Paris, ce qu’un arrêté du Comité de salut public du 22 avril (3 floréal) précise textuellement. (Pour être tout à fait exact, quelques tribunaux révolutionnaires furent maintenus ou rétablis en mai : celui d’Arras, jusqu’au 10 juillet, de Bordeaux, de Nîmes, de l’armée de la Moselle et, à l’Ouest, celui de Noirmoutier, de Laval-Vitré-Rennes et de l’armée de l’Ouest. La Commission d’Orange qui n’existait pas alors fut elle aussi établie en mai, le 10.) Le 8 mai (19 floréal), sur le rapport fait par Couthon au nom des Comités de salut public et de législation réunis, la Convention décréta encore que, en exécution de l’article premier de la loi du 27 germinal, tous les crimes contre-révolutionnaires, définis par les lois antérieures, seraient du ressort du Tribunal révolutionnaire de Paris, où qu’ils aient été commis dans la République.
Le 13 et 14 mai (24 et 25 floréal), les Comités de salut public et de sûreté générale réunis instituèrent à Paris les deux premières Commissions populaires, chacune composée de cinq membres dont certains étaient jurés au Tribunal révolutionnaire et qui tous, d’après un arrêté du Comité du 24 mai (5 prairial), reçurent le même traitement que les juges dudit Tribunal. Le 22 mai (3 prairial), Robespierre les dota de tous les moyens pour enquêter. Le 10 mai, le Comité institua une Commission révolutionnaire à Orange. Le 18 mai, le Comité lui adressa une instruction qui était manifestement inspirée par le fonctionnement des Commissions populaires et qui inspira à son tour les articles 8 et 16 de la loi du 22 prairial. Tous les membres du Comité de salut public avaient participé à l’établissement de ces différentes Commissions. Tous en partageaient l’esprit.
Les Commissions populaires commencèrent à produire des listes de détenus à condamner, à déporter ou à libérer le 19 prairial. Trois jours plus tard, Couthon présentait la loi du 22 prairial qui accélérait les procédures du tribunal révolutionnaire. C’était une conséquence directe de toutes les lois et dispositions précédentes auxquelles les Comités et la Convention avaient souscrit. La raison d’être de cette loi est claire et les controverses à son sujet sont le fait d’ignorants ou de partisans.
C’est également une imposture que de présenter cette loi comme l’origine d’une Grande Terreur, donc Robespierre comme un grand terroriste. S’il est vrai que le nombre d’exécutions augmente après son adoption, il faut préciser que cette augmentation ne concerne que Paris et que leur nombre a déjà fortement augmenté depuis la loi du 27 germinal qui a supprimé les tribunaux révolutionnaires de province. En réalité, si le nombre d’exécutions explose à Paris, c’est parce que la Terreur a quasiment cessé partout en France. La période dite de la Grande Terreur est en fait celle qui vit chuter le nombre d’exécutions au niveau national. Et, même à Paris, les chiffres sont dérisoires. De l’instauration du Tribunal révolutionnaire en mars 1793 au 27 juillet 1794 (9 thermidor), il n’y eut que 2639 exécutions à Paris (pour 1218 libérations et 258 autres peines), dont seulement 1075 Parisiens. Ainsi, pour une ville qui comptait 600.000 habitants, moins de 0,2 % d’entre eux furent exécutés. Que les victimes n’aient pas été à la fête est une chose ; croire que les Parisiens étaient terrorisés en est une autre !
Le vrai scandale de cette période réside dans le principe des « fournées », c’est-à-dire de la traduction simultanée de plusieurs dizaines de détenus devant le Tribunal révolutionnaire. Or cette pratique n’était pas prescrite par la loi du 22 prairial. Elle incombait sans doute à Fouquier-Tinville que Robespierre essaya en vain de faire destituer fin juin. Par ailleurs, les procédures du Tribunal révolutionnaire étaient expéditives parce que les détenus devaient être pré-jugés par les Commissions populaires, instruments des lois de ventôse. Or non seulement les Comités de salut public et de sûreté générale rechignaient à instituer les quatre autres Commissions prévues mais ne validaient même pas les listes dressées par les Commissions en vigueur. Le sabotage des lois de ventôse sur la distribution des biens des condamnés aux indigents et le détournement de la loi du 22 prairial furent la raison profonde de la rupture entre Robespierre et ses collègues des Comités.
A ce désaccord de fond s’en ajoutaient d’autres. Le Comité n’étant plus menacé de l’extérieur par les factions, ses membres donnèrent de plus en plus libre cours à leurs divergences sur le plan militaire, social, politique ou personnel. Carnot conduisait seul la guerre et voulait une guerre de conquête, alors que Robespierre désirait y mettre fin dès que le territoire serait libéré, ce qui était sur le point d’être réalisé. Par ailleurs, Robespierre voulait modérer la Terreur et était exaspéré par les arrestations tous azimuts. Il était cerné d’ennemis, visé par mille intrigues et désespérait de rencontrer une opposition systématique chez ses collègues des Comités. Ne pouvant plus rien faire, il cesse, à partir du 1er juillet (13 messidor), de participer au Comité.
Cette absence de plusieurs semaines ne passe pas inaperçue, d’autant plus que Robespierre en expose les motifs aux Jacobins. Pour se réconcilier avec lui, les Comités ratifient les listes des Commissions populaires les 2 et 3 thermidor (20 et 21 juillet) — ils en font même porter une chez lui, qu’il signe — et décident la création des quatre dernières Commissions le 4 thermidor. Le 5 thermidor, Robespierre assiste à la séance des Comités. Mais il ne croit pas en leur bonne foi. Il sait que le Comité de sûreté générale a pris des contacts avec les Girondins détenus (qui d’ailleurs lui doivent la vie). Il sait que Fouché complote contre lui, qu’il répand des listes de proscription présentées comme son ouvrage. Il sait que ses ennemis sont nombreux et unis par leur haine contre lui. Il sait que, s’ils l’emportent, la Révolution est perdue. Il prend l’initiative d’attaquer, à découvert comme il l’a toujours fait. Il n’a pas d’autre choix de toute façon.
Le 8 thermidor, il se présente à la Convention armé d’un discours qu’il appelle lui-même son testament de mort. Il dénonce tous les disfonctionnements du gouvernement, tous les excès de la Terreur, toutes les intrigues, tous les coups bas dont il est l’objet, tous les dangers qui menacent la République. L’impression de son discours est décrétée. Mais les hommes qu’il a dénoncés à demi-mot font rapporter le décret. Le soir, aux Jacobins, il relit son discours qui transporte l’assemblée d’émotion. Il reprend confiance. Mais, pendant ce temps, ses ennemis, les hommes de sang et de rapines, rallient les bourgeois du Marais en leur promettant tout et son contraire et adoptent une tactique pour le lendemain : l’empêcher de parler.
Le 9 thermidor, c’est Saint-Just qui monte à la tribune pour lire un rapport (modéré) qu’il a eu le tort de ne pas présenter à ses collègues. A peine a-t-il prononcé quelques phrases que Tallien l’interrompt. Le signal est donné. La meute se déchaîne. Les ennemis de Robespierre se succèdent à la tribune sans qu’il puisse leur répondre. Le voyant lynché, son frère insiste pour partager son sort. Lebas se joint à eux. Ils sont tous décrétés d’arrestation, ainsi que Couthon.
Quand la Commune apprend cette nouvelle incroyable, elle se proclame aussitôt en insurrection, non contre la Convention, mais contre les députés corrompus. Elle sonne le tocsin et fait battre la générale. Elle réunit des milliers d’hommes des faubourgs. Elle parvient à faire libérer les députés arrêtés, surpris par cette mobilisation. Mais elle hésite à marcher sur la Convention qui se ressaisit et réunit des troupes de son côté. Robespierre temporise. Il n’a jamais été dictateur et ne veut pas en devenir un malgré lui. Il avait prédit sa mort depuis longtemps et sait que la Révolution est dans une impasse, que les temps ne sont pas mûrs pour un ordre des choses plus juste. Aussi, bien qu’il ait fini par rejoindre l’Hôtel de Ville, il n’agit pas, pas plus que ses amis qui ont conduit les armées de la République à la victoire. Laissées sans ordre et effrayées par la mise hors la loi dont sont frappés les rebelles, les troupes de la Commune finissent pas se disperser. Surgissent alors les troupes de la Convention qui embarquent tout le monde. Lebas s’est tiré une bale dans la tête. Robespierre aussi, mais s’est manqué et a la mâchoire fracassée. Son frère s’est jeté du premier étage et s’est estropié. Couthon, paralytique, a chuté dans des escaliers et est à moitié mort.
Le lendemain, Robespierre est guillotiné avec 21 de ses partisans. Les deux jours suivants, 82 municipaux, administrateurs de police, cadres de la garde nationale et Robespierristes divers sont exécutés. La Commune est anéantie. La Révolution, au sens social du terme, est terminée. La bourgeoisie capitalo-libérale reprend les rênes du pouvoir et ne les lâchera plus. La Terreur change de camp.
Résumant les pensées de beaucoup de ses contemporains, Cambon, chargé des finances sous la Convention, attaqué personnellement par Robespierre le 8 thermidor, dira plus tard : « Nous avons tué la République au 9 thermidor, en croyant ne tuer que Robespierre ! Je servis à mon insu les passions de quelques scélérats. Que n’ai-je péri, ce jour-là, avec eux ! la liberté vivrait encore ! »
Philippe Landeux
Janvier 2011
Exemple de désinformation : Le Petit Larousse illustré (1998)
Sont marqués en gras les mots et les passages tendancieux qui dénaturent le rôle et le caractère de Robespierre.
ROBESPIERRE (Maximilien de) :
Arras 1758 – Paris 1794, homme politique français. De petite noblesse, orphelin, il est d’abord avocat à Arras. Député aux Etats Généraux, orateur influent puis principal animateur du club des Jacobins, surnommé l’« Incorruptible », il s’oppose fermement à la guerre. Membre de la Commune après l’insurrection du 10 août 1792, puis député à la Convention, il devient de le chef des Montagnards. Hostile aux Girondins, il provoque leur chute (mai-juin 1793). Entré au Comité de salut public (juill.), il est l’âme de la dictature, affirmant que le ressort de la démocratie est à la fois la terreur et la vertu ; il élimine les hébertistes (mars 1794) et les indulgents menés par Danton (avr.), puis inaugure la Grande Terreur (juin). Enfin, il impose le culte de l’Etre suprême (8 juin). Mais une coalition allant des membres du Comité de salut public aux conventionnels modérés décide le 9 thermidor an II (27 juil. 1794) de mettre fin aux excès de Robespierre, qui est guillotiné le 10 thermidor avec ses amis Saint-Just et Couthon.
12:49 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : robespierre, histoire | Facebook | | Imprimer |
mardi, 23 novembre 2010
DE LA REVOLUTION D'HIER A LA REVOLUTION DE DEMAIN
En mars 2006, un article de Pierre Lance paru dans les 4 Vérités ("La révolution impossible") m'amena à intervenir sur le forum. Un échange fort intéressant s'ensuivit. La discussion dévia d'abord sur la révolution de 1789, et Robespierre en particulier, puis sur la révolution de demain et la Cité telle que le Civisme la conçoit. J'y traite également des questions de l'Egalité, des notions de droit, et bien d'autres sujets.
Je passe sur le premier message rapporté ici.
Je ne rapporte pas non plus les messages qui motivèrent mes interventions, dans la mesure où j'en rappelle le contenu.
vendredi 31 mars 2006 04:47
Florent,
A vouloir simplifier, caricaturer & dénaturer la Révolution française, vous vous privez de toutes les leçons qu’elle nous apporte.
Vous avez raison quand vous dites, à votre façon, que les bourgeois voulaient abattre les privilèges des nobles pour en jouir également, sans se soucier du peuple. Cela est vrai de la plupart des bourgeois. Mais pas de tous. Robespierre était de ceux qui, dès la Constituante, défendirent les droits du peuple. Vous le dites idéologue comme vous auriez dit démagogue. C’est pour avoir cru en l’Egalité (des citoyens en droits & en devoirs), pour avoir réclamé l’application des principes contenus dans la déclaration des droits de 1789, pour s’être prononcé pour le suffrage universel, pour l’imposition progressive, pour l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, pour l’instruction publique gratuite & obligatoire, pour l’égalité des juifs, contre l’esclavage (quoiqu’il n’ait alors demandé que l’égalité en faveur des noirs déjà libres, ce qui fut accordé puis annulé), contre la peine de mort, &c., que les honnêtes gens de l’époque le peignirent comme un démagogue. Que réclamait-il que nous désavouerions aujourd’hui ?
C’est pour obtenir ce qui pour nous tombe sous le sens qu'il s'est battu presque seul contre tous à la Constituante. Il n’obtint rien, rien de rien, les riches n’ayant pensé qu’à eux. Pourtant, au sortir de la Constituante en 1791, prêcha-t-il une nouvelle Révolution ? Non ! Il pensait que les nouveaux députés (tous devaient être nouveau en raison du décret qu’il avait obtenu contre la rééligibilité des constituants) s’évertueraient à améliorer l’ouvrage de la constituante. Mais les Girondins travaillèrent essentiellement à faire déclarer la guerre à l’Autriche. (Il est notoire que, si la France n’avait pas déclaré la guerre, les rois européens, divisés, n’auraient pas attaqué la France.) Robespierre qui n’était donc plus député, qui n’avait plus pour s’exprimer que la tribune des Jacobins, s’éleva avec force contre ce projet aventureux, alors que les défenses de la France étaient à l’abandon, l’armée, désorganisée par l’immigration des officiers ou la rivalité entre troupes & officiers (tous nobles), d’autant qu’il pensait que « personne n’aime les missionnaires armés » & que le despotisme militaire, que la guerre rend propice, est le pire de tous. Louis XVI qui espérait une défaite (tout étant disposé pour), pressés par les Girondins, fit cependant déclarer la guerre, une guerre qui, très vite, comme le redoutait Robespierre, tourna en fiasco. Pour parer à l’invasion & au rétablissement de la monarchie absolue par des troupes étrangères, les révolutionnaires renversèrent Louis XVI, le 10 août 1792.
De nouveaux députés furent convoqués pour le 21 septembre &, le 22 septembre, la République fut en quelque sorte proclamée par la Convention. Deux jours plus tôt, l’armée & les volontaires avaient arrêté la marche des prussiens à Valmy (je sais, il n’y eut pas vraiment de bataille). Dès les premiers jours de la Convention, les Girondins, qui ont été réélus, mais qui, avant le 10 août, promettaient les républicains au glaive des lois, accusent Paris & sa députation d’aspirer à la dictature. Ils n’ont pas digéré l’opposition de Robespierre à leur projets guerriers. En outre, ils sont les champions de la bourgeoisie & pensent qu’un roi est nécessaire pour assurer les privilèges des bourgeois. En même temps que, par leur propagande, ils dressent les départements contre Paris, ils tentent par tous les moyens de sauver Louis XVI, coupable de haute trahison & dont l’existence est de plus incompatible avec celle de la République. Ils paralysent pendant des mois la Convention par des querelles de personnes. Au peuple qui alors est confronté à la disette, ils répondent « laisser faire, laisser passer ».
En mars 1793, les Vendéens, qui refusent d’être enrôlés, se soulèvent. La politique de la Constituante les avait dégoûté de la Révolution (non pas de la République) ; la guerre & ses besoins les jetèrent dans la contre-révolution & les dressèrent de fait contre la République. La République finit par envoyer des troupes en Vendée ; cette guerre fut terrible, comme toutes les guerres civiles, mais la faute à qui ? (Que ferions-nous aujourd’hui, si, soudain, un département se trouvait ravagé par des bandes de milliers d’individus armés ?) En mars 1793, éclate également la trahison de Dumouriez en Belgique. Chassé par ses troupes, il passe aux Autrichiens, comme La Fayette avant lui. Les Girondins n’avaient cessé de le défendre. Le 2 juin, les Montagnards, soutenus par la commune de Paris, parviennent enfin à débarrasser la Convention des Girondins. Ces derniers sont simplement consignés à domicile. Mais la plupart d’entre eux s’enfuient & vont faire tous leurs efforts pour soulever les départements (qui, comme je l’ai dit, étaient travaillés depuis des mois par leur propagande). Une soixantaine de départements (sur 83) entre en révolte (souvent superficielle) contre la Convention. Les principaux foyers de rébellion sont Lyon, Marseille & Bordeaux. Fin août, Toulon se livre aux Anglais, comme l’année précédente Longwy & Verdun, aux Prussiens. Voilà le climat dans lequel est plongée la France quand les Montagnards (dont Robespierre est en quelque sorte le chef, je dis bien en quelque sorte seulement) se retrouvent au pouvoir. C’est pour assurer la défense nationale, contre les ennemis de l’extérieur & de l’intérieur, qu’ils sont au pouvoir &, de fait, c’est à cela qu’ils vont consacrer l’essentiel de leurs efforts. En d’autres termes, ils durent gérer une situation non seulement créée par d’autres mais qu’en plus ils n’avaient pas voulu.
Ce sont les guerres étrangère & civile qui imposèrent la mobilisation (2 millions d’hommes en théorie), les réquisitions, la centralisation, la défiance, la Terreur, &c. Contrairement aux idées reçues, les Jacobins, les vrais Jacobins, ceux qui partageaient les idées de Robespierre, n’étaient pas partisans de la centralisation. Mais, confrontés aux réalités de la guerre, ils s’adaptèrent & firent tout ce qui était nécessaire pour la gagner. Eux, des idéologues ! Ils étaient tout autant hostiles à ce que l’on appelle aujourd’hui le libéralisme qu’au collectivisme. C’étaient, pour l’époque, ce que l’on appellerait aujourd’hui des socialistes, mais des socialistes avec des principes, du bon sens & des couilles. Avec des hommes de cette trempe, la France n’aurait jamais capitulé en 39 & ne se vautrerait aujourd’hui dans le gauchisme. A dire vrai, si la gauche aujourd’hui au lieu de se réclamer vaguement de la Révolution savait que les révolutionnaires avaient le sens du devoir & de la patrie, elle les traiteraient de fascistes.
Que penseraient-ils, eux qui ne concevaient pas qu’un domestique (c’est-à-dire un esclave volontaire, un larbin, un individu qui n’apporte rien à la cité) ait des droits politiques, face à l’idée agiter aujourd’hui d’accorder le droit de vote aux étrangers ? Que penseraient-ils, eux qui baptisèrent « hymne de la liberté » un chant de guerre commençant par « allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé », de tout ces bien pensants prout-prout qui voudraient modifier ces fières & chaleureuses paroles ? Que penseraient-ils, eux pour qui tout citoyen devait défendre sa patrie, devant la suppression du service national dont tous les gauchistes se réjouissent ? Que penseraient-ils de nos lois qui, non contentes d’interdire aux « citoyens » de se défendre leur imposent de respecter leurs agresseurs, eux qui, avec Robespierre, déclaraient que « quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits » (21 avril 1793). On pourrait continuer ainsi longtemps, on arriverait à la même conclusion : les gauchos d’aujourd’hui ne sont en rien les héritiers des révolutionnaires d’hier.
Je m’arrête ici. J’espère avoir détrompé certains d’entre vous sur le compte des révolutionnaires dont, au lieu de souiller la mémoire pour faire pendant aux gauchistes qui la souillent à leur manière, on ferait mieux de raviver le souvenir & de lire les discours.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
Voici quelques extraits de discours de Robespierre :
« J’accuse Cloots d’avoir augmenté le nombre des partisans du fédéralisme. Ses opinions extravagantes, son obstination à parler d’une République universelle, à inspirer la rage des conquêtes, pouvaient produire le même effet que les déclamations & les écrits séditieux de Brissot & de Lanjuinais. Et comment Cloots pouvait-il s’intéresser à l’unité de la République, aux intérêts de la France ; dédaignant le titre de citoyen Français, il ne voulait que celui de citoyen du monde. » (12 décembre 1793)
« Ainsi tout ce qui tend à exciter l’amour de la patrie, à purifier les mœurs, à élever les âmes, à diriger les passions du cœur humain vers l’intérêt public, doit être adopté ou établi par vous. Tout ce qui tend à les concentrer dans l’abjection du moi personnel, à réveiller l’engouement pour les petites choses & le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le système de la Révolution française, ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire. » (5 février 1794)
« Il y a deux sortes d’égoïsme ; l’un, vil, cruel, qui isole l’homme de ses semblables, qui cherche un bien-être exclusif acheté par la misère d’autrui : l’autre, généreux, bienfaisant, qui confond notre bonheur dans le bonheur de tous, qui attache notre gloire à celle de la patrie. Le premier fait les oppresseurs & les tyrans : le second, les défenseurs de l’humanité. » (7 mai 1794)
samedi 01 avril 2006 13:17
Quand je vois comment vous vous déchirez, comment vous confirmez avec éclat ce que j’ai écrit plus haut, je ne puis m’empêcher de vous le remettre sous les yeux :
« Au fond, les idées sociales n'ont pas encore évolué depuis 1789. Malgré les deux siècles écoulés, nous en sommes toujours à l’affrontement Girondins / Montagnards-Jacobins, partisans de la Liberté ou du libéralisme / partisans de l’Egalité version socialiste ou communiste. Les premiers ne veulent pas comprendre que la Liberté ne va pas sans l’Egalité, les seconds, que l’Egalité ne va pas sans la Liberté, les uns & les autres, que Liberté & Egalité sont de vains mots sous Largent. Le libéralisme aujourd’hui est en fait du capitalo-libéralisme. Qui ne voit, en effet, que les résistances opposées au soi-disant « libéralisme » sont dues aux conséquences financières qu’engendre pour les uns la « liberté » des autres. Qui, inversement, ne voit que socialisme & communisme ne font que proposer, au nom de l’Egalité, des solutions pour endiguer les inégalités économiques ou financières inhérentes au capitalisme (Largent), solutions qui non seulement sont incapables de réaliser l’Egalité ou de résorber les inégalités, mais dénaturent le concept même d’Egalité. »
Que ceux qui, au nom de la Liberté, conseillent de jouer en bourse à ceux qui, au nom de l'Egalité, veulent que les employés soient payés davantage, que ceux qui prônent le capitalo-libéralisme & ceux qui voient la panacée dans l'Etat providence, ouvrent donc les yeux. Chacune de ces positions est légitime en soi. Mais le système monétaire les rend incompatibles & empêche que ces conceptions satisfassent en pratique l’intérêt de tous. Comme chaque camp rencontre des résistances légitimes, chacun durcit sa position & tombe dans des excès. Pour être citoyens ou concitoyens, les individus doivent être égaux en devoirs & en droits. L’égalité en droits, & par conséquent en devoirs, étant impossible sous Largent, chacun selon qu’il est plus sensible aux accents de la Liberté ou de l’Egalité qui sont pourtant inséparables, accorde davantage son attention aux devoirs ou aux droits puis finit par ne plus penser qu’en termes de devoirs ou en termes de droits. Ceci est particulièrement flagrant pour la gauche qui a proscrit le terme « devoir » de son vocabulaire, comme un concept fascisant, & ne parle plus que de droits qu’elle distribue comme des bonbons, oubliant qu’il faut bien que quelqu’un les génère & que, dans un système monétaire, les droits passant par la monnaie, les droits des uns représentent du fric prit à d’autres. A droite, c’est presque l’inverse. L’attachement aux devoirs finit, face à l’opposition de la gauche, par étouffée l’attention due aux droits. En fait, il n’est même plus question de devoirs, on n’est plus obsédé à droite que par l’individualisme & le fric. Dès lors, les notions de devoirs & de droits sont dénaturées un coup par la gauche, un coup la droite. Occupés à se disputer le pactole, à proposer chacun leur solutions financières qui se résument à des jongleries stériles, chacun se plie aux lois de Largent qui divise les hommes & règne aujourd’hui sur eux de manière incontestable ; plus personne ne se soucie des principes de l’ordre social & du sens de la citoyenneté. Or que sont les problèmes d’ordre social sinon la conséquence de l’ébranlement des fondamentaux de la société ?
Un citoyen est un individu qui, comme tous ses concitoyens, a les devoirs de participer à la vie de la cité, selon ce que la cité considère comme une participation, d’être solidaires de ses concitoyens, de se plier aux lois de la cité & de défendre celle-ci, en retour de quoi il est reconnu citoyen & a, en tant que tel, le droit de jouir de tous les bienfaits de la cité. Je ne sais pas si, après cette simple définition (qui mériterait certes des éclaircissements), vous mesurez combien le terme citoyen est aujourd’hui vide de sens, à quel point les principes sont bafoués, combien il y a de distance entre ce qui est & ce qui devrait être ; je ne sais si vous percevez les lacunes du système actuel, si vous faites le lien entre ces lacunes, les erreurs qui ont été faites & les maux qui nous accablent, si vous sentez comment il faudrait réagir, mais, pour ma part, je soutiens qu’il faut revenir aux définitions, au B. A. B.-A. de l’ordre social si l’on veut avancer & construire solide au lieu de continuer, comme nous le faisons depuis deux siècles, à nous satisfaire de mesurettes & à nous complaire dans de petites disputes au nom de grands principes creux, sans aucun résultat.
A bon entendeur,
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
samedi 01 avril 2006 21:07
Petites précisions, Jean-Claude,
Vous dites : " les nobles, eux, outre qu'ils ont su mourir dignement sous le couperet de la gullotine ou émigrer en laissant le champ libre,avaient auparavant voté l'abolition de leurs privilèges. " Vous parlez de la nuit du 4 août 1789 provoquée par le soulèvement des campagnes que l'on appelle la grande peur. C'est à la lueur des châteaux en flamme & des geux en armes que les nobles ont renoncé à leur privilèges... du moins en apparence. Car la nuit du 4 août ne fut au fond que de la poudre aux yeux. Les nobles renoncèrent à certains privilèges abusifs & dérisoires, mais, par la suite, tous les "droits" utiles aux riches (nobles ou bourgeois) furent décrétés rachetables. En d'autres termes, les victimes d'abus, pour ne plus en être victimes, devaient indemniser le coupable, & ce dans des proportions telles que cela leur était souvent impossible. En fait, les privilèges ne furent véritablement abolis & sans indemnités que le 17 juillet 1793.
Vous dites encore " Rappelons-nous que, finalement, pendant la Terreur, c'est finalement la racaille qui avait intronisé les Marat, Danton, Robespierre et la guillotine. Les "modérés" sont toujours emportés par la tourmente... " Rappelons-nous surtout que la peine de mort fut maintenue par la Constituante (composée de nobles & de ce que vous appelez bourgeois modérés) contre l'avis, entre autres, de Robespierre, & que la guillotine fonctionna pour la première fois le 25 avril 1792, c'est-à-dire durant la Législative dominée par les Girondins, 5 jours après que ceux-ci soient parvenus à entraîner la France dans la guerre (soi-disant pour conjurer le péril des émigrés). Ce sont ceux que vous appelez modérés qui ont plongé la France dans la guerre & la guerre civile & qui firent la réaction qui fit peut-être autant sinon plus de vicitmes que la Terreur elle-même. Bel exemple de modération ! Vous oubliez que les modérés qui n'ont de modéré que le nom sont toujours emportés par les tourmentes qu'ils déclenchent eux-mêmes ! Sachez également que vous désignez par racaille les gens ordinaires : ouvriers, employés, petit propriétaires, &c. La racaille de l'époque, comme celle d'aujourd'hui, n'était pas politisée.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
dimanche 02 avril 2006 12:03
Jacques,
Vous dites : « Sachant qu'une plus grande richesse générale ne peut être réalisée que par une plus grande "inégalité" de répartition de la "richesse", à quel niveau l'équilibre doit-il se réaliser et y a-t-il un équilibre naturel? »
Avant de vous répondre, je vous rappelle ce que j’ai dit plus haut : « je ne crois pas que les « Robespierristes » auraient pu atteindre leur but, ce pour trois raisons : 1) il n’était pas clair dans leur tête, 2) l’heure n’était pas à l’Egalité des citoyens mais à la domination de la bourgeoise, c’est-à-dire l’aristocratie de Largent, 3) Largent & l’Egalité sont incompatibles, ce dont ils n’avaient pas conscience, d’où la première raison. » La seconde raison n’est plus d’actualité (sur le plan historique), mais les deux autres nous concernent & nous éclairent sur notre propre situation. Nous sommes atteints de la même cécité que les robespierristes qui, avec 200 ans d’avance, avaient des excuses que nous n’avons plus.
Pour en venir donc à votre réflexion, il est impossible de traduire l’égalité en droits de façon financière, car, dans un système monétaire, les droits passent par la monnaie & il est impossible que la masse monétaire se répartisse également entre les individus composant ce que l’on appelle la « société ». Mais ce n’est pas parce que l’égalité est en soi impossible qu’elle est impossible dans un système monétaire ; c’est uniquement parce que notre système est monétaire. Les rares droits qui, aujourd’hui, ne passent pas par Largent sont égaux pour tous les « citoyens ». C’est le cas du droit de vote. Remarquons d’ailleurs qu’il n’y a pas si longtemps, ce droit aussi était assujetti à la fortune. Hé bien ! l’arbitraire qui avait assujetti ce droit à la fortune préside encore aujourd’hui pour tous les autres droits. Il ne peut en être autrement dans un système monétaire. Toute la question est de savoir à quoi l’on s’attache : à Largent ou aux principes de l’ordre social ? On ne peut servir deux maîtres à la fois.
Vous dites encore : « Et puis on semble toujours ramener l'inégalité à une question d'argent (cf Jaurès) alors que c'est l'inégalité du bonheur/bien être individuel qui est plus importante. » David Martin vous fait écho en disant : « L'argent n'est pas tout, la qualité de vie l'est aussi. » Ces réflexions n’ont pas de sens. La rôle de la Société est de maintenir les Citoyens dans l’égalité en Devoirs & de garantir leur égalité en Droits. Son souci, c’est la justice ; le bonheur des individus, qu’elle serait bien en peine de définir, ne la concerne pas. Cela dit, il y a fort à parier que les individus sont plus heureux quand ils jouissent de leurs droits que quand ils en sont privés, à moins bien sûr de soutenir qu’un homme est plus heureux en étant esclave qu’en étant libre. Quoique je ne partage pas les positions de Jaurès qui, en la matière, commet l’erreur de base que j’ai signalée plus haut & s’acharne à poursuivre le miroir aux alouettes, il a raison de tout ramener à Largent comme vous avez tort de sous-estimer son rôle. C’est le propre des capitalo-libéraux de tout ramener à l’individu. Mais les individus évoluent dans un contexte & ce contexte est aujourd’hui monétaire. Nous avons parler de l’impact direct de Largent au niveau des droits individuels, mais croyez-vous que Largent n’a pas des conséquences sur le contexte & donc sur les individus eux-mêmes. Quand une entreprise pollue pour faire du profit, au mépris de l’environnement & des populations, cela ne touche-t-il pas les individus ? Quand l’Etat cautionne la monnaie, c’est-à-dire un moyen d’échange sans odeur ni moralité, valide entre toutes les mains, valide entre les mains de voleurs, n’encourage-t-il pas les individus sans moralité à dépouiller les gens honnêtes ? Est-il déjà oublié l’épisode exemplaire des Barbares qui ont torturé à mort un homme au nom de Largent ? Je veux croire que cet homme est plus heureux là où il est maintenant que nous qui sommes toujours là, mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que vous entendiez par « bonheur » !
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
lundi 03 avril 2006 12:23
Jacques,
Je n’ai pas le temps de vous répondre aujourd’hui, je le ferai demain.
Jean-Claude Lahitte,
« Contrairement à ce que vous écrivez, la noblesse a voté l'abolition de ses privlèges non pas parce que les campagnes étaient à feu est à sang, mais simplement dans l'euphorie qui avait suivi la réunion des Etats-Généraux. » Je ne nie pas que la nuit du 4 août ait existé, que ce fut un moment d’euphorie (plus ou moins sincère), mais la Révolution ne s’est pas arrêtée au 4 août. Il y eut un 5 août, un 6 août, &c. Or dans les jours qui suivirent la nuit du 4, les intentions qui avaient été annoncées durent être converties en décrets. Si les droits sur les personnes (qui au fond ne représentaient plus rien) furent bien abolis, les « droits » disons « économiques » furent maintenus & décrétés rachetables. Comme je l’ai dit, ce n’est que le 17 juillet 1793 que ces « droits » furent abolis sans indemnité. Ce n’est pas de la propagande, ce n’est pas de la philosophie, c’est l’Histoire.
« Et ce n'est pas la noblesse qui dirigeait la Constituante ou elle était en minorité mais bien plutôt le Tiers-Etat. » C’est vrai, mais quel tiers ? Les bourgeois qui, pour la plupart, méprisaient le peuple autant que les nobles.
« Quant à Robespierre, on lui doit bien le summum de la terreur... » Outre qu’en disant cela vous conférez à Robespierre un pouvoir qu’il n’a jamais & lui imputez des actes qui, non seulement ne furent pas les siens, mais furent celui de ses ennemis personnels (je pense à certains représentants en mission, Fouché, Tallien, Barras, et aux membres du Comité de sûreté générale, Vadier, Amar, Louis du Bas Rhin, Jagot, &c.), vous oubliez une fois de plus que la Terreur fut la conséquence de circonstances créées contre l’avis même de Robespierre. C’est un peu comme si demain on tenait pour responsable celui ou ceux qui dirigeront le parti de la France dans la guerre civile que nos gentils gauchistes, à force de jouer les autruches ou les citoyens du monde, nous préparent aujourd’hui. Le problème, avec Robespierre, c’est que tous les partis ont eu intérêt à raconter n’importe quoi sur son compte & à tout lui mettre sur le dos. Les événements même de la révolution ont été déformés pour accréditer leurs fables. Robespierre n’était pas un homme sanguinaire, tout le contraire. Il avait un grand prestige depuis la Constituante, mais, en l’an II, il partageait le pouvoir avoir d’autres, jaloux de son prestige & pas forcément d’accord avec ses idées. Comme je l’ai déjà dit, il s’était opposé à la déclaration de guerre, mais, une fois déclarée, il fit tout ce qui était en lui pour la gagner, ni plus ni moins. C’est ce qui le divisa d’avec Carnot, qui voulait prolonger la guerre même une fois le territoire national libéré, comme c’était le cas à l’époque du 9 thermidor. (Faut-il signaler que ce sont les guerres prolongées qui, comme l’avait craint Robespierre, ouvrirent la porte au césarisme ?) …
Enfin, je ne vais pas ici vous exposer toute l’histoire de la Révolution & de Robespierre, mais elle est bien loin de l’image d’Epinal que vous en avez. Je vous dirais seulement que, quand vous parlez de la Révolution, on dirait notre Jaurès parlant de l’immigration.
Salut & Fraternité quand même !
Philippe Landeux
mardi 04 avril 2006 14:21
Salut Jacques,
Vous faites le même genre d’erreur que les communistes qui ne veulent pas voir que leur système est bancal à l’origine & que toute tentative d’application est vouée à l’échec. Vous dites : « Dans un pays libéral le principe du contrat libre élimine la présence d'argent chez les voleurs. L'argent volé n'appartient pas aux voleurs, qui doivent le restituer + compensation pour les coûts de restitution (police, justice, intérêt, etc). Ce n'est pas parce qu'une application d'un principe est imparfaite que le principe n'est pas valable. » Tout d’abord, vous oubliez que, dans un système monétaire, il n’y a pas de vrai libéralisme, que ce que vous appelez « libéralisme » n’est jamais que du « capitalo-libéralisme », c’est-à-dire un libéralisme dont les principes sont faussés par les lois de Largent. Ensuite, vous prétendez que, parce qu’il est interdit de voler (seule certaines formes de vol sont d’ailleurs interdites), il est en théorie impossible de voler. C’est ici que vous rejoignez les communistes. Allons ! à qui espérez-vous faire croire que, quelle que soit l’organisation politique &/ou économique, Largent, tant qu’il existe, peut cesser d’avoir une influence funeste sur les rapports sociaux & les choses ?
« Ce n'est pas parce qu'une application d'un principe est imparfaite que le principe n'est pas valable. » Mais savez-vous au moins de quel principe il s’agit ? Pour moi, Larent n’est pas seulement la monnaie. Mais si nous parlons de la monnaie, qu’est-elle ? C’est un étalon de la valeur marchande & un moyen d’échange, de paiement ou d’achat, c’est-à-dire un moyen d’accéder au travail d’autrui (sous forme de services ou de biens).
C’est un moyen d’échange que les individus se procurent, en théorie, par l’échange de leur propre travail. Sur le plan théorique, la monnaie repose donc sur des principes fondamentalement anti-sociaux. Pourquoi ? Parce que la monnaie dont les individus se servent pour accéder au marché (de la « société ») ne prend pas en compte & étouffe la dimension sociale des individus & des droits. Ce n’est pas en tant que citoyen, c’est-à-dire en tant qu’individu ayant rempli ses devoirs envers la cité, notamment le devoir de participer à la vie de la cité, ce n’est pas en tant que citoyen, dis-je, qu’un individu à la droit d’accéder au marché de la cité & de jouir, comme tous ses concitoyens, de ses bienfaits, mais en tant que détenteur d’une certaine somme d’unités monétaires. En fait, dans un système monétaire, les droits ne sont pas attachés aux individus mais à la monnaie. Les droits des « citoyens » ne résident pas dans l’accomplissement de devoirs envers la cité ; ils sont incarnés & contenus dans la monnaie. Les droits des individus n’est pas en rapport avec ce qu’ils font ; ils dépendent uniquement de la monnaie qu’ils ont, quels que soient les moyens, légitimes ou non, par lesquels ils se la sont procurée. C’est la raison pour laquelle « l’argent n’a pas d’odeur ». Cette expression n’est pas de moi. C’est le constat d’une réalité dont il serait temps de réaliser le tragique.
Je n’ai pour le moment abordé que l’aspect théorique de la monnaie. Mais il n’est pas difficile d’en voir les conséquences pratiques immédiates & éternelles. La monnaie incarne les droits des individus & c’est un moyen d’échange qui S’ECHANGE. Les droits que la monnaie incarne passent donc en permanence d’un individu à un autre, ce qui confirme ce que j’ai dit plus haut, savoir que les droits ne sont pas attachés à la citoyenneté. Théoriquement, les droits circulent au gré des échanges commerciaux. Mais, étant volatiles & anonymes, alors qu’ils sont par ailleurs indispensables pour tout un chacun, rien n’empêche que certains s’en emparent d’une manière ou d’une autre. Même si la loi condamne certaines pratiques (pas toutes, loin s’en faut), il n’en demeure pas moins que la monnaie ainsi obtenue permet aux individus qui s’en sont emparés, de jouir des droits qu’elle incarne. Contre cela, il n’y a rien à faire. L’utilisation exclusive de cartes de crédits (ce vers quoi nous tendons) & la virtualisation de la monnaie permettront certes d’éliminer certaines fraudes & la délinquance sous certaines formes, mais la monnaie offrira toujours des prises pour dépouiller les individus des droits que les unités monétaires dont ils disposent leur confère.
Il faut d’ailleurs penser que la monnaie repose sur la notion de valeur. De ce fait, les biens qui ont eux-mêmes de la valeur représentent aussi de la monnaie, plus exactement des droits (droit d’accéder au marché), de sorte que le vol ne concerne pas seulement la monnaie mais aussi & surtout les biens.
Il serait bon également de remarquer que, avec la monnaie, les droits s’épuisent à mesure qu’ils sont exercés. Acheter (pour un retirer un droit de propriété) ou payer (pour, dans le meilleur des cas, en retirer en droit tout court), revient à se dépouiller de ses droits. Ainsi, en début de mois, un individu a autant de droits que ses revenus lui en assure en début de mois &, ayant payé tout au long du mois, n’a plus ou presque plus de droits en fin de mois. Les droits d’un « citoyen » étant inégaux selon le moment, il ne devrait même pas être besoin d’aller plus loin pour comprendre que l’égalité en droits entre tous les « citoyens » est par nature impossible dans un système monétaire. Mais je reviendrais après sur la question de l’inégalité. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que, lorsqu’il est reconnu des droits à un citoyen, parce qu’il s’acquitte de devoirs, ses droits n’ont pas à s’épuiser lorsqu’il les exerce. Ce n’est pas parce que l’on vote à une élection, que l’on n’a plus le droit de voter aux suivantes. Voter est un droit attaché à la « citoyenneté » (plus exactement, à la nationalité, le problème étant qu’aujourd’hui la nationalité s’obtient sans mérite) & les individus en jouissent tant qu’ils sont citoyens. Tel devrait aussi être le cas pour le droit d’accéder au marché (droit qu’incarne aujourd’hui la monnaie). Ce droit qui permet de jouir des bienfaits de la « cité » s’acquiert en théorie en participant à la vie de la cité (la citoyenneté n’est donc jamais acquise définitivement mais doit se mériter en permanence). C’est la cité qui, en reconnaissant le citoyenneté d’un individu, lui confère le droit d’accéder, droit dont l’individu doit jouir tant qu’il est citoyen. Les droits du citoyens sont alors attachés au statut de citoyen, & comme le statut de citoyen est unique, les citoyens sont égaux en droits, & en amont en devoirs. Il n’en va évidemment pas ainsi avec la monnaie. Les individus ne tiennent pas leurs droits de la « cité », mais de leurs parents en ce qui concerne les enfants (argent de poche) & les riches héritiers ; de leur entreprise, ou plus exactement leur patron, en ce qui concerne salariés & employés ; de l’Etat, en ce qui concerne les retraités, les chômeurs, les Rmistes, certains handicapés ; de leurs victimes, en ce qui concerne les escrocs, les voleurs, les dealers, &c. On peut expliquer comment on en est arrivé là, mais l’on doit admettre que cela va contre tous les principes de l’ordre social.
Un mot à propos des salariés. Ils participent à la vie de la « cité » dans le cadre des entreprises. Ils sont donc citoyens & devraient, en tant que tels, & du seul fait d’être citoyens, avoir accès au marché, puisque telle est la principale façon pour un citoyen de jouir des bienfaits de la « cité ». Si les choses étaient ainsi, les salariés étant tous citoyens seraient égaux en droits. Mais dans un système monétaire, la monnaie constitue un intermédiaire entre les devoirs & les droits, entre le citoyen & ses droits (je parle ici de ses droits dans l’absolu, & non des droits qu’incarne la monnaie), un intermédiaire non seulement inutile mais nuisible.
J’en viens enfin à la question de l’inégalité. Vous conviendrez que, par quelque bout que l’on prenne le problème, toutes les propriétés de la monnaie interdise que s’établisse entre les « citoyens » l’égalité en droits. Pour vous éclairer davantage, j’ajoute la monnaie circule selon deux principes : celui des vases communicants (pour qu’il y en ait ici il faut en prendre là), & celui de l’attraction (« l’argent attire l’argent » « on ne prête qu’aux riches »). J’ai déjà expliqué pour la monnaie circule selon le principes des vases communicants. Quant au principe de l’attraction, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la monnaie, incarnant des droits, confère du pouvoir à ceux qui en détiennent en quantité & peuvent ainsi exercer toutes sortes de pression, à tous les niveaux, pour en acquérir davantage.
Je pourrais encore entrer dans bien des détails, mais j’essaye de faire court (si si) & il me semble que j’en ai déjà dit beaucoup pour qui est de bonne foi. Or quiconque est de bonne foi doit convenir (d’après ce que j’ai dit & en réfléchissant un peu par lui-même) que la monnaie repose sur des principes fondamentalement anti-sociaux (c’est-à-dire contraire aux principes fondamentaux de l’ordre social) & rend impossible l’égalité des « citoyens » en droits, donc en devoirs (car pourquoi les individus se sentiraient autant de devoirs en ne jouissant pas d’autant de droits ?). L’Egalité étant le principe fondamental de l’ordre social, il s’ensuit que, dans l’inégalité, il n’y a pas vraiment de société (seulement des concentrations d’individus), de citoyens, de droits, il ne peut pas y avoir de véritable démocratie, de véritable libéralisme, &c. C’est d’ailleurs un problème. Lorsque j’écris sur ces sujets, j’utilise des mots qui existent mais qui, au fond, sont aujourd’hui vide de sens.
Vous dites : « Tout le monde n'a pas la même idée sur ce qu'est un "Droit" » C’est très juste. Mais laissez vous exposer comment moi je les conçois.
Tout d’abord, avant les droits, il y a les devoirs. La raison en est simple : un droit est une liberté reconnue & garantie par d’autres. Un individu seul n’a aucun droit. (La notion de droits naturels est une des grandes erreurs de la Révolution française.) Un individu seul peut faire tout ce qu’il peut, dans la mesure de ses forces, & dispose de tout ce qui l’entoure, mais il n’a aucun droit, vu qu’il n’y a personne pour les lui reconnaître & les lui garantir. Il s’ensuit que la notion de droits n’existe qu’en société. Or pourquoi les individus se constituent-ils en société ? Pour augmenter leurs chances de survie. Mais les chances de survie des membres d’une société n’accroissent que si les membres de cette société mettent leurs forces en commun, s’ils sont liés les uns aux autres par un devoir d’assistance & de solidarité. C’est la force du groupe qui assure la sécurité des individus, la sécurité en tant que droit proprement dit. Ainsi, chacun génère la sécurité de l’autre, mais nul ne génère sa propre sécurité (en tant que droit). Cela dit, pour pouvoir jouir de cette sécurité, il faut d’abord faire partie du groupe, donc s’engager à assurer la sécurité de ses futurs concitoyens & l’assurer effectivement. Avant d’avoir des droits dans une société donnée, un citoyen a donc des devoirs, des obligations envers cette société (ou cité = ensemble des citoyens). Ensuite, il a certes mérité les droits dont il jouit, mais ses droits n’ont pas été générés par lui, quoiqu’il les ait générés pour les autres. Ceci est vrai pour tous les droits fondamentaux & indirects.
Il me faut ici introduire une nouvelle notion. On entend toujours parler des « droits ». Mais tous les droits ne se situent pas sur le même plan. En fait, il y a trois niveaux de droits (idem pour les devoirs) : les droits fondamentaux, qui sont des principes (Sécurité & Liberté), des droits indirects, qui ont une portée pratique (ex : accès au marché), & des droits particuliers (ex : la propriété), qui découlent de l’exercice de droits indirects ou sont conférés par l’accomplissement de devoirs particuliers. L’Egalité, qui n’est pas un droit mais le principe fondamental de l’ordre social, ne s’applique pas à tous les niveaux.
Concernant les devoirs, il ne s’applique qu’au niveau fondamental. Ainsi, tous les citoyens ont le devoir de participer à la vie de la cité, d’une manière acceptée ou définie par la cité, & ceci est suffisant pour qu’il leur soit reconnu le statut de citoyens & qu’ils jouissent de tous les droits attachés à la citoyenneté. La cité ne peut pas imposer & n’a pas intérêt à imposer à chacun de faire concrètement la même chose, c’est-à-dire des devoirs indirects (déclinaisons du devoir fondamental) d’une même nature, car c’est la variété des activités qui fait la complémentarité des citoyens & la richesse de la cité.
Concernant les droits, l’Egalité s’applique autant au niveau fondamental qu’au niveau indirect. Tous les citoyens doivent jouir de la même Sécurité ou de la même Liberté (en tant que principes) & de tous les droits qui, en pratique, en assurent la jouissance. Ainsi il ne suffit pas de déclarer que les citoyens sont libres & jouissent de la même Liberté ; encore faut-il qu’ils jouissent des droits qui, en pratique, concourent à la Liberté & à ce que chacun soit effectivement aussi libre que son voisin (la Liberté découle de l’Egalité ; Egalité & Liberté sont complémentaires). Celui qui démontrera qu’un milliardaire qui a accès à tout ce qu’offre la « société » est aussi libre, d’un point de vue social, qu’un smicard qui mange des pommes de terre pour arriver à la fin du mois, peut tout de suite postuler pour le prix Carambar. Il faut bien comprendre que, quand on parle de la liberté en tant que droit, du faisceau de droits que la société doit garantir à ses citoyens, les facultés naturelles des individus n’entrent pas en ligne de compte. Dans une société qui fabrique des voitures, être libre de circuler ne se réduit pas à la possibilité d’utiliser ses jambes pour se déplacer ; de même qu’être libre de s’exprimer ne se réduit pas à la faculté d’ouvrir la bouche. Remarquons au passage que, plus une société a de potentiel, plus les droits des citoyens sont étendus. Et inversement.
Je m’arrête ici. J’ai été un peu long mais les idées sous-jacentes à mes propos antérieurs méritaient quelques explications. Comme je l’ai dit, j’ai essayé de faire simple. J’ai laissé de côté nombre d’aspects qui pourraient susciter autant de questions. Mais je n’allais pas ici d’écrire un livre. Je n’ai pas pu répondu à tout, mais toutes tes objections devraient trouver en substance leur réponse. Ceci s’adresse également à Dan87 dont je partage assez la position mais qui s’est emballé sans que je comprenne pourquoi.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
mardi 04 avril 2006 17:07
Jean-Claude,
Pour une fois, je suis en grande partie d’accord avec votre dernier message (mardi 4, 11 h 49). On ne peut cependant pas laisser dire qu’il n’y avait rien de commun entre la noblesse & le Tiers Etat, ni que tous les nobles étaient misérables (même si le cas semble effectivement avoir été assez répandu en Vendée). Les nobles avaient des terres. Les riches bourgeois aussi. C’est d’ailleurs pour cela que, leurs intérêts se rejoignant sur ce point, riches bourgeois & les nobles libéraux (partisans d’une monarchie constitutionnel) adoptèrent sur la question de la propriété foncière la même position & rendirent caducs les déclarations du 4 août. Il est également étrange que, concernant les nobles, vous fassiez la distinction entre ceux de la Cour & ceux des campagnes, alors que, concernant le Tiers Etat, représentant 99 % de la nation, vous mettiez tout le monde dans le même sac. Ainsi dire que Robespierre était représentant du Tiers Etat, c’est vrai, mais cela n’avance à rien. Mais vous dénoncez ensuite, avec raison, la bourgeoisie affairiste qui dirige encore la France. A l’époque, cela s’appelait les Girondins, la Plaine ou le Marais, les Modérés, les accapareurs, les Muscadins, &c. Il représentait cette « aristocratie des riches » que Robespierre dénonçait lui aussi.
Du reste, mon cher Jean-Claude, je ne vois pas pourquoi vous vous acharnez à défendre les nobles alors que je ne songe pas à eux. Vous devez également savoir que la Révolution ne proscrivit pas les nobles en tant que tels. Soit ils émigrèrent de leur propre chef (laissant souvent les femmes derrières eux pour garder leurs biens), soit ils furent proscrits au cas par cas en tant que contre-révolutionnaires (& on ne peut nier qu’il y ait eu des contre-révolutionnaires parmi les nobles). Etant néanmoins une classe éminemment suspecte, les nobles furent parfois chassés des administrations, ils furent chassés des Jacobins, ils durent s’éloigner de Paris & des frontières, mais ils ne furent pas arrêtés en masse comme ce fut le cas des ressortissants des pays en guerre contre la France (ce qui n’était d’ailleurs, là encore, qu’une mesure de précaution, arrêté ne voulant pas dire envoyé au Tribunal ou condamné à mort). Mais le personnel révolutionnaire fourmille de ci-devant nobles. Beaucoup de conventionnels étaient des ci-devant. Comme je l’ai dit ailleurs, le but de la Révolution (du moins des révolutionnaires sincères) était l’Egalité des citoyens en droits, non la dictature d’une classe & la proscription d’une autre.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
PS : Mon pauvre sas, à force de voir des maçons partout vous vous êtes emmuré. Pour votre gouverne, Robespierre n’était pas franc-maçon. [Moi non plus, au passage.]
mercredi 05 avril 2006 21:32
Salut Jacques,
Il est tout de même curieux que vous passiez sous silence mon analyse de la monnaie alors que tout ce que je dis en découle. Il est ensuite consternant de voir le peu d’effort que vous faites pour comprendre le fond de mes propos & que vous sautiez sur la moindre imprécision pour critiquer des idées que vous avez préalablement dénaturées.
Quand je dis : « En fait, il y a trois niveaux de droits. » Vous rétorquez : « Oups! Et qui en a décidé ainsi? La définition de "Droits" du citoyen Philippe peut ne pas être la même que celle du citoyen Jacques ou de d'autres citoyens. Qui va arbitrer ? » Vous avez raison, je n’ai jamais entendu personne soutenir qu’il y avait 3 niveaux de droits. C’est une conception toute personnelle. Mais est-elle pour autant fausse ?
Je soutiens que les droits particuliers découlent de droits indirects qui eux-mêmes découlent des droits fondamentaux. Ainsi, le droit d’accéder au marché (droit indirect) découle du droit que les citoyens ont d’être libres, de jouir de la Liberté (droit fondamental) ; & la propriété, le droit de posséder (droit particulier), découle de l’exercice du droit d’accès. Comme certains droits découlent d’autres, il est évident qu’il y a plusieurs niveaux de droits. Je disais également que l’Egalité ne s’applique qu’aux droits fondamentaux & indirects. Pour reprendre l’exemple précédent : les citoyens doivent être également libres. Mais la Liberté ne signifie rien par elle-même. La Liberté désigne en fait l’ensemble des libertés du citoyen, chaque citoyen devant avoir les mêmes libertés. Parmi ces libertés se trouve le droit d’accéder au marché, droit par lequel le citoyen jouit effectivement des bienfaits de la cité. Les citoyens peuvent jouir ou exercer librement leurs droits, tant qu’ils ne nuisent pas aux droits (égaux) d’autrui. Or si tous les citoyens jouissent du même droit d’accéder au marché & exercent librement ce droit, ils ne peuvent retirer du marché les mêmes biens. Ainsi, quoique égaux dans le droit d’accéder au marché (ce n’est pas le cas dans le système monétaire), ils ne peuvent posséder les mêmes choses, choses sur lesquelles ils jouissent du droit de propriété (ceci est valable dans le système monétaire). Quand on est libre d’aller où l’on veut, tout le monde ne va pas au même endroit. Voilà pourquoi il y a différents niveaux dans les droits. Je le constate. Libre à vous de le contester.
Quand je dis « Celui qui démontrera qu’un milliardaire qui a accès à tout ce qu’offre la « société » est aussi libre, d’un point de vue social, qu’un smicard qui mange des pommes de terre pour arriver à la fin du mois, peut tout de suite postuler pour le prix Carambar. » Vous rétorquez « Inscrivez mon nom et celui de Jaurès ! » Je ne suis pas sûr que Jaurès partage votre avis sur ce point, lui qui plus haut a écrit « Quel patron peut dire qu'il mérite et travaille 200 fois plus qu'un smicard ? » Mais Jaurès ne sait sur quel pied danser : il critique le capitalisme & raisonne en capitaliste. Ainsi, pour lui « La CGT préconise une augmentation hiérarchique des salaires. Les disparités de revenus ne sont pas choquantes si elles sont raisonnables et méritées. » C’était également l’opinion de Robespierre… mais en 1789. C’était alors révolutionnaire ; aujourd’hui, c’est réactionnaire. Du reste, votre réponse n’est pas à la hauteur du défi que vous relevez. Vous auriez déjà pu comprendre que, pour moi, il n’y a de liberté pour les citoyens que s’ils sont égaux en droits (& bien sûr en devoirs, en amont). Il est dès lors évident qu’un milliardaire n’a pas les mêmes droits qu’un smicard (vous admettez vous-mêmes, implicitement, que les droits sont proportionnels à la fortune). Ils sont peut-être égaux sur le papier, mais pas dans les faits, & ce à cause de la monnaie. Et vous croyez que, pour démontrer le contraire, il suffit d’aligner deux phrases.
« Si les deux n'ont rien hérité… » Et les riches qui doivent leur richesse à leur papa, comme c’est le cas généralement ? Ainsi, vous écartez le cas général pour vous appuyer sur les cas particuliers. Soit ! Vous dites : « Puisque le milliard du milliardaire représente la reconnaissance sociale des travaux productifs bénéfiques rendus à la société (Ce que vous appeler "devoirs") et qu'il peut utiliser comme des "droits". Bref comme il a fait PLUS de devoir, il a PLUS de droits. » Pour commencer, il est faux de dire que la fortune, de quelque niveau quelle soit, représente une reconnaissance sociale du travail. C’est précisément ce que l’analyse de la monnaie démontre. C’est la monnaie qui confère des droits, les droits qu’elle incarne, pas la « Société ». Quand l’Etat cautionne la monnaie, il défausse la Société de son rôle qui est de garantir les droits de ses Citoyens, car, alors, il appartient aux individus de se débrouiller comme ils peuvent pour se procurer des revenus (des droits). Où voyez-vous la Société jugeant & se prononçant sur le mérite des uns & des autres ? Que le système monétaire ne conteste pas la façon dont la masse monétaire se répartit (le contester l’amènerait à se remettre en cause) ne peut en rien être considéré comme une reconnaissance sociale du travail ! En fait, c’est le pouvoir & la fortune qui s’auto-récompensent & s’auto-félicitent ! Qui ira les contredire ? Vous ne réalisez pas à quel point le système monétaire pervertit les choses & imposent aux hommes de trouver des justifications (aussi nulles soient-elles) à l’absurde de la situation dans laquelle ils sont plongés. Quand un individu touche un milliard, quand il gagne en peu de temps ce qu’un smicard mettrait un millénaire à gagner, comment oser dire que cette individu récolte des droits à la hauteur de ses devoirs ? Il a donc sauvé la planète ? Et on apprend que c’est parce qu’il a ruiné des milliers de travailleurs ! Mais d’ailleurs, où avez-vous vu que travailler soit aujourd’hui un Devoir ? Encore une fois, c’est le système monétaire qui impose aux individus de travailler pour gagner de quoi vivre, pas la « société » ! La « société » reconnaît (aujourd’hui) que les individus qui travaillent doivent être rémunérés, mais aucun texte de loi ne fait du travail ou de la participation à la vie de la cité un Devoir de citoyen entraînant la reconnaissance du statut de citoyen & la garantit des droits attachés à la citoyenneté . Il n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi !
« Votre notion de devoir/droit 100% "égalitaire", est 100% communiste, extrêmement restrictive et brime la liberté d'entreprendre, ne respecte pas la différence entre les gens, réduit la prospérité générale et la liberté tout court puisqu'il ne permet pas à un individu qui voudrait "surfer" toute sa vie (mais vivre très simplement) de le faire (puisque vous le contraignez à des devoirs et droits compensatoires qu'il ne désire pas). Idem, vous brimez l'entrepreneur ambitieux. Bref et Jaurès et moi ne voudrions vivre dans votre pays. » Et si, au lieu de poursuivre votre idée, vous entendiez ce que je dis ! Qui a parlé de contrainte ? Libre à chacun de ne pas remplir les Devoirs que la cité impose à ses citoyens pour jouir en retour des Droits du citoyen. Mais chacun doit assumer ses choix. Celui qui ne veut pas être citoyen en a le droit mais ne peut prétendre aux Droits qu’il na pas voulu mériter. Ainsi, seuls les citoyens, seuls les individus qui veulent être citoyens, ont des Devoirs envers la cité & des Droits dans la cité. Pourquoi votre surfer qui ne veut pas jouir des Droits que la cité garantit aurait-il des Devoirs envers elle ? Pourquoi la cité le contraindrait-elle à remplir des Devoirs alors qu’il n’attend rien d’elle ? Cela dit, quoique des cas de ce genre puissent exister au fin fond de l’Amazonie, les exemples de ce genre sont de pures spéculations. Les hommes capables de vivre à l’écart de leurs semblables sont extrêmement rares. Ceux qui, aujourd’hui, prétendent vivre en marge de la « société » profitent en réalité de la « société » de mille manières & volent indirectement les « citoyens ». Quant au fait de brimer les entrepreneurs… Je cherche. Je ne vois pas. Je ne vois pas ce qui empêcherait des citoyens véritablement libres & égaux en Droits (ne sont-ils pas censés l’être aujourd’hui) d’être créatifs, quel que soit le domaine. Vous négligez le fait que tout système constitue un cadre dans lequel les individus évoluent ensuite à leur gré, selon leur tempérament, selon les possibilités qu’offre le système. Je vois parfaitement comment le fameux « manque de moyens financiers » entrave aujourd’hui la créativité ; je ne vois pas ce qui ferait obstacle à la créativité de citoyens, certes obligés de participer à la vie de la cité (Devoir fondamental) selon un mode de participation reconnu par elle, mais libres de participer comme ils veulent (Devoirs indirects), libres de choisir entre toutes les formes de participation possibles, libres de détourner de leur sens premier certaines formes de participation, libres même d’en inventer, sous la condition que la cité la reconnaîtra.
« "Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que, lorsqu’il est reconnu des droits à un citoyen, parce qu’il s’acquitte de devoirs, ses droits n’ont pas à s’épuiser lorsqu’il les exerce." C'est beaucoup mieux pour le capitaliste. Non seulement les "droits" (votre définition pour "biens") ne s'épuisent pas mais ils augmentent sans cesse (c'est la notion fondamentale de profit et de rentabilité). S'il achète une pomme pour un euro, il perd le pouvoir d'achat lié à l'euro (ce que vous appelez le droit de l'argent) mais il gagne celui lié à la pomme (le droit lié au bien). » Que vous êtes prévisible ! J’avais mis de côté cet aspect de la question pour ne pas être trop long, mais il paraît utile de le traiter. Je sais aussi bien que vous que le système monétaire justifie le fait de se dépouiller de ses « droits » (en achetant, perte d’autant de droit d’accéder au marché) par le bien (propriété) que l’on en retire en contrepartie. Cette justification vient du troc dont la monnaie est l’héritière. Mais, voyez-vous, s’il est vrai que la monnaie permet de pratiquer un troc indirect, elle pervertit aussi les principes du troc & introduit de nouvelles notions. En fait, aujourd’hui, notre mode d’échange est bien loin du troc. Le troc consiste, pour les protagonistes de l’échange, à s’échanger des biens, des propriétés. Il se pratique entre individus (d’où, à terme, les principes individualistes de la monnaie incompatibles avec les principes de l’ordre social). C’est individus échangent entre eux des droits d’une même nature (propriété). Mais, aujourd’hui, la monnaie est davantage qu’une incarnation de droits de propriété ; elle est devenue le droit d’accéder au marché. Ainsi, quand on achète avec de la monnaie, on échange un droit indirect (accéder au marché) contre un droit particulier (propriété). Sont donc impliqués des droits d’une nature différente, ce qui rend cet échange aberrant. Par ailleurs, les revenus de chacun sont moins liés à un travail propre qu’à un statut. Les entreprises paient moins les individus & leur travail que leur fonction dans l’entreprise. Quand l’Etat fixe un salaire minimum applicable à des millions de travailleurs, on voit bien que la rémunération n’est pas directement liée à ce qu’ils produisent (plus personne ne produit rien seul) mais à leur statut. Autrement dit, le droit d’accéder au marché est essentiellement lié à un statut, lui-même lié en théorie au fait de travailler. Ceci est très proche, sur le principe, de ce que je dis quand je dis que le Droit d’accéder au marché doit être attaché à la Citoyenneté seule. En fait, nous sommes à une époque charnière de l’histoire. L’évolution conduit vers ce que je dis, mais nous sommes encore empêtrés dans le capitalisme & subjugués par les préjugés monétaires.
Vous me dites que celui qui achète une pomme 1 euro « n'a rien perdu du tout, et tout probablement GAGNE. » Eh bien ! un citoyen (tel que je l’entends) n’aurait pas un euro mais pourrait accéder (dans la mesure du possible) à toutes les pomme qu’il voudrait. Sur ce, je vous laisse débattre du prix des pommes & de leur valeur nutritive.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
PS : Ce forum n’étant peut-être pas le lieu indiqué pour traiter de telles questions, j’aurais aimé vous envoyer ces messages en privé, même si je ne crains pas d’exposer mes idées en public ; mais vous ne laissez pas votre adresse e-mail.
jeudi 06 avril 2006 10:18
Florent, sas,
Je vous accorde que beaucoup de "révolutionnaires" étaient ou avaient été franc-maçons, mais ce n'était pas le cas de Robespierre. Il avait bien fait partie des Rosati, mais les Rosatis d'Arras étaient une société littéraire, non une loge maçonnique. Du reste, si la franc-maçonnerie eut sans doute de l'influence avant & au début de la Révolution, très vite son rôle devint nul. On trouve des ci-devant franc-maçons dans tous les camps &, quand on sait que ces camps se livrèrent une guerre à mort, on ne peut pas croire que les franc-maçons se divisèrent ainsi pour le plaisir ou par tactique. Ce sont bien les convictions personnelles, & non des mots d'ordre maçonniques, qui dirigèrent alors le choix de chacun. Dans ces conditions, je ne vois pas bien comment la franc-maçonnerie aurait conservé de l'influence durant la Révolution.
vendredi 07 avril 2006 03:24
Salut Jacques,
Vous vous doutez que je ne peux pas vous restituer en quelques pages tout ce que j’ai dans la tête, toutes les considérations qui condamnent le capitalisme, toutes les conséquences des principes que je vous ai exposés.
Vous soulevez la question de l’héritage. C’est loin d’être le cœur de mes préoccupations, mais il pose en effet problème. Or, encore une fois, ce problème est lié à la nature & aux principes du moyen d’échange qu’est la monnaie. Un individu doit être citoyen en s’acquittant de devoirs envers la cité & doit jouir des droits attachés à la Citoyenneté, droits qui, d’une certain façon, sont donc le fruit de ses devoirs. En dissociant le droit d’accéder au marché du devoir de participer à la vie de la cité, en incarnant le droit d’accéder au marché, en rendant ce droit anonyme & volatile, la monnaie impose aux individus de se procurer ce droit matérialisé (au lieu d’en jouir en raison de leur citoyenneté), leur permet de s’en dépouiller, de les transmettre, & permet à d’autres de les en dépouiller. L’héritage n’est qu’une conséquence parmi tant d’autres de cette situation inhérente au système monétaire. Personnellement, je ne suis pas fondamentalement contre le concept d’héritage : c’est seulement dans le contexte actuel qu’il pose problème.
La monnaie permet d’acheter ; les biens représentent de la valeur &, s’ils sont vendus, procurent à leur tour le droit d’accéder au marché. (C’est la raison d’être du vol d’objets aujourd’hui.) Mais, si le droit d’accéder au marché était conféré par la citoyenneté, elle-même lié au fait de s’acquitter de devoirs envers la cité, les biens retirés du marché par l’exercice de ce droit seraient toujours des propriétés, mais celles-ci ne pourraient procurer le droit d’accéder au marché. Les individus pourraient donner ou transmettre leurs biens personnels sans que cela n’altère l’égalité en droits entre les citoyens (l’égalité qui, comme je l’ai dit précédemment, concerne les droits indirects, ici le droit d’accéder au marché, & non les droits particuliers, ici la propriété). Aujourd’hui, les héritages (sous forme de monnaie ou de biens) attisent les convoitises & les rivalités entre ayant droit parce que ce dont ils vont hériter peut accroître leur droit d’accéder au marché ou leur éviter de payer (se dépouiller de droits d’accès) pour se procurer le genre de chose dont ils vont hériter. Sauf exception, ils se foutent complètement de la nature même de l’héritage. Mais, dans ce contexte, lorsque le défunt était riche, sa richesse passe entre des mains d’héritiers qui ne peuvent plus invoquer pour justifier leurs nouveaux droits le prétendu mérite personnel. (Ceci est bien sûr vrai quelle que soit la fortune du défunt, mais cela, évidemment, n’a pas de conséquences invisibles lorsqu’il ne lègue pas grand chose, quoique cela soit toujours aussi condamnable sur le principe.) Les droits du défunt lui survivent & ce sont des vivants qui ne les ont en rien mérités qui les exercent ou en jouissent. Si cela n’est pas une aberration, un renversement de tous les principes de l’ordre social, qu’est-ce donc ?
Je vous ai dit précédemment que le RÔLE de la cité est de garantir l’égalité EN DROITS entre SES citoyens. Or il va de soi que tous les individus sont naturellement différents. Ces différences les empêchent-elles de remplir leurs devoirs, d’être citoyens, & de jouir en tant que tels des droits attachés à la citoyenneté ? Non ! Donc l’égalité en droits entre citoyens ne peut en rien être compromise par les différences naturelles entre les individus.
Vous objectez contre l’Egalité : « Dans certains régimes politiques, il a des droits acquis à la naissance (royauté) ou les liens familiaux (dictatures - cette semaine Fidel Castro annonçait en entrevue que le pouvoir à sa mort irait à son frère). Donc vous voyez que le problème n'est pas lié à la monnaie spécifiquement mais peut tout aussi bien se produire dans un système de droits aléatoirement définis. Mais bon, en France post-révolutionnaire ce ne devrait plus être un problème, et tout le monde sait qu'être le fils d'un politicien célèbre ne confère évidemment aucun avantage... » Mais ces régimes sont-ils (réellement) fondés sur l’Egalité telle que je vous la présente ? Non.
Vous dites encore : « l'inégalité lié au LIEU de la naissance. Tout le monde sur la terre n'est pas égal à la naissance, puisque si je nais au Canada (même de parents très modeste) je serai foncièrement plus avantagé que si je nais en Ethiopie. » Les principes de l’ordre social sont universels. Toute société repose sur les mêmes principes fondamentaux. (Vous me direz que toutes les « sociétés » ne reposent pas sur les principes que j’expose ; je vous répondrais que ce ne sont pas des Sociétés au sens propre, mais des concentrations d’individus. Il n’y a aujourd’hui de véritables sociétés que chez les animaux, chez les animaux sociables bien sûr.) Mais tous les individus d’une espèce ne forment pas une Société. (C’est possible en théorie, c’est sans doute à terme ce que fera l’Homme, mais nous n’en sommes pas là, loin s’en faut, puisqu’il n’y a même pas encore de Société humaine digne de ce nom.) Or chaque société n’a de devoirs, en principe, qu’envers ses membres. L’égalité se mesure entre citoyens d’une même cité. Vous présentez une conception utopique, ridicule & irréalisable de l’Egalité pour vous convaincre que l’Egalité, qui n’a rien à voir avec ce que vous dites, est une chimère.
« Je vois tous les jours sur tous les marchés publics des gens produisant des produits non désirés s'appauvrir et d'autres vendant des produits désirés s'enrichir. » Et vous en concluez que celui qui est riche a du mérite. Est-ce une blague ? Quel rapport entre la qualité d’un produit & la fortune d’un patron ou d’un actionnaire ? Sauf exception, la qualité des produits d’une entreprise ne doit rien au chef de l’entreprise. Qu’il exige que les employés fassent correctement leur travail, il n’empêche que se sont les employés qui travaillent bien. Du reste vous vous méprenez : je n’ai rien contre les patrons & la notion de hiérarchie qui ne pourrait en rien altérer l’Egalité dans un système où les droits seraient attachés à la citoyenneté. Or c’est face à ce concept que l’on réalise que les richesses ne sont pas riches en raison de leur mérite ou de leurs efforts ou de je ne sais quoi d’autre, mais parce que nous sommes dans un système monétaire. Si un patron était un citoyen (tel que je l’entends), il n’aurait ni plus ni moins que les droits d’un citoyen. Cela n’empêcherait pas les hommes de reconnaître son mérite personnel, ce mérite ne pouvant d’ailleurs plus, comme aujourd’hui, être contesté ou exagéré par les pauvres. Au milieu de citoyens égaux en droits, seuls les talents & les vertus brilleraient, & le besoin de reconnaissance que cherchent les êtres exceptionnels serait pleinement assouvi.
« Dans un système capitaliste: Société=ensemble d'INDIVIDUS libres qui choisissent et décident tous les jours le mérite des produits offers. » Ce n’est pas là la définition du capitalisme, mais en partie celle du libéralisme. Imaginez que TOUS les citoyens jouissent d’un égal droit d’accès au marché. Ce que vous dites resterait vrai, avec cette différence que tous les produits subiraient le jugement de tous les citoyens, au lieu d’être seulement « jugés » par ceux qui ont aujourd’hui la possibilité d’y accéder. Ce serait du libéralisme à l’état pur, contrairement au capitalo-libéralisme actuel.
« Je ne comprend pas pourquoi vous pouvez croire qu'une personne sans monnaie ne puisse pas accéder au marché, c'est-à-dire vendre sa pomme ou sa maison. » Demandez au premier clochard venu !
Pour finir, je vous remercie, Jacques, de prêter quelque attention à mon discours, contrairement à certains qui se croient malins parce qu’ils n’ont rien à dire & se plaisent à le faire savoir. Je sais par ailleurs que ces idées sont difficiles à intégrer tant elles vont à l’encontre des idées reçues que nous inculque le système monétaire. Il faut souvent du temps pour en saisir la logique pourtant simple.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
vendredi 07 avril 2006 11:20
Florent,
Je ne suis pas un spécialiste de la franc-maçonnerie & je me doute qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de maçons parmi les "noirs". On ne peut évidemment pas en dire autant des nobles "libéraux" partisans d'une monarchie constitutionnelles. Cela dit, vous essayez de noyer le poisson concernant Robespierre !
Vous dites, à son sujet "j'ai bien la certitude qu'il a appartenu à cet ordre un moment ou un autre, sans doute l'a t-il vite quitté par la suite. Voila cher Philippe, des faits, rien que des faits." Si votre certitude est un fait, je veux bien, mais je vous dis, pour ma part, que Robespierre n'a jamais appartenu à une loge maçonnique. La société des Rosati dont il était membre, malgré son nom n'était en rien une loge maçonnique. L'objet de ses réunions était plutôt léger. "Des jeunes gens réunis par l'amitié, par le goût des vers, des roses et du vin." Ainsi cette société est-elle décrite par l'abbé Ménage. (Il y a peu, j'ai vu la "constitution" exacte de cette société, mais je n'arrive plus à mettre la main dessus. Du reste, elle ne fait que confirmer cette définition.) Robespierre a également fait partie de l'Académie d'Arras, il en fut même le président. Mais, là encore, rien à voir avec la maçonnerie.
Il y a quand même une chose que je n'arrive pas à comprendre : pourquoi voulez-vous à toute force que Robespierre ait été franc-maçon ? Cela ne me dérangerait pas de le reconnaître si tel avait été le cas. (Ainsi, je vous le dis, Couthon, son ami, avait bien été franc-maçon, lui.) Je ne vois qu'une réponse : accréditer la thèse du complot maçonnique. Or, là encore, je ne nie pas que la franc-maçonnerie ait eu de l'influence avant & au debut de la Révolution, mais très vite elle fut dépassée par les événements. (Le maitre du Grand Orient de France, Philippe d'Orléans, fut même exécuté.) Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas retrouvé son influence après & qu'elle n'en a pas de nos jours. Mais il faudrait quand même arrêter de tout mélanger, de tout déformer.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
vendredi 07 avril 2006 21:19
Salut Jacques,
Tout ce que je vous dis est lié. Vous ne pouvez pas comprendre ce que je vous dis sur tel ou tel point si vous ne le considérez comme partie d’un ensemble. En particulier, vous ne prêtez pas assez attention à ce que je vous ai dit sur la monnaie & à la réponse que j’ai apportée à votre question sur ce qu’est un droit.
« Si je vous ai compris, ce qui vous appelé "accès au marché" signifie que tous auraient les mêmes "droits" d'achats des produits, donc recevraient le même montant d'argent (lié à un droit acquis par un devoir et NON au mérite), ou plutôt, puisque vous avez une appréhension ídiosyncratique de l'argent, j'imagine qu'ils recevraient des "bons d'achats". » Pas du tout. Je me tue à vous dire que le problème, avec la monnaie, c’est qu’elle matérialise le droit d’accéder au marché & en fait pour ainsi dire des entités indépendantes des hommes. Vos bons d’achat, sans être de la monnaie au sens propre, auraient le même défaut. Non ! je vous répète qu’un citoyen est un individu qui participe à la vie de la cité, selon ce qu’elle considère comme une participation, & jouit en retour, à l’égal de ses concitoyens, des bienfaits de la cité EN RAISON DE SA CITOYENNETÉ MÊME. Le droit d’accéder au marché étant le principal droit permettant de jouir des bienfaits de la cité, il s’ensuit que ce droit doit être attaché à la citoyenneté. Les citoyens n’ont pas besoin de disposer d’unités de quelque nature que ce soit pour accéder au marché puisqu’ils ont le droit d’y accédé du fait d’être citoyens. Tout ce dont ils ont besoin, c’est d’un moyen permettant de prouver aux commerçants leur citoyenneté, un peu comme les employés d’une entreprise ayant un badge magnétique pour pénétrer dans l’entreprise. Vous me direz que ce badge matérialise le droit d’accéder au marché, mais, si vous y réfléchissez, vous verrez qu’en réalité il n’est qu’un accessoire pour faire valoir le droit qu’ils ont de par leur statut & que, sitôt la perte de leur badge constatée, l’entreprise qui connaît ses employés peut sans peine leur fournir un nouveau badge & désactiver les badges perdus. Pensez au victimes des casseurs de novembre 2005 qui n’ont toujours pas été remboursées de la perte de leur voiture, qui depuis ce temps n’ont plus de voiture, ni les moyens d’en acheter une autre, alors qu’il est reconnu que ces personnes sont à la fois « citoyennes » & victimes.
« Et que feriez-vous avec ceux qui ne voudraient pas faire leur "devoir": leur retireriez-vous leur "droits" (une sorte d'acceptation par la porte d'en arrière du principe de mérite), les metteriez-vous en prison ?, ou mieux encore, (comme Marx le proposait *explicitement* dans Le Capital) les forceriez-vous manu militari à travailler (ce qu'on appelle "travaux forçés" ...) ? » Là encore, je vous ai déjà répondu. Libre à chacun de ne pas remplir les devoirs que la cité attend de lui, mais quiconque ne veut pas s’acquitter desdits devoirs (il y a une distinction à faire avec ceux qui ne PEUVENT PAS), quiconque ne veut pas être citoyen, ne jouit pas des droits du citoyen. La cité n’a aucune raison de le forcer. Il veut se débrouiller seul : qu’il se débrouille. Mais alors, il n’a pas à réclamer, au nom de l’humanité, des droits dont il prétend pouvoir se passer & qu’il ne veut pas mériter. Inutile de le proscrire, il s’est proscrit lui-même. Du reste, vous devez réaliser que vous supposez à certains citoyens ou individus une mentalité que vous observez autour de vous aujourd’hui. Mais qu’y aurait-il de commun entre une cité développant le sens civique, élevant le fait de participer en principe, assurant à ses citoyens autant de droits que possible, avec le système actuel encourageant à travailler le moins possible, n’incitant pas les travailleurs à se décarcasser (vu qu’il ne gagne rien ou presque) & permettant de vivre aux crochets de la « société » sans travailler. On comprend qu’aujourd’hui certains rejettent cette « société » & que d’autres, tout en prétendant la rejeter, cherchent par tous les moyens à en profiter. Aujourd’hui, tout est flou, aberrant, immoral. Celui qui sert la « société » n’a pas plus de droits, voire en a parfois moins, que celui qui ne la sert pas. Mais que les individus aient le choix entre tout, en étant citoyen, ou rien, en ne l’étant pas, & il n’est pas difficile de deviner à quelle attitude les porterait LEUR INTÉRÊT.
Vous évoquez souvent le communisme. Mais en quoi le communisme a-t-il approché, en principe ou en pratique, le système que je vous expose ? Les communistes n’ont jamais réalisé l’égalité en droits. Ils n’ont jamais remis en cause la monnaie. Ils ont voulu la répartir différemment, selon des lois humaines contraires aux lois de Largent, érigeant ainsi des systèmes contre-nature (contre la nature du système monétaire), toujours inégalitaires & fatalement dictatoriaux. L’emploi de la force est nécessaire pour s’opposer à la force des choses mais devient inutile lorsque les principes de l’ordre social sont en harmonie avec la nature des choses.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
samedi 08 avril 2006 12:50
Salut Jacques,
Il faudra bien, un jour, que l’on comprenne qu’une société est, par définition, une communauté & que vouloir faire en sorte que la « société » renoue avec ses principes fondamentaux n’est en rien du communisme même si, dans ce genre d’entreprise, tous les mots & toutes les idées ne sont pas nouvelles. Non nova, sed nove. Tous ceux qui tendent vers un même but, quoique de manières différentes, se rencontrent fatalement sur certains points.
Le Civisme, c’est-à-dire les idées que je vous expose, diffère fondamentalement du communisme dans la mesure où il considère que, pour fonder la cité, il suffit de considérer les individus qui composent l’ancienne « société », la « société » sous régime monétaire, comme des citoyens, alors que le communisme ne voit dans les individus appartenant à des classes différentes, certaines devant être vengées, d’autres détruites, d’où la perpétuations des classes sous une autre forme, mais une forme aberrante car contre-nature. Les communistes n’ont d’ailleurs pas suffisamment prêter attention au rôle de Largent & n’en conteste pas l’existence, se faisant ainsi les complices du capitalisme & des inégalités qu’ils prétendent combattre. Voilà un siècle qu’ils se battent pour des augmentations de salaires, comme si cela allait changer quelque chose ! Faut-il qu’ils soient bornés !
Pour en venir à votre question, oui, en théorie, un citoyen muni de sa « carte civique », de la preuve qu’il a participé à la vie de la cité & est reconnu comme citoyen, peut prendre ce qu’il veut sur le marché. Mais, je le redis, cela est de la théorie. En pratique, ce pouvoir d’achat théoriquement illimité des citoyens rencontre différentes bornes : 1) ses goûts & ses envies, 2) l’offre, 3) l’exercice par les autres citoyens de leur propre droit d’accès, 4) les lois (égales pour tous). Un citoyen-client ne pourra a lui seul dévaliser un commerçant, d’une part parce que cela serait absurde, d’autre part parce que se procurer des quantités industrielles d’un produit sera réservé, de par la loi, aux industriels ou aux entreprises, enfin parce que le commerçant s’y opposera. — Pour ce dernier point il faut préciser qu’un commerçant doit lui aussi mériter le statut de citoyen en faisant en l’occurrence son métier de commerçant, en ayant donc une certaine activité. Or l’activité d’un commerçant, l’activité utile pour la cité, se mesure de deux manières : en quantités « vendues » ou en nombre de clients. Un commerçant, suivant la nature de son commerce, le lieu où il est situé, &c., aura donc des conventions à satisfaire, conventions qui, entre autres, lui imposeront d’atteindre des résultats minimum (minimum ne voulant pas dire ridicule) &, en pratique, de les dépasser. Tout étant informatisé (& c’est le capitalisme qui aura mis en place les infrastructures de la cité), rien de plus simple pour vérifier. Ceci vaut pour toute entreprise. — Pour en revenir à nos moutons, l’intérêt des commerçants non grossistes s’opposera à ce que leurs clients exagèrent vraiment de trop, même pour des produits non soumis à réglementation. Mais un client raisonnable voire légèrement excessif ne buttera jamais sur la loi.
Vous me vantez le capitalisme avec des arguments plutôt douteux (il permet de travailler au niveau que l'on désire pour recevoir des avantages correspondants) ; laissez-moi plutôt vous faire entrevoir les avantages du Civisme. Pour ce qui est de l’emploi, c’est mathématique, c’est le plein emploi : face à une demande colossale, il y a plus d’emplois que d’individus pour les pourvoir. Alors le fait de pouvoir embaucher & licencier à volonté ne pause plus de problème, car celui qui veut travailler trouve toujours du travail. Pour ce qui est des retraites dont on se demande comment on va bien pouvoir les payer dans 30 ou 50 ans : c’est réglé ; les retraités, c’est-à-dire des citoyens dispensés de participer à la vie de la cité après un certain temps, sont toujours citoyens & jouissent donc toujours des droits attachés à la citoyenneté. Pour ce qui est de la délinquance : elle n’a plus ni mobile ni moyens. Pour ce qui est de la pollution : tout ce qu’il sera possible de faire sera fait. Pour ce qui est des délocalisations : elles n’auront plus de raison d’être, puisque les citoyens « gratuits » ici seront toujours moins chers que des employés mal payés ailleurs. On peut continuer ainsi longtemps. Il n’y a pas de miracle. Le corps social aura seulement été purgé du poison qui le ronge depuis des millénaires.
Cela dit, je ne prétends pas que la cité règlera tous les problèmes. Ne seront réglés que les problèmes d’ordre social. La vie réservera toujours aux hommes des surprises, des souffrances, des peines. C’est assez pour que la Société n’ait pas besoin d’en rajouter.
Je vois déjà les questions que vous allez me poser. Je vous laisse l’initiative. Mais sachez qu’elles ont toutes une ou plusieurs réponses possibles. Ne croyez donc pas que, parce qu’une difficulté vous apparaît, elle soit un obstacle infranchissable. En cherchant un peu, & avec un peu de bonne volonté, vous trouverez vous-mêmes toutes les réponses.
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
dimanche 09 avril 2006 07:48
Salut Jacques,
La dernière fois, je vous est demandé de réfléchir face aux problèmes que vous entrevoyez avec raison mais auxquels vous imaginez des réponses absurdes, croyant que cela sera suffisant pour dénigrer le Civisme & justifier le système monétaire que vous défendez de fait sans vous appuyer sur le moindre principe social.
Vous ne semblez pas entendre quand je vous dis que la Cité serait un système économiquement libéral : liberté d’entreprendre (tous les citoyens qui le voudront auront la possibilité de montez leur entreprise), liberté pour les entreprises d’embaucher & de licencier, pas de fonctionnariat (dans le sens d’emploi garanti à vie, la seule garantie étant de faire correctement son travail), liberté pour les citoyens de choisir leur forme de participation à la vie de la cité (dans la mesure des places disponibles ou sous condition d’un accord de la cité, ce qui, en d’autres termes, signifie que, comme aujourd’hui, à défaut de faire ce que l’on voudra, on fera ce que l’on pourra) celui qui ne trouvera pas la place qu’il désire ), liberté de consommer (là encore avec les restrictions que je vous ai déjà indiquées, mais qui n’ôteront pas à l’individu lambda l’impression d’un pouvoir d’achat sinon illimité du moins énorme par rapport à aujourd’hui), produits & entreprises plébiscités ou sanctionnés par le marché (donc par les consommateurs, non par l’Etat), &c. Si vous voyez là une idéologie communiste & un système soviétique, je ne vois pas ce que je peux dire de plus pour vous détromper ! Si vous croyez que les jeunes tiennent ce langage ou l’adoptent d’enthousiasme, tendez l’oreille ! Si vous croyez enfin que l’idée d’anéantir Largent pour que règne l’Egalité en devoirs & en droits entre citoyens est largement répandue ou facile à répandre, vous vous mettez le doigt dans l’œil !
Vous me dites qu’un anar de votre connaissance vous décrivait presque le même système, c’est possible, mais le « presque » peut être une différence fondamentale. En supposant, que votre anar imagine lui aussi un système sans monnaie, sa façon même de concevoir la monnaie & ses vices déterminent la nature & la forme du système qu’il préconise. Pour moi, Largent est l’obstacle à l’égalité des citoyens en droits, & conséquemment en devoirs, ce qui suppose que la cité doit garantir non seulement des droits égaux à ses citoyens, mais aussi leur imposer des devoirs. Vous connaissez beaucoup d’anars qui parlent de devoirs, de travail, de patrie, &c. ?
Vous me demandez à votre tour de réfléchir. « Vous allez devoir arbitrer les choix des gens avec des "compensations" pour travail pénible. » D’une part, cela fait des années que je réfléchis à ces questions. Je vous ai dis qu’elles avaient toutes des réponses, des réponses solides, & non des réponses à la Pieds-Nickelés. D’autre part, si au lieu de vous braquer, vous aviez seulement pensé trente secondes à la question que vous me posez, vous n’auriez pas osé le faire. Quelle compensation la Cité apportera aux citoyens qui feront des travaux « pénibles » (de leur plein gré ou faute d’avoir trouvé mieux). Le fait de jouir d’autant de droits que tous leurs concitoyens, d’avoir un pouvoir d’achat énorme, n’est-il pas une compensation en soi ? Vous faites implicitement au Civisme le reproche de ne pas leur reconnaître plus de droits qu’aux autres citoyens, alors que, aujourd’hui, ces travailleurs sont payés le minimum ou très peu. Autrement dit, selon vos critères capitalistes, ils n’ont pas ou peu de mérite & vous n’avez que du mépris pour eux, mais, pour discréditer l’Egalité, vous êtes prêt à leur accorder toute votre attention & même à soutenir qu’ils doivent jouir de plus de droits que les autres. Et c’est moi le démagogue, le communiste ! ! ! !
Philippe Landeux
lundi 10 avril 2006 10:30
Salut Jacques,
Je n’ai pas répondu dernièrement à votre question précise, d’une part, parce qu’elle est ridicule, étant fondée sur des soi-disant promesses que ferait la cité, alors que c’est vous qui les faites, d’autre part, parce que la réponse est complexe dans la mesure où elle est liée à une multitude de notions, enfin parce que j’espérais qu’après tout ce que je vous ai dit vous réaliseriez que mes idées sont moins naïves que vous le supposez & que vous chercheriez par vous-mêmes les réponses réalistes que le Civisme apporte aux problèmes que vous entrevoyez, à tort ou à raison. Mais puisque vous y tenez... Je rappelle d’abord vos propos :
« Aujourd'hui 1 millions de français aimeraient vivre dans le 1,000 plus beaux appartements de Paris, et tous savent qu'ils ont les mêmes droits liés à leur "badge de citoyen"... Répondant à l'appel de Jaurès, Ils sont venues par centaines de milliers de tous les coins de la France en autobus, en TGV et en avions privés, prendre possession de leur nouveau "droit"... Que se passera-t-il à la réunion des citoyens présidée par le valeureux Philippe alors qu'ils s'attendent tous à recevoir tous les clés! »
Tout d’abord, il faut préciser que le droit d’accéder au marché, étant le pendant du devoir de participer à la vie de la Cité, ne porte que sur le fruit du travail (biens & services) des citoyens. Le sol n’est donc pas concerné. Le sol appartient à la Cité. Si elle en confie des portions à des citoyens, pour quelque but que soit, elle ne leur concède aucun titre de propriété. Sauf Largent qui masque les choses, c’est déjà le cas aujourd’hui : n’importe qui peut être exproprié si l’intérêt général l’exige. Le fait d’être indemnisé ne change rien à l’affaire.
Ensuite, il faut distinguer entre appartements & villas ; il faut également savoir de quel pays on parle, car tous les pays n’ont pas les mêmes capacités foncières en fonction de leur étendue & de leur population.
Il faut enfin savoir que le Civisme distingue la Citoyenneté de la Nationalité. On peut être Citoyen de France sans être Citoyen français. La différence, ce sont des devoirs particuliers que les Citoyens français acceptent de remplir (en premier lieu un véritable service national) & qui leur confèrent des droits particuliers, à savoir les droits politiques & les droits sur le sol.
Remarquez que je ne vous ai jamais dit que la Citoyenneté, le fait de participer à la vie de la cité d’un point de vue économique, confère des droits politiques, droits secondaires. Remarquez encore que le fait que les droits politiques ne soient pas attachés à la Citoyenneté, n’empêche pas ceux qui veulent en jouir, d’en jouir, à condition qu’ils remplissent les devoirs qui les confèrent. Que votre surfeur se rassure ; personne ne le forcera à faire un service national s’il ne le désire pas. Mais qu’il ne vienne pas ensuite réclamer les droits conférés par les devoirs qu’il a refusé de remplir. Je suis bien certain que vous désapprouvez vous-mêmes ces gens qui croient que les droits tombent du ciel, & veulent & le beurre & l’argent du beurre.
Quoiqu’il faudrait encore aborder la question de la formation des lois, de la représentation de la Cité suivant les cas, &c., venons-en à votre question.
Le droit d’un Citoyen n’est pas d’avoir une villa, mais de pouvoir se loger. Or il est évident qu’une cité a toujours la possibilité de construire des appartements, alors que la construction de villas exige, pour loger beaucoup moins de monde, beaucoup plus de surface. Mettons donc de côté, pour le moment, la question des villas. La Cité pouvant toujours construire des appartements, on peut imaginer que les appartements (vacants ou en construction) constituent une sorte de marché, accessible à tous les Citoyens, y accéder nécessitant cependant des démarches administratives. La Cité fixant une limite à la surface que peut occuper chaque citoyen, lesdites démarches administratives serviront, outre à valider le nom de l’occupant, à vérifier que le candidat a droit à l’appartement en question. Quand je dis « limite », je ne veux pas dire que la surface par Citoyen sera ridicule, mais seulement que, même élevée, il y aura une limite. Il peut également y avoir une limite en nombre d’appartements. Un Citoyen pourra donc cumuler les appartements jusqu’à ce qu’il atteigne ces limites &, s’il veut autre chose, il devra alors renoncer à un ou plusieurs de ses appartements. Remarquons cependant que cumuler des appartements n’aura pas grand intérêt dans la Cité, puisqu’ils ne permettront pas d’en tirer des loyers, & pourrait même avoir des inconvénients, car un appartement confèrera des responsabilités. Quant à la question de savoir qui obtiendra tel ou tel appartement : comme sur le marché des biens ordinaires : le premier arrivé remplissant les exigences. On peut enfin imaginer différents offreurs : 1) les particuliers sur le point de quitter leur appartement, 2) des agences immobilières, 3) les municipalités.
Pour les villas ou l’accès au sol à bâtir, les choses seront sensiblement identiques, avec cette différence que n’y auront accès que les Citoyens français proprement dits. Le marché comprendra alors les villas vacantes ainsi que les terrains destinés par les communes à la construction de villas. Là encore la Cité fixera des limites soit en surface soit en nombre de terrains, ces limites se combinant avec celles pour les appartements.
Si vous vous rappelez de ce que je vous disais sur l’héritage, vous comprendrez maintenant pourquoi je ne suis pas hostile à ce qu’un appartement ou même une maison fasse l’objet d’un legs, à la condition que l’héritier, malgré cette héritage, n’excède les limites dont j’ai parlées.
Voilà. Le sujet mériterait d’être encore développé, mais je pense vous avoir dit l’essentiel. Retenez donc que la Cité ne promettra rien à personne. Elle reconnaîtra des droits aux Citoyens, droits qu’il leur appartiendra de faire valoir dans la mesure du possible. Le rôle de la Cité est de garantir l’Egalité en Droits entre Citoyens, pas de réaliser l’impossible. Elle peut augmenter le nombre d’appartements, en construire de plus spacieux, &c., mais en un temps « T » les choses sont ce qu’elles sont. Avec le temps, les Citoyens seront de mieux en mieux logés (même sans changer de logement, ils auront d’ailleurs les « moyens » de l’entretenir & de l’améliorer), voilà tout ce que la Cité peut promettre.
Maintenant, pardonnez-moi, mais je commence à fatiguer. Si vous n’admettez pas l’égalité des Citoyens en devoirs & en droits comme principe fondamental de l’ordre social, si après tout ce que je vous ai dit vous n’en sentez pas encore les avantages, je ne vois pas ce que je peux faire de plus, sinon passer en vain ma vie à vous expliquer. Je vous invite du moins une dernière fois à imaginer que le droit d’accéder au marché soit attaché à la Citoyenneté & à chercher par vous-mêmes la façon réaliste d’adapter les choses à cette nouvelle donne (car, de la même manière que notre monde a évolué autour de Largent, faute de pouvoir faire autrement, les choses, une fois la carte civique instaurée, s’adapteront & évolueront autour l’Egalité).
Salut & Fraternité,
Philippe Landeux
06:40 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : revolution, guerre, civile, robespierre, cité, civisme, abolition, argent | Facebook | | Imprimer |