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lundi, 30 mai 2011

PENSEE DU JOUR : citoyen du monde

Citoyen du monde, homme de nulle part, fléau partout.

samedi, 28 mai 2011

PENSEE DU JOUR : la monnaie

La monnaie qui sert à payer le travail est surtout un moyen de voler les travailleurs, de les dépouiller de l’essentiel de leurs Droits de "Citoyens".

DEVOIRS ET DROITS

Devoirs et Droits.jpg

Cependant, l'Egalité ne concerne ni tous les Devoirs ni tous les Droits. Voir : Devoirs, Droits & Egalité

08:53 Écrit par Philippe Landeux dans 5. SCHEMAS, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

mardi, 24 mai 2011

POURQUOI L'EGALITE

L'Egalité.jpg

 Il n'y a de Droits qu'en société, parce que les Citoyens les génèrent les uns pour les autres en remplissant des Devoirs les uns envers les autres.

Un individu n'a de Devoirs envers un autre que si ce dernier s'acquitte des mêmes Devoirs envers lui.

Il s'ensuit que, dans un état de Droits, dans une Société digne de ce nom, les Citoyens sont égaux en Devoirs et conséquemment en Droits, et qu'il n'y a ni devoirs ni droits au sens propre dans l'inégalité.

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11:20 Écrit par Philippe Landeux dans 5. SCHEMAS, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

LE SYSTEME MONETAIRE EST SOUS PERFUSION

Pierre Jovanovic annonce l'effrondrement du système capitaliste pour le mois d'ocotobre 2011. Qui vivra verra.

http://www.youtube.com/watch?v=_i8lCRkLaMA&feature=mf...

Merci à BobbyFR94

Il est cependant clair que ce système court à sa perte. Mais ne nous y trompons pas : l'effondrement du "capitalisme" ne sera pas la fin en soi du système monétaire. Ce dernier repose sur une croyance, Largent (croyance que la notion de valeur marchande est nécessaire pour échanger), et, tant que les hommes ne concevront pas autrement l'échange, ils en seront prisonniers et devront faire avec, quitte à galérer. Il serait cependant possible d'en sortir dès aujourd'hui, à la faveur d'une crise, mais, malheureusement, les esprits ne sont pas mûrs, la théorie qui le permet (le Civisme) n'est pas encore répandue. Pour la Révolution, il faudra attendre encore un peu.

 

05:58 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

samedi, 21 mai 2011

ENCORE ET TOUJOURS CONTRE CETTE EUROPE

En 2005, à l'époque du référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE), j'avais écrit le texte suivant. Il est toujours d'actualité.

"Largent divise les hommes.
Comment pourrait-il unir les nations ?"

 

TABOU SUR LES ARGUMENTS MASSUE
contre le projet constitutionnel européen

Jusqu’ici les partisans du NON au projet constitutionnel européen se sont laissés piégés par la tactique des partisans du OUI. Cette tactique consiste à vouloir que les électeurs se concentrent exclusivement sur le texte même du projet et ses subtilités, comme si l’Europe était une abstraction sans histoire, comme si cette Constitution allait être appliquée hors de tout contexte et affranchie de son influence. Il y a quelque temps, M. Pasqua a dit dans une émission télévisée qu’il lui suffisait de lire l’article 1er du projet pour savoir à quoi s’en tenir quant au reste. En fait, il est inutile de lire le projet tout court. Car à qui veut-on faire croire que 25 pays dont le seul véritable lien est l’Euro, que ces 25 pays capitalistes ne formeront pas demain une Europe super-capitaliste et donc capitalo-libérale. Or le capitalo-libéralisme, qu’il soit appliqué dans un pays ou à l’échelle de l’Europe reste du capitalo-libéralisme.  Et, par nature, le capitalo-libéralisme repose sur l’inégalité et implique une politique de droite. Pourquoi donc croit-on que les Français, en particulier ceux de gauche, ne se retrouvent plus dans la politique des soi-disant partis de gauche. Ces dernières années ont démontré que le vrai gouvernail n’est pas ou n’est plus entre les mains des politiques. Le pouvoir a eu beau changer de mains, les choses, elles, n’ont pas bougé. Pire, il semblerait que nous ayons atteint tout ce que le capitalo-libéralisme autorise en matière sociale, et que, depuis, nous régressions comme pour mieux nous ménager des reconquêtes artificielles et des succès illusoires.  

Les partisans du OUI au projet de Constitution européenne soutiennent que ce projet est neutre, qu’il n’est ni de gauche, ni de droite. Peut-être. Mais le contexte dans lequel il sera appliqué, lui, commande à droite. Cette Europe anéantira-t-elle les inégalités ? fera-t-elle que la France d’en bas s’élèvera ? que la France d’en haut cèdera de ses privilèges ? L’Union Européenne a changé de nom. Mais rappelons-nous qu’elle s’appelait il y a peu Communauté Economique Européenne et que le lien entre ses divers pays membres est l’Euro. Ceci n’annonce-t-il pas suffisamment la raison d’être de l’Europe pour ceux qui aujourd’hui la construisent et qui demain en seront la tête ? Non, ce n’est pas l’Europe des peuples pour les peuples, l’Europe de la démocratie et de l’Egalité, l’Europe de la fraternité que nous construisons ou que l’on nous force à construire… c’est l’Europe du pactole.

Pensons bien à ceci : les peuples avancent chacun à leur rythme. Ils ont chacun leur histoire et leur sensibilité. Ils ont chacun leur expérience et leurs expériences à faire. Or l’Europe réunit 25 pays, 25 peuples. Les pays de l’Est sortent à peine du communisme et sont avides de capitalo-libéralisme. Les pays de l’Europe occidentale, eux, ont plus d’un siècle d’expérience en la matière. Il y a de fait une Europe à deux vitesses. Combien de temps encore les peuples de l’Europe occidentale souffriront-ils le capitalo-libéralisme ? Aujourd’hui, faute de vraie alternative, d’alternative réaliste, ils s’y résignent ou se débattent sans succès. Mais demain ? Qu’adviendra-t-il lorsqu’un peuple de l’Europe occidentale osera enfin se lever et s’attaquer au socle même de l’Europe ? C’est simple : dans le cadre de l’Europe, il ne pourra pas bouger. Plus exactement, aucun peuple ne le suivra et tous les gouvernements s’uniront pour briser son élan. En pratique, ceci n’empêchera rien. Quand un fruit est mûr, il tombe. Pour accomplir sa destinée, ce peuple sera donc obligé de sortir de l’Europe, de cette Europe. L’Europe, unie autour du projet constitutionnel que l’on nous propose ou d’un autre, n’est donc pas en soi un rempart infaillible contre le changement qui sera bientôt nécessaire, mais elle sera un obstacle de plus à franchir dans un temps où les difficultés ne manqueront pas.

C’est encore un non-sens de croire que nous aurons plus de courage politique, plus d’idées, plus d’audace à 25. L’Europe, disent les partisans du OUI, doit être le laboratoire du monde. Elle doit trouver les solutions au problème écologique, donner l’exemple de la démocratie, etc. C’est vrai, il est urgent de trouver des solutions. Mais l’histoire démontre que la recherche n’avance que grâce à des personnes isolées, seules, souvent dénigrées par leurs contemporains. Le nombre permet d’agir, pas de réfléchir sur des questions pointues. Par définition, les idées qui bousculent les préjugés ne peuvent émerger de la foule.

En somme, que va nous apporter cette Europe ? Elle va cautionner au niveau d’un continent, un système voué à la faillite (tous les experts en économie sont formels sur ce point) et dont nous commençons à voir les limites. En élargissant les frontières et en accroissant la population, elle va noyer la contestation dans la masse. Elle permettra certes de résoudre des problèmes, mais des problèmes souvent nés de la construction européenne elle-même. En fait, elle ne résoudra aucun des problèmes nationaux, en particulier le problème fondamental de l’inégalité, que les nations n’ont pas su résoudre elle-même. Les partisans du OUI misent sur la force de l’union. Mais cette union existe déjà au niveau des nations et, malgré l’unité nationale, les problèmes en question n’ont pourtant jamais trouvé de réponse. Néanmoins, il n’y a qu’au niveau national que des réponses pourront être sinon trouvées du moins mises en œuvre. Car le temps presse, et l’unité nécessaire pour réformer en profondeur l’ordre social ne sera pas réalisée au niveau de l’Europe avant longtemps.

Observons enfin qui défend ce projet de Constitution. Qui parmi eux a jamais eu un vrai projet social ? Les uns ont laissé la fracture sociale ouverte ; les autres sont notoirement en quête d’un projet. Sont-ce ces gens qui peuvent nous guider vers l’avenir ? Sont-ce ces gens qui pourraient déceler le piège tendu aux peuples derrière les belles et creuses paroles couchées sur du papier ? Le présent débat leur a donné l’occasion d’ouvrir la bouche, mais ont-ils exprimé une seule idée novatrice ? Non. Ils ont appliqué à l’Europe le discours bien pensant et politiquement correct qu’ils tiennent depuis 30 ans aux Français. Pouvait-il en être autrement ? Ils n’ont manifestement pas d’idées pour la France et ce n’est certes pas l’Europe qui fera d’eux des génies. En revanche, ils ont déployé leur perfidie habituelle. Ils ont accusé les partisans du NON de jouer sur la peur des Français, et c’est eux qui brandissent le spectre de l’isolement ! Ils sont prêts à avoir du courage dans le cadre de l’Europe, comme s’ils pouvaient avoir celui qu’ils ne montrent pas en France. Ils disent défendre la France et ne jurent plus que par l’Europe ! Alors quoi ? Il n’y a donc rien à faire en France ? La France n’est plus ?

Allons ! ne soyons pas dupes une fois de plus. Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête si nous refusons de les suivre. Ne ratifions pas leur projet par dépit, faute de mieux. Reconnaissons que cette Europe n’est pas et ne peut devenir celle dont nous rêvions. Ne croyons pas que cette Europe nous donnera la solution du grand problème social ; elle ne peut au contraire que nous distraire de cette recherche. 

 

Philippe Landeux

Publié par Riposte Laïque

Le 29 mai 2005, le Peuple français rejetait ledit projet à une majorité de 55 % des voix. Le 14 février 2008, le parlement français, par 366 pour, 52 contre, 22 abstentions, ratifiait ledit traité dans une nouvelle version. Les européistes, grands démocrates devant l'Eternel, donnaient ainsi au Peuple français une leçon de démocratie à leur façon. 

 

18:08 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

lundi, 16 mai 2011

PENSEE DU JOUR : double nationalité

Deux nationalités, c’est une honte pour un patriote, et une faiblesse pour un traître.

dimanche, 15 mai 2011

UNE VRAIE POLITIQUE D’ASSIMILATION

Après l'heure, ce n'est plus l'heure.

En novembre 2005, à la suite des émeutes dans les banlieues, j’avais exposé sur le forum des 4 Vérités les mesures qui, selon moi, devaient être adoptées d’urgence. Pourtant, il était déjà trop tard à l’époque pour que, même adoptées, ces mesures résolvent le problème majeur, le problème identitaire, posé par l’immigration massive et continue. Ces mesures, quoique toujours sensées, sont d’autant plus vaines aujourd’hui. Il est cependant intéressant de les rappeler pour montrer le gouffre qui existe ce que l’on aurait du faire au bon moment et ce que la politique n’ose toujours pas faire alors que ces minimums requis sont déjà obsolètes. Il est également intéressant de les rappeler pour montrer que le discours sur l’immigration se radicalise en raison de l’aggravation de la situation et non par xénophobie.

1. Définir l’identité française et les principales lois de la République.

Cette mesure a donc été proposée des années avant que Sarkozy lance le débat sur l'identité nationale via le ministère de l'immigration créé par lui et qui, dans son optique, n'était qu'une opération d'enfumage. Ainsi, de toutes ces mesures indispensables, la première seule a été envisagée et aussitôt abandonnée.

2. Faire renaître en France le patriotisme — apprendre aux Français, petits et grands, ce qu’est la France ; supprimer les jours fériés à connotation religieuse et leur substituer des jours commémorant les hauts faits de la République et de l’Humanité ; imposer à toutes les entreprises d’arborer un drapeau tricolore ; faire de la fête nationale une vraie fête populaire et républicaine, etc..

3. Stopper ou limiter au maximum l’immigration.

Sarkozy avait promis des choses dans ce domaine. Ce n'était que des mots. L'immigration a explosé sous son égide.

4. Prendre en charge, instruire et éduquer les immigrés arrivant (leur apprendre la langue, les institutions, la politesse, les devoirs et les interdits) jusqu’à ce qu’ils soient reconnus aptes à voler de leurs propres ailes et capables de s’intégrer. — Le mieux serait bien sûr de n’accepter comme immigrés que des individus maîtrisant déjà la langue française et ayant ou acceptant d’adopter les mœurs de la France.

5. Interdire, sous peine de bannissement de toute la famille, le port du voile islamique en France, la polygamie, l’excision.

Il y a loin entre cette mesure vigoureuse et les timides lois contre le voile.

6. En finir avec le regroupement familial.

7. Aider efficacement les pays foyers d’émigration à se développer — par rapport à leur propre niveau de développement — et former les immigrés pour les inciter à rentrer chez eux et qu’ils soient les principaux acteurs de cette aide.

8. Donner à tous les futurs parents des cours d’éducation.

Il va sans dire que ces cours ne distilleraient pas une idéologie gauchiste plaçant les parents au niveau de l'enfant, fondée par des éducateurs ayant eux-mêmes été bercés trop près du mur. Il s'agirait de leur apprendre à être fermes afin qu'ils soient de véritables tuteurs. Il faut arrêter de faire croire qu'aimer  et respecter l'autre, c'est tout lui permettre et accepter tout de lui. Ne jamais intervenir suppose au contraire l'indifférence et la démission et engendre l'anarchie et des égocentriques. La devise de parents dignes de ce nom est "Qui bene amat bene castigat" (qui aime bien châtie bien).

9. Renvoyer dans leur pays, aussitôt leurs études finies, les étudiants africains et nord-africains venus étudier en France ; leur assurer une aide, une seule, si possible autre que financière, et s’ils le demandent, pour la mise en œuvre de leur premier projet.

10. Interdire de donner un prénom autre que français à un enfant né en France.

11. Faciliter les démarches pour changer de prénom et de nom.

Voir l'importance des prénoms.

12. Traduire autant que possible les mots anglais et interdire l’usage d’anglicismes dans la publicité et toutes les autres formes de communication.

13. L’Etat est étranger à toute religion ; mais aucune ne doit être étrangère en France et inaccessibles aux Français. Tout culte, dans toutes ses parties, doit être célébré en Français ; tout livre dit sacré doit être traduit en Français.   

Le but est évidemment que les fidèles ne forment pas, selon leur origine, une communauté distincte de la communauté nationale. Ceci explique qu'il soit possible de faire une exception pour les cultes célébrés dans une langue morte qui ne désigne pas les fidèles comme faisant partie d'un peuple étranger.

14. Aider les parents à tenir leurs enfants : instituer des services à cette fin et commencer par arrêter de poursuivre les parents qui donnent une gifle à leur gamin.

15. Renforcer la sécurité (en classe, dans la cour et autour de l’école) et augmenter le personnel dans les établissements scolaires sensibles (qu’il y ait au besoin deux adultes pendant la classe).

16. Réduire le nombre d’élèves par classe.

17. Restaurer le respect envers les enseignants (en commençant par leur apprendre à imposer leur autorité et à se faire respecter).

18. Restaurer l’uniforme (fourni par l’école) jusqu’au lycée compris.

19. Instituer des cours de soutien obligatoire pour les élèves en difficulté.

20. Inspirer le patriotisme aux élèves (drapeau dans chaque classe, levé des couleurs et chant de la Marseillaise tous les lundi matin, cours d’instruction civique, de droit et d’histoire française, etc.), ce jusqu’à la Terminale.

21. Repousser à 21 l’âge de la majorité en ce qui concerne l’hébergement que les parents doivent assurer à leur enfant.

22. Afficher, dans tous les lieux publics, en grand, certaines lois, les peines encourues, et suivant l’objet, des numéros d’appel.

23. Sanctionner sévèrement (par le bannissement pour les adultes) le racisme anti-français et les insultes à la France. [J'ajoute aujourd'hui : déchoir de la nationalité et bannir quiconque déshonore le nom Français, quiconque se réclame d'une autre nationalité ou déclare mépriser la nationalité française.]

Cette mesure ne concerne pas que les immigrés mais bien tous les coupables de pareils actes.

24. Instituer des peines spécifiques et hautement dissuasives pour les délinquants juvéniles.

25. En finir avec le favoritisme officieux dont font souvent preuve les services publics envers les immigrés, favoritisme notoire qui fait des immigrés des assistés, des individus à part, et leur attire la haine ou le mépris des Français.

26. En finir avec l’angélisme, le misérabilisme, l’humanisme larmoyant, le mensonge, l’aveuglement, le politiquement correct et les demi-mesures. Discréditer, par une vaste campagne politico-médiatique, de droite comme de gauche, tout ce qui caractérise ce que l’on appelle les « racailles », à savoir : le rap, la tenue casquette-survêt-baskets et l’argot des banlieues (qui reflète une pauvreté intellectuelle effrayante). Discréditer également tous ceux qui ménagent ou louent la culture ou l’inculture des racailles, justifient leur violence et leur pardonnent tout, encouragent et poussent ainsi nombre de jeunes (croyant à une impunité éternelle) à s’enfoncer dans l’ignorance, la violence, la délinquance et l’auto-exclusion ; ceux qui sont responsables de l’exaspération des Français, des amalgames et de la discrimination.

27. Reconnaître aux citoyens (en privé ou dans le cadre de leurs fonctions), lorsqu’ils ne peuvent compter sur la force publique, le droit de défendre eux-mêmes leur personne et leurs biens contre tout agresseur, par tous les moyens et qu’elles qu’en soient les conséquences pour l’agresseur, droit qui n’a rien avoir avec le fait de faire justice soi-même, mais qui, lorsqu’il n’est pas reconnu, confère des droits aux agresseurs et décuple leur audace, paralyse les citoyens respectueux de la loi et leur inspire un sentiment fondé d’insécurité, dangereux pour la démocratie et nuisible pour l’intégration. 

28. En finir avec la double nationalité, avec les droits du sol et du sang, et adopter un mode d’acquisition de la nationalité permettant d’attester un réel attachement à la France.

29. Instituer une cérémonie collective et fraternelle de naturalisation, obligatoire pour tout individu (de plus de 18 ans) voulant devenir Français, quelles que soient ses origines, au cours de laquelle sera prêté un serment de fidélité à la France (non pas au gouvernement) et aux valeurs de la République, à l’issue de laquelle sera remis aux participants un drapeau français et un exemplaire de la Constitution. 

30. Instituer un véritable service national (avec 3 volets au choix : militaire, humanitaire, civil) obligatoire pour tout individu ayant opté pour la nationalité française, l’accomplissement de ce service étant une condition nécessaire pour être Français et jouir effectivement des droits du citoyen français, c’est-à-dire des droits politiques. — On peut aussi dire que ce service serait volontaire mais que son accomplissement serait la condition pour les citoyens d’acquérir la nationalité (citoyenneté et nationalité étant distinctes.)

 

Publié sur le forum des 4 Vérités



samedi, 14 mai 2011

CITOYENNETE / NATIONALITE : DEUX MOTS, DEUX CONCEPTS

Tout est à refonder, à repenser, en commençant par le commencement. Rien ne va, parce que rien n’est cohérent de bout en bout. Qui fait de la politique sans projet de société, sans savoir ce qu’est une société digne de ce nom, en est réduit à proposer des mesures au mieux incomplètes, au pire contradictoires. Ses ambitions sont limitées à remporter le prochain scrutin ou, pour les plus sincères, à œuvrer dans l’intérêt général sans toutefois pouvoir parvenir à un résultat satisfaisant.

Les idées ci-après sont tirées d’une théorie globale, révolutionnaire, dite le Civisme. Elles sont donc liées à un tout indivisible, bien que le cadre de cet article oblige à les isoler, d’où des lacunes apparentes.

Le premier postulat de cette théorie, dont tout découle, est que les Sociétés ou Cités sont constituées d’individus unis librement dans le but d’accroître leurs chances de survie, leur sécurité, comparé à ce qu’elles seraient s’ils vivaient séparément. Comme la sécurité que procure la Cité en tant que Droit est nécessairement le fait des Citoyens, cela implique que ces derniers ont le Devoir de se défendre mutuellement, de sorte qu’ils sont égaux en Droits parce qu’ils sont égaux en Devoirs. Le principe d’Egalité est donc la clé de voûte de l’ordre social. En développant, on parvient à cette conclusion : est Citoyen tout individu admis à faire partie de la Cité, qui participe effectivement à la vie de la Cité selon ce qu’elle considère comme une participation, qui la défend au besoin, et qui, en retour, jouit de tous les bienfaits de sa Cité.

La notion de Citoyenneté pourrait suffire si les hommes naissaient, vivaient et mourraient au même endroit. Mais ils se déplacent aujourd’hui plus que jamais. Immigration et émigration rendent la population si changeante, les idées gauchistes et capitalistes la rendent si inconstante, que la fidélité des Citoyens envers la Cité ne va plus de soi et que celle-ci ne sait plus à qui se fier. La définition de la Citoyenneté reste valable, mais une autre notion devient indispensable : la Nationalité.

Une Cité a besoin, pour exister, pour fonctionner, pour être dirigée, de Citoyens en qui elle puisse avoir une confiance totale, de Citoyens d’un dévouement à toute épreuve, prêts à la servir au moindre appel, à sacrifier leurs intérêts personnels voire leur vie pour elle. Il est clair que la Citoyenneté, reconnue à quiconque participe à la vie de la Cité  (sur le plan économique ou social) ne témoigne pas d’une réelle affection pour la Cité. Il s’ensuit que certains droits, principalement les droits politiques, ne peuvent être mis à la portée de tous les Citoyens, qu’ils ne peuvent être attachés à la Citoyenneté, mais doivent être mérités par l’accomplissement de devoirs particuliers qui assurent la Cité, autant que faire se peut, des sentiments à son endroit. Ces devoirs et droits particuliers sont alors attachés à la Nationalité qui s’ajoute à la Citoyenneté sans se confondre avec elle.

Une telle conception de la Nationalité exclut qu’elle s’obtienne à la naissance, sans le vouloir, sans même le savoir. Ni droit du sol, ni droit du sang. Seuls le cœur et l’esprit comptent. Plus d’hypocrisie, plus d’ambiguïté. Tous ceux qui prétendent à la Nationalité, quel que soit leur pedigree, doivent satisfaire aux mêmes conditions et remplir ensuite les mêmes devoirs pour l’obtenir et la conserver. Sans ces exigences, Nationalité et Nation sont des mots creux.  

Cette conception implique en outre le rétablissement d’un véritable Service national volontaire — parmi d’autres devoirs. Il va de soi que, si la Cité fait de la Nationalité un brevet de patriotisme, le Service national qui est le moyen de l’obtenir ne peut être obligatoire, sans quoi la Nationalité serait décernée à tous les Citoyens, parfois contre leur gré, et le but recherché, à savoir distinguer les patriotes en leur donnant l’occasion de prouver leur patriotisme, serait manqué.

Cette conception de la Nationalité induit par ailleurs deux conceptions de la Cité : la Cité au sens large, c’est-à-dire l’ensemble des Citoyens, et la Cité au sens strict, la Nation, le Peuple souverain, c’est-à-dire l’ensemble des Citoyens nationaux.

A ceux qu’une telle distinction pourrait choquer, rappelons tout d’abord qu’elle est la conséquence du choix des uns et des autres et de leur état d’esprit. Remarquons ensuite que cette distinction ne porte pas atteinte au principe d’Egalité qui ne s’applique qu’aux Devoirs et Droits fondamentaux, nécessaires et suffisants au quotidien, alors que la différence entre les uns et les autres concerne ici des droits particuliers que ne peuvent revendiquer ceux qui ne veulent pas remplir les devoirs particuliers qui les confèrent. Dans la Cité, « pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits » n’est pas un slogan de campagne. Observons enfin que cette distinction est nécessaire pour garantir que la Cité soit dirigée par les Citoyens ayant à cœur l’intérêt national, non par des individus pensant en étrangers. Elle existe d’ailleurs aujourd’hui pour les immigrés non-naturalisés qui ne sont ni Français ni citoyens, qui n’ont donc aucun statut si ce n’est celui d’étrangers, alors qu’ils seraient au moins Citoyens dans la Cité, fut-ce temporairement, puisqu’ils travaillent et que travailler serait une des conditions de leur venue. En revanche, la confusion actuelle entre citoyenneté et nationalité oblige à élargir inconsidérément la nation, permet à des forces antinationales, donc illégitimes, non seulement de s’exprimer mais encore de paralyser la souveraineté nationale, bref ramollit ce qui devrait être le noyau de la Cité.

Ainsi, confondre la citoyenneté avec la nationalité crée à la fois un vide sémantique concernant les immigrés qui sont d’autant moins portés à s’assimiler qu’ils ne sont rien dans la Cité, et un abus de langage concernant tous ceux qui, quoique nés avec la nationalité ou l’ayant prise par intérêt mais sans amour pour la patrie, ne la méritent pas, voire ne méritent pas même d’être Citoyens. Au contraire, distinguer ces deux notions, redonner du sens à chacune, complique les choses de prime abord mais évite les injustices et les scandales qui minent les Nations ; cela clarifie tout. Le salut des Nations qui se respectent commence là.



Philippe Landeux
25 juin 2010

Publié sur Riposte Laïque

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15:40 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

jeudi, 12 mai 2011

DE GAULLE et les journalistes

« Peyrefitte, je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération. Quand une difficulté surgit, il faut absolument que cette faune prenne le parti de l’étranger, contre le parti de la nation dont ils se prétendent pourtant les porte-parole. Impossible d’imaginer une pareille bassesse – et en même temps une pareille inconscience de la bassesse. Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre. Bien sûr, cela représente 5% de la nation, mais 5% qui, jusqu’à moi, ont dominé. La Révolution française n’a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu’est la bourgeoisie. Cette classe qui s’est de plus en plus abâtardie, jusqu’à devenir traîtresse à son propre pays. Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. Le populo sent où est l’intérêt du pays. Il ne s’y trompe pas souvent. En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d’argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s’entendent pour se partager le pouvoir. Cela m’est complètement égal que vos journalistes soient contre moi. Cela m’ennuierait même qu’ils ne le soient pas. J’en serais navré, vous m’entendez ! Le jour où Le Figaro et l’Immonde me soutiendraient, je considérerais que c’est une catastrophe nationale ! »

Charles de Gaulle

lundi, 09 mai 2011

PENSEE DU JOUR : réalité

« Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »

Charles de Gaulle

dimanche, 08 mai 2011

NATION ET PATRIOTISME des concepts de gauche

Le peuple de Paris prit la Bastille au cri de « Vive la nation ! ». Les volontaires de 1792 arrêtèrent les Prussiens au cri de « Vive la nation ! ». La nation était un concept révolutionnaire, un concept de gauche. Il ne s’agissait plus des antiques nations, essentiellement charnelles, soudées par le sang, mais d’une communauté nationale, essentiellement morale, désormais soudée par la loi. Appartenait à la nation celui, d’où qu’il soit, qui faisait sien son identité, son projet et ses valeurs. Le caractère charnel de la nation n’avait pas disparu, puisqu’elle était de fait l’héritière d’un peuple et d’une histoire, mais le critère ethnique n’était plus la première condition d’appartenance. A vrai dire, ce critère pouvait être négligé car l’immigration était alors un phénomène marginal et l’immigration extra-européenne, un phénomène inexistant.

Dans l’esprit des révolutionnaires, « nation » était synonyme de « patrie ». Pourtant le terme « nationalisme » leur était inconnu ; ils ne parlaient que de patriotisme. Quand Robespierre déclara : « Peuple, souviens-toi que si, dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom » (8 thermidor), il définit indirectement le patriotisme, ou l’amour de la patrie, comme une aspiration à la justice, à l’Egalité et à la Liberté. Tout se tient. Un patriote conséquent considère ses compatriotes, ses concitoyens, ses frères d’armes comme ses égaux, non comme des marchepieds ou de la chair à canon. Le patriotisme bien compris est intrinsèquement égalitaire, donc de gauche. Les partisans de l’inégalité, les séides de l’oppression et de l’exploitation de leur propre peuple qui se disent patriotes sont des ignorants ou des hypocrites, dans tous les cas des calamités publiques.

Robespierre allait même encore plus loin : « Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même état. (art. 35 de sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes. (art. 36) Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et comme des brigands rebelles. (art. 37) ». Le patriote Robespierre était donc internationaliste. Patriotisme et internationalisme sont les deux faces d’une même pièce.

Une autre figure majeure de la gauche française tint le même discours. « Ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini de la démocratie et de la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. » Jean Jaurès, L’armée nouvelle, 1911.

Par quel prodige la mémoire de Jean Jaurès peut-elle être invoquée à longueur de temps par des gens qui présentent la nation, la patrie et le patriotisme comme des concepts réactionnaires, « nauséabonds », et fascisants ? Peut-on être de gauche sans être patriote, en n’ayant que mépris pour son pays, son peuple et ses concitoyens, en étant un traître à la patrie ?

La nation est le maximum de l’abstraction, et le patriotisme, le summum de l’humanisme. En deçà, il n’y a que des individus ayant au mieux le sentiment d’appartenir à une communauté plus étroite que la communauté nationale (clan, tribu, confrérie, corporation, chapelle, race, ville, région, classe), sectarisme plus ou moins légitime (relevant dans certains cas du patriotisme), souvent contre-productif et toujours dangereux pour la nation (1). A l’inverse, au-delà des nations historiques, tout « groupe » humain réunit des hommes n’ayant rien de commun, si ce n’est le fait d’être hommes, et n’est qu’une construction purement intellectuelle et parfaitement démagogique. Professer un sentiment exclusif d’appartenance à un tel « groupe », un « groupe » sans consistance et sans exigence, ne coûte rien, n’engage à rien, ne mène à rien si ce n’est à renier les communautés réelles, donc à se dégager moralement et concrètement de toute obligation envers quiconque. Le patriotisme à ce niveau-là est vide de sens ; ce n’est que la rhétorique pompeuse d’un individualisme honteux.

Un patriote est internationaliste : il aime sa patrie et respecte les autres peuples ; il est juste (dans la cité) et bon (à l’extérieur). Cet internationalisme raisonnable n’a rien à voir avec l’internationalisme bobo-gauchiste, l’ultra-internationalisme, qui s’investit exclusivement pour les autres et oublie de cultiver son propre jardin, qui admire tout ce qui porte la marque de l’étranger et dénigre tout ce qui provient du terroir, qui reconnaît à tous les peuples le droit d’appliquer les principes légitimes (indépendance, décolonisation, démocratie, protectionnisme, fierté, préférence nationale, etc.) qu’il vomit chez lui, qui s’entiche des immigrés (les seuls étrangers réellement à sa portée) et fait tout pour qu’ils s’aliènent les nationaux. L’ultra-internationaliste marche sur la tête. Il voit tout à l’envers et fait toujours le contraire de ce qu’il faudrait faire, sans jamais comprendre pourquoi les résultats qu’il obtient sont toujours à l’opposé de ceux qu’il se propose. Il anticipe néanmoins ses échecs en calomniant ses détracteurs pour leur clouer le bec et leur faire porter le chapeau. Aussi excelle-t-il dans l’insulte. En fait, il ne comprend rien aux peuples en général et au sien en particulier, car, au fond, c’est un individualiste. Finalement, il n’est ni juste (pour son peuple) ni bon (pour les autres, si ce n’est en paroles). Il n’est pas de gauche.

Reste la question du nationalisme. Ce pourrait être un synonyme de patriotisme. La nation désigne avant tout la communauté quand la patrie désigne avant tout le territoire qu’elle occupe, mais communauté et territoire étant liés, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Pourtant il est convenu de considérer le nationalisme comme moins ouvert que le patriotisme, c’est-à-dire essentiellement dirigé contre les autres, d’où la célèbre phrase de Romain Gary : « le patriotisme, c’est l’amour des siens ; le nationalisme, c’est la haine des autres. » Cependant, à bien y réfléchir, la haine ou la simple indifférence vis-à-vis des étrangers n’est du nationalisme que si elle est le pendant d’un réel amour des siens, d’un amour ayant, vis-à-vis de la cité, toutes les caractéristiques du patriotisme. En quoi l’oppression et l’exploitation de ses compatriotes serait-il du nationalisme ? En quoi l’ennemi de sa nation est-il un nationaliste ? Un nationaliste digne de ce nom est tout aussi égalitaire qu’un patriote. Sans quoi, le nationalisme n’est qu’un prétexte invoqué par des individualistes et des tyrans trouvant dans la xénophobie leur raison d’être, comme d’autres dissimulent leur individualisme sous un discours universaliste. Ayant souvent servi de prétexte (notamment aux va-t-en-guerre) et comportant en effet un côté sombre, le nationalisme a mauvaise presse (le fait que les journalistes soient pour la plupart des gauchistes n’arrange évidemment rien). Néanmoins, le nationalisme bien compris est lui aussi intrinsèquement de gauche. Le bord politique d’un projet ne se définit pas par rapport à sa position vis-à-vis des étrangers mais en fonction du soin qu’il prend des citoyens et de la façon dont il gère la cité. Vouloir le bien-être, la justice, l’Egalité pour ses concitoyens, ne vouloir que cela, le vouloir même aux dépens des étrangers, c’est être de gauche. Le nationalisme est juste (pour son peuple) à défaut d’être bon (humaniste).

Philippe Landeux


NOTE :

(1) Un individu se définit selon de multiples critères et il est naturel qu’il se sente appartenir à tous les groupes (clan, tribu, confrérie, corporation, chapelle, race, ville, région, classe) auxquels il appartient effectivement. Cela peut à l’occasion susciter des cas de conscience mais n’empêche pas d’être patriote en définitive. Le problème survient lorsqu’un individu se définit exclusivement par rapport à un de ces groupes, ne voit de patrie qu’en lui et se dresse en son nom contre la nation et ses autres composantes, contre ses concitoyens. Que cette conception soit innée ou motivée, qu’elle soit inspirée par l’amour de la partie ou une haine légitime du tout, elle est négative pour la nation et pas nécessairement positive pour le groupe. Si elle se concrétise (généralement au prix d’une guerre civile), elle aboutit à la sécession dans le meilleur des cas, à la dictature du groupe dans le pire. Du point de vue du groupe, la sécession peut être une bonne chose pour ses membres si elle leur apporte enfin respect et prospérité ; la dictature peut aussi être un mieux pour eux par rapport à leur position antérieure, mais n’est souvent qu’une vue de l’esprit et une amère déception (cf. la dictature du prolétariat). Il est donc impossible d’apprécier le communautarisme dans l’absolu, sa légitimité et sa dangerosité, puisque tout dépend de la nature de la communauté en question, de son histoire, de sa situation et de son projet.

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jeudi, 05 mai 2011

PENSEE DU JOUR : les nouveaux Perses

La France n'a pas plus à redouter la Chine que les Grecs ne redoutaient les Perses, si elle retrouve confiance en elle et aspire de nouveau à la grandeur.

mercredi, 04 mai 2011

GAUCHE / DROITE : LA VALSE DES ETIQUETTES

FRONT NATIONAL : LA GAUCHE RÉINCARNÉE


Il n’y a plus de gauche aujourd’hui dans le paysage politique. Elle ne pourrait exister qu’en conscience, en ayant conscience que Largent est l’ennemi de l’Egalité et en étant porteuse d’un projet cohérent de « société égalitaire » (pléonasme). Cependant, bien qu’aucun parti ne puisse être réellement de gauche, puisque aucun ne peut ou ne veut instaurer l’Egalité, le bon sens n’a pas entièrement disparu et des idées de gauche demeurent. Ces idées — contrat social, devoirs, droits, Sécurité, Liberté, démocratie, nation, pays, frontière, peuple, identité, fierté, patriotisme, ordre, exigence, souveraineté du peuple, indépendance nationale — sont secondaires par rapport à l’Egalité, mais elles en découlent et participeraient à l’édification d’une société digne de ce nom si le pilier principal était en place. Pour l’heure, écrasées par le poids de l’édifice, donc quelque peu déformées (je ne parle pas ici de leur emploi fictif), elles sont les seuls marqueurs de gauche.

Or, force est de constater que non seulement les partis dits « de gauche » ne sont plus sur ces positions mais  leur donnent au contraire l’assaut au nom des immigrés, de l’antiracisme, du multiculturalisme, du métissage, de l’humanisme dévoyé et de l’universalisme dénaturé. Ces positions ne sont pas non plus celles de la droite ouvertement capitalo-libérale, du moins de la droite mondialiste. Car il existe encore une droite capitalo-libérale nationale, concevant le capitalo-libéralisme dans le cadre de la nation. Bien que cette position soit philosophiquement intenable, capitalo-libéralisme et patriotisme étant inconciliables, l’un étant intrinsèquement inégalitaire, l’autre, égalitaire, il n’en demeure pas moins que le patriotisme fait partie du logiciel de gauche, de la gauche historique s’entend. La droite capitalo-libérale nationale est donc déjà plus à gauche que les partis dit « de gauche » et les « citoyens du monde autoproclamés » qui ont chaussé les bottes de la droite capitalo-libérale mondialiste et immigrationniste.

En fait, la plupart des idées et des aspirations authentiquement de gauche qui remontent à la Révolution (d’où viennent également les notions de droite et de gauche) sont aujourd’hui portées par la droite nationale anti-capitalo-libérale, qualifiée d’extrême droite par la gaucherie. Le Front National est objectivement le seul parti de gauche en France à l’heure actuelle, du moins le parti le plus à gauche d’après ses fondamentaux. Qui d’autre arbore le drapeau tricolore, chante la Marseillaise à pleins poumons, qui d’autre est fier d’être français au lieu d’en être honteux ? qui parle de patrie, de nation comme au temps de la Révolution ? qui défend le peuple français au lieu d’en nier l’existence et d’essayer de le dissoudre ? qui réclame des référendums au lieu de craindre le peuple ? qui appelle à sortir de l’Europe au lieu de se bercer d’illusions à son sujet ? qui s’émeut de la décomposition générale de la France au lieu de jouer les autruches ? qui fustige l’insécurité et le laxisme politico-juridique au lieu de nier que la sécurité soit le premier des droits du citoyen ? qui sonne l’alarme contre l’immigration-invasion au lieu de s’en faire le complice ? Etc. Etc. Il n’y a aucune différence fondamentale entre ce discours et celui des révolutionnaires de 1792-1793 qui criaient « Vive la nation ! », décrétaient « la patrie en danger » et vouaient les traîtres à l’échafaud.

Les Français que la propagande intensive gauchiste n’a pas lobotomisés ou effrayés ne s’y trompent pas. Même ceux qui hésitent à accorder leur voix au Front National partagent l’essentiel de son discours. La gaucherie est trop embourbée dans son idéologie et trop hystérique pour se désavouer en adaptant son discours à des fins politiciennes, autrement dit en promettant sans rien tenir comme ose le faire la droite mondialiste. Elle en est donc réduite à dénoncer, en vain, « une droitisation » de l’opinion. Mais, chose bien connue en France, c’est la poule qui chante qui a fait l’œuf. En réalité, c’est la gauche qui s’est droitisée pour devenir la gaucherie immigrationniste et apatride (1), poussant les Français de gauche n’en pouvant plus à rallier en masse la droite nationale qui, par un processus inverse, s’est, pour ainsi dire, jacobinisée (2). La vieille garde frontiste, réellement d’extrême droite, se reconnaît d’ailleurs de moins en moins dans ce Front National dans lequel les Français, eux, se retrouvent de plus en plus.

Les idées de gauche n’ont donc pas disparu, mais les étiquettes sont restées sur des partis dont le contenu, lui, a tourné avec le temps et par la force des choses. C’est là toute l’ambiguïté de la situation : le décalage entre la nature des contenus et les noms obsolètes des contenants. Cette confusion profite encore à la gaucherie, faussement sociale et anti-nationale, qui continue de s’arroger le label « de gauche » et berne ainsi une partie du peuple français qui, lui, est fondamentalement et nécessairement de gauche. Ce faisant, le Front National ne pouvant se revendiquer « de gauche » puisque cette étiquette est déjà prise et a été galvaudée continue de se dire « de droite », ce qui a un effet repoussoir, et cautionne ainsi l’imposture et les mensonges de la gaucherie au lieu de les dénoncer. Du reste, il n’est pas certain que le Front National, en raison de son histoire et des préjugés, ait conscience d’être désormais le parti politique le plus à gauche.

Maintenant, s’il est dommage, d’un point de vue intellectuel, que les mots aient perdu leur sens et souhaitable, d’un point de vue stratégique, qu’ils le retrouvent, l’important est que les Français sachent consciemment ou d’instinct où est leur devoir quand le salut de la France et leur avenir sont en jeu.

Philippe Landeux

 

Extrait d'un texte à paraître : Droite, Gauche - Hier, aujourd'hui et demain

 

NOTES :

(1) L’immigrationnisme est une monstruosité de droite, du grand patronat, la cause est entendue. Mais comment la « gauche » a-t-elle pu s’y convertir et commettre ainsi une double hérésie, d’un côté en singeant les patrons, de l’autre en abandonnant le peuple français ?
Pour le comprendre, il faut se souvenir que la vraie gauche est progressiste, que l’Egalité est son ambition suprême, que Largent l’empêche de l’atteindre et que, pourtant, aucun parti de gauche n’a jamais désigné Largent comme l’ennemi et proposé les moyens à la fois de l’abattre et d’instaurer l’Egalité. Aucun parti de gauche n’a donc jamais été réellement anti-capitaliste ; aucun n’est même réellement libéral puisqu’il ne peut exister, sous le capitalisme, que du capitalo-libéralisme. Néanmoins, le système monétaire n’empêche pas quelques progrès dans certains domaines. Il a donc été possible d’être de gauche sans être fondamentalement égalitaire tant que des progrès furent possibles. Mais il arrive un moment où tous les progrès possibles sous Largent sont réalisés, tout nouveau progrès impliquant de s’attaquer à Largent lui-même et à ses lois. C’est ce qui se produisit au tournant des années 1980. La gauche, inconsciemment capitaliste, ne put franchir le cap et fut dès lors condamnée à reculer, à stagner ou à sombrer dans la démagogie.
Pour sauver la face et les places des éléphants, elle qui n’avait jamais été de gauche que de manière illusoire mit un point d’honneur à paraître encore progressiste. Ne pouvant plus rien faire pour les Français et étant vouée à perdre leur confiance, elle s’en détourna et porta son attention sur les immigrés qui, à la fois exploités en France et originaires de pays moins développés, pouvaient seuls voir en elle la promesse d’un progrès. Les immigrés devinrent pour elle le nouvel opprimé à défendre, le futur électeur à engranger, sa planche de salut. Plus il y en avait, mieux c’était pour elle. Mais pour pouvoir favoriser l’immigration (à l’instar du grand patronat), elle dut persuader les Français qui n’avaient rien à y gagner, bien au contraire, que l’immigrationnisme est un devoir moral, un combat « de gauche », le summum de l’humanisme et de la générosité. Et elle y parvint. Elle réussit à convaincre nombre de Français que se soucier de leurs intérêts est égoïste, qu’être patriote est réactionnaire, fasciste, raciste, nauséabond et que, pour être des hommes bons et respectables, ils devaient se battre exclusivement pour l’autre, ne songer qu’aux immigrés, s’effacer devant eux et s’auto-anéantir. Elle renversa ainsi toutes les idées, se coupa de la réalité et perdit toute raison et toute mesure, tout sens des priorités et des proportions.

La passion soudaine de la gaucherie pour l’écologie répond au même besoin que précédemment : amener les Français à se passionner pour des objets étrangers, à s’investir tout entiers dans des causes auxquelles ils n’ont aucun intérêt, à ne plus se battre pour eux-mêmes, à se désintéresser de leur propre cause, à dépérir sans réagir, à s’autodétruire, à trahir leur peuple et leur pays, à cautionner un chaos social d’un nouveau genre et à croire que c’est en cela que consiste « être de gauche ». L’écologisme — à ne pas confondre avec un réel souci de l’écologie — est apparu après l’immigrationnisme qui, lui, rapporte des électeurs d’origine étrangère sonnants et trébuchants. Avec lui, la gaucherie a touché le jack pot.  L’intérêt de l’écologisme est plus subtil ; c’est de contribuer à lobotomiser davantage les Français pour leur faire avaler les salades immigrationnistes et euro-mondialistes. C’est la cerise sur le gâteau. Bien sûr, dans les deux cas, ces idéologies se sont forgées ou ont été introduites progressivement. Elles ont d’abord semblé raisonnables avant de verser de plus en plus dans l’outrance.

L’européisme a la même fonction et le même intérêt que l’écologisme à la différence qu’il n’a, lui, aucun objet, qu’il est une pure abstraction. C’est la perfection du génie infernal ! L’Europe vendue aux peuples est une belle idée avec laquelle l’Europe réelle n’a aucun rapport. Elle ruine, elle étouffe, elle détruit, elle nie les nations, elle n’apporte rien, elle ne protège de rien, elle est anti-démocratique et ultra-capitaliste : elle ne sert que de monture aux chevaliers de l’ordre mondial et de Largent. Voilà ce que la gaucherie (ouvertement main dans la main avec la droite capitalo-libérale mondialiste) a osé présenter, une fois de plus, une fois de trop, comme un projet « de gauche » ! Heureusement, il semble que la supercherie soit éventée et que le rideau soit prêt d’être tiré.

(2) Symbole on ne peut plus clair de la jacobinisation du FN, Marine Le Pen ose  citer Robespierre dans son discours du 1er mai : "Nous, défenseurs des libertés de pensée et d’opinion sans lesquelles la démocratie n’est qu’un vain mot, nous obligeons au débat et ça gêne. Robespierre l’avait théorisé en son temps : « L’homme de génie qui révèle de grandes vérités à ses semblables est celui qui a devancé l’opinion de son siècle. La nouveauté hardie de ses conceptions effarouche toujours leurs faiblesses et leur ignorance. Toujours les préjugés se ligueront avec l’envie pour le peindre sous des traits odieux ou ridicules »." Extrait du discours sur la liberté de la presse prononcé par Robespierre le 11 mai 1791 à la Société des amis de la Constitution (les Jacobins) et utilisé en partie devant l'Assemblée constituante le 22 août 1791.

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ROBESPIERRE Histoire (version développée)

« Robespierre, ce nom qui fait ta gloire, ce nom qui porte l’effroi dans l’âme des tyrans, sera le mot d’ordre qui nous ralliera pour les combattre. »

Les Jacobins de Caen à Robespierre (alors simple citoyen), 7 mars 1792

robespierre,histoireRobespierre fut un grand homme, un grand Français, le député le plus populaire et le plus grand révolutionnaire. En tant que tel, il fut l’objet d’attaques incessantes. Sa mémoire même fut souillée de calomnies. Même les raccourcis que l’histoire oblige parfois à faire transforment son portait du tout au tout. Ainsi, son nom est aussi célèbre que son histoire réelle et son œuvre sont méconnues du grand public.   

Il est pourtant primordial de connaître la véritable histoire et les idées de cet homme qui incarna la Révolution et inspira des générations de patriotes. Les Français ignorent tout ce qu’ils lui doivent ; la République elle-même a oublié qu’elle lui doit jusqu’à sa devise. Bien qu’il ait vécu et ait été exécuté il y a plus de deux cents ans, beaucoup de ses idées sont encore révolutionnaires, plus révolutionnaires que celles des révolutionnaires autoproclamés, et la vie de cet homme que l’on appelait l’Incorruptible reste un exemple.   

Je me flatte d’être robespierriste. Et si l’on me demande pourquoi, ou pourquoi je tiens tant à défendre sa mémoire et à rappeler son souvenir dans toute son authenticité, qu’il me suffise de citer ce mot de Babeuf :  

« Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante, et naturellement dans tout le peuple. La raison en est simple, c’est que le robespierrisme est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques : donc en relevant le robespierrisme, vous êtes sûr de relever la démocratie. »  

Il est impossible d’exposer ici la richesse de la pensée de Robespierre. Pour la connaître, il faut lire ses discours ou, au moins, de bonnes biographies (Jean Massin, Ernest Hamel) ou de bonnes histoires de la Révolution (Albert Mathiez, Albert Soboul, Georges Lefebvre). Mais pour se plonger ainsi dans l’étude, encore faut-il en sentir l’intérêt et ne plus avoir de lui l’image fausse et négative qui est généralement colportée.

Peindre Robespierre sous son véritable jour et anéantir les fausses idées reçues à son sujet pour donner envie de le lire est donc le but que je me propose. J'ai réalisé deux exposés dont le présent est la version développée. (version courte ici)


ROBESPIERRE Maximilien Marie Isidore (de) :  

Né le 6 mai 1758 à Arras, exécuté à Paris le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II). Avocat, homme politique français, surnommé l’Incorruptible, universellement reconnu comme tel, figure emblématique de la Révolution française et du jacobinisme.
 

AVANT la Révolution

Sa mère mourut alors qu’il n’avait que six ans. Son père, avocat au barreau d’Arras, abandonna le foyer peu après. Elève studieux, il obtint des autorités ecclésiastiques une bourse pour le collège Louis le Grand, à Paris, où il fut sans doute l’élève le plus brillant puisque c’est à lui que revint l’honneur de faire au nom du collège le compliment à Louis XVI au retour de son sacre (le 11 juillet 1775). 

Reçu avocat au parlement de Paris le 2 août 1781, il retourna à Arras où il fut admis au barreau de la ville le 8 novembre. Il avait encore de la famille sur place, grands-parents, oncles, tantes, et notamment sa sœur, Charlotte, et son jeune frère, Jean-Bon Augustin, appelé Augustin, surnommé Bonbon et plus tard Robespierre jeune, qu’il envoya étudier à Paris grâce à une bourse que son brillant parcours lui avait permis de décrocher pour lui. Son frère lui fut fidèle jusque dans la mort. 

Il apparut de suite comme un avocat et un esprit brillants (cf. lettre de M. Ansart). Grand admirateur de Jean-Jacques Rousseau, il se fit le défenseur des faibles, des pauvres, des lumières. L’affaire la plus célèbre qu’il eut à plaider fut celle du paratonnerre de St-Omer, en mai 1783, qui, grâce à la publication de sa plaidoirie (procédé auquel il recourut régulièrement par la suite), eut un retentissement national. Dans son argumentaire, il invoquait entre autres les travaux d’un certain Marat, le futur Ami du Peuple. Une autre affaire retint l’attention, en 1786, celle de François Deteuf, maître cordier à Marchiennes, accusé de vol par un moine de l'abbaye de Saint-Sauveur d'Anchin qui se vengeait ainsi de sa sœur, Clémentine Deteuf, laquelle avait refusé ses avances. En défendant Deteuf, Robespierre n’attaquait pas la religion mais les vices d’une institution qui avait couvert les turpitudes du moine. 

En mars 1782, il s’était vu attribuer un siège vacant de juge à la Salle épiscopale. La même année, il entrait dans la Société des Rosati, des jeunes gens réunis par l'amitié, le goût des vers, des roses et du vin, réunissant tout le gratin d’Arras. Il y croisa Lazarre Carnot, son futur collègue et ennemi au Comité de salut public. Il y rencontra également Joseph Fouché, oratorien, cheville ouvrière du complot du 9 thermidor. Le 15 novembre 1783, il fut admis à l’académie d’Arras dont il fut élu président à l’unanimité le 4 février 1786. En 1784, il remporta le deuxième prix du concours de l’académie de Metz, sur « l'origine de l'opinion qui étend sur tous les individus d'une même famille une partie de la honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable ».   

Quoique le tableau soit brossé à grands traits, il ressort que Robespierre, avant la Révolution, avait tout pour lui : talent, culture, réussite et reconnaissance sociale. Voir en lui un personnage aigri et envieux relève de l’absurde. L’affirmation selon laquelle Robespierre aurait été franc-maçon relève elle aussi du fantasme.

Le 8 août 1788, le royaume étant au bord de la banqueroute, le roi convoqua les Etats Généraux, c’est-à-dire l’assemblée censée représenter le corps social à travers les trois ordres d’alors : la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat. Cette assemblée était seule autorisée à voter la levée de nouveaux impôts et c’est à cette seule fin qu’elle avait été convoquée. Pourtant, dans le même temps, chaque partie du peuple était appelée à rédiger ses doléances et le Tiers Etats comptait bien profiter de l’occasion pour les faire valoir.

Comme tant d’autres, Robespierre s’empara de la plume. En janvier, il publia anonymement un « Appel à la nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois », brochure dans laquelle il dénonçait la composition illégale des Etats d’Artois permanents, le mode de composition desdits Etats pour les Etats généraux (d’après lesquelles le véritable Tiers ne devait avoir que 10 voix sur 150) et tous les abus qui en découlaient. Cette brochure fut rééditée en avril, preuve de son succès. Son leitmotiv tenait dans cette phrase : « Rendez-lui [au Peuple] la liberté de choisir lui-même ses Représentans, l’Ordre renaît et les abus disparaissent. »

En mars suivant, il publia une adresse au peuple artésien dans laquelle il lui indiquait comment choisir ses représentants :

« Défiez-vous du patriotisme de fraîche date, de ceux qui vont partout prônant leur dévouement intéressé, et des hypocrites qui vous méprisaient hier et qui vous flattent aujourd’hui pour vous trahir demain. Interrogez la conduite passée des candidats : elle doit être le garant de leur conduite future. Pour servir dignement son pays, il faut être pur de tout reproche. »

Fin mars, la corporation des savetiers, la plus pauvre et la plus nombreuse de la ville, chargea Robespierre de rédiger ses doléances. Le 26 avril, il fut élu député du Tiers Etats d’Artois (5e sur 8). Robespierre était lancé dans la carrière politique qui fut toute sa vie.

C’est au début de la Constituante — probablement après le 14 juillet 1789, et non immédiatement après son élection — que Robespierre rédigea pour lui-même une dédicace aux mânes de Jean-Jacques Rousseau dans laquelle il traça la conduite qui fut en effet la sienne et qui, à ce titre, mérite d’être citée : 

« La conscience d’avoir voulu le bien de ses semblables est le salaire de l’homme vertueux ; vient ensuite la reconnaissance des peuples qui environnent sa mémoire des honneurs que lui ont déniés ses contemporains. Comme toi je voudrais acheter ces biens au prix d’une vie laborieuse, aux prix même d’un trépas prématuré. Appelé à jouer un rôle au milieu des plus grands événements qui aient jamais agité le monde, assistant à l’agonie du despotisme et au réveil de la véritable souveraineté, près de voir éclater des orages amoncelés de toutes parts, et dont nulle intelligence humaine ne peut deviner tous les résultats, je me dois à moi-même, je devrai bientôt à mes concitoyens compte de mes pensées et de mes actes ».

 

Etats Généraux / Assemblée constituante

Robespierre était lancé dans la carrière politique. Ses principes étaient simples : unité nationale, souveraineté du peuple, égalité des citoyens en droits. Il n’en démordit jamais. Il devint ainsi le champion de la démocratie et de l’Egalité. Il en fut le martyr. Le 24 septembre 1791, le journal L’Ami du Roi lui rendit hommage en croyant le brocarder : « M. Robespierre, qui a toujours l’air de croire que ces discussions sont sérieuses [l’Assemblée retirait aux hommes libres de couleur les droits qu’elle leur avait accordés quatre mois plus tôt], monte à la tribune, armé d’un mortel discours. Ses raisons, on le devine. Unité, égalité, ces deux mots disent tout. »

Les Etats Généraux s’ouvrirent le 5 mai 1789, à Versailles. Robespierre qui, le lendemain, fêta ses 31 ans, était alors un inconnu au milieu de cette foule de 1139 députés. Il prit la parole pour la première fois le 18 mai. Il intervint des centaines de fois, que ce soit aux Etats Généraux ou à l’Assemblée constituante qui les remplaça officiellement le 27 juin 1789, et toujours pour défendre le peuple et les principes. En quelques mois, sa ténacité et sa rigueur le rendirent célèbre et populaire. Il n’était pas seulement un des députés siégeant du côté gauche, il fut très vite considéré comme le plus à gauche, à tel point qu’il était souvent isolé et devait soutenir ses idées seul contre tous. (Ainsi, le 3 mai 1790, Loustalot écrivit dans Les Révolutions de Paris : « Nous avons peu de ces hommes qui, cherchant plutôt à remplir leur devoir qu’à obtenir des applaudissements, se tiennent, comme M. de Robespierre, près des principes, et qui, bravant le reproche d’être trop chaleureux, réclament sans cesse les droits sacrés du peuple, lors même qu’ils prévoient qu’ils vont être sacrifiés. [...]  Il vient de donner une nouvelle preuve de ce genre d’héroïsme en défendant seul la maintenue des districts de Paris. ») Si, dans ces conditions, il ne pouvait guère influencer les décisions de l’Assemblée à l’esprit bourgeois et aristocratique, en revanche son prestige atteignit des sommets inimaginables. Ce fut sa gloire et son malheur. Car il eut toujours plus de prestige que de pouvoir réel. Son ascendant sur les masses permit à ses détracteurs de le présenter comme un dictateur et de l’abattre en tant que tel alors qu’il n’eut jamais d’autre arme que le verbe au service de la raison.

Il est impossible de rappeler ici toutes les idées qu’il défendit, tous les discours qu’il prononça ou publia. Signalons néanmoins les plus importants.

Fin septembre 1789, il s’éleva contre le droit de veto accordé au roi. La discussion ayant été fermée avant qu’il ait pu prononcer son discours, il le publia :

« Celui qui dit qu’un homme a le droit de s’opposer à la Loi, dit que la volonté d’un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n’est rien, et qu’un seul homme est tout. S’il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du Pouvoir exécutif, il dit que l’homme établi par la Nation, pour faire exécuter les volontés de la Nation, a le droit de contrarier et d’enchaîner les volontés de la Nation. »

Le 22 octobre 1789, il s’éleva contre la distinction faite entre citoyens dits actifs (payant « une imposition directe de la valeur locale de trois journées de travail ») et citoyens dits passifs qui privait ces derniers de nombreux droits, dont celui de cité et celui de faire partie de la garde nationale. Il prônait, lui, le suffrage universel (pour les hommes, l’idée même de l’accorder aux femmes étant à l’époque inconcevable). Il ne fit pas de grands discours à ce sujet à cette époque. La moindre allusion soulevait un tollé général. En revanche, il en publia un et en donna lecture au club des Cordeliers en avril 1791. Rappelant les articles de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée par l’Assemblée l’année précédente et montrant la contradiction entre ses articles et la notion de suffrage censitaire, il poursuivait :

« Mais quel est donc après tout ce rare mérite de payer un Marc d’argent ou telle autre imposition à laquelle vous attachez de si hautes prérogatives ? Si vous portez au trésor public une contribution plus considérable que la mienne, n’est-ce pas par la raison que la société vous a procuré de plus grands avantages pécuniaires ? et, si nous voulons presser cette idée, quelle est la source de cette extrême inégalité des fortunes qui rassemble toutes les richesses en un petit nombre de mains ? Ne sont-ce pas les mauvaises lois, les mauvais gouvernements, enfin tous les vices des sociétés corrompues ? Or, pourquoi faut-il que ceux qui sont les victimes de ces abus, soient en plus punis de leur malheur, par la perte de la dignité de citoyen ! »

Fin décembre 1790, il publia un grand discours sur l’organisation des gardes nationales, dénonçant une fois de plus la distinction des citoyens entre passifs et actifs et les incohérences de l’Assemblée mais entrant aussi dans le détail de leur organisation selon les principes.

« La plus inévitable de toutes les loix, la seule qui soit toujours sûre d’être obéie, c’est la loi de la force. L’homme armé est le maître de celui qui ne l’est pas ; un grand corps armé, toujours subsistant au milieu d’un peuple qui ne l’est pas, est nécessairement l’arbitre de sa destinée ; celui qui commande à un corps, qui le fait mouvoir à son gré, pourra bientôt tout asservir. […] S’il est vrai que cette institution soit un remède contre le pouvoir exorbitant qu’une armée toujours sur pied donne à celui qui en dispose, il s’ensuit qu’elles ne doivent point être constituées comme les troupes de ligne ; qu’elles ne doivent point être aux ordres du prince ; qu’il faut bannir de leur organisation tout ce qui pourrait les soumettre à son influence ; puisqu’alors, loin de diminuer les dangers de sa puissance, cette institution les augmenterait, et qu’au lieu de créer des soldats à la liberté et au peuple, elle ne ferait que donner de nouveaux auxiliaires à l’ambition du prince. »

C’est à la fin de ce discours qu’il formula la devise que les gardes nationales devaient selon lui arborer sur leurs drapeaux : Liberté, Egalité, Fraternité.

Peu de gens savent que Robespierre fut le premier à réclamer l’abolition de la peine de mort (30 mai 1791). Quant à ceux qui ont vu dans ses positions ultérieures une contradiction, ils ont confondu Badinter et Robespierre. Ce n’est pas par humanité ou par sensiblerie que ce dernier l’avait réclamée, mais au nom des principes, au nom du droit à la légitime défense que les individus ont face à leurs agresseurs mais que la société n’a pas face à des auteurs de crimes ou délits de droit commun qui ne la menacent pas.

« Hors de la société civile, qu’un ennemi acharné vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont cultivé, puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue ; et la loi de la défense naturelle me justifie et m’approuve. Mais dans la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l’autoriser à lui donner la mort ? »

La France était alors en paix. Mais quand la France fut en guerre et la République, menacée, quand la société eut à se défendre, le même principe l’autorisait à tuer et justifiait l’exécution des contre-révolutionnaires. C’est ce qu’il explicita le 2 décembre 1792, lors du procès du roi :

« J’ai demandé l’abolition de la peine de mort à l’assemblée que vous nommez encore constituante ; et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais vous, qui ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer. Oui, la peine de mort, en général, est un crime, et par cette raison seule que, d’après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du corps social. Or, jamais la sûreté publique ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d’autres moyens, et mettre le coupable dans l’impuissance de lui nuire. »

Robespierre eut maintes fois l’occasion de démontrer qu’il n’était ni sectaire ni fanatique, qu’il ne se souciait que du bien commun, qu’il n’était attaché qu’aux principes et à la vérité et méprisait autant les démagogues que ce que nous appelons aujourd’hui le politiquement correct. Le 13 juillet 1791, il en donna un exemple en donnant aux Jacobins une leçon de république.

« On m’a accusé, au sein de l’assemblée, d’être républicain, on m’a fait trop d’honneur, je ne le suis pas. Si on m’eût accusé d’être monarchiste, on m’eut déshonoré, je ne le suis pas non plus. J’observerai d’abord que pour beaucoup d’individus les mots de république et de monarchie sont entièrement vides de sens. Le mot république ne signifie aucune forme particulière de gouvernement, il appartient à tout gouvernement d’hommes libres, qui ont une patrie. Or, on peut être libre avec un monarque comme avec un sénat. Qu’est-ce que la constitution française actuelle, c’est une république avec un monarque. Elle n’est donc point monarchie ni république, elle est l’un et l’autre. »

Un an plus tard, il précisa encore sa pensée :

« Est-ce dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ? Sont-ce les définitions inventées par les diplomates pour classer les diverses formes de gouvernement qui font le bonheur et le malheur des nations, ou la combinaison des lois et des institutions qui en constituent la véritable nature ? Toutes les constitutions politiques sont faites pour le peuple ; toutes celles où il est compté pour rien, ne sont que des attentats contre l’humanité ! Eh ! que m’importe que de prétendus patriotes me présentent la perspective prochaine d’ensanglanter la France, pour nous défaire de la royauté, si ce n’est pas la souveraineté nationale et l’égalité civile et politique qu’ils veulent établir sur ses débris ? Que m’importe qu’on s’élève contre les fautes de la cour, si loin de les réprimer, on ne cesse de les tolérer et de les encourager, pour en profiter ? Que m’importe que l’on reconnaisse, avec tout le monde, les vices de la constitution qui concernent l’étendue du pouvoir royal, si on anéantit le droit de pétition ; si on attente à la liberté individuelle, à celle même des opinions ; si on laisse déployer contre le peuple alarmé une barbarie qui contraste avec l’éternelle impunité des grands conspirateurs ;  si on ne cesse de poursuivre et de calomnier tous ceux qui, dans tous les tems, on défendu la cause de la nation contre les entreprises de la cour et de tous les partis ? » (17 mai 1792)

A défaut d’avoir influencé l’ouvrage constitutionnel de l’Assemblée, Robespierre parvint à faire prévaloir son opinion sur des sujets annexes. Ce n’est pas parce qu’il était idiot ou ridicule qu’il n’était pas écouté, mais parce que ses principes contrariaient les intérêts des privilégiés. Et ce n’est pas non plus parce que les privilégiés étaient d’accord avec lui qu’il leur arriva de soutenir ses propositions, mais parce qu’ils n’avaient alors rien à perdre ou poursuivaient un autre but que lui. C’est ainsi qu’il obtint, en mai 1791, que les constituants, afin de ne pas prêter le flanc à la corruption, ne soient pas rééligibles (l’Assemblée limita cependant la portée de ce décret à la législature suivante). Dans le même esprit, et afin que le peuple, à défaut de faire les lois lui-même, ait au moins la consolation de renouveler souvent ses mandataires, il avait demandé en vain que le mandat de député soit limité à un an.

La Législative

Quand l’Assemblée nationale constituante acheva sa session, le 30 septembre 1791, la popularité de Robespierre était prodigieuse. Les Parisiens lui firent un triomphe. Il était rendu à la vie civile. Mais il avait trop fréquenté les hommes pour penser que son rôle était terminé. Tout commençait. Il lui restait la tribune des Jacobins que sa popularité et son intransigeance avait sauvés du désastre d’une scission et renforcés au mois de juillet précédent. (La fuite du roi en juin 1791, puis son rétablissement par l’Assemblée, avait provoqué un mouvement en faveur de sa déchéance qui suscita des divisions au sein des Jacobins que tous les leaders, excepté une poignée, quittèrent pour fonder un autre club, les Feuillants.)

Il connaissait mieux que quiconque les hérésies de la constitution de 1791. En renvoyant dans leurs foyers les députés sortants, il espérait que les députés nouveaux, éclairés par deux ans et demie de révolution, perfectionneraient l’ouvrage. Telle était sa conception du régime parlementaire. Il ne tarda pas à déchanter et à prendre ses responsabilités.

La nouvelle assemblée, dite législative, n’était plus composée que de bourgeois qui subirent rapidement l’ascendant d’un petit groupe d’entre eux, pour beaucoup originaires de Bordeaux, d’où leur nom de Girondins. (Nombre de Girondins, dont le plus fameux, Brissot, étaient inscrits aux Jacobins.) Représentant l’aristocratie de l’argent, les Girondins poussèrent l’Assemblée dans l’ultra-libéralisme. Leur devise était pour ainsi dire : Propriété, Liberté. Leur philosophie du libre échange se traduisait en pratique par la liberté d’accaparer, d’exploiter et d’affamer. N’y tenant plus, Robespierre lança son propre journal en mai 1792, intitulé Le défenseur de la Constitution. Il expliquait sa position, en apparence paradoxale, de manière suivante :

« C’est la constitution que je veux défendre, la constitution telle qu’elle est. On m’a demandé pourquoi je me déclarais le défenseur d’un ouvrage dont j’ai souvent développé les défauts : je réponds que, membre de l’Assemblée constituante, je me suis opposé, de tout mon pouvoir, à tous les décrets que l’opinion publique proscrit aujourd’hui : mais depuis le moment où l’acte constitutionnel fut terminé et cimenté par l’adhésion générale, je me suis toujours borné à en réclamer l’exécution fidèle, non pas à la manière de cette secte politique que l’on nomme modérée, qui n’en invoque la lettre et les vices que pour en tuer les principes et l’esprit ; non pas à la manière de la cour et des ambitieux qui, violant éternellement toutes les lois favorables à la liberté, exécutent avec un zèle hypocrite et une fidélité meurtrière toutes celles dont ils peuvent abuser, pour opprimer le patriotisme ; mais comme un ami de la patrie et de l’humanité, convaincu que le salut public nous ordonne de nous réfugier à l’abri de la constitution, pour repousser les attaques et l’ambition du despotisme. » 

Chose plus surprenante, les Girondins avaient la passion de la guerre. A peine en poste, ils présentèrent les nobles émigrés réunis à Coblentz (Allemagne) comme un danger majeur et n’eurent de cesse d’engager la France dans une croisade pour la liberté. Leur but était double : détourner l’attention de leur politique intérieure et renflouer les finances publiques toujours mal en point avec du butin. Ils présentèrent également la guerre comme le moyen de démasquer le roi s’il trahissait. La suite leur donna raison mais prouva aussi que cet argument n’étaient pour eux qu’un prétexte.

Robespierre s’opposa de toutes ses forces à cette entreprise guerrière. Il prononça trois grands discours contre la guerre, les 18 décembre 1791, 2 et 11 janvier 1792. Selon lui, la guerre était inutile, les véritables ennemis de la Révolution étant à l’intérieur ; elle serait désastreuse, l’armée française étant désorganisée (en raison de l’émigration des officiers nobles et des conflits entre eux et la troupe), mal armée et les défenses de la France étant en ruine ; elle était dangereuse, car elle servait les desseins de la Cour qui en aurait la direction alors même qu’elle comptait sur les puissances étrangères pour étouffer la Révolution ; elle ruinerait la France ; elle dresserait contre la France les peuples étrangers (d’où son mot fameux : « Personne n’aime les missionnaires armés. ») ; elle exposerait au césarisme en cas de conflit prolongé. Ses arguments étaient sans réplique. Battus aux Jacobins dont ils faisaient alors partie, les Girondins travaillèrent l’Assemblée et les provinces. Le 20 avril 1792, Louis XVI, au nom de l’Assemblée nationale, déclarait la guerre à l’Empereur d’Autriche, une guerre inutile (les monarchies européennes, occupées à se déchirer entre elles, n’avaient pas l’intention de faire la guerre au pays le plus peuplé et le plus puissant d’Europe) qui allait durer plus de vingt ans. 

La guerre ayant été déclarée bien malgré lui, Robespierre ne songea plus qu’aux moyens de la gagner.

« Messieurs, puisque la guerre est décrétée, je suis aussi d’avis de conquérir le Brabant, les Pays Bas, Liège, la Flandre, etc. La seule chose qui doive nous occuper désormais, ce sont les moyens d’exécuter cette utile entreprise ; c’est-à-dire, dans ce moment il faut faire, comme je l’ai proposé plusieurs fois, non pas la guerre de la cour et des intrigans dont la cour se sert, et qui à leur tour se servent de la cour, mais la guerre du peuple ; il faut que le peuple français se lève désormais et s’arme tout entier, soit pour combattre au-dehors, soit pour veiller le despotisme au-dedans. [...] Qu’on ne vienne pas nous dire : la guerre est déclarée, il ne faut pas décourager nos généraux ; il faut avoir confiance dans les autorités constituées. Non : c’est maintenant sur-tout qu’il faut surveiller le pouvoir exécutif et les autorités constituées. A cette condition, je ne crains pas non plus le pouvoir exécutif, ni les intrigues des traîtres de l’intérieur ; mais pour remplir cette condition, il faut croire à ces intrigues. [...] Ce n’est pas le roi ; le roi est un homme qui veut l’autorité absolue ; c’est un homme qui par lui-même est incapable de concevoir ce projet ; le roi est un homme qui, s’il avait été entouré d’hommes capables de lui faire entendre ses intérêts, aurait courbé sa tête sous la constitution. [...] »

Comme prévu, les premières rencontres avec l’ennemi tournèrent à la déroute. Le 27 mai, l’Assemblée décréta la déportation des prêtres réfractaires (à la constitution civile du clergé) qui prêchaient la contre-révolution. Le 8 juin, à l’appel du ministre de la guerre, girondin, elle décréta l’établissement sous les murs de Paris d’un camp de 20.000 fédérés, c’est-à-dire de gardes nationaux tirés des départements. Craignant que les fédérés ne soient choisis parmi les contre-révolutionnaires, Robespierre dénonça cette mesure aux Jacobins (il changea d’avis quand il vit que les fédérés étaient des patriotes). Le 11 juin, le roi apposa son veto sur ces deux décrets et, le lendemain, renvoya les ministres girondins qui n’avaient plus d’utilité à ses yeux puisque la guerre était déclarée. Le 20 juin, malgré les efforts de Robespierre pour s’y opposer, les Girondins soulevèrent les quartiers populaires de Paris pour que le roi reprenne des ministres parmi eux. Le peuple envahit les Tuileries où résidait le roi. Louis XVI fut humilié mais ne céda rien. Apprenant cela, La Fayette qui commandait une armée (en toute illégalité) tomba le masque. Il accourut illégalement à Paris dans l’espoir de soulever la garde nationale pour écraser les Jacobins, mais elle ne répondit pas à son appel et il s’en retourna tout piteux. Brissot et Robespierre étaient enfin d’accord sur quelque chose : La Fayette était un traître (les patriotes le considéraient ainsi de longue date) ; l’Assemblée devait le décréter d’accusation. Mais tandis que les Girondins ne savaient plus à quel Saint se vouer, Robespierre qui, dès le 10 février, avait rejeté les mesures partielles ne vit plus de salut que dans une insurrection qui renverserait la monarchie.

Aux déclarations illusoires de l’Assemblée qui décréta la patrie en danger le 11 juillet, aux mesures dilatoires des Girondins qui, autoproclamés républicains en 1791, ne cessaient de ménager le roi en 1792 pour régner en sous-ordre et menaçaient alors les républicains « du glaive de la loi », Robespierre allait droit au but et comptait sur les fédérés pour l’atteindre. « Vous n’êtes point venus pour donner un vain spectacle à la capitale et à la France… Votre mission est de sauver l’état. » (Aux Jacobins, le 11 juillet) Tandis que l’Assemblée et les Girondins s’évertuaient à les envoyer aux frontières, lui n’avait de cesse de les retenir à Paris (16 juillet). C’est lui qui rédigea les pétitions indignées contre le roi et les faiblesses de l’Assemblée que les fédérés présentèrent en leur nom. C’est à son appel que les sections parisiennes abolirent la distinction entre citoyens actifs et passifs pour que tous les citoyens puissent intégrer la garde nationale. C’est chez lui que les premières réunions en vue d’une insurrection unissant fédérés et Parisiens se tinrent. C’est lui que Pétion, son ancien collègue, alors maire de Paris, vint trouver dans l’espoir d’arrêter l’insurrection. Mais les dés étaient jetés. L’Assemblée n’ayant pas satisfait à l’ultimatum des sections parisiennes de déchoir Louis XVI, les sections appuyées par les fédérés se mirent en branle dans la nuit du 9 au 10 août. Dans la nuit, la commune de Paris fut remplacée par une commune insurrectionnelle, dont fit partie Robespierre et qui fut le véritable pouvoir révolutionnaire pendant deux mois, d’où la haine des Girondins à son endroit. Au matin, le palais des Tuileries fut pris d’assaut, ses défenseurs (gardes suisses et royalistes) n’ayant pas voulu mettre bas les armes et ayant tirés sur la foule qui avançait pour fraterniser. Sous la pression, l’Assemblée suspendit le roi qui s’était réfugié auprès d’elle et se désavoua en convoquant pour le mois de septembre une convention nationale.

A noter que, contrairement aux souhaits exprimés par Robespierre, le 1er août, d’« une convention nationale, dont les membres seront élus directement par les assemblées primaires, et ne pourront être choisis parmi ceux de l’assemblée constituante ni de la première législature », les Girondins se gardèrent bien d’adopter cette disposition. Alors que Robespierre se fermait une nouvelle fois la porte de l’Assemblée, démontrant qu’il avait bien fait adopter le décret sur l’inéligibilité des constituants par principe, les Girondins démontraient, eux, leur soif de pouvoir. Les ayant combattus en tant que simple citoyen, ayant mesuré l’étendue de leur ineptie, et s’étant en outre persuadé de l’importance de son propre rôle, Robespierre brigua de nouveau la législature. Le 5 septembre 1792, il fut le premier député élu de Paris.

La Convention girondine

Le 21 septembre, au lendemain de la victoire de Valmy, la Convention nationale ouvrait sa session. La monarchie fut aussitôt abolie en France. Le lendemain, en adoptant la proposition de Billaud-Varenne, député de Paris, de dater tous les documents de l’an I de la République, celle-ci fut indirectement proclamée. Mais l’unanimité des premiers jours n’était qu’illusoire. Les députés de Paris savaient que les Girondins avaient fait tous leurs efforts pour sauver la monarchie et accabler les révolutionnaires, et ils avaient de plus contre eux la plupart des députés de province que la propagande de ces derniers, maîtres de tous les rouages de l’Etat, avaient trompés sur leur compte. Le temps et l’expérience allaient finir par ouvrir les yeux de la majorité sur l’inconséquence, la petitesse, l’irascibilité et, au final, la dangerosité des Girondins.

Dès le 25 septembre, les Girondins ouvrirent les hostilités contre les députés de Paris, notamment Robespierre, Danton et Marat, et suscitèrent la défiance envers Paris en proposant pour la Convention une garde composée d’hommes tirés de tous les départements afin « que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d’influence, comme chacun des autres départements ». La Convention rejeta ce projet, mais les Girondins appelèrent quand même officieusement des provinciaux à venir à Paris, lesquels, une fois sur place et mieux informés sur leur compte, se retournèrent contre eux. Le 29 octobre, Louvet attaqua vivement Robespierre en exposant un astucieux roman, synthèse de toutes les calomnies girondines, préparé depuis longtemps dans le salon de Mme Roland, égérie des Girondins. En conclusion, il demandait le bannissement de Robespierre et la mise en accusation de Marat. Le 5 novembre, du haut de la tribune de la Convention, Robespierre lui répondit en défendant non seulement sa personne, mais surtout Paris, la Commune et la révolution du 10 août, et en appelant finalement à la concorde.

« J’ai vu à cette barre tels citoyens qui ne sont pas des Clodius, mais qui, quelque temps avant la révolution du 10 août, avaient eu la prudence de se réfugier à Rouen, dénoncer emphatiquement la conduite du conseil de la commune de Paris. Des arrestations illégales ? Est-ce donc le code criminel à la main qu’il faut apprécier les précautions salutaires qu’exige le salut public, dans les temps de crise amenés par l’impuissance même des lois ? Que ne nous reprochez-vous aussi d’avoir brisé illégalement les plumes mercenaires, dont le métier était de propager l’imposture et de blasphémer contre la liberté ? Que n’instituez-vous une commission pour recueillir les plaintes des écrivains aristocratiques et royalistes ? Que ne nous reprochez-vous d’avoir consigné tous les conspirateurs aux portes de cette grande cité ? Que ne nous reprochez-vous d’avoir désarmé les citoyens suspects ? d’avoir écarté de nos assemblées, où nous délibérions sur le salut public, les ennemis reconnus de la Révolution ? Que ne faites-vous le procès à la fois, et à la municipalité, et à l’assemblée électorale, et aux sections de Paris, et aux assemblées primaires même des cantons, et à tous ceux qui nous ont imités ? Car toutes ces choses-là étaient illégales, aussi illégales que la révolution, que la chute du trône et de la Bastille, aussi illégale que la liberté elle-même ? Mais que dis-je ? Ce que je présentais comme une hypothèse absurde n’est qu’une réalité très certaine. On nous a accusés, en effet, de tout cela, et de bien d’autres choses encore. [...] Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? »

Ce discours fit une telle sensation que la Convention en vota l’impression à la quasi unanimité et ferma la bouche à Barbaroux et à Louvet qui voulurent répondre.

Les Girondins devaient subir une autre défaite dans l’affaire du roi que leurs personnalités avaient jusque-là permis de différer. Ils s’essayèrent jusqu’au bout à de nouvelles manœuvres dilatoires qui les discréditèrent un peu plus et gonflèrent encore les rangs des Montagnards (nom donné aux députés les plus radicaux dont Robespierre était un des principaux leaders). Après avoir argué de l’inviolabilité du roi, demandé le jugement par le peuple, puis l’appel au peuple du jugement de la Convention, ils votèrent la mort mais réclamèrent le sursis de l’exécution. La Convention finit par voter la mort sans sursis ni appel. Louis XVI fut exécuté le 21 janvier 1793. Dans cette affaire, Robespierre s’était déclaré pour l’exécution du roi sans jugement, considérant qu’il avait été jugé par l’insurrection du 10 août, que la Convention ne pouvait ni déjuger le peuple ni supposer le roi innocent.

« Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c’est une idée contre-révolutionnaire, car c’est mettre la révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, il peut être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé : mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? » (3 décembre 1792)

Pendant ce temps, le peuple était inquiet pour sa subsistance et réclamait la taxation des denrées. Mais tout ce dont étaient capables les Girondins était de lui répondre : « La seule chose peut-être que l’Assemblée puisse se permettre sur les subsistances, c’est de proclamer qu’elle ne doit rien faire » (Roland, 19 novembre). C’était là le paradoxe insurmontable des Girondins qui voulaient faire la guerre à l’Europe tout en méprisant les guerriers de la France. La victoire dans ces conditions était impossible et c’est pour l’avoir compris que les députés tout aussi bourgeois qu’eux mais plus réalistes se tournèrent de plus en plus vers la Montagne.

Comme les Girondins ne désarmaient pas contre les Montagnards (arrestation de Marat, le 13 avril) et Paris, comme ils avaient le don de soutenir les traîtres (La Fayette, Dumouriez) et d’exaspérer le peuple, comme ils étaient à l’évidence aussi incapables qu’arrogants, une nouvelle journée devint nécessaire. Le 3 avril, Robespierre appela les sections à s’armer. Le 2 juin 1793, la Commune de Paris fit cerner la Convention par la garde nationale (composée de civils) jusqu’à ce qu’elle décrète d’arrestation les principaux Girondins, soit 22, sans compter les ministres Clavière et Lebrun. Il ne s’agissait alors que de les mettre hors d’état de nuire. Ils devaient être simplement gardés à domicile. Mais la moitié d’entre eux profita de cette clémence pour s’enfuir et soulever les départements. (C’est de Caen, où nombre d’entre eux s’étaient retrouvés, qu’arriva Charlotte Corday pour assassiner Marat, le 13 juillet.) La guerre civile qu’ils préparaient depuis deux ans devenait réalité. Elle avait même déjà commencé en Vendée où, début mars, la levée de 300.000 hommes avait été l’étincelle. Elle venait aussi d’éclater à Lyon (29 mai).

 

La Convention montagnarde / L'an II

Aussitôt maîtres de la Convention, les Montagnards hâtèrent la rédaction d’une constitution. Les maîtres mots : souveraineté du peuple, égalité des citoyens, solidarité nationale. « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes libres. (art. 27 de la Déclaration) » « Le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire. (art. 121 de la constitution) »  Voilà pour le ton ! Le résultat fut la constitution la plus démocratique, la plus patriotique, la plus libre, la plus humaniste, la plus virile que la France ait connue et que, malheureusement, les circonstances ne permirent jamais d’appliquer. Les députés devaient être élus au suffrage universel et les lois, soumises à l’approbation du corps électoral (articles 56 à 60). La constitution elle-même devait être ratifiée par le peuple qui n’était pas souverain seulement en théorie, mais en pratique.

En préambule de cette constitution figurait une nouvelle déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui était grosso modo celle que Robespierre avait proposée aux Jacobins le 21 avril et que ces derniers avaient aussitôt adoptée à l’unanimité. Nombre d’articles étaient repris tels quels. Ainsi les articles 28 et 29 qui devinrent les articles 34 et 35 :

« Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. — Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Beaucoup n’avaient subit qu’une légère modification. Ainsi l’article 10 qui devint l’article 21 :

« Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux [La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, dans le texte original], soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. »

Mais la déclaration de Robespierre était plus sociale, plus démocratique et plus patriotique (internationaliste) encore que sa copie.

« Dans tout état libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvernent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse. (art. 19) Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect. (art. 34) Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même état. (art. 35) Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes. (art. 36) »

Chose plus significative encore, les bourgeois de la Convention n’avaient pas retenu ses articles sur la propriété qu’il définissait comme suit :

« La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de bien qui lui est garantie par la loi. (art. 6) Le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui. (art. 7) Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de nos semblables. (art. 8) Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral. (art. 9) »

La déclaration officielle disait simplement : « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. (art. 16) ». La propriété n’était donc pas reconnue comme un bienfait social mais comme une conquête individuelle. Elle n’avait plus pour borne les droits d’autrui. Les propriétaires pouvaient jouir sans entrave aux dépens de leurs concitoyens.

Il est à noter que c’est Robespierre qui, le 15 avril, avait décidé la Convention à faire précéder la constitution d’une déclaration au lieu de se précipiter, comme le voulait le Girondin Buzot, sur l’organisation du gouvernement. Le discours qu’il fit alors est caractéristique de sa tournure d’esprit, c’est-à-dire du bon sens qui lui ralliait les opinions :

« J’avoue que je ne conçois pas bien cette proposition ; qu’est-ce que l’organisation du gouvernement d’un peuple ? Ce n’est autre chose, si je ne me trompe, que les loix fondamentales qui forment sa constitution, qui constituent son gouvernement. Quelle est la base de la constitution et du gouvernement ? Ce sont, sans contredit, les droits des hommes. Quel est le but du gouvernement ? Quel est le but de la constitution ? C’est le bonheur des hommes, et par conséquent la conservation de leurs droits, de leur sûreté, de leur liberté, de leur propriété ; il faut donc avant d’instituer un gouvernement, bien déterminer et la nature et l’étendue des droits, dont la conservation est l’objet du gouvernement ; proposer de commencer par le gouvernement, c’est ne rien proposer, ou proposer la conséquence avant le principe. [...] Remarquez bien, citoyens, que le seul moyen de faire bien et même de faire vite cette constitution, c’est d’en établir d’abord les bases ; car, s’il n’est pas de principes posés, comment voulez-vous qu’on s’accorde sur les conséquences ? alors les discussions ne roulent que sur des détails et comme chacun part de bases et de principes opposés, qu’il modifie et qu’il appelle à son gré, parce qu’elles ne sont pas discutées dans l’opinion générale, il en résulte que la quantité des opinions est infinie, que les débats deviennent aussi interminables que tumultueux. Il faut donc pour procéder définitivement à une constitution, que chacun marche sur le même point : reconnaître les principes. »

Au sujet de la constitution, il est nécessaire de signaler le discours que Robespierre prononça à ce sujet le 10 mai 1793. Dans la mesure où Robespierre était l’âme des Jacobins, ses conceptions en la matière ne sont ni plus ni moins que le jacobinisme à l’état pur. Il est impossible de restituer ici l’ensemble de ses vues, mais il est utile de citer un passage qui tord le cou à la légende selon laquelle le jacobinisme serait par nature synonyme de centralisation :

« Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner : laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique, et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire. »

La centralisation que finit par connaître la Révolution doit moins à l’idéologie qu’aux circonstances et au processus engagé dans ce sens par la monarchie durant les siècles précédents.

Avec l’élimination des Girondins, le premier chapitre de la Convention était tourné. S’ouvrait la grande période révolutionnaire dite de l’an II, celles des défis et des titans, celle de la République assiégée et de la guerre civile, particulièrement terrible en Vendée, celle de la levée en masse, du maximum, de la déchristianisation, de la lutte des factions, de la Terreur, de la Convention montagnarde, de la prééminence du Comité de salut public, des ambitions sociales (suppression sans indemnité des droits féodaux, institution de l’école gratuite et obligatoire, adoption d’un embryon de sécurité sociale, abolition de l’esclavage), période qui s’achève le 10 thermidor, avec la mort de Robespierre et le retour en force de la bourgeoisie.

C’est cette période, durant laquelle Robespierre fut en première ligne, qui permit, en altérant les faits, d’étayer sa légende noire. Sept considérations à garder à l’esprit permettent cependant de révéler l’inanité de certaines controverses et de démasquer les impostures les plus manifestes et la mauvaise foi de ses détracteurs.

1) En l’an II, la République est déjà assiégée par toute l’Europe, tandis que la France est déchirée à l’intérieur par la guerre civile. Cette situation extrême eut fatalement des conséquences terribles et on peut même dire qu’elle conditionna toute la politique d’alors. Comment négliger un fait pareil ? Comment, en outre, oublier que Robespierre s’opposa de toutes ses forces à la déclaration de guerre et que les origines de la guerre civile remontaient aux politiques aristo-bourgeoise de la Constituante et bourgeoise, guerrière et anti-parisienne de la Gironde, politiques auxquelles Robespierre s’était également opposé ? En admettant qu’il fut un piètre pompier, du moins n’était-il pas le pyromane. Il est donc quelque peu hypocrite de lui jeter la pierre sans jamais songer à lapider les vrais responsables des problèmes dans lesquels les Montagnards durent se démener.

2) Les républicains qui venaient de renverser la monarchie avait en horreur le pouvoir personnel. La fonction présidentielle ne fut instituée que par De Gaulle, malgré les avanies de la gauche. A l’époque de la Révolution, une pareille fonction était inconcevable. Robespierre qui fut bien l’âme du Grand Comité au fort de la tempête n’eut donc jamais le pouvoir absolu et discrétionnaire que la légende lui prête. Les décisions importantes du Comité étaient prises collectivement. Ses collègues n’étaient d’ailleurs pas des marionnettes. C’étaient tous des hommes à poigne. Ils avaient autant de pouvoir que lui. Ils étaient libres d’en user. Ils le suivirent tant qu’ils furent d’accord avec lui ; ils l’écartèrent et finirent par le tuer quand ils se divisèrent. Robespierre n’avait la haute main ni sur l’armée, ni sur la police, ni sur le Trésor, pas même sur le Comité. S’il fut un dictateur, quel genre de dictateur était-il donc ? Le Comité de salut public lui-même n’avaient pas tous les pouvoirs pour la simple raison qu’il n’était pas le seul Comité et qu’il était, comme tous les comités, responsable devant la Convention qui pouvait s’opposer à ses décisions voire le casser, même si, pendant un an, elle reconduisit ses membres tous les mois. 

3) Il n’y avait pas de partis politiques (au sens moderne du terme) à cette époque. Chacun se faisait gloire d’être libre de ses opinions (1). Les Jacobins et les clubs en général étaient avant tout des lieux de discussion. Ils réunissaient des individus opposés à certaines choses mais sans doctrine quant au reste, d’où leurs divisions internes. Ils étaient organisés pour fonctionner mais leurs membres étaient égaux, il n’y avait pas de hiérarchie entre eux. Tous pouvaient s’exprimer, et de la foule des orateurs émergeaient des leaders d’opinion qui n’étaient suivis et soutenus que dans la mesure où ils étaient convaincants. Il en était de même à la Convention et dans les Comités. Des tendances, des groupes se distinguaient mais les députés n’en étaient pas prisonniers et votaient, sur chaque sujet, selon leurs convictions. Nul ne pouvait être certain d’être toujours approuvé. Chaque débat était un combat pour rallier la majorité. Robespierre qui fut souvent suivi par la Convention, qui parvint même, en quelques occasions, à la retourner complètement par la seule force de ses arguments, ne fut pas toujours écouté, pas même par les Montagnards. Sa position n’était donc en rien celle d’un dictateur qui a le pouvoir et l’exerce sans consulter personne. Sa politique comme celle du Comité était moins l’expression de ses désirs qu’une adaptation aux besoins et aux pressions du moment.

4) La Révolution se déroula au XVIIIe siècle, à une époque où les moyens de circulation et de communication étaient encore rudimentaires. L’action sur le terrain, loin de Paris, dépendait essentiellement des hommes sur place. Le pouvoir ne pouvait donc agir qu’en dépêchant des hommes (agents divers, généraux, représentants en mission) qui, une fois livrés à eux-mêmes, étaient libres de faire et firent souvent ce qu’ils voulaient. En comparant leurs actes avec leurs ordres formels (ou l’esprit de ces ordres), il apparaît que les abus et les excès ne furent jamais ordonnés par la Convention ou le Comité, encore moins par Robespierre. Ils sont davantage imputables à des individus qu’à la Révolution. Il est vrai que cette limite technologique aurait moins pesé si le pouvoir avait été plus stable, plus structuré, plus strict et plus efficace, comme sous un Louis XIV ou un Napoléon. Mais c’est encore la preuve que le Comité de salut public n’avait pas un tel pouvoir, et que Robespierre en particulier, même en supposant qu’il ait été le maître du Comité, n’était pas plus un dictateur qu’il n’avait les moyens, ni la volonté d’ailleurs, d’en être un.

5) Les nations sont toujours en conflit, même en temps de paix apparente. La guerre secrète ne cesse jamais et est bien sûr plus intense en temps de guerre. Un aspect peu étudié de la Révolution, et surtout peu signalé, est l’influence des services secrets étrangers sur les événements durant cette période. Personne ne peut croire qu’ils cessèrent toute activité. Il est au contraire dans la logique des choses qu’ils en déployèrent une extraordinaire pour faire échec aux révolutionnaires et à la Révolution. Leurs efforts consistèrent fatalement à diviser, affaiblir, appauvrir, ruiner, désarmer, calomnier,  discréditer, déshonorer, désinformer, désorganiser, troubler, apitoyer, assassiner, soudoyer, exciter, exagérer, minorer, décourager, etc.. Le propre des agents secrets actifs est soit d’agir dans l’ombre soit de s’agiter au grand jour. On ne peut que deviner leur présence en constatant les effets de leur action ou, au mieux, les prendre pour des traîtres, des tarés, des crapules ou des idiots ordinaires. En l’occurrence, toutes les difficultés de la Révolution, tous les crimes et les excès commis en son nom ne furent pas l’œuvre des services secrets étrangers ou de gens manipulés ou financés par eux, mais c’est cependant à bon droit que les révolutionnaires, et Robespierre en particulier, accusèrent l’Etranger ou du moins soupçonnèrent-ils sa main derrière chaque action ou opinion intrinsèquement contre-révolutionnaire, car, à défaut d’être responsable de tous, tous faisaient son jeu. Le « complot de l’Etranger » qu’ils invoquèrent souvent n’avait peut-être pas l’unité qu’ils imaginaient ; les manœuvres étrangères n’en étaient pas moins réelles et redoutables. Si l’accusation de connivence avec l’Etranger fut rarement prouvée (chose toujours difficile à faire), elle fut souvent justifiée d’un point de vue dialectique et importait d’ailleurs moins que les faits reprochés. Bref, s’il est impossible de mesurer l’impact (concret et psychologique) de l’activité des services étrangers sur la Révolution, elle existât fatalement et fût assurément négative pour l’image de la Révolution et des révolutionnaires auxquels il est donc injuste d’attribuer certains faits et de reprocher certaines erreurs.

6) Robespierre était un homme sensible, réfléchi, honnête et ferme, mais modéré. Le peindre comme un être sanguinaire rend incompréhensible ses positions et oblige à expliquer les faits de manière invraisemblable voire à les dénaturer pour corroborer la légende. La meilleure preuve n’est-elle pas que le 9 thermidor fut l’œuvre des hommes de sang et de rapines ? Tous les hommes violents et corrompus le haïssaient. Tous les opprimés se tournaient vers lui. Il avait dit, aux Girondins, le 5 novembre 1792 : « Vous saurez un jour quel prix vous devez attacher à la modération de l’ennemi que vous vouliez perdre. » Or c’est bien lui qui sauva d’une mort certaine les « 73 » députés qui protestèrent contre l’expulsion des Girondins. Des dizaines de faits attestent sa modération dans tous les domaines. Mais Robespierre n’était pas seul. Il avait des collègues, des ennemis ; il y avait la Convention, des factions ; il y avait aussi le peuple. S’il fut un personnage central de la Révolution, tout ce qui se fit en l’an II, en particulier les excès (à ne pas confondre avec les rigueurs nécessaires), ne peut honnêtement lui être imputé.

7) Tous les protagonistes de la période révolutionnaire, incarnant chacun des systèmes différents voire opposés, dans tous les cas inconciliables, se livraient une guère à mort. Les chefs en particulier ne devaient attendre aucune pitié de la part de leurs adversaires. Il y eut quelques violences avant 1792 (du peuple sur les nobles ou des bourgeois sur le peuple). Mais c’est une fois de plus la guerre voulue par la Cour et les Girondins qui, dès 1792, bien avant 1793, déchaîna les passions et plongea la Révolution dans un cycle infernal. Les victimes ne méritent pas plus de larmes que leurs vainqueurs ne méritent d’invectives. C’était la guerre. Vaincre ou mourir était la règle du jeu. Tous la connaissaient ; tous l’appliquèrent bon gré malgré quand ils eurent la force pour eux. Ce mot de Hérault de Séchelles qui ne passait pas précisément pour un sauvage et qui paya même de sa tête le fait d’avoir été soupçonné de livrer à l’ennemi les secrets du Comité illustre bien cet état d’esprit : « Il faut sans rémission évacuer, renfermer tout individu suspect. La liberté ne compose pas. Nous pourrons être humains quand nous serons assurés d’être vainqueurs. » (Lettre à Carrier, représentant dans la Seine-Inférieure, 29 septembre 1793) 

Deux mois après l’expulsion des Girondins de la Convention, Robespierre fut élu membre du Comité de salut public (27 juillet). Etant donné son passé et son renom, il devint aussitôt l’incarnation du Comité aux yeux du grand public et des étrangers. Il lui apporta son énergie, sa détermination, son prestige. Son objectif : à l’extérieur, la paix dans la victoire ; à l’intérieur, paix civile et justice sociale. Mais, pour avoir la paix, il fallait frapper juste, fort et vite, non se coucher (comme Danton) ; il fallait stabiliser le pouvoir pour qu’il puisse agir avec la vigueur requise, donc asseoir l’autorité du Comité, défendre son existence, son action et ses membres ; il fallait éviter de multiplier les ennemis de la République, la faire aimer du peuple, la mettre dans tous les domaines en état de vaincre, étouffer les voix divergentes et écraser les ennemis irréductibles.

La victoire n’était pas seulement au bout du fusil ; elle était un tout. Robespierre s’intéressait donc à tout, comme le montrent les notes dans ses carnets, quoiqu’il s’occupa essentiellement de politique générale. Nous ne pouvons ici rapporter ni même évoquer toutes les affaires dans lesquelles il intervînt. Nous ne retiendrons que les six plus importants sujets, objets de polémiques : la déchristianisation, la Terreur, l’idéal de la Révolution, les factions, l’Etre suprême et la loi du 22 prairial.

La déchristianisation.

L’assassinat de Marat avait fait de lui un martyr et donné lieu à des processions populaires en sa mémoire, mouvement que l’on appela culte des martyrs. Les révolutionnaires avaient leur trinité : Le Pelletier de Saint-Fargeau (ami de Robespierre, assassiné à Paris le 20 janvier), Chalier (maire de Lyon, exécuté) et Marat. Ce « culte » païen, combiné au dépouillement des églises à des fins militaires ou financières, ouvrit la porte au culte « religieux » de la Raison. Initié, le 26 septembre, dans la Nièvre par Fouché qui était athée, ce nouveau culte se répandit commune une traînée de poudre, d’abord à Paris, grâce à Chaumette, procureur syndic de la Commune, puis dans tout le pays par le biais des représentants en mission. Mais, contrairement à Fouché et Chaumette, ceux que l’on appelle les déchristianisateurs n’étaient pas athées, pas même les plus virulents. Généralement, rousseauistes, ils étaient déistes pour la plupart. Ils croyaient en Dieu, sous quelque nom que ce soit, mais rejetaient les dogmes du catholicisme et l’emprise de l’Eglise. L’implication du clergé dans la contre-révolution décupla leur hostilité envers lui et ils résolurent de le balayer. Pour la plupart des adeptes, le culte de la Raison n’était donc que leur affirmation de la croyance en Dieu, en un Etre suprême, laquelle se passait de prêtres.

Ce mouvement eut un énorme succès auprès des Sans-culottes (ouvriers, petits patrons) et des bourgeois, notamment dans les villes. Les prêtres, les évêques abdiquaient en masse, qui volontairement, qui sous la contrainte, qui dans un but contre-révolutionnaires. Les scènes d’abdication se succédaient dans les clubs et à la Convention. Les églises étaient fermées d’autorité. C’est dans cette ambiance que, le 5 octobre, la Convention adopta le principe du calendrier républicain qui, remplaçant les semaines par des décades, supprimait au passage les dimanches. Robespierre était hostile à l’adoption de ce calendrier comme il était viscéralement hostile au culte de la Raison. Il se trompait quand il pensait que les adeptes de ce culte étaient athées, l’athéisme étant pour lui synonyme d’immoralité bourgeoise et aristocratique, mais il avait raison quand il craignait que, mal interprété comme il l’avait fait lui-même, ce culte ne soit du pain béni pour la propagande contre-révolutionnaire des autres pays européens, tous chrétiens, et ne dresse également les Français attachés au culte catholique contre la Révolution. En somme, il considérait ce mouvement comme contre-révolutionnaire et ses promoteurs comme des agents de l’Etranger.

Ses craintes, partagées par tous ses collègues du Comité, n’étaient que trop justifiées. Des centaines de mouvements quasi insurrectionnels agitèrent la France (cf. les lettres des représentants en mission). Le 21 novembre, alors que le flot semblait irrésistible, il jeta tout son prestige dans la balance. Ce fut un coup de tonnerre. Sa rhétorique imparable atterra ses détracteurs. Le discours qu’il prononça aux Jacobins à cette occasion, sous les applaudissements, contient tout ce qu’il dit par la suite sur le même sujet, mais surtout tout ce qui fonde la laïcité aujourd’hui, d’où l’importance de le citer longuement.

« Je ne vois plus qu’un seul moyen de réveiller parmi nous le fanatisme, c’est d’affecter de croire à sa puissance. Le fanatisme est un animal féroce et capricieux ; il fuyait devant la raison : poursuivez-le avec de grands cris, il retournera sur ses pas. […] Que des citoyens, animés par un zèle pur, viennent déposer sur l’autel de la patrie, les monumens inutiles et pompeux de la superstition pour les faire servir à son triomphe, la patrie et la raison sourient à ces offrandes. Que d’autres renoncent à telles ou telles cérémonies et adoptent sur toutes ces choses l’opinion qui leur paraît la plus conforme à la vérité, la raison et la philosophie peuvent applaudir à leur conduite. Mais de quel droit l’aristocratie et l’hypocrisie viendraient-elles ici mêler leur influence à celle du civisme et de la vertu ? De quel droit des hommes inconnus jusqu’ici dans la carrière de la Révolution, viendraient-ils chercher, au milieu de tous ces événemens, les moyens d’usurper une fausse popularité, d’entraîner les patriotes même à de fausses mesures, et de jeter parmi nous le trouble et la discorde ? De quel droit viendraient-ils troubler la liberté des cultes, au nom de la liberté, et attaquer le fanatisme par un fanatisme nouveau ? De quel droit feraient-ils dégénérer les hommages solennels rendus à la vérité pure, en des farces éternelles et ridicules ? Pourquoi permettrait-on de se jouer ainsi de la dignité du peuple, et d’attacher les grelots de la folie au sceptre même de la philosophie.
« On a supposé qu’en accueillant des offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n’a point fait cette démarche téméraire. La Convention ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes qu’elle a proclamée et de réprimer en même-temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l’ordre public ; elle ne permettra pas qu’on persécute les ministres paisibles du culte, et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu’ils oseront se prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens et pour armer les préjugés ou le royalisme contre la République. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ! ils la diront plus longtemps si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe.
« Il est des hommes qui veulent aller plus loin ; qui, sous le prétexte de détruire la superstition, veulent faire une sorte de religion de l’athéisme lui-même. Tout philosophe, tout individu, peut adopter là-dessus l’opinion qui lui plaira. Quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé ; mais l’homme public, mais le législateur, serait cent fois plus insensé, qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l’abhorre. La Convention n’est point un faiseur de livres, un auteur de systêmes métaphysiques ; c’est un corps politique et populaire, chargé de faire respecter, non seulement les droits, mais le caractère du peuple français. Ce n’est point en vain qu’elle a proclamé la Déclaration des droits de l’homme en présence de l’Être suprême.
« On dira peut-être que je suis un esprit étroit, un homme à préjugés ; que sais-je, un fanatique. J’ai déjà dit que je ne parlais ni comme un individu, ni comme un philosophe systématique, mais comme un représentant du peuple. L’athéisme est aristocratique ; l’idée d’un grand être qui veille sur l’innocence opprimée, et qui punit le crime triomphant, est toute populaire. Le peuple, les malheureux m’applaudissent ; si je trouvais des censeurs, ce serait parmi les riches et parmi les coupables. J’ai été, dès le collège, un assez mauvais catholique ; je n’ai jamais été ni un ami froid, ni un défenseur infidèle de l’humanité. Je n’en suis que plus attaché aux idées morales et politiques que je viens de vous exposer. Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.
« Je parle dans une tribune où l’impudent Guadet osa me faire une crime d’avoir prononcé le mot de Providence [26 mars 1792]. Et dans quel tems ? Lorsque le cœur ulcéré de tous les crimes dont nous étions les témoins et les victimes ; lorsque, versant des larmes amères et impuissantes sur la misère du peuple éternellement trahi, éternellement opprimé, je cherchais à m’élever au-dessus de la tourbe impure des conspirateurs dont j’étais environné en invoquant contre eux la vengeance céleste, à défaut de la foudre populaire. Ce sentiment est gravé dans tous les cœurs sensibles et purs ; il anima dans tous les temps les plus magnanimes défenseurs de la liberté. Aussi long-temps qu’il existera des tyrans, il sera une consolation douce au cœur des opprimés ; et si jamais la tyrannie pouvait renaître parmi nous, quelle est l’âme énergique et vertueuse qui n’appellerait point en secret, de son triomphe sacrilège, à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l’arrêt de mort de tous les tyrans. Il me semble du moins que le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l’Europe et de l’univers ; c’est celui du peuple français. Ce peuple n’est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses ; il ne l’est qu’au culte en lui-même, c’est-à-dire à l’idée d’une puissance incompréhensible, l’effroi du crime et le soutien de la vertu, à qui il se plaît à rendre des hommages qui sont autant d’anathèmes contre l’injustice et contre le crime triomphant. […]
« Ne voyez-vous pas le piège que nous tendent les ennemis de la République et les lâches émissaires des tyrans étrangers ? En présentant comme l’opinion générale, les travers de quelques individus et leur propre extravagance, ils voudraient nous rendre odieux à tous les peuples pour affermir les trônes chancelans des scélérats qui les oppriment. Quel est le tems qu’ils ont choisi pour ces machinations ? Celui où leurs armées combinées ont été vaincues ou repoussées par le génie républicain, celui où ils veulent étouffer les murmures des peuples fatigués ou indignés de leur tyrannie ; celui où ils pressent les nations neutres et alliées de la France de se déclarer contre nous. Les lâches ne veulent que réaliser toutes les calomnies grossières dont l’Europe entière reconnaissait l’impudence, et repousser de vous par les préjugés ou par les opinions religieuses, ceux que la morale et l’intérêt commun attiraient vers la cause sublime et sainte que nous défendons. Je le répète ; nous n’avons plus d’autre fanatisme à craindre que celui des hommes immoraux soudoyés par les cours étrangères pour éveiller le fanatisme et pour donner à notre Révolution le vernis de l’immoralité qui est le caractère de nos lâches et féroces ennemis. »

Le 5 décembre, au nom du Comité de salut public, Robespierre proposa à la Convention, qui l’adopta, une réponse au manifeste des rois ligués contre la République. En préambule, il revenait sur la machiavélisme de la déchristianisation et introduisait un nouveau thème, celui des factions, rivales et contraires en apparence, mais tendant de fait au même but : la ruine de la République. 

« Toujours attentifs à renouer les fils de leurs trames funestes, à mesures qu’ils sont rompus par la main du patriotisme ; toujours habiles à tourner les armes de la liberté contre la liberté même, les émissaires des ennemis de la France travaillent aujourd’hui à renverser la République par républicanisme, et à rallumer la guerre civile par philosophie. Avec ce grand système de subversion et d’hypocrisie, coïncide merveilleusement un plan perfide de diffamation contre la Convention nationale et contre la nation elle-même. Tandis que la perfidie ou l’imprudence, tantôt énervait l’énergie des mesures révolutionnaires commandée par le salut de la patrie, tantôt les laissait sans exécution, tantôt les exagérait avec malice, ou les appliquait à contre-sens ; tandis qu’au milieu de ces embarras, les agens des puissances étrangères mettant en œuvre tous les mobiles, détournaient notre attention des véritables dangers et des besoins pressans de la République, pour la tourner toute entière vers les idées religieuses ; tandis qu’à une révolution politique ils cherchaient à substituer une révolution nouvelle, pour donner le change à la raison publique et à l’énergie du patriotisme ; tandis que les mêmes hommes attaquaient ouvertement tous les cultes, et encourageaient secrètement le fanatisme ; tandis qu’au même instant ils faisaient retentir la France entière de leurs déclamations insensées, et osaient abuser du nom de la Convention nationale pour justifier les extravagances réfléchies de l’aristocratie déguisée sous le manteau de la folie : les ennemis de la France marchandaient de nouveaux ports, vos généraux, vos armées ; rassuraient le fédéralisme épouvanté, intriguaient chez tous les peuples étrangers pour multiplier vos ennemis. Ils armaient contre vous les prêtres de toutes les nations ; ils opposaient l’empire des opinions religieuses à l’ascendant naturel de vos principes moraux et politiques ; et les manifestes de tous les gouvernemens nous dénonçaient à l’Univers comme un peuple de fous et d’athées. C’est à la Convention nationale d’intervenir entre le fanatisme qu’on réveille et le patriotisme qu’on veut égarer, et de rallier tous les citoyens aux principes de la liberté, de la raison et de la justice. Les législateurs qui aiment la patrie, et qui ont le courage de la sauver, ne doivent pas ressembler à des roseaux sans cesse agités par le souffle des factions étrangères. »

Le 8 décembre (18 frimaire), la Convention confirmait son décret sur la liberté des cultes. La déchristianisation violente était terminée, du moins à Paris.

La Terreur.

Eté 1793. La République faisait front de tous côtés. Au nord, les Anglais. Au nord-est, les Prussiens et les Autrichiens. A l’est, les Piémontais. Au sud-ouest, les Espagnols. A l’intérieur, les Vendéens ravageaient l’Ouest, les Toulonnais accueillaient les anglo-espagnols, les Marseillais menaçaient de faire de même, les Lyonnais défiaient la République. La trahison était partout à craindre. Partout des réticences, l’égoïsme et la corruption à comprimer. A Paris, les prix avaient augmenté, le peuple avait faim. Et avec cela, plus d’hommes que jamais sous les drapeaux (décret de levée en masse, le 23 août), autant de bras en moins dans les champs et les ateliers pour répondre aux besoins ordinaires et extraordinaires de la France.

Au matin du 5 septembre, la Convention adopta la réorganisation du tribunal révolutionnaire selon le projet de Merlin (de Douai), membre du Comité de législation. Son activité allait croître. Le même jour, à midi, les ouvriers parisiens qui, la veille, s’étaient rassemblés à la Commune, envahirent la Convention, brandissant des pancartes : « Guerre aux tyrans, guerre aux aristocrates, guerre aux accapareurs ». Robespierre présidait (un nouveau président était élu toutes les deux semaines) et laissa rapidement sa place à Thuriot. A la demande de Danton, une indemnité est votée pour que les sans-culottes puissent assister à la séance de leur section. La demande de Basire, appuyée par Léonard Bourdon et Billaud-Varenne (élu le lendemain au Comité de salut public), de définir le terme gens suspects et d’épurer les comités révolutionnaires est votée. Sur un rapport de Barère, fait au nom du Comité de salut public, la formation d’une armée révolutionnaire fut décrétée. Jeanbon Saint-André, lui aussi membre du Comité de salut public, réclama et obtint la possibilité d’effectuer des visites domiciliaires la nuit. Sans qu’elle ait été décrétée, la Terreur était désormais à l’ordre du jour. Robespierre n’y était pour rien. Tout au plus était-il d’accord avec les mesures adoptées (le 25 août, il avait parlé aux Jacobins de la nécessité de réorganiser le Tribunal révolutionnaire).

Les propositions décrétées furent convertis en décret les jours suivants. Le 9 septembre, la Convention votait l’organisation de l’armée révolutionnaire, suspendait la permanence des Sections (deux séances par semaine), et l’indemnisation des sectionnaires pauvres. Le 11, elle décrétait le maximum des prix. Le 17, elle votait la loi des suspects présentée par Merlin (de Douai). La définition des suspects était on ne peut plus large. Le 10 octobre, la Convention, sur le rapport de Saint-Just, membre du Comité de salut public, fait à la demande de la Convention elle-même (le 4 octobre), décréta que le gouvernement serait révolutionnaire jusqu’à la paix. Le 4 décembre (14 frimaire an II), l’organisation du gouvernement révolutionnaire était votée sur un rapport de Billaud-Varenne. (Notons qu’il fallut des mois pour le mettre en place partout, pour établir partout des autorités ayant la confiance du Comité, cœur du dispositif, et que, de ce fait, il ne fonctionna pleinement guère plus de quelques mois avant le 9 thermidor.) Toutes ces étapes montrent que les révolutionnaires agirent de manière empirique, pour répondre aux exigences des circonstances, et non par idéologie ni par plaisir.

Ce n’est que le 25 décembre (5 nivôse an II), trois mois après que la Terreur ait été instaurée de fait (une éternité en ce temps-là), que Robespierre la théorisa. Il n’en n’était pas l’instigateur. Il ne fut que la voix d’un régime légitime et humaniste aux abois. Son rapport sur les principes du gouvernement révolutionnaire fut acclamé, sanctionné par la Convention. Il suffit de le lire pour comprendre pourquoi.

« La théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi neuve que la révolution qui l'a amené. Il ne faut pas la chercher dans les livres des écrivains politiques, qui n'ont point prévu cette révolution, ni dans les lois des tyrans, qui, contens d'abuser de leur puissance, s'occupent peu d'en rechercher la légitimité ; aussi ce mot n'est-il pour l'aristocratie qu'un sujet de terreur ou un texte de calomnie ; pour les tyrans, qu'un scandale, pour bien des gens, qu'une énigme ; il faut l'expliquer à tous pour rallier au moins les bons citoyens aux principes de l'intérêt public.
« La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de la nation vers le but de son institution.
« Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder.
« La Révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ; la Constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible.
« Le gouvernement révolutionnaire a besoin d'une activité extraordinaire, précisément parce qu'il est en guerre. Il est soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses, parce que les circonstances où il se trouve sont orageuses et mobiles, et surtout parce qu'il est forcé de déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides, pour des dangers nouveaux et pressans.
« Le gouvernement constitutionnel s'occupe principalement de la liberté civile : et le gouvernement révolutionnaire, de la liberté publique. Sous le régime constitutionnel, il suffit presque de protéger les individus contre les abus de la puissance publique : sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre contre toutes les factions qui l'attaquent.
« Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort.
« Ces notions suffisent pour expliquer l’origine et la nature des lois que nous appelons révolutionnaires. Ceux qui les nomment arbitraires ou tyranniques sont des sophistes stupides ou pervers qui cherchent à confondre les contraires : ils veulent soumettre au même régime la paix et la guerre, la santé et la maladie, ou plutôt ils ne veulent que la résurrection de la tyrannie et la mort de la patrie. S'ils invoquent l'exécution littérale des adages constitutionnels, ce n'est que pour les violer impunément. Ce sont de lâches assassins qui, pour égorger sans péril la République au berceau, s'efforcent de la garrotter avec des maximes vagues dont ils savent bien se dégager eux-mêmes.
« Le vaisseau constitutionnel n'a point été construit pour rester toujours dans le chantier ; mais fallait-il le lancer à la mer au fort de la tempête, et sous l'influence de vents contraires ? C'est ce que voulaient les tyrans et les esclaves qui s'étaient opposés à sa construction ; mais le peuple français vous a ordonné d'attendre le retour au calme. Ses voeux unanimes, couvrant tout-à-coup les clameurs de l'aristocratie et du fédéralisme, vous ont commandé de le délivrer d'abord de tous ses ennemis.
« Il doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ; le modérantisme, qui est à la modération, ce que l’impuissance est à la chasteté, et l’excès qui ressemble à l’énergie, comme l’hydropisie à la santé. [...] S’il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressource qu’un cadavre. [...] Si donc on regardait comme criminels tous ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, auraient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, on envelopperait dans une proscription commune, avec les mauvais citoyens, tous les amis naturels de la liberté, vos propres amis et tous les appuis de la république.
« En indiquant les devoirs du gouvernement révolutionnaire, nous avons marqué ses écueils. Plus son pouvoir est grand, plus son action est libre et rapide, plus il doit être dirigé par la bonne foi. Le jour où il tombera dans des mains impures ou perfides, la liberté sera perdue ; son nom deviendra le prétexte et l’excuse de la contre-révolution même ; son énergie sera celle d’un poison violent. [...] »

On chercherait en vain dans ce discours, comme dans les autres, une trace de folie. Tout est logique, justifié, raisonnable, à la hauteur des circonstances. L’homme qui fit ce rapport n’était pas altéré de sang. Moins d’une semaine plus tôt, le 20 décembre, c’est sur sa proposition et dans ses propres termes que la Convention avait décrété la création d’une commission chargée de rechercher et de faire libérer les patriotes arrêtés à tort : souci de justice sans tomber dans l’excès du modérantisme ou de l’indulgence. Mais le 24 décembre, Camille Desmoulins, son ami d’enfance et instrument de Danton, appela, dans son journal Le vieux Cordelier, à la création d’un comité de clémence. En dénaturant la proposition de Robespierre, en cherchant à substituer l’angélisme à la justice (révolutionnaire), Camille Desmoulins suscita la réaction de Billaud-Varenne qui, le 26, fit rapporter le décret, non sans que Robespierre le défendisse à nouveau, en vain cette fois. Cet épisode dit tout.

Robespierre affina encore sa théorie le 5 février (17 pluviôse an II). La violence — la violence d’Etat — est nécessaire quand l’Etat est en péril. Cette violence était du reste préférable à la violence populaire, telle qu’elle avait pu se déchaîner en septembre 1792. Mais, comme toute chose, elle recelait des pièges et des dangers à éviter autant que faire se pourrait.  

« Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressans besoins de la patrie.
« On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté, ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; il a raison, comme despote : domptez par la terreur les ennemis de la liberté ; et vous aurez raison comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n’est-elle faite que pour protéger le crime ? [...]
« Jusqu’à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du peuple, barbarie ou rébellion ? Comme on est tendre pour les oppresseurs, et inexorables pour les opprimés ! Rien de plus naturel : quiconque ne hait point le crime, ne peut aimer la vertu. [...] Punir les oppresseurs de l’humanité, c’est clémence ; leur pardonner, c’est barbarie. [...] La rigueur des tyrans n’a pour principe que la rigueur : celle du gouvernement républicain part de la bienfaisance. Aussi, malheur à celui qui oserait diriger vers le peuple la terreur qui ne doit approcher que de ses ennemis ! Malheur à celui qui, confondant les erreurs inévitables du civisme avec les erreurs calculées de la perfidie, ou avec les attentats des conspirateurs, abandonne l’intrigant dangereux, pour poursuivre le citoyen paisible ! Périsse le scélérat qui ose abuser du nom sacré de la liberté, ou des armes redoutables qu’elle lui a confiées, pour porter le deuil ou la mort dans le cœur des patriotes ! Cet abus a existé, on ne peut en douter. Il a été exagéré, sans doute, par l’aristocratie : mais existât-il dans toute la république qu’un seul homme vertueux persécuté par les ennemis de la liberté, le devoir du gouvernement serait de la rechercher avec inquiétude, et de le venger avec éclat. [...] »

Pour Robespierre, il ne s’agissait pas là que de rhétorique. Telle fut bien la position qu’il adopta, qu’il essaya de faire prévaloir et qui fit de tous les extrémistes de la Terreur et de tous les pourris ses ennemis personnels. C’est eux, Fouché en tête, qui eurent sa peau.

L’idéal de la Révolution

Ce fameux rapport du 17 pluviôse sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République ne concernait pas seulement la Terreur, la République en guerre, il indiquait aussi l’idéal que la Révolution se proposait d’atteindre.

« Il faut prendre de loin ses précautions pour remettre les destinées de la liberté dans les mains de la vérité qui est éternelle, plus que dans celle des hommes qui passent, de manière que si le gouvernement oublie les intérêts du peuple, ou qu’il retombe entre les mains des hommes corrompus, selon le cours naturel des choses, la lumière des principes reconnus éclaire ses trahisons, et que toute faction nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du crime.
« Heureux le peuple qui peut arriver à ce point ! car, quelques nouveaux outrages qu’on lui prépare, quelles ressources ne présente pas un ordre des choses où la raison publique est la garantie de la liberté !
« Quel est le but où nous tendons ? la jouissance paisible de la liberté et de l’égalité ; le règne de cette justice éternelle, dont les lois ont été gravées, non sur le marbre ou sur la pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes, même dans celui de l’esclave qui les oublie, et du tyran qui les nie.
« Nous voulons substituer, dans notre pays, la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l’éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire, toutes les vertus et tous les miracles de la République, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.
« Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l’effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l’ornement de l’univers, et qu’en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir briller au moins l’aurore de la félicité universelle… Voilà notre ambition, voilà notre but.
« Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges ? Le seul gouvernement démocratique ou républicain : ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l’aristocratie n’est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n’est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière : un tel gouvernement n’a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.
« La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même.
« C’est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.
« Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la Révolution : tel est le but du système révolutionnaire que vous avez régularisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la République ; et le plan de votre administration doit être le résultat de l’esprit du gouvernement révolutionnaire, combiné avec les principes généraux de la démocratie. »

C’est finalement cet idéal, formulé par Robespierre, et, de manière générale, l’esprit égalitaire et démocratique de l’an II, dont Robespierre était là encore le champion, que tous les peuples et la postérité ont retenu comme étant l’idéal et l’esprit de la grande Révolution française, plus encore que les déclarations aristo-bourgeoises de 1789. C’est aussi la devise formulée par Robespierre que la République française fit sienne jusqu’à nos jours. Il n’y a pas de hasard.

L’an II fut sur tous les plans le moment fort de la Révolution, et Robespierre, le personnage le plus illustre du moment. Et ce n’est pas en raison du sang versé sous la Terreur que les bourgeois — qui en firent couler des torrents en d’autres temps — s’efforcèrent, par la suite, de noircir cette époque et Robespierre pour mettre en valeur 1789 et La Fayette mais parce que les idées qui furent alors développées étaient et sont encore une condamnation de leurs sophismes, de leur mesquinerie, de leur mépris pour le peuple, de leur lâcheté à l’heure du danger. Les idées d’un Robespierre sont encore révolutionnaires aujourd’hui à bien des égards, donc subversives et à étouffer pour ceux qui veulent que le peuple demeure nul. Pour étouffer ses idées, pour que personne ne s’y intéresse, il fallait salir, rendre exécrable ou faire oublier l’homme qui, deux jours avant d’être exécuté, déclarait encore du haut de la tribune de la Convention :

« Peuple, souviens-toi que si, dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l'amour de l'égalité et de la patrie, la liberté n'est qu'un vain nom. Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise ; toi, souverain reconnu qu'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes et non de destinées.
« Souviens-toi qu'il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, qui a plus d'influence que toi-même sur tes propres affaires, et que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique.
« Sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre la cause et la morale publique sera accablé d'avanies et proscrit par les fripons ; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d'avoir trahi seront accusés d'ambition ; que l'influence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n'osant t'attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu'à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie. Tel est l'empire des tyrans armés contre nous : telle est l'influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir.
« Ainsi donc, les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d'être appelés dictateurs. Souscrirons-nous à cette loi ? Non : défendons le peuple, au risque d'en être estimés ; qu'ils courent à l'échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu. »

Le lendemain, les brigands triomphaient. Robespierre, son frère, ses amis, ses partisans étaient conduits à l’échafaud. C’en était fait de la Révolution. L’aristocratie de Largent s’installait définitivement au pouvoir.

Les factions

Même d’accord sur un but, les hommes peuvent diverger sur la question des moyens. Ils divergent d’autant plus sur la question des moyens qu’ils ne sont d’accord qu’en apparence sur le but. Il était donc dans la nature des choses que, face au Comité de salut public, se dressent des hommes sincères ou hypocrites voulant faire plus que lui, d’autres voulant faire moins, tous pensant ou prétendant vouloir la Révolution et le bien de la République. Robespierre appela les premiers, ultra-révolutionnaires, les seconds, citra-révoltionnaires. L’Histoire connaît les premiers sous le nom de Cordeliers ou d’Hébertistes, les seconds, sous celui d’Indulgents ou de Dantonistes.

Au vrai, le premier courant ultra-révolutionnaire, antérieur à l’hébertisme, fut celui des Enragés, incarnés par Jacques Roux, un prêtre constitutionnel (celui-là même qui accompagna Louis XVI à l’échafaud), les jeunes Varlet, le harangueur de rue, et Leclerc d’Oze, lié aux Républicaines révolutionnaires. Le terme faction est trop fort les concernant ; ils n’avaient aucun lien entre eux. Contrairement à une idée reçue, leur idéal ne différait en rien de celui de Robespierre (cf. la déclaration des droits de Varlet), ils n’étaient pas plus avancés que lui. Ils étaient seulement plus impatients, plus turbulents, moins prudents, moins tacticiens, moins politiques ; en un mot, c’étaient des gauchistes. Plus proches du peuple que Robespierre de par leur origine et leur situation, ils étaient obsédés par la questions des subsistances et réclamaient à cor et à cris la punition des accapareurs et l’instauration du maximum. Ils n’avaient pas tort sur le fond, mais leur agitation incessante, depuis le début de 1793, avait d’abord gêné les Montagnards dans leur duel avec les Girondins, puis leur acharnement à critiquer la Constitution, la Convention et le Comité, à saper l’unité, obligea les Jacobins à les neutraliser. Des intimidations de la part des Jacobins et de la Convention suffirent pour que Leclerc et Varlet se fassent oublier. Jacques Roux, arrêté une première fois par sa section le 22 août (libéré le 27), une seconde fois par les Jacobins le 5 septembre, se poignarda le 12 janvier 1794 au milieu du tribunal de police correctionnelle qui venait de renvoyer son affaire au Tribunal révolutionnaire, pensant qu’il serait acquitté comme Marat (le 24 avril 1793). Ayant survécut à ses blessures, il se poignarda de nouveau, avec succès, un mois plus tard.

Robespierre intervint dans cette affaire, mais il ne fut au fond qu’un parmi les Jacobins qui tous, Marat en tête, réprouvaient les Enragés. Cependant, ces derniers avaient beau être impolitiques et insupportables, ils étaient honnêtes, sincères, désintéressés. Ceci explique sans doute pourquoi les révolutionnaires se contentèrent de les paralyser (comme ils voulaient d’ailleurs le faire initialement avec les Girondins). Mais c’est une tout autre espèce d’hommes qui leur succéda, des hommes plus éminents, plus ambitieux et plus dangereux, des hommes dont le plus connu fut Hébert, substitut du procureur syndic de la Commune et rédacteur du journal Le Père Duchesne, très apprécié des Sans-culottes.

Hébert qui n’avait pas été le moins farouche contre les Girondins et les Enragés ne semblait respirer que pour l’outrance. Ayant repris à son compte le programme des Enragés, plutôt axé sur les questions économiques, il y ajouta des mesures politiques radicales qu’il prônait tant dans son journal qu’aux Jacobins : proscription des nobles, des prêtres, Terreur et déchristianisation tous azimuts. Ce faisant, il attaquait le Comité de salut et ses membres qui, plus responsables, confrontés à la réalité des problèmes et à la difficulté de trouver des hommes compétents (parmi les bourgeois, les ex-prêtres et même les ex-nobles), ne voulaient ni ne pouvaient se permettre de tomber dans l’excès. Hébert marchait avec Chaumette, de la Commune, et était soutenu par Bouchotte, le ministre de la guerre qui diffusait son journal auprès des armées,  par les chefs de l’armée révolutionnaire et, sur la fin, par les Cordeliers.

Mais une autre faction faisait pendant à celle-là, incarnée par Danton, homme plus que trouble, député de Paris, grand tribun, fondateur du club des Cordeliers, jacobin, partisan de tous les compromis et de la paix à tout prix. Il est avéré aujourd’hui qu’il avait été payé par la Cour, via Mirabeau, pour compromettre le mouvement révolutionnaire, et par l’Espagne, via Ocariz, pour sauver Louis XVI. En autres actes de corruption, il fut formellement accusé par le maréchal de camp Miaczynski d’avoir organisé avec Lacroix, à Liège et à Aix-la-Chapelle, deux fabriques de faux assignats, information que Miaczynski, condamné à mort le 17 mai, confia à des commissaires de la Convention le 18 mai avant d’être exécuté le 22. Danton couvrait ses manœuvres et ses échecs par de grandes déclarations. De fait, il soutint la création de toutes les institutions révolutionnaires et même l’instauration de la Terreur. Mais ses collègues n’étaient pas dupes. Certains se défiaient de son caractère, voire soupçonnaient ses trahisons ; d’autres, au contraire, partageaient ses vues et formaient avec lui la faction des Indulgents.

Ces deux factions rivales — aux contours mal définis, certains hommes pouvant même être classés dans les deux à la fois, suivant le sujet — attaquaient le Comité pour des raisons opposées et se dénonçaient mutuellement. Le Comité pouvait donc s’appuyer tantôt sur l’une pour contrer l’autre, tantôt sur l’autre pour contrer la première. Mais les attaques dont il était en permanence l’objet contrariaient son action et menaçaient jusqu’à son existence. En outre, elles divisaient les révolutionnaires à un moment où l’union était plus que jamais nécessaire. C’est d’abord à la raison et à la réconciliation qu’en appela Robespierre, en son nom et au nom du Comité, en présentant les dangers de telles attitudes. Sa première intervention, le 25 septembre, faisait suite à une attaque de la droite, motivée par les difficultés militaires : 

« On nous accuse de ne rien faire, mais a-t-on donc réfléchi à notre position ? Onze armées à diriger, le poids de l’Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l’or des puissances étrangères à déjouer, des administrateurs infidèles à surveiller, à poursuivre, partout à aplanir des obstacles et des entraves à l’exécution des plus sages mesures ; tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider, eux qui se trouvent presque tous dans une caste puissante autrefois par ses richesses et encore par ses intrigues : telles sont nos fonctions. Croyez-vous que, sans unité d’action, sans le secret dans les opérations, sans la certitude de trouver un appui dans la Convention, le gouvernement puisse triompher de tant d’obstacles et de tant d’ennemis ? Non, il n’y a que la plus extrême ignorance ou la plus profonde perversité qui puissent prétendre que dans de pareilles circonstances, on ne soit pas un ennemi de la patrie, alors qu’on se fait un jeu cruel d’avilir ceux qui tiennent le timon des affaires, d’entraver leurs opérations, de calomnier leur conduite. »

Dans cette discussion, Billaud, Barère, Prieur (de la Marne) et Jeanbon Saint-André, tous membres du Comité, étaient aussi intervenus, mais c’est lui, Robespierre, qui obtint que la Convention unanime accorde toute sa confiance au Comité. Un mot fort applaudi de Basire illustre tout le prestige dont il jouissait : « Où en serions-nous donc si Robespierre avait besoin de se justifier devant la Montagne ? »

Le Comité ayant obtenu la confiance sans équivoque de la Convention, les factions ne purent plus l’attaquer frontalement et furent réduites à se déchirer entre elles, notamment aux Jacobins. Leur querelle s’intensifia fin novembre avec le retour de Danton, le 18 novembre. Objets d’attaques en raison de son comportement louche, il s’était retiré à Arcis-sur-Aube le 12 octobre. L’arrestation de son ami Chabot l’avait décidé à quitter sa retraite et à plaider désormais ouvertement l’indulgence (avec comme arrière pensée de renverser les Comités, de conclure une paix de compromis, de réviser la Constitution et de mâter les Sans-culottes, dixit Garat), à la grande fureur des hébertistes. Il entama sa campagne aux Jacobins, le 22 novembre, en s’opposant comme Robespierre, par tactique, à la déchristianisation mais aussi à la Terreur, en demandant « l’économie du sang des hommes ». (A cette époque, la Terreur ne représentait presque rien. Il n’y avait eu à Paris que 152 exécutions depuis l’instauration du Tribunal révolutionnaire en avril, pour 252 acquittements et 69 condamnations à des peines diverses.)

Dès le 5 décembre, par sa réponse au manifeste des rois ligués contre la République, Robespierre mit en garde les uns et les autres (voir plus haut) qui tous avaient trempé dans la déchristianisation qui semblait alors le principal moyen de la contre-révoltion. En disant que ce mouvement était une manœuvre de l’étranger, mais en n’accusant personne, il permettait aux naïfs de se reprendre. Mais les hypocrites ou les irresponsables étaient prévenus.

Le 25 décembre, la situation avait changé. Le 15 décembre avait paru le n° 3 du Vieux Cordelier de Camille Desmoulins qui appelait à la clémence. Le 17, les Indulgents avaient réussi à faire décréter d’arrestation Vincent et Ronsin. Le 19, était découverte l’implication de Fabre d’Eglantine, ami de Danton, qui avait dénoncé Chabot, dans la falsification d’un décret, elle-même rattachée à un vaste complot. Le 20, des femmes de Lyon étaient venues pleurer à la Convention. Robespierre lui-même avait obtenu la formation d’une commission de justice. Le 21, Fabre qui n’avait pas encore été arrêté obtenait l’arrestation de Mazuel, lieutenant de Ronsin. L’indulgence avait le vent en poupe. Mais les Sections grondaient et les ultra-révolutionnaires furent regonflés par Collot-d’Herbois, membre du Comité de salut public, de retour de Lyon. Le 23, aux Jacobins, alors que les accusations fusaient, Robespierre appela à l’union. « Soyez-en persuadés, la tactique de nos ennemis, et elle est sûre, c’est de nous diviser, on veut que luttant corps à corps, nous nous déchirions de nos propres mains. » Le 24, paraissait le n° 4 du Vieux Cordelier qui appelait à la fin de la Terreur. C’est donc dans ce contexte tendu que, le 25 décembre, Robespierre fit son rapport sur les Principes du gouvernement révolutionnaire (voir plus haut) dans lequel il parla pour la première fois de faction à propos des uns et des autres. Sa position était sans ambiguïté : « S’il fallait choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y aurait pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressource qu’un cadavre. » Position théorique en vérité.

Robespierre avait été assez proche de Danton depuis le début de la Révolution et était plus proche encore de Desmoulins qui était un ami d’enfance ; il avait été le témoin à son mariage et était même le parrain de son fils. Ces considérations le portèrent à les ménager autant qu’il put, jusqu’à ce qu’il devint impossible de les défendre. Le 10 janvier, il lâchait Desmoulins tout en faisant rapporter la décision des Jacobins de l’exclure de leur sein.

« Tous les hommes de bonne foi doivent s’apercevoir que je ne défends pas Camille Desmoulins, mais que je m’oppose seulement à sa radiation isolée parce que je sais que l’intérêt public n’est pas qu’un individu se venge d’un autre, qu’une coterie triomphe d’une autre. Il faut que tous les intrigans sans exception soient dévoilés et mis à leur place. Je termine en demandant que la Société, regardant son arrêté comme non avenu, s’occupe de discuter l’intrigue générale en ne prenant pas des intrigans isolés pour l’objet de sa discussion, ou que l’on mette à l’ordre du jour les crimes du gouvernement britannique. »

Le 7 janvier, Robespierre avait proposé aux Jacobins de cesser leurs disputes et de s’intéresser au gouvernement anglais. Cette idée n’était pas stupide. Les Jacobins en sentirent l’utilité et une douzaine au moins de discours furent en effet prononcés par la suite sur ce sujet. C’est alors que Robespierre tomba malade une première fois. Lorsqu’il revint, quinze jours plus tard, le 5 février (17 pluviôse), il fit son rapport sur les principes de morale politique, dans lequel il fustigeait les factions qui, pour être moins actives, n’avaient pas disparu pour autant :

« Les ennemis intérieurs du peuple français se sont divisés en deux factions, comme en deux corps d’armée. Elles marchent sous des bannières de différentes couleurs et par des routes diverses : mais elles marchent au même but ; ce but est la désorganisation du gouvernement populaire, la ruine de la Convention, c’est-à-dire, le triomphe de la tyrannie. L’une de ces deux factions nous pousse à la faiblesse, l’autre aux excès. L’une veut changer la liberté en bacchante, l’autre en prostituée. [...]
« Le faux révolutionnaire est peut-être plus souvent encore en-deçà qu’au-delà de la Révolution : il est modéré, il est fou de patriotisme, selon les circonstances. On arrête dans les comités prussiens, anglais, autrichiens, moscovites même, ce qu’il pensera le lendemain. Il s’oppose aux mesures énergiques, et les exagère quand il n’a pu les empêcher : sévère pour l’innocence, mais indulgent pour le crime : accusant même les coupables qui ne sont point assez riches pour acheter son silence, ni assez importans pour mériter son zèle ; mais se gardant bien de jamais se compromettre au point de défendre la vertu calomniée : découvrant quelquefois des complots découverts, arrachant le masque à des traîtres démasqués et même décapités ; mais prônant les traîtres vivans et encore accrédités : toujours empressé à caresser l’opinion du moment, et non moins attentif à ne jamais l’éclairer, et sur-tout à ne jamais la heurter : toujours prêt à adopter les mesures hardies, pourvu qu’elles aient beaucoup d’inconvéniens : calomniant celles qui ne présentent que des avantages, ou bien y ajoutant tous les amendemens qui peuvent les rendre nuisibles : disant la vérité avec économie, et tout autant qu’il faut pour acquérir le droit de mentir impunément : distillant le bien goutte-à-goutte, et versant le mal par torrens : plein de feu pour les grandes résolutions qui ne signifient rien ; plus qu’indifférent pour celles qui peuvent honorer la cause du peuple et sauver la patrie : donnant beaucoup aux formes du patriotisme ; très-attaché, comme les dévots dont il se déclare l’ennemi, aux pratiques extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action. [...]
« Si tous les coeurs ne sont pas changés, combien de visages sont masqués ! combien de traîtres ne se mêlent de nos affaires que pour les ruiner ! Voulez-vous les mettre à l’épreuve, demandez-leur, au lieu de serment et de déclaration, des services réels ?Faut-il agir ? Ils pérorent. Faut-il délibérer ? Ils veulent commencer par agir. Les temps sont-ils paisibles ? Ils s’opposeront à tout changement utile. Sont-ils orageux ? Ils parleront de tout réformer, pour bouleverser tout. Voulez-vous contenir les séditieux ? Ils vous rappellent la clémence de César. Voulez-vous arracher les patriotes à la persécution ? Ils vous proposent pour modèle la fermeté de Brutus ; ils découvrent qu’un tel a été noble, lorsqu’il sert la république ; ils ne s’en souviennent plus dès qu’il la trahit. La paix est-elle utile ? Ils vous étalent les palmes de la victoire. La guerre est-elle nécessaire ? Ils vantent les douceurs de la paix. Faut-il défendre le territoire ? Ils veulent aller châtier les tyrans au-delà des monts et des mers. Faut-il reprendre nos forteresse ? Ils veulent prendre d’assaut les églises et escalader le ciel. Ils oublient les Autrichiens pour faire la guerre aux dévotes. Faut-il appuyer notre cause de la fidélité de nos alliés ? Ils déclameront contre tous les gouvernemens du monde, et vous proposeront de mettre en état d’accusation le grand Mogol lui-même. Le peuple va-t-il au Capitole rendre grâce de ses victoires ? ils entonnent des chants lugubres sur nos revers passés. S’agit-il d’en remporter de nouvelles ? Ils sèment, au milieu de nous, les haines, les divisions, les persécutions et le découragement. Faut-il réaliser la souveraineté du peuple et concentrer sa force par un gouvernement ferme et respecté ? Ils trouvent que les principes du gouvernement blessent la souveraineté du peuple. Faut-il réclamer les droits du peuple opprimé par le gouvernement ? Ils ne parlent que du respect pour les lois, et de l’obéissance due aux autorités constituées.
« Ils ont trouvé un expédient admirable pour seconder les efforts du gouvernement républicain : c’est de le désorganiser, de le dégrader complètement, de faire la guerre aux patriotes qui ont concouru à nos succès. Cherchez-vous les moyens d’approvisionner vos armées ? vous occupez-vous d’arracher à l’avarice et à la peur les subsistances qu’elles resserrent ? Ils gémissent patriotiquement sur la misère publique et annoncent la famine. Le désir de prévenir le mal est toujours pour eux un motif de l’augmenter. dans le Nord, on a tué les poules, et on nous a privé des œufs, sous le prétexte que les poules mangent du grain. Dans le Midi il a été question de détruire les mûriers et les orangers, sous le prétexte que la soie est un objet de luxe, et les oranges une superfluité. Vous ne pourriez jamais imaginer certains excès commis par des contre-révolutionnaires hypocrites, pour flétrir la cause de la Révolution. »

Six jours plus tard, Robespierre tombait de nouveau malade pour un mois, du 13 février au 12 mars. C’est dans cet intervalle que la crise atteignit son paroxysme. Le danger le plus pressant vint finalement des ultras, des Cordeliers, sous l’impulsion de Vincent, Ronsin (libérés le 2 février), Momoro, Hébert, Carrier (le bourreau de Nantes, dénoncé par Jullien de Paris et rappelé sur l’avis de Robespierre) qui profitèrent de l’absence de Robespierre pour l’insulter et s’agiter sous prétexte des subsistances. Le 4 mars, ils appelèrent à l’insurrection. Mais ils avaient commis l’erreur classique de prendre Robespierre pour le maître. Le Comité pouvait fonctionner sans lui et tous ses membres firent bloc. Collot-d’Herbois notamment leur fit face. La menace d’une insurrection se précisait (quoique les Sections ne suivaient manifestement pas le mouvement).

Le 13 mars, suite au rapport de Saint-Just sur les factions de l’étranger, la Convention chargea l’accusateur public d’arrêter et de poursuivre « ceux qui seront convaincus d’avoir, de quelque manière que ce soit, favorisé dans la République le plan de corruption des citoyens, de subversion des pouvoirs et de l’esprit public ; d’avoir excité des inquiétudes à dessein d’empêcher l’arrivage des denrées à Paris ; d’avoir donné asile aux émigrés ; ceux qui auront tenté d’ouvrir les prisons ; ceux qui auront introduit des armes dans Paris dans le dessein d’assassiner le peuple et la liberté ; ceux qui auront tenté d’ébranler ou d’altérer la forme du gouvernement républicain. »

Les Cordeliers étaient visés aussi bien que les Indulgents. Le soir même, sur ordre de Fouquier-Tinville, l’accusateur public, les meneurs Cordeliers furent arrêtés. Dans les jours qui suivirent, Robespierre insista pour que la portée politique de cette affaire soit mise en relief (ce que n’avait pas fait Vadier dans son rapport et qui en voulut à mort à Robespierre de cette critique qu’il rappela comme un crime le 9 thermidor) mais s’opposa, aux Jacobins, à ce que les arrestations se multiplient. (Il couvrit ainsi Pache, le maire de Paris, Hanriot, commandant de la garde nationale, Boulanger, général de l’armée révolutionnaire, mais il s’opposa aussi à l’arrestation en masse des signataires des pétitions contre-révolutionnaires dites des 8.000 et des 20.000.) Après trois jour de procès, les Cordeliers furent exécutés, le 24 mars (4 germinal an II).

Mais si le Comité était résolu à en finir avec certains excès et le danger de gauche, tout en satisfaisant les revendications populaires légitimes, il n’entendait pas être débordé par sa droite. Le 18 mars, les députés compromis dans l’affaire de la Compagnie des Indes (vaste complot visant à discréditer la Convention), Fabre, Chabot, Basire, Delaunay, tous dantonistes, étaient décrétés d’accusation. Le 20, les Indulgents passaient à l’offensive à leur tour et obtenaient l’arrestation de Héron, agent du Comité de sûreté générale. Mais Robespierre intervint et fit rapporter le décret. Le 21 mars, jour de l’ouverture du procès des Cordeliers, était enfin publié le tableau du maximum. Le 27, l’armée révolutionnaire était licenciée. Le 29, La Convention décrétait la suppression des commissaires aux accaparements institués par les Sections pour veiller à l’application du maximum. Le lendemain, harcelé depuis des jours par ses collègues des deux Comités qui auraient fini par se passer de son avis, Robespierre consentit à l’arrestation des Indulgents, Danton et Desmoulins compris. Il avait d’ailleurs rencontré Danton la veille et s’était convaincu qu’il n’y avait rien à espérer. Les Indulgents furent donc arrêtés dans la nuit du 30 au 31 mars sur ordre des Comités de salut public et de sûreté générale. Cet ordre d’arrestation est celui qui revêt le plus grand nombre de signatures (18), preuve de l’unanimité des membres des Comités sur cette affaire.

Une fois de plus, le Comité n’avait frappé que les chefs. Or, contrairement aux Cordeliers, les meneurs Indulgents étaient pour la plupart députés et avaient encore des amis à la Convention qui, poussée par Legendre, s’agita en apprenant leur arrestation. Robespierre et Barère intervinrent et ramenèrent le calme. Le procès des Indulgents, dont Fabre était le principal accusé, quoique l’histoire en ait fait le procès de Danton, s’ouvrit le 2 avril. Le 5 avril (16 germinal an II), ils étaient exécutés. Seuls Camille Desmoulins et Philippeaux furent réhabilités par la Convention thermidorienne (le 11 vendémiaire an III), preuve qu’ils furent frappés par la Convention unanime, qui considérait Danton et ses amis comme des pourris.

Les factions étaient abattues (une troisième « fournée » eut lieu le 24 germinal an II, réunissant les personnages secondaires des deux factions, Chaumette, Lucille Desmoulins, la veuve d’Hébert, etc.), mais tous les factieux n’étaient pas morts, tandis que les caractères conduisant aux idées factieuses, démagogiques, extrémistes et défaitistes, sont impérissables. L’opposition n’étaient donc mâtée que pour un temps.

Il ressort que Robespierre participa à la nécessaire lutte contre les factions mais ne fut pas le seul acteur. Cette lutte n’avait rien de personnel. Les factions sapaient l’autorité de la Convention, attaquaient à tord et à travers les Comités, divisaient les révolutionnaires et menaçaient consciemment ou non la République. Beaucoup le comprirent et les combattirent. Leur écrasement ne fut en rien une victoire de Robespierre qui, non seulement, n’en retira pas une once de pouvoir en plus, mais, dut bientôt renoncer à exercer le peu qu’il avait, étant en bute à l’hostilité de ses collègues (le Comité n’étant plus menacé de l’extérieur, ses membres se désunirent jusqu’à s’entretuer). 

L’Etre suprême

Robespierre reconnaissait n’avoir jamais été un bon catholique (21 novembre 1793). Mais, à l’instar de la plupart de ses contemporains et des hommes de tous les temps, il croyait en Dieu, en une puissance supérieure, en un créateur, en ce que l’on appelait alors l’Etre suprême. Il pensait également que les hommes ont une âme immortelle. Pour autant, il était loin d’être un bigot. Il ne raisonnait jamais en religieux, toujours en politique ; il ne s’appuyait pas sur des présupposés métaphysiques ou des vérités révélées, mais sur la nature humaine et les rapports sociaux.

En fait, il n’évoqua ses convictions personnelles qu’une seule fois, le 26 mars 1792, aux Jacobins, lorsque le girondin Guadet lui reprocha d’avoir répété le mot Providence. « J’avoue, dit ce denier, que, ne voyant aucun sens à cette idée, je n’aurais jamais cru qu’un homme qui a travaillé avec tant de courage pendant trois ans pour tirer le peuple de l’esclavage du despotisme pût concourir à le remettre ensuite sous l’esclavage de la superstition. » Cette attaque était une manœuvre politique pour déstabiliser celui qui contrariait les Girondins depuis des mois. Mais ce coup bas provoqua une telle indignation dans l’assistance que la presse girondine n’osa le rapporter. Robespierre en effet ne s’était pas laissé démonter et avait épanché son cœur.

« Quand j’aurai terminé ma courte réponse, je suis sûr que M. Guadet se rendra lui-même à mon opinion. J’en atteste son patriotisme et sa gloire qui ne peuvent être fondés que sur les principes que je viens de proposer ; mais l’objection qu’il ma faite, tient trop à mon honneur, à mes sentiments et aux principes reconnus par tous les peuples du monde, et par les assemblées de tous les peuples et de tous les tems, pour que je ne croye pas mon honneur engagé à les soutenir de toutes mes forces.
« La première objection porte sur ce que j’aurais commis la faute d’induire les citoyens dans la superstition après avoir combattu le despotisme. La superstition, il est vrai, est un des appuis du despotisme, mais ce n’est point induire les citoyens dans la superstition que de prononcer le nom de la divinité, j’abhorre autant que personne toutes ces sectes impies qui ses sont répandues dans l’univers pour favoriser l’ambition, le fanatisme et toutes les passions, en se couvrant du pouvoir secret de l’éternel qui a créé la nature et l’humanité, mais je suis bien loin de la confondre avec ces imbéciles dont le despotisme s’est armé. Je soutiens, moi, ces éternels principes sur lesquels s’étaie la faiblesse humaine pour s’élancer à la vertu. Ce n’est point un vain langage dans ma bouche, pas plus que dans celle de tous les hommes illustres qui n’en avaient pas moins de morale pour croire à l’existence de dieu.
« Oui, invoquer le nom de la providence et émettre une idée de l’être éternel qui influe essentiellement sur les destins des nations, qui me paraît à moi veiller d’une manière toute particulière sur la révolution française, n’est point une idée trop hasardée, mais un sentiment de mon cœur, un sentiment qui m’est nécessaire ; comment ne me serait-il pas nécessaire à moi qui, livré dans l’assemblée constituante à toutes les passions, à toutes les viles intrigues, et environné de tant d’ennemis nombreux, me suis soutenu. Seul avec mon âme, comment aurais-je pu soutenir des travaux qui sont au-dessus de la force humaine, si je n’avais point élevé mon âme. Sans trop approfondir cette idée encourageante, ce sentiment divin m’a bien dédommagé de tous les avantages offerts à ceux qui voulaient trahir le peuple. [...]
« On a dit encore que j’avais fait une injure aux sociétés populaires. Ah ! certes, messieurs, je vous en atteste tous, s’il est un reproche auquel je sois inaccessible, c’est celui qui me prête des injures au peuple, et cette injure consiste en ce que j’ai cité aux sociétés, la providence et la divinité. Certes je l’avoue, le peuple français est bien pour quelque chose dans la révolution. J’avoue que tous ceux qui étaient au-dessus du peuple auraient volontiers renoncé pour cet avantage à toute idée de la divinité, mais est-ce faire injure au peuple, aux sociétés affiliées que de leur donner l’idée d’une divinité, qui, suivant mon sentiment, nous sert si heureusement. Oui, j’en demande pardon à tous ceux qui sont plus éclairés que moi, quand j’ai vu tant d’ennemis créés contre le peuple, tant d’hommes perfides employés pour renverser l’ouvrage du peuple, quand j’ai vu que le peuple lui-même ne pouvait agir, et qu’il était obligé de s’abandonner à des hommes perfides ; alors plus que jamais j’ai cru à la providence et je n’ai jamais pu insulter, ni le peuple, ni les sociétés populaires, en parlant comme je l’ai fait, des mesures qu’il faut prendre pour la guerre ou pour la paix ; ni dans le retour que j’ai fait sur ce qui s’est passé. »

Robespierre exprimait là le sentiment général. Seuls des hypocrites et des athées fanatiques pouvaient et peuvent encore voir un angle d’attaque dans ce sujet qu’il n’abordait d’ailleurs jamais. Oubliaient-ils que toute l’Europe était chrétienne, que, à la demande de l’abbé de la Borde, la Constituante avait proclamé les droits de l’homme et du citoyen « en présence et sous les auspices de l’Etre suprême » (26 août 1789) ? Robespierre n’y était pour rien. Peut-être peut-on, avec beaucoup d’imagination, accuser Robespierre d’avoir contraint la Convention montagnarde à faire de même pour sa Déclaration du 24 juin 1793. Mais dira-t-on que la Convention thermidorienne, composée à quelque chose près des mêmes hommes que précédemment, tremblait encore au souvenir de Robespierre quand elle proclama, elle aussi en présence de l’Etre suprême, sa déclaration des devoirs et des droits de l’homme et du citoyen (22 août 1795) ? Et était-ce par fantaisie que Napoléon rétablit l’Eglise ? Non ! les Français dans leur immense majorité et quelle que fut leur classe n’étaient pas athées et n’avaient pas besoin que Robespierre leur inculque la croyance en un Etre suprême. Ils furent au contraire heureux de trouver un Robespierre pour les défendre quand, en l’an II, une infime minorité les brima pour leurs convictions religieuses.

C’est d’ailleurs le mouvement déchristianisateur qui explique pourquoi la Convention fut progressivement amenée à proclamer, par la bouche de Robespierre, l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme.

La déchristianisation symbolisée par la fermeture des églises et le culte de la Raison ne fut pas un mouvement athée comme Robespierre le pensait et comme les contre-révolutionnaires le prétendirent. Mais la violence dans les faits et l’ambiguïté dans les termes suscitèrent la stupeur, l’incompréhension et le rejet, d’où le décret du 18 frimaire (8 décembre) sur la liberté des cultes pour y mettre officiellement un coup d’arrêt. C’est alors que l’importance d’un autre paramètre apparut : le changement de calendrier.

La déchristianisation avait désorganisé l’ancien culte sans rien lui substituer. Le jour de fête était désormais le décadi, mais rien, ni thème ni budget, n’avait été prévu. Partout les révolutionnaires organisaient des fêtes selon leur inspiration, mais le défaut d’unité au niveau national se faisait cruellement sentir. Dès le mois de décembre, le malaise était signalait. Les demandes pressant le Comité d’organiser les fêtes décadaires ne cessèrent dès lors d’affluer.

Ainsi, le 24 février, dans une lettre particulièrement significative, le représentant Paganel, alors à Villefranche, signala au Comité la rivalité des dimanches et des décadis. « Une mesure générale [pour abattre les obstacles au développement de la raison] doit à la fois les attaquer dans toute la République. C’est à vous de la proposer, et à la Convention de l’établir. Le peuple respecte et choisit toutes institutions qui viennent d’elle. [...] Il faut qu’un jour marqué par le plaisir et par des sensations extraordinaires lui [le peuple] fasse oublier plusieurs jours de peine et de travail, et que le retour prévu de ce jour l’empêche de craindre les nouvelles peines qui le précèdent. Le dimanche est triste par lui-même et sous le rapport religieux, mais il donne lieu à des rassemblements, à des entretiens, à quelques danses. Les regards sont accoutumés ces jour-là à une sorte de spectacle. L’ennuyeux sermon est suivi de chants et de cérémonies précieuses au peuple, bien que tristes, tandis qu’on ne mettra rien à la place. [...] Hâtez-vous donc, citoyens mes collègues, de procurer aux citoyens des campagnes une sorte de fête décadienne, qui les rassemble et leur fasse trouver, à la place de cérémonies lugubres, les amusements et les instructions qui conviennent à des hommes libres. »

En fait, le Comité d’instruction publique s’était saisi du dossier dès le mois de janvier. Les 2 et 10 janvier, sur la proposition de Mathieu (de l’Oise), il avait adopté le principe qu’« il y aura[it] des fêtes révolutionnaires qui perpétueront les événements les plus remarquables de la Révolution. » Le 27 février (9 ventôse), ledit Comité avait arrêté que le projet de fêtes nationales et décadaires présenté par Mathieu serait imprimé et distribué aux membres de la Convention. L’article 5 de ce projet qui en comptait 37 stipulait : « Ces fêtes, instituées sous les auspices de l’Être-suprême, auront pour objet de réunir tous les citoyens, de leur retracer les droits et les devoirs de l’homme en société, de leur faire chérir la nature et toutes les vertus sociales. » Le 11 germinal (31 mars), le Comité autorisa Mathieu à se concerter avec le Comité de salut public au sujet de ce plan. Le 6 avril (17 germinal), Couthon annonça à la Convention, à sa grande satisfaction, que le Comité de salut public présenterait d’ici peu « un projet de fête décadaire dédié à l’Eternel, dont les Hébertistes n’ont pas ôté au peuple l’idée consolante ». La simple annonce de ce projet de décret suscita partout l’enthousiasme. Le 6 mai, de Quillan (Aude), Chaudron-Roussau écrivit au Comité : « Le décret de la Convention sur la croyance d’un Etre suprême y a produit [à Carcassonne] un très bon effet. Les hébertistes avaient ici quelques disciples. L’un d’eux a été professeur des maximes d’athéisme. A l’avant-dernière décade, mes coopérateurs et moi l’avons accablé en lui répliquant, et il n’est point d’acte de bienfaisance qui eût excité dans le peuple autant de reconnaissance que cette réfutation publique d’une doctrine d’athée et l’assurance que nous n’avons pas manqué d’y joindre, que nos principes sur la croyance d’un Dieu étaient ceux de la Convention et du Comité de salut public. » Des fêtes expressément dédiées à l’Etre suprême avaient déjà eu lieu dans de nombreuses villes, sans parler des célébrations ordinaires dans les temples de la Raison qui n’étaient pas autre chose. Ainsi, Lejeune signala au Comité que, le 6 avril, à Dôle, il avait inauguré, au milieu de quatre à cinq mille citoyens en liesse, « le temple consacré à l’éternelle vérité, c’est-à-dire à l’Etre suprême ».

C’est après toutes ces péripéties et dans ce contexte que, le 18 floréal (7 mai), Robespierre fit à la Convention son fameux rapport sur les idées religieuses et morales, au terme duquel il proposait de reconnaître à la face du monde l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l’âme et d’adopter un plan de fêtes décadaires qui reprenait en le simplifiant celui de Mathieu.

« Ne consultez que le bien de la patrie et les intérêts de l’humanité. Toute institution, toute doctrine qui console et qui élève les âmes, doit être accueillie ; rejettez toutes celles qui tendent à les dégrader et à les corrompre. Ranimez, exaltez tous les sentimens généreux et toutes les grandes idées morales qu’on a voulu éteindre ; rapprochez par le charme de l’amitié et par le lien de la vertu les hommes qu’on a voulu diviser. Qui donc t’a donné la mission d’annoncer au peuple que la Divinité n’existe pas, ô toi qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie ? Quel avantage trouves-tu à persuader l’homme qu’une force aveugle préside à ses destinées, et frappe au hasard le crime et la vertu ; que son âme n’est qu’un souffle léger qui s’éteint aux portes du tombeau ? [...] Je ne conçois pas du moins comment la nature aurait pu suggérer à l’homme des fictions plus utiles que toutes les réalités ; et si l’existence de Dieu, si l’immortalité de l’âme, n’étaient que des songes, elles seraient encore la plus belle de toutes les conceptions de l’esprit humain.
« Je n’ai pas besoin d’observer qu’il ne s’agit pas ici de faire le procès à aucune opinion philosophique en particulier, ni de contester que tel philosophe peut être vertueux, quelles que soient ses opinions, et même en dépit d’elles, par la force d’un naturel heureux ou d’une raison supérieure. Il s’agit de considérer seulement l’athéisme comme national, et lié à un système de conspiration contre la République. Eh ! que vous importe à vous, législateurs, les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquent les phénomènes de la nature ? Vous pouvez abandonner tous ces objets à leurs disputes éternelles : ce n’est ni comme métaphysiciens, ni comme théologiens, que vous devez les envisager. Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans la pratique, est la vérité.
« [...] Il résulte du même principe qu’on ne doit jamais attaquer un culte établi qu’avec prudence et avec une certaine délicatesse, de peur qu’un changement subit et violent ne paraisse une atteinte portée à la morale, et une dispense de la probité même. Au reste, celui qui peut remplacer la Divinité dans le système de la vie sociale est à mes yeux un prodige de génie ; celui qui, sans l’avoir remplacée, ne songe qu’à la bannir de l’esprit des hommes, me paraît un prodige de stupidité ou de perversité. [...] »
« Cette secte [les encyclopédistes], en matière politique, resta toujours au-dessous des droits du peuple : en matière de morale, elle alla beaucoup au-delà de la destruction des préjugés religieux. Ses coryphées déclamaient quelquefois contre le despotisme, et ils étaient pensionnés par les despotes ; ils faisaient tantôt des livres contre la Cour, et tantôt des dédicaces aux rois, des discours pour les courtisans, et des madrigaux pour les courtisanes ; ils étaient fiers dans leurs écrits, et rampans dans les anti-chambres. Cette secte propagea avec beaucoup de zèle l’opinion du matérialisme qui prévalut parmi les grands et parmi les beaux esprits. [...] Ils ont combattu la Révolution, dès le moment qu’ils ont craint qu’elle n’élevât le peuple au-dessus de toutes les vanités particulières [...] Tel artisan s’est montré habile dans la connaissance des droits de l’homme, quand tel faiseur de livres, presque républicain en 1788, défendait stupidement la cause des rois en 1793. [...]
« Fanatiques, n’espérez rien de nous. Rappeler les hommes au culte pur de l’Être suprême, c’est porter un coup mortel au fanatisme. Toutes les fictions disparaissent devant la Vérité et toutes les folies tombent devant la Raison. Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre d’elles-mêmes dans la religion universelle de la Nature. [...]
« Prêtres ambitieux, n’attendez donc pas que nous travaillions à rétablir votre empire ; une telle entreprise serait même au-dessus de notre puissance. Vous vous êtes tués vous-mêmes, et on ne revient pas plus à la vie morale qu’à l’existence physique. Et, d’ailleurs, qu’y a-t-il entre les prêtres et Dieu ? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres ! Il ne connaît rien de si ressemblant à l’athéisme que les religions qu’ils ont faites. A force de défigurer l’Être suprême, ils l’ont anéanti autant qu’il était en eux ; ils en ont fait tantôt un globe de feu, tantôt un bœuf, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi. Les prêtres ont créé Dieu à leur image : ils l’ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable. Ils l’ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendants de Clovis, pour régner sous son nom et se mettre à sa place. Ils l’ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l’ont appelé sur la terre que pour demander à leur profit des dîmes, des richesses, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. Le véritable prêtre de l’Être suprême, c’est la Nature ; son temple, l’univers ; son culte, la vertu ; ses fêtes, la joie d’un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la fraternité universelle, et pour lui présenter l’hommage des cœurs sensibles et purs. Prêtres, par quel titre avez-vous prouvé votre mission? Avez-vous été plus justes, plus modestes, plus amis de la vérité que les autres hommes ? Avez-vous chéri l’égalité, défendu les droits des peuples, abhorré le despotisme et abattu la tyrannie ? [...]
« Le patriote n'est autre chose qu'un homme probe et magnanime dans toute la force de ce terme. C'est peu d'anéantir les rois, il faut faire respecter à tous les peuples le caractère du peuple français. C'est en vain que nous porterions au bout de l'univers la renommée de nos armes, si toutes les passions déchirent impunément le sein de la patrie. Défions-nous de l'ivresse même des succès. Soyons terribles dans les revers, modestes dans nos triomphes, et fixons au milieu de nous la paix et le bonheur par la sagesse et par la morale. Voilà le véritable but de nos travaux ; voilà la tâche la plus héroïque et la plus difficile. Nous croyons concourir à ce but, en vous proposant le décret suivant.
Art. I. Le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre suprême, et l’immortalité de l’âme.
II. Il reconnaît que le culte digne de l’Etre suprême est la pratique des devoirs de l’homme.
III. Il met au premier rang de ces devoir de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autre tout le bien qu’on peut, et de n’être injuste envers personne.
VI. La République française célèbrera tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793.
VII. Elle célèbrera, aux jours des décadis, les fêtes dont l’énumération suit : A l’Etre suprême et à la Nature. Au Genre humain. Au Peuple français. Aux Bienfaiteurs de l’humanité. Aux Martyrs de la liberté. A la Liberté et à l’Egalité. A la République. A la Liberté du Monde. A l’amour de la Patrie. A la haine des Tyrans et des Traîtres. A la Vérité. A la Justice. A la Pudeur. A la Gloire et à l’Immortalité. A l’Amitié. A la Frugalité. Au Courage. A la Bonne foi. A l’Héroïsme. Au Désintéressement. Au Stoïcisme. A l’Amour. A la Foi conjugale. A l’Amour paternel. A la Tendresse maternelle. A la Piété filiale. A l’Enfance. A la Jeunesse. A l’Age viril. A la Vieillesse. Au Malheur. A l’Agriculture. A l’Industrie. A nos Ayeux. A la Postérité. Au Bonheur.
XI. La liberté des cultes est maintenue conformément au décret du 18 frimaire.
XII. Tout rassemblement aristocratique et contraire à l’ordre public sera réprimé.
XIII. En cas de troubles, dont un culte quelconque serait l’occasion ou le motif, ceux qui les exciteraient par des prédications fanatiques, ou par des insinuations contre-révolutionnaires ; ceux qui les provoqueraient par des violences injustes et gratuites seront également punis selon la rigueur des lois.
XV. Il sera célébré le 20 prairial prochain [8 juin] une fête nationale en l’honneur de l’Etre suprême. »

Accueilli avec enthousiasme par la Convention et la France entière, ce discours fut rapporté par de nombreux journaux, imprimé à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et traduit dans toutes les langues. La Convention croula sous les félicitations. C’était bien elle qui était félicitée, plus encore que Robespierre qui n’avait été que son organe. Celle-ci, néanmoins, le porta à sa présidence le 4 juin, afin qu’il préside la première des fêtes qu’il avait si brillamment concouru à faire instaurer.

On le voit, toutes les fêtes décadaires étaient placées sous les auspices de l’Etre suprême, mais une seule, la première, Lui était spécialement dédiée. Cet ordre ne tenait pas du hasard. Les révolutionnaires sentaient la nécessité de rassurer le peuple sur leurs intentions en matière religieuse et de couper court à la propagande contre-révolutionnaire les présentant comme des athées, et la Révolution, comme l’Antéchrist. En pratique, les fêtes majestueuses et populaires qui eurent lieu partout en France le 20 prairial ressemblèrent en tous points aux fêtes de la Raison tant sur le plan du cérémonial que des discours. Ce ne furent rien moins que de grandes « messes » patriotiques, comme l’avait été, à Paris, la fête de la fédération du 14 juillet 1790 — que nous célébrons officiellement aujourd’hui.

En fait, il n’y eut jamais à proprement parler de « culte de l’Etre suprême », expression qui sous-entend une sorte de fanatisme religieux et permet à certains de présenter Robespierre comme le pontife de ce culte, quand ils ne lui prêtent pas la volonté plus absurde encore d’avoir voulu faire de ce culte la dernière étape avant l’instauration d’un culte de la personnalité, de la sienne en l’occurrence. Il ne devait y avoir dans l’année qu’une fête en l’honneur de l’Etre suprême. Cette fête, comme toutes les autres, devait être organisée et dirigée par des membres des autorités constituées locales, donc selon leurs talents et leur sensibilité. Il n’y avait ni texte sacré ni liturgie ni clergé. Le décret du 18 floréal n’instaurait donc pas une nouvelle religion, encore moins un « culte » fanatique, mais plutôt une forme de laïcité.

Quant à Robespierre, il fournit lui-même la preuve de son peu de fanatisme lorsque, le  15 mai (26 floréal), aux Jacobins, il répondit au jeune Marc-Antoine Jullien, dit Jullien de Paris, qui, suite au décret du 18 floréal, proposait de chasser de la République tous les athées :

« Il est des vérités qu’il faut présenter avec ménagement, telle cette vérité professée par Rousseau, qu’il faut bannir de la République tous ceux qui ne croient pas à la divinité. Ce principe cité dans l’adresse ne doit pas être adopté, ce serait inspiré trop de frayeur à une grande multitude d’imbéciles ou d’hommes corrompus. Je ne suis pas d’avis qu’on les poursuive tous, mais seulement ceux qui conspirent contre la liberté. Je crois qu’il faut laisser cette vérité dans les écrits de Rousseau, et ne pas la mettre en pratique. »

Certains ont prétendu que Robespierre fut à l’apogée de son pouvoir le 20 prairial. En réalité, il n’eut pas le lendemain de la fête plus de pouvoir qu’il n’en avait la veille ou les mois précédents. De la popularité, oui, mais pas de pouvoir concret. En fait, c’est à ce moment-là que les membres du Comité donnèrent libre cours à leurs divergences politiques (notamment sur la conduite de la guerre, sur l’application des lois de ventôse et de la Terreur) et à leurs animosités personnelles et que Robespierre perdit toute influence sur eux. En outre, dès le 15 juin (27 prairial), le Comité de sûreté générale, par l’entremise de Vadier, athée indécrottable, s’acharna à le tourner en ridicule avec l’insignifiante affaire Catherine Théot, avant de s’attacher à le rendre odieux en répandant de fausses rumeurs. (Buonarroti, un intime de Robespierre, qui retrouva Vadier en Belgique après la restauration, dit de lui : « Haïr les Nobles et se moquer de la religion, voilà toute la politique de Vadier. ») Le 1er juillet, Robespierre avait tellement de pouvoir que, dégoûté par les petites et criminelles manœuvres, il cessait de participer au Comité et ne parut même plus à la Convention avant le 8 thermidor (26 juillet). Dans l’intervalle, on ne le vit que cinq fois aux Jacobins (les 1er, 11, 14, 16 et 24 juillet). C’est à eux qu’il confia son désarroi le 1er juillet et leur indiqua qu’elle allait être sa conduite.

Le 8 thermidor, après près de quatre semaines d’absence, il se présentait à la Convention armé d’un discours mémorable. L’impression en fut décrétée. Mais ses ennemis (Vadier, Cambon, Panis, Amar) qu’il venait de dénoncer à demi mots se jetèrent dans la bataille et firent rapporter le décret, sous prétexte de soumettre son discours à l’examen des Comités. Robespierre avait perdu la première manche  et ne devait pas remporter la revanche. Le lendemain, parmi les accusations contradictoires (Billaud-Varenne lui reprocha d’avoir protégé Danton, et Garnier (de l’Aube), d’être étouffé par son sang.) dont l’accablèrent ses ennemis pour l’empêcher de parler, Vadier rappela l’affaire Catherine Théot et l’attitude de Robespierre qui avait imposé en toute illégalité à Fouquier-Tinville de l’enterrer. Personne cependant ne critiqua le décret du 18 floréal. Billaud-Varenne déclara même : « Il a accusé le gouvernement d’avoir fait disparaître tous les monuments consacrés à l’Etre suprême ; eh bien ! apprenez que c’est par Couthon… ». Quelle qu’ait été cette affaire, cette déclaration indique que le gouvernement adhérait pleinement au décret du 18 floréal. Jamais d’ailleurs la Convention ne l’abrogea.

Et, s’il fallait encore une preuve que Robespierre n’imposa pas l’Etre suprême à la Convention et à la France, mais exprima alors le sentiment général, il suffirait de citer cette lettre de Lambert, représentant dans la Côte-d’Or et la Haute-Marne, qui, le 8 août (21 thermidor), de Dijon, écrivit à la Convention : « Le supplice de Robespierre et de ses complices doit faire absoudre l’Etre suprême dans l’esprit de tous ceux qui jusqu’alors avaient douté de son existence. »

La loi du 22 prairial an II

La loi du 22 prairial (10 juin 1794) sur la réorganisation du Tribunal révolutionnaire que Robespierre demanda à Couthon de rédiger et de présenter à la Convention et qu’il soutint est pour beaucoup d’historiens un mystère et pour tous ses détracteurs son plus grand crime. Elle ouvrit, dit-on, la période de la Grande Terreur. Il est pourtant facile de comprendre la raison d’être de cette loi et les effets que Robespierre pouvait légitimement en attendre, quoi qu’il fut déçu par son application. Il est tout aussi facile de montrer que les polémiques ne sont soutenables que par des omissions coupables et des apparences trompeuses.

Cette loi avait pour but d’accélérer les procédures du Tribunal révolutionnaire. Elle prévoyait, outre la nomination, l’augmentation du nombre des juges et des jurés, la division du Tribunal en plusieurs sections (articles 1, 2 et 3), et, sauf cas particuliers (art. 14 et 15), la suppression tant de l’interrogatoire préalable des accusés (art. 12) que de la comparution de témoins (art. 13). Tout devait se faire en public. Le jugement, la mort ou l’acquittement (art. 7), reposait entièrement sur la conscience des jurés patriotes (art. 8 et 16). Les défenseurs étaient de fait supprimés (art. 16). Les motifs passibles du Tribunal révolutionnaire étaient précisés (art. 5 et 6), de sorte que ne puissent y être déférés des prévenus passibles des tribunaux ordinaires (art. 20). Enfin, ne pouvaient déférer des prévenus au Tribunal que la Convention, les Comités de salut public et de sûreté générale, les représentants en mission et l’accusateur public (art. 10 et 11).

Il est évident que cette loi faisait partie d’un ensemble. La considérer isolément oblige à dénaturer le caractère et les intentions de ses promoteurs pour l’expliquer, du moins pour expliquer les interprétations fantaisiste des dispositions de la loi elle-même. En vérité, la loi du 22 prairial ne fut pas l’œuvre du seul Robespierre qui aurait perdu les pédales ; elle ne fut pas imaginée dans la panique, après les tentatives d’assassinat dont il avait été l’objet (la dernière, le 23 mai, celle de Cécile Renault, semble du reste avoir été une affaire montée de toute pièce par le Comité de sûreté générale) ; elle n’allongeait pas la liste des crimes passibles du Tribunal révolutionnaire ; elle n’avait pas non plus pour but d’atteindre quelques députés terroristes ou corrompus ; elle n’ouvrit pas la période de la Grande Terreur qui n’est d’ailleurs qu’une illusion d’optique ; elle ne plongea pas la France dans l’horreur absolu ; les abus qui eurent cependant lieu par la suite ne furent pas des conséquences de cette loi mais des conséquences de sa violation et du non respect d’autres dispositions. La loi du 22 prairial était intimement liée aux lois et décrets des 8, 13 et 23 ventôse et du 27 germinal et, de manière générale, à l’état d’esprit des révolutionnaires.

Pour ne pas tomber dans les explications simplistes et mensongères et éviter les affirmations aussi fausses que gratuites, dont l’objet est généralement d’accabler Robespierre, et pour prouver ce qui vient d’être dit, il faut donc connaître la genèse de cette loi et l’histoire avant et après son adoption.

Dès le 29 octobre 1793, à l’occasion du procès des Girondins, Audouin, au nom des Jacobins, avait demandé à la Convention « 1° de débarrasser le tribunal révolutionnaire des formes qui étouffent la conscience et empêchent la conviction ; 2° d’ajouter une loi qui donne aux jurés la faculté de déclarer qu’ils sont assez instruits ». Osselin avait aussitôt transformé en motion une partie de la pétition et la Convention avait décrété que les débats au Tribunal cesseraient dès que les jurés seraient en état de prononcer. Lorsque la rédaction du décret définitif fut présentée, Robespierre intervint sur la question du délai :

« La rédaction qui vous est proposée, dit-il, ne vous conduit pas au but que vous voulez atteindre ; votre but est d’empêcher qu’on ne rende interminables les procès des conspirateurs. Vous voulez qu’une prompte justice soit rendue au peuple, tout en faisant jouir les accusés de l’établissement bienfaisant des jurés. La rédaction d’Osselin est trop vague, elle laisse les choses dans l’état où elles sont. En voici une qui concilie les intérêts des accusés avec le salut de la patrie. Je propose de décréter qu’après trois jours de débats, le président du tribunal demandera aux jurés si leur conscience est assez éclairée ; s’ils répondent négativement, l’instruction du procès sera continuée jusqu’à ce qu’ils déclarent qu’ils sont en état de prononcer ».

Appuyée par Barère, cette proposition complémentaire avait été aussitôt adoptée.

Le 27 novembre suivant (7 frimaire), les représentants à Commune-Affranchie (Lyon), dont Collot-d’Herbois, avaient arrêté la création de la Commission révolutionnaire, en « considérant que l’exercice de la justice n’a besoin d’autre forme que l’expression de la volonté du peuple ; que cette volonté énergiquement manifestée doit être la conscience des juges [...] ».

Le 9 février (21 pluviôse), le Comité (Robespierre, Billaud-Varenne, Jeanbon St-André et C.-A. Prieur) avait noté, dans un arrêté à propos de l’habitude prise par les jurés de motiver leur opinion : « Cette manière nouvelle d’influencer les opinions, incompatible avec la célérité et la pureté des jugements, peut substituer insensiblement le pouvoir de la parole ou de l’intrigue à celui de la raison et à la voix de la conscience, rappelle que les jurés doivent se contenter de donner leur déclaration purement et simplement, conformément aux principes et à la loi, sans se livrer à aucune discussion. »

Les 26 février (8 ventôse) et 3 mars 1794 (13 ventôse), avec les lois de ventôse adoptées sur le rapport de Saint-Just, les biens des condamnés devaient être distribués aux indigents, aux sans-culottes, « selon le tableau que le Comité de sûreté générale lui en aura présenté et qui sera rendu public », de sorte qu’ils profitent de la Révolution et y soient plus que jamais attachés. Il fallait donc juger rapidement les suspects et éventuellement les condamner. La Convention avait donc voté dans la foulée, 13 mars (23 ventôse), la création de six Commissions populaires qui, établies à Paris, seraient chargées de juger les détenus. En conséquence, la Convention vota, le 16 avril (27 germinal), les mesures de police générale présentées par Saint-Just, d’après lesquelles tous les prévenus de conspiration devaient être transférés à Paris. C’était suspendre de fait tous les tribunaux révolutionnaires de province et donner un travail énorme à celui de Paris. Le 22 avril (3 floréal), le Comité de salut public (Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne) arrêta : « Le décret du 27 germinal [16 avril] disposant que tous les prévenus de conspiration seront traduits, de tous les points de la République, au Tribunal révolutionnaire à Paris, et que des Commissions populaires seront établies pour le 15 floréal [4 mai], les opérations des Commissions révolutionnaires [de province] sont provisoirement suspendues. » On ne saurait dire plus clairement. (Pour être tout à fait exact, quelques tribunaux révolutionnaires furent maintenus ou rétablis en mai : celui d’Arras, jusqu’au 10 juillet, de Bordeaux, de Nîmes, de l’armée de la Moselle et, à l’Ouest, celui de Noirmoutier, de Laval-Vitré-Rennes et de l’armée de l’Ouest. La Commission d’Orange qui n’existait pas alors fut elle aussi établie en mai, le 10.)

Le 20 avril (1er floréal), la Convention, sur un rapport de Billaud-Varenne, décréta que les ennemis de la République seraient punis sans pitié. Le 8 mai (19 floréal), sur le rapport fait par Couthon au nom des Comités de salut public et de législation réunis, la Convention décréta encore que, en exécution de l’article premier de la loi du 27 germinal, tous les crimes contre-révolutionnaires, définis par les lois antérieures, seraient du ressort du Tribunal révolutionnaire de Paris, où qu’ils aient été commis dans la République.

Le 13 mai (24 floréal), conformément au décret du 23 ventôse (13 mars), les Comités de salut public et de sûreté générale réunis (Voulland, Billaud-Varenne, Robespierre, B. Barère, C.-A. Prieur, Couthon, Amar, Elie Lacoste, Louis (du Bas-Rhin), Dubarran, Jagot, Carnot et Vadier) arrêtèrent la création de la première Commission populaire chargée de juger les détenus, de trier d’un côté les patriotes incarcérés à libérer, d’un autre les suspects à déporter ou à envoyer au Tribunal. « Les membres de la Commission [...] ne perdront jamais de vue le salut de la patrie, qui leur est confié et qui doit être la règle suprême de leurs décisions. Ils vivront dans cet isolement salutaire qui concilie aux juges le respect et la confiance publique et qui est le plus sûr garant de l’intégrité des jugements. Ils repousseront toutes sollicitations et fuiront toutes les relations particulières qui peuvent influencer les consciences et affaiblir l’énergie des défenseurs de la liberté (Ecrit par Billaud-Varenne.) ». Une seconde Commission fut établie le lendemain. Chaque Commission populaire était composée de cinq membres. Trinchard, membre de la première Commission, et Laporte le jeune, membre de la seconde, étaient jurés au Tribunal révolutionnaire. Subleyras et Laviron, membres de la seconde Commission, furent nommés jurés le 22 prairial. Le 24 mai (5 prairial), le Comité (sans précision) arrêta que « le traitement des membres composant les deux Commissions populaires établies à Paris, sera le même que celui des juges du Tribunal révolutionnaire, et que les dépenses s’ordonnanceront de la même manière que pour ce tribunal ». 

Par ailleurs, le Comité institua une Commission révolutionnaire à Orange le 10 mai (20 floréal). Avignon, Arles, Tarascon, Marseille, en un mot la Provence avait été le théâtre d’insurrections et de complots. Il était impossible de transférer à Paris les neuf à dix mille personnes qui attendaient leur jugement ni de faire déplacer le triple de témoins. Comme le tribunal révolutionnaire de Marseille n’existait plus en vertu de la loi du 27 germinal, le représentant Maignet avait réclamé l’établissement d’une Commission pour le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône. L’arrêté autorisant cette Commission était écrit par Robespierre et signée par Collot-d’Herbois, Robespierre, Barère, Billaud-Varenne, Couthon. Le 18 mai (29 floréal), le Comité (Carnot, Billaud et Couthon) rédigea une instruction pour cette Commission. « La preuve requise pour la condamnation sont tous les renseignements de quelque nature qu’ils soient, qui peuvent convaincre un homme raisonnable et ami de la liberté. La règle des jugements est la conscience des juges éclairés par l’amour de la justice et de la patrie. Leur but est le salut public et la ruine des ennemis de la patrie. Les membres de la commission auront sans cesse les yeux fixés sur ce grand intérêt ; ils lui sacrifieront toutes les considérations particulières. Ils vivront dans cet isolement salutaire, qui est le plus sûr garant de l’intégrité des juges et qui, par cela même, leur concilie la confiance et le respect. Ils repousseront toutes sollicitations dangereuses. » Cette instruction était manifestement inspirée par le fonctionnement des Commissions populaires et inspira à son tour les articles 8 et 16 du décret du 22 prairial. (Sur 591 prévenus, environ 300 furent condamnés à mort, une centaine, à de la réclusion ou à des amendes, et près de 200 furent acquittés.)

Le 22 mai (3 prairial), le Comité (Robespierre) donna aux Commissions populaires séantes au Muséum tous les moyens pour enquêter.

« Elles feront paraître devant elles les prévenus, lorsqu’elles le jugeront nécessaire. Elles pourront appeler des citoyens pour en prendre des renseignements, soit sur les faits, soit sur les individus. Cette faculté s’étendra jusqu’aux fonctionnaires publics, notamment les membres des Comités révolutionnaires ou de surveillance, et ce, de toutes les parties de la République, sauf à user de cette faculté avec la plus grande réserve. Les papiers que l’on saura exister dans tel endroit, et même dans les Comités de la Convention, pourront être demandés. Lorsque les Commissions découvriront dans l’examen d’une affaire de nouveaux coupables, elles auront le droit de lancer un mandat d’arrêt, en prévenant le Comité de salut public dans les vingt-quatre heures après l’arrestation. Elles auront le droit de mandat d’amener contre les citoyens non fonctionnaires publics qui, étant appelés pour donner des renseignements, ne se rendraient pas. »

Les Commissions commencèrent à produire des listes de personnes  à libérer, déporter ou envoyer au Tribunal à partir du 7 juin (19 prairial). (En tout, elles dressèrent 124 listes : 97 de personnes à envoyer au Tribunal révolutionnaire,  15 de personnes à déporter et au moins 4, mais probablement 12, de personnes à libérer. Toutes les pièces relatives aux listes de libération ont disparu ou ont été détruites. Seuls subsistent deux messages des Commissions aux Comités qui en mentionnent 4 (3 + 1).)

Trois jour plus tard (un hasard ?), le 22 prairial (10 juin), Couthon présenta à la Convention la fameuse loi qui n’était finalement que la synthèse de dispositions antérieures. Comme quelques députés firent des objections, Robespierre intervint pour qu’elle soit discutée article par article, ce qui fut fait. Ruamps qui le premier s’était élevé contre cette loi et avait prétendu qu’il se brûlerait la cervelle si elle était adoptée n’en fit rien et avoua même, le 6 germinal an III, qu’à cette époque il conspirait déjà contre Robespierre. Les conspirateurs cherchaient alors à l’obliger à se défendre d’intentions qu’il n’avait pas pour que la Convention, à force d’entendre les mêmes accusations infondées, finisse par douter de lui et craindre pour elle-même. Il reste toujours quelque chose de la calomnie. Ainsi, le lendemain, en l’absence des membres du Comité, Bourdon (de l’Oise), appuyé par Bernard (de Saintes), réclama un décret additionnel pour assurer les députés qu’ils ne pourraient être poursuivis que par la Convention, comme si le Comité avait voulu changer les choses en la matière. Merlin (de Douai) intervint et la Convention, « considérant que le droit exclusif de la représentation nationale de décréter ses membres d’accusation et de les faire mettre au jugement est un droit indéniable », décréta qu’il n’y avait pas lieu à délibérer.

Mais, le lendemain, les membres du Comité protestèrent contre le considérant lui-même. Couthon estimant qu’il injuriait le Comité réclama son retrait, sous les applaudissements. Bourdon (de l’Oise) balbutia de plates excuses. Robespierre intervint. « Ce n’est pas par des rétractations éternelles et peut-être concertées ; ce n’est pas par des discours qui, sous les apparences de l’accord et du patriotisme, concourent toujours au système si souvent interrompu et si souvent repris de diviser la représentation nationale, que l’on peut justifier ces démarches. Ce qu’à dit Couthon est resté dans toute sa force, et il est bien démontré qu’il n’y avait pas lieu aux plaintes qui ont été faites. » Appuyé par Billaud-Varenne et Barère, le considérant fut rapporté. C’était la dernière « victoire » de Robespierre et sa dernière intervention à la Convention avant le 8 thermidor.

La loi du 22 prairial était désormais en vigueur. Pour autant, les listes des Commissions populaires ne furent pas transmises au Comité, pour approbation, ni au Tribunal révolutionnaire, pour application des sentences. Les quatre autres Commissions prévues n’étaient toujours pas établies. Les lois de ventôse en faveur des pauvres rencontraient une sourde obstruction tant au sein du Comité de salut public que du Comité de sûreté générale qui devait dresser le tableau des indigents. C’était là le fond de la querelle entre Robespierre et les membres des Comités.

A cela s’ajoutaient néanmoins les différends politiques, les rivalités de personnes et les questions d’autorité. Carnot, Lindet et Prieur (de la Côte d’Or) aspiraient à une politique bourgeoise. Carnot était en outre favorable à la guerre de conquête, tandis que Robespierre désirait mettre fin à la guerre une fois le territoire national libéré et la République à l’abri. Carnot s’était également heurté à Saint-Just et au frère de Robespierre sur des questions stratégiques. (Ce dernier avait proposé pour l’armée d’Italie un plan conçu par Bonaparte, que celui-ci appliqua avec succès en 1796 et que Carnot rejeta alors.) Moins claires sont les raisons de la rupture de Collot-d’Herbois (le compère de Fouché à Lyon) et de Billaud-Varenne avec Robespierre, et encore moins celles du louvoyant Barère (dont Robespierre admirait la puissance de travail mais n’appréciait pas les « carmagnoles », ses rapports pompeux sur les victoires françaises). Les membres éminents du Comité de sûreté générale, eux, ne supportaient plus l’ascendant du Comité de salut public et celui de Robespierre en particulier ; ils avaient en travers l’Etre suprême et ils n’acceptaient pas la création du Bureau de police générale au sein du Comité de salut public. (Ce Bureau, vu par le Comité de sûreté générale comme un concurrent, avait été créé par décret le 26 germinal pour surveiller les personnes publiques. Il fut d’abord dirigé par Saint-Just, puis, en son absence, par Robespierre ou Couthon. Ses arrêtés, environ 460 — concernant des arrestations, des transferts, des destitutions, des nominations, etc. —, devaient cependant recevoir l’aval du Comité et, de fait, tous les membres accordèrent des signatures. Seules six personnes arrêtées sur ses ordres furent exécutées.)

Pendant ce temps, le Tribunal révolutionnaire tournait à plein régime. Avec la loi du 27 germinal qui supprimait les tribunaux de province, le nombre d’exécutions avait logiquement triplé à Paris, par rapport aux décades précédentes ; mais il avait encore doublé depuis le 22 prairial. La simplification des procédures n’expliquait pas tout. Les prévenus étaient désormais envoyés par dizaines au Tribunal révolutionnaire et les « fournées » qui avaient été exceptionnelles avant étaient maintenant l’ordinaire. Cette pratique odieuse n’était pas prescrite par la loi du 22 prairial, mais l’opinion publique habilement manipulée ne pouvait que lui en attribuer la cause et, partant, en accuser Robespierre. Le summum fut atteint avec la fournée dite « des chemises rouges », le 17 juin (29 prairial). Le Comité de sûreté générale et Fouquier-Tinville étaient derrière la manœuvre.

Contre le premier, Robespierre ne pouvait rien dans l’immédiat. En revanche, il essaya de faire destituer Fouquier. Le 26 juin (8 messidor), Herman, robespierriste, ex-président du Tribunal révolutionnaire, commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, adressa ce mot à Desvieux, président du tribunal du 3ème arrondissement : « Je te crois bon patriote et éclairé ; je m’adresse à toi pour que, dans ta conscience républicaine, tu m’indiques un citoïen propre à remplir les fonctions d’accusateur public, que le Comité de Salut public m’a chargé de rechercher. Prompte réponse. Salut et fraternité. » Robespierre n’obtint pas satisfaction. Le 29 juin, il se heurta violemment à ses collègues du Comité qui le traitèrent de dictateur. A partir du 1er juillet, il ne parut plus au Comité. Il exposa les raisons de son retrait le soir même aux Jacobins :

« Quand le crime conspire dans l’ombre la ruine de la liberté, est-il pour des hommes libres, des moyens plus forts que la vérité et la publicité ? Irons-nous, comme les conspirateurs, concerter dans des repaires obscurs, les moyens de nous défendre contre leurs efforts perfides ? Irons-nous répandre l’or et semer la corruption ? En un mot, nous servirons-nous contre nos ennemis des mêmes armes qu’ils emploient pour nous combattre ? Non. Les armes de la liberté et de la tyrannie sont aussi différentes, que la liberté et la tyrannie sont opposées. Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis, il ne nous reste d’autre ressource que la vérité, et le tribunal de l’opinion publique, et d’autre appui que les gens de bien. »

L’absence de celui que la France et l’Europe voyaient, à tort, comme le chef de la Révolution et de la République finit par s’ébruiter et par inquiéter. D’autant plus que Robespierre dénonçait aux Jacobins ses ennemis, leurs manœuvres, leurs calomnies et les excès de la Terreur. Les membres des Comités sentirent la nécessité de se réconcilier avec lui. Pour gage de leur sincérité, ils ratifièrent enfin les listes dressées par les Commissions populaires. La première, cumulant 36 listes portant sur 150 détenus à envoyer au Tribunal révolutionnaire, fut ratifiée le 20 juillet (2 thermidor). Ils la lui firent porter chez lui. Il la signa à son tour. Ils en ratifièrent deux autres le lendemain. Une cumulait 66 petites listes et portait sur 313 détenus à envoyer au Tribunal révolutionnaire ; l’autre cumulait 14 listes portant sur 47 détenus à déporter. Le 22 juillet (4 thermidor), les Comités arrêtèrent la création des quatre dernières Commissions populaires. Le lendemain, Robespierre assistait à la séance des Comités. Mais il ne crut pas en leur bonne foi. Deux jours plus tard, il portait ses plaintes à la Convention et, deux jours après, sa tête à l’échafaud.


Ainsi, la loi du 22 prairial an II ne fut pas un caprice ou un délire de Robespierre. Elle n’avait pas été conçue à la hâte ; elle faisait partie d’un tout. De ce fait, il est possible que Couthon et Robespierre l’aient rédigée et présentée à la Convention sans en informer leurs collègues du Comité de salut public, mais rien dans cette loi n’était nouveau ni dans la forme ni dans l’esprit, rien ne pouvait les choquer eux qui, tous, un mois plus tôt, avaient cautionné l’établissement de la Commission d’Orange qui en était le modèle. En outre, les Commissions populaires dont l’établissement avait été décrété dans le cadre des lois de ventôse, qui devaient mâcher le travail du Tribunal révolutionnaire et qui commençaient à fonctionner permettaient d’accélérer les procédures dudit Tribunal. Quant au Comité de sûreté générale, si ses membres furent vexés de ne pas avoir été prévenus de la présentation de cette loi, ce n’est certes pas son contenu qui pouvait les émouvoir.

Deux documents prouvent jusqu’à l’évidence ces affirmations. Le 13 juillet, de Tulle, Roux-Fazillac, représentant dans la Corrèze et le Puy-de-Dôme, consulta le Comité pour savoir s’il devait envoyer au Tribunal révolutionnaire des accusés prévenus de complicité d’émigration, de conduite incivique ou de propos contre-révolutionnaires. « La marche du tribunal [local] se trouve barrée par le décret du 22 prairial, qui veut que les ennemis du peuple soient jugés par le Tribunal révolutionnaire et qui prohibe aux autorités constituées d’y envoyer ceux qui peuvent être dans cette classe, sans avoir obtenu l’autorisation des Comités de salut public et de sûreté générale. Je vous ai déjà demandé, citoyens collègues, si les commissions populaires, décrétées par la Convention, seraient mises en activité, et si le décret du 22 prairial y suppléait. » Le 23 juillet, le Comité (sans autre précision) lui répondit : « Les lois du 19 floréal [8 mai] et 22 prairial déterminent si précisément les crimes dont la connaissance est exclusivement attribuée au Tribunal révolutionnaire, qu’il n’est pas possible d’élever un doute sur ce point. C’est à lui qu’il appartient, suivant l’article 10 de cette dernière loi, d’y traduire ceux dont le crime est désigné comme attentatoire à la liberté du peuple et à la marche de la Révolution. Quant aux autorités constituées, l’article 11 exige qu’elles en préviennent les Comités de salut public et de sûreté générale, et qu’elles obtiennent leur autorisation. Nous nous reposons d’ailleurs sur ta sagacité et ton amour pour la chose publique. Jusqu’à ce que les Commissions populaires soient en pleine activité dans toute la République, il n’y a pas d’autre marche à suivre que celle qui est prescrite par les lois des 27 germinal [16 avril, sur les mesures de police générale], 19 floréal [8 mai, précision sur la loi du 27 germinal] et 22 prairial. »

Les détracteurs de Robespierre qui ne s’embarrassent guère de la logique, des faits et de preuves ont prétendu que cette loi élargissait à l’infini les crimes passibles du Tribunal révolutionnaire ce qui, selon eux, serait la cause de l’augmentation considérable des exécutions. Autrement dit, la loi du 22 prairial était plus vague que la loi précédemment en vigueur. Or la loi en vigueur était toujours celle du 17 septembre 1793 qui définissait ainsi les suspects :

« Sont réputés gens suspects : 1° ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme, et ennemis de la liberté ; 2° ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par la loi du 21 mars, de leurs moyens d’exister et de l’acquit de leurs devoirs civiques ; 3° ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; 4° les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou par ses commissaires et non réintégrés, notamment ceux qui ont été ou doivent être destitués en vertu de la loi du 14 août dernier ; 5° ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœur, et agents d’émigrés qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ; 6° ceux qui ont émigré dans l’intervalle du 1er juillet 1789 à la publication de la loi du 8 avril 1792, quoiqu’ils soient rentrés en France dans le délai fixé par cette loi, ou précédemment. »

La loi du 22 prairial définissait les suspects dans l’article 6 :

« Sont réputés ennemis du peuple ceux qui auront provoqué le rétablissement de la royauté, ou cherché à avilir ou à dissoudre la Convention nationale et le gouvernement révolutionnaire et républicain dont elle est le centre ; Ceux qui auront trahi la République dans le commandement des places et des armées, ou dans toute autre fonction militaire, entretenu des intelligences avec les ennemis de la République, travaillé à faire manquer les approvisionnements ou le service des armées ; Ceux qui auront cherché à empêcher les approvisionnements de Paris, ou à causer la disette dans la République ; Ceux qui auront secondé les projets des ennemis de la France, soit en favorisant la retraite et l’impunité des conspirateurs et de l’aristocratie, soit en persécutant et calomniant le patriotisme, soit en corrompant les mandataires du peuple, soit en abusant des principes de la révolution, des lois ou des mesures du gouvernement, par des applications fausses et perfides ; Ceux qui auront trompé le peuple ou les représentants du peuple, pour les induire à des démarches contraires aux intérêts de la liberté ; Ceux qui auront cherché à inspirer le découragement pour favoriser les entreprises des tyrans ligués contre la République ; Ceux qui auront répandu de fausses nouvelles pour diviser ou pour troubler le peuple ; Ceux qui auront cherché à égarer l’opinion et à empêcher l’instruction du peuple, à dépraver les mœurs et à corrompre la conscience publique, et altérer l’énergie et la pureté des principes révolutionnaires et républicains, ou en arrêter les progrès, soit par des écrits contre-révolutionnaires ou insidieux, soit par toute autre machination ; Les fournisseurs de mauvaise foi qui compromettent le salut de la République ; Ceux qui, étant chargés de fonctions publiques, en abusent pour servir les ennemis de la révolution, pour vexer les patriotes, pour opprimer le peuple ; Enfin, tous ceux qui sont désignés dans les lois précédentes relatives à la punition des conspirateurs et contre-révolutionnaires, et qui, par quelques moyens que ce soit et de quelques dehors qu’ils se couvrent, auront attenté à la liberté, à l’unité, à la sûreté de la République, ou travaillé à en empêcher l’affermissement. »

La longueur de cette définition atteste à elle seule la plus grande précision de la loi du 22 prairial an II comparée à celle du 17 septembre 1793. La liste des crimes passibles du Tribunal révolutionnaire, dictée par l’expérience, se voulait aussi exhaustive que possible. Elle était moins concise pour qu’il y ait moins d’abus. Qu’il y ait eu des abus ne signifie pas que la loi les ait provoqués et que Robespierre en ait été responsable, d’autant plus que nous savons qu’ils furent le fait de ses ennemis.

Les admirateurs de Robespierre, en revanche, ont prétendu que la loi du 22 prairial, dans l’esprit des robespierristes, ne devait servir qu’à atteindre une poignée de députés terroristes ou corrompus. Ils citent à l’appui la déclaration que fit Couthon aux Jacobins, le 6 thermidor : « la vertu et l’énergie de la Convention nationale peuvent écraser à volonté les cinq ou six petites figures humaines dont les mains sont pleines des richesses de la République et dégoûtantes du sang des innocents qu’ils ont immolés ». Cette déclaration ne prouve pas leur assertion, tandis que la connaissance de la Révolution montre qu’une loi pour saisir quelque députés était inutile (des députés avaient déjà été arrêtés et exécutés). Du reste, la loi avait à l’évidence une portée générale ; elle n’était pas faite pour viser cinq ou six personnes. En somme, cette thèse suppose que les robespierristes avaient mal calculé leur coup et furent inconséquents dans cette affaire, ce qui est à la fois insultant pour eux et tout aussi loin de la vérité que les thèses de leurs détracteurs. 

On a reproché à cette loi, donc à Robespierre, de violer toutes les règles de la justice en supprimant les interrogatoires préalables, les témoins et les défenseurs. Mais, outre qu’il ne s’agissait pas là de justice ordinaire mais de justice révolutionnaire, que supprimait réellement cette loi comparé au fonctionnement antérieur du Tribunal ? Seulement des illusions entraînant des lourdeurs. Les interrogatoires préalables étaient inconsistants. Les témoins, quand il y en avait ne prouvaient rien. Quant aux défenseurs, il était de notoriété publique qu’ils escroquaient leurs clients. D’où l’article 16 : « La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés, des jurés patriotes ; elle n’en accorde point aux conspirateurs. » Tous les révolutionnaires étaient depuis longtemps dans cet état d’esprit. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les détenus devaient être jugés par les Commissions populaires qui, elles, avaient reçu de Robespierre lui-même les moyens d’enquêter, d’interroger prévenus et témoins.

Les détracteurs de Robespierre s’acharnent à prétendre que la loi du 22 prairial ouvrit le règne de la Grande Terreur et s’indignent de l’explosion du nombre des exécutions. Ils feignent d’oublier que la loi du 27 germinal avait supprimé les tribunaux révolutionnaires de province et que, de ce fait, la plupart des exécutions avaient lieu depuis à Paris, de sorte que la Terreur à Paris doit être rapportée à la France. Ainsi le nombre d’exécutions augmenta à Paris, non avec la loi du 22 prairial, mais dès la fin germinal (même s’il est vrai qu’il augmenta encore après le 22 prairial), parce qu’elles avaient quasiment cessé partout ailleurs. Au niveau national, le nombre d’exécutions ne se maintint pas, il chuta en raison de la difficulté d’envoyer à Paris tous les suspects. Ainsi, loin d’inaugurer une Grande Terreur, les lois des 27 germinal et 22 prairial an II mirent quasiment fin à la Terreur. Si le but des révolutionnaires, et de Robespierre en particulier, avait été de plonger la France dans la Terreur et les abus, ils auraient couvert la France de tribunaux. Ils firent l’inverse. Il y avait des tribunaux partout ; ils n’en laissèrent subsister qu’un, à Paris. Que peut en déduire le bon sens sur leurs intentions ? Auraient-ils procédé autrement s’ils avaient voulu réduire la Terreur, la contrôler et se donner les moyens de l’arrêter le moment venu ? 

Si l’on veut néanmoins parler de Grande Terreur à Paris, l’honnêteté commande d’en dater le début au 27 germinal, et non au 22 prairial (On sait pourquoi seule cette deuxième date retient l’attention de certains.) et de signaler qu’environ 60 % des condamnés étaient des provinciaux, ce qui permet de relativiser la terreur qu’éprouvèrent les Parisiens.

On ne saurait cependant parler de la Terreur à Paris sans avancer de chiffres. La représentation du nombre des exécutions sous forme de graphique permet de distinguer 5 phases.

1) d’avril 1793 (le Tribunal révolutionnaire avait été institué le 10 mars 1793, mais les premières exécutions eurent lieu en avril) au 20 octobre = 20 décades.

  • 93 exécutions (dont 74 provinciaux, soit 79,5 %), soit 4,65 / décade
  • 210 libérations
  • 50 peines autres que la mort

2) du 21 octobre 1793 au 20 février 1794 (2 ventôse an II) = 12 décades

  • 271 exécutions (dont 134 provinciaux, soit 49,4 %), soit 22,58 / décade
  • 299 libérations
  • 99 peines autres que la mort

3) du 21 février au 10 avril (21 germinal an II) = 5 décades

  • 198 exécutions (dont 115 provinciaux, soit 58 %), soit 39,6 / décade
  • 105 libérations
  • 18 peines autres que la mort

Total des trois premières périodes, d’avril 1793 au 10 avril 1794 = 37 décades :

  • 562 exécutions (dont 323 provinciaux, soit 57,47 %), soit 15,2 / décade
  • 614 libérations
  • 167 peines autres que la mort

4) du 11 avril (22 germinal) au 10 juin (22 prairial an II) = 6 décades

  • 713 exécutions (dont 432 provinciaux, soit 60,6 %), soit 118,8 / décade
  • 296 libérations
  • 62 peines autres que la mort

5) du 11 juin au 29 juillet (9 thermidor an II) = 5 décades

  • 1364 exécutions (dont 809 provinciaux, soit 59,3 %), soit 272,8 / décade
  • 308 libérations
  • 29 peines autres que la mort

Total pour la Terreur à Paris, d’avril 1793 au 9 thermidor an II

  • 2639 exécutions (dont 1564 provinciaux, soit 1075 Parisiens sur 600.000)
  • 1218 libérations
  • 258 autres peines que la mort

 

Ces chiffres, rigoureusement exacts, tirés des archives du Tribunal révolutionnaire, confirment que si Grande Terreur il y eut à Paris, elle commença avec la loi du 27 germinal, puisqu’il y eut dans les six décades qui suivirent plus d’exécutions que durant les 37 qui précédèrent. Ils montrent en outre que, contrairement aux impressions que laissent les récits des anciens suspects, les Parisiens n’eurent finalement pas grand chose à craindre de la Terreur qui fit moins de 0,2 % de victimes parmi eux, que cette période fut loin d’être pour eux la plus terrible de l’histoire. En 1871, par exemple, les Versaillais en fusillèrent sans jugement autour de 20.000 en une semaine. A l’échelle de la France, les historiens estiment à environ à 17.000 le nombre d’exécutions, et à 40.000 le nombre de victimes de la Terreur en comptant les exécutions sommaires et les décès en prison, soit 0,15 % d’une population qui comptait 26 millions d’âmes, ou encore l’équivalent d’une bataille napoléonienne. (N’entrent pas dans ces chiffres les morts de la guerre à l’Ouest.)

Les concerts d’indignation ont donc quelque chose d’exagéré et de partial. Malgré des abus certains, les révolutionnaires ne furent pas des sanguinaires. La République aux abois ne pouvaient pas être sauvée sans verser de sang, mais les chiffres montrent qu’ils n’en versèrent pas tant que cela. Même le Tribunal révolutionnaire de Paris, présenté comme un tribunal de sang, acquitta près d’un tiers des prévenus. Les acquittements furent moins nombreux après le 27 germinal et surtout après le 22 prairial, mais il y en eut quand même plus de 600. La proportion des condamnations fut logiquement plus élevée durant cette période puisque furent déférées au Tribunal et souvent envoyées de loin les personnes les plus notoirement contre-révolutionnaires.

Ceci explique sans doute pourquoi Robespierre ne s’éleva pas contre les exécutions, en définitive peu nombreuses, mais contre les arrestations abusives, c’est-à-dire la manière aveugle et criminelle de certains d’exercer la Terreur.

« Est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes, et porté la terreur dans toutes les conditions ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, oubliant les crimes de l’aristocratie et protégeant les traîtres, avons déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la révolution redoutable au peuple même ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes, fruit de l’obsession des traîtres, avons promené le glaive sur la plus grande partie de la Convention nationale, et qui demandions dans les sociétés populaires la tête de six cents représentants du peuple ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. » (8 thermidor)

Enfin, l’idée que la loi du 22 prairial instaura la Grande Terreur fait dire à certains que les députés tremblaient, comme s’ils avaient désormais une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Bouloiseau écrit à ce propos : « Tant de sièges vides hantaient les députés qui se demandaient quand viendrait leur tour ! ». Cette phrase semble vouloir dire que beaucoup de députés avaient été exécutés et que le restant craignait que Robespierre ne les élimine aussi grâce à la loi de prairial. Ceci n’a tout bonnement aucun sens.

Tout d’abord, Robespierre n’était pas plus maître des verdicts du Tribunal révolutionnaire qu’il n’était libre d’y envoyer qui il voulait. Il ne put même pas y traduire ses ennemis déclarés qui, pour la plupart, étaient des ordures notoires. (Après le 9 thermidor, Vadier déclara que « le comité de sûreté générale avait tout fait en faveur de Tallien, Fouché et autres, pour détourner l’effet des dénonciations portées contre eux, par la raison qu’ils étaient poursuivis par Robespierre. ») Il appartenait d’ailleurs toujours à la Convention d’y traduire ses membres.

Ensuite, que représentaient les places vides ? Aucun député ne fut arrêté durant la « Grande Terreur ». Osselin fut bien exécuté le 26 juin 1794 (et ce fut le seul député dans ce cas), mais il avait été arrêté en novembre 1793. Furent également exécutés les 19 et 25 juin, mais à Bordeaux, les Girondins fugitifs Guadet, Salle et Barbaroux (Buzot et Pétion s’étant suicidés). Manquaient donc les Girondins exécutés ou hors la loi, ceux incarcérés que Robespierre avait seul défendus, les Indulgents (qui, à l’exception de Desmoulins et Philippeaux, ne furent pas réhabilités par la Convention thermidorienne), quelques fripons condamnés par la Convention, et surtout les représentants en mission (plus d’une soixantaine) ou en congé ou décédés naturellement ou morts au combat ou assassinés. Excepté les amis de Danton, rares étaient donc les députés qui pouvaient voir dans les places vides des raisons de craindre pour eux-mêmes !

Quelques députés furent cependant effrayés à cette époque, non par cette loi, mais par les insinuations des ennemis de Robespierre et les fausses listes de proscription mises en circulation par Fouché. Encore ces manœuvres eurent-elles moins d’effet que prévu, puisque les comploteurs qui avaient si mauvaise réputation durent encore négocier dans la nuit du 8 au 9 thermidor le soutien de la Plaine pour la journée du lendemain, preuve que la Plaine participa moins au 9 thermidor par crainte que par intérêt politique. Pourquoi d’ailleurs, avec ou sans la loi du 22 prairial, les députés de la Plaine auraient-ils redouté Robespierre, lui qui professait un respect sans borne pour la Convention et avait pour ennemis personnels tous ceux qui la déshonoraient ? La loi du 22 prairial ne faisait qu’accélérer les procédures du Tribunal révolutionnaire ; l’important, pour un député, était donc de ne pas être décrété d’arrestation, ce qui ne pouvait se faire sans l’aval de la Convention. Or, de ce point de vue, la Plaine avait bien plus à craindre des ennemis de Robespierre qui avaient pour eux le nombre que de Robespierre lui-même qui n’avait que son prestige à opposer et qui était le plus en danger. Révolutionnaire éminent, il ne pouvait être atteint qu’après un long travail de sape auquel ses ennemis s’employèrent sans relâche durant des mois.

Finalement, Robespierre et ses amis furent les seuls députés exécutés selon la loi du 22 prairial qui fut abrogée le 14 thermidor an II (1er août) sur l’intervention de Lecointre (de Versailles).

La fin d’un « tyran »

« Le 9 thermidor, lasse de la dictature de Robespierre, de ses excès et de la Terreur, la Convention décrète Robespierre d’arrestation. » Telle est généralement la façon dont l’événement est présenté et expliqué dans le même temps. Robespierre fut arrêté et exécuté, logique, parce que c’était un tyran. L’affaire est entendue. Mais, comme dit un jour Cambacérès à Napoléon, « cela a été un procès jugé, mais non plaidé ». En effet, à y regarder de plus près, cette présentation n’est ni un résumé ni un raccourci mais une falsification des faits, un mensonge éhonté.

Cette explication suppose la pureté des intentions de la Convention, puisqu’elle renversa une tyrannie. Mais qui furent réellement les acteurs de l’événement ? qui étaient les ennemis de Robespierre ?

Au premier rang, Fouché, le futur ministre de la police de Napoléon, le suppôt de tous les régimes. Robespierre ne lui pardonnait pas les mitraillades de Lyon et l’oppression des patriotes lyonnais. Vadier, Amar, Jagot, Dubarran, les hommes du Comité de sûreté général, prêts à envoyer n’importe qui au Tribunal révolutionnaire pourvu que cela leur permette de nuire à Robespierre. Carnot, l’homme de la guerre de conquête, quand Robespierre voulait la paix dès que possible. Il était considéré par les Robespierristes comme leur plus grand ennemi. Tallien, outrancier et vénal de notoriété publique. Les compères de Marseille, Fréron, le futur leader de la Jeunesse dorée, méprisé de tous, et Barras, futur homme clé du régime le plus pourri que la France ait connu, à savoir le Directoire. Bernard (de Saintes), l’escroc, l’ennemi de Robespierre jeune qui distinguait l’erreur du crime et avait libéré ceux qu’il avait arrêtés dans le Jura. André Dumont, le tartuffe, futur proscripteur de ses collègues. Bourdon (de l’Oise), à propos du quel Robespierre avait écrit qu’il « s’est couvert de crimes en Vendée, où il s’est donné le plaisir, dans ses orgies avec le traître Tunck, de tuer des volontaires de sa main. Il joint la perfidie à la fureur… Cet homme se promène avec l’air d’un assassin qui médite un crime. Il semble poursuivi par l’image de l’échafaud et des Furies. » Les amis de Danton, aussi pourris que lui : Legendre, Guffroy, Courtois, Garnier (de l’Aube) qui tous persécuteront les Jacobins et les anciens membres des Comités. D’autres pourris tels que le ci-devant Rovère, coupable de concussion efferéne dans le Midi. Voilà quels étaient les ennemis personnels de Robespierre ; c’était la lie de la Convention.

Quant à la masse des députés de la Convention, la Plaine ou le Marais, c’est selon, elle était composée de bourgeois qui n’avaient soutenus la Montagne qu’en raison des circonstances, pour faire face au péril. Elle ne partageait pas l’idéal social, démocratique et égalitaire des Jacobins et de Robespierre dans lequel elle avait cependant trouvé un protecteur face à tous les furieux de caractère ou de posture. Elle était fondamentalement girondine, capitalo-libérale et accessoirement républicaine. Le Directoire lui convint, et l’Empire plus encore. Pour l’heure, elle était prise entre Robespierre et les Jacobins d’un côté, les terroristes et les pourris de l’autre. Arbitre de la situation, elle avait le choix entre soutenir les premiers et leur politique sociale contre les seconds qu’elle craignait et détestait, ou soutenir les seconds contre les premiers qui ne la menaçaient pas physiquement mais avec lesquels elle était fondamentalement, politiquement et économiquement en désaccord. En définitive, elle préféra s’entendre avec les pourris qu’écouter l’Incorruptible. Elle savait que ce dernier était l’âme de la Révolution et sentit qu’en l’éliminant elle n’aurait plus grand chose à craindre des excités.

Ces derniers, en présentant Robespierre comme un tyran, en lui reprochant leurs propres excès, en associant robespierrisme et terrorisme, firent de toute mesure de rigueur (de la part des révolutionnaires) et de toute revendication sociale un crime ; ils fournirent eux-mêmes à tous les contre-révolutionnaires le prétexte de dénoncer la Révolution et l’occasion de sortir impunément de l’ombre ; bref, ils provoquèrent une réaction inattendue qui balaya les plus sincères d’entre eux, les autres ayant aussitôt retourné leur veste. Ainsi, pour assouvir leurs intérêts particuliers ou leurs rancunes, ils compromirent l’intérêt général. Robespierre avait depuis longtemps signalé le danger de s’écarter de sa ligne. Ce n’est pas par vanité qu’il considérait ses ennemis personnels comme ceux de la Révolution. La suite lui donna raison, et nombre de ceux qui s’étaient acharnés à sa perte le reconnurent et exprimèrent des remords. Rien ne saurait être plus révélateur que ce mot de Cambon, chargé des finances, que Robespierre avait attaqué personnellement le 8 thermidor : « Nous avons tué la République au 9 thermidor, en croyant ne tuer que Robespierre ! Je servis à mon insu les passions de quelques scélérats. Que n’ai-je péri, ce jour-là, avec eux ! la liberté vivrait encore ! »

« Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. » Telle fut exactement la tactique utilisée par les Thermidoriens pour éliminer Robespierre et étouffer son souvenir. Il fut accusé de tout, chargé de tous les crimes, calomnié comme rarement quelqu’un l’a été. Mais le temps a passé et les passions devraient se calmer. Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que Robespierre fut un dictateur, que la Terreur fut son œuvre, qu’il fut responsable de tous les excès et qu’il tyrannisa la Convention.

Ce qu’il avait dit des Montagnards, face aux Girondins, le 28 octobre 1792, était encore vrai le concernant le 8 thermidor an II : « Ils nous accusent de marcher à la dictature, nous, qui n'avons ni armée, ni trésor, ni places, ni parti ; nous, qui sommes intraitables comme la vérité, inflexibles, uniformes, j'ai presque dit insupportables, comme les principes ». C’est cette rigueur morale, cette impossibilité de l’attaquer honnêtement, cette capacité intrinsèque à froisser les amours propres qui lui attira sans doute les plus profondes haines. Il avait fait de la vérité son arme ; il ne laissait à ses adversaires que le mensonge pour l’atteindre. De fait, tout ce qu’il dénonçait était vrai ; toutes les vilenies dont il fut accusé étaient fausses. Ainsi, tout dans son discours du 8 thermidor, qu’il appela lui-même son testament de mort, est rigoureusement exact, qu’il s’agisse de ses positions ou des manœuvres de ses ennemis. Rien n’a jamais été démenti, malgré les diversions. Il suffit donc de lire ce discours pour savoir qui il était, ce qu’il voulait, à quoi il était confronté, qui étaient ses ennemis, ce qu’ils firent, et de juger entre lui et eux.

« Ils m'appellent tyran… Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d'or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l'étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à notre liberté !) me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais avec eux. Dans leur détresse, qu'attendent-ils, si ce n'est le secours d'une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire et la liberté de notre pays ? On arrive à la tyrannie par le secours des fripons ; où courent ceux qui les combattent ? Au tombeau et à l'immortalité. Quel est le tyran qui me protège ? Quelle est la faction à qui j'appartiens ? C'est vous-mêmes. Quelle est cette faction qui, depuis le commencement de la révolution, a terrassé les factions, a fait disparaître tant de traîtres accrédités ? C'est vous, c'est le peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à laquelle je suis voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués. [...] Qui osera jamais servir la patrie, quand je suis obligé encore ici de répondre à de telles calomnies ? Ils citent comme la preuve d'un dessein ambitieux les effets les plus naturels du civisme et de la liberté ; l'influence morale des anciens athlètes de la révolution est aujourd'hui assimilée par eux à la tyrannie. Vous êtes, vous-mêmes, les plus lâches de tous les tyrans, vous qui calomniez la puissance de la vérité ! Que prétendez-vous, vous qui voulez que la vérité soit sans force dans la bouche des représentants du peuple français ? La vérité, sans doute, a sa puissance ; elle a sa colère, son despotisme ; elle a des accents touchants, terribles, qui retentissent avec force dans les cœurs purs, comme dans les consciences coupables, et qu'il n'est pas plus donné au mensonge d'imiter qu'à Salmonée d'imiter les foudres du ciel ; mais accusez-en la nature, accusez-en le peuple qui le sent et qui l'aime. »
 « Comment pourrais-je ou raconter ou deviner toutes les espèces d’impostures qui ont été clandestinement insinuées, soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable ? Je me bornerai à dire que, depuis plus de six semaines, la nature et la force de la calomnie, l’impuissance de faire le bien et d’arrêter le mal, m’a forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du Comité de salut public, et je jure qu’en cela même je n’ai consulté que ma raison et ma patrie. Je préfère ma qualité de représentant du peuple à celle de membre du Comité du salut public, et je mets ma qualité d’homme et de citoyen français avant tout. [...] »
« On s'est attaché particulièrement à prouver que le tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang, créé par moi seul et que je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien, et même tous les fripons ; car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres. Ce cri retentissait dans toutes les prisons ; ce plan de proscription était exécuté à la fois dans tous les départements par les émissaires de la tyrannie. Ce n'est pas tout ; on a proposé dans ces derniers temps des projets de finance qui m'ont paru calculés pour désoler les citoyens peu fortunés et pour multiplier les mécontents. J'avais souvent appelé inutilement l'attention du Comité de salut public sur cet objet. Eh bien ! croirait-on qu'on a répandu le bruit qu'ils étaient encore mon ouvrage, et que, pour l'accréditer, on a imaginé de dire qu'il existait au Comité de salut public une commission des finances, et que j'en étais le président ? Mais comme on voulait me perdre, surtout dans l'opinion de la Convention nationale, on prétendit que moi seul avais osé croire qu'elle pouvait renfermer dans son sein quelques hommes indignes d'elle. On dit à chaque député revenu d'une mission dans les départements que moi seul avais provoqué son rappel ; je fus accusé par des hommes très officieux et très insinuants de tout le bien et de tout le mal qui avait été fait. On rapportait fidèlement à mes collègues, et tout ce que j'avais dit, et surtout ce que je n'avais pas dit. On écartait avec soin le soupçon qu'on eût contribué à un acte qui pût déplaire à quelqu'un ; j'avais tout fait, tout exigé, tout commandé ; car il ne faut pas oublier mon titre de dictateur. Quand on eut formé cet orage de haines, de vengeances, de terreurs, d'amours-propres irrités, on crut qu'il était temps d'éclater. Ceux qui croyaient avoir des raisons de me redouter se flattaient hautement que ma perte certaine allait assurer leur salut et leur triomphe ; tandis que les papiers anglais et allemands annonçaient mon arrestation, des colporteurs de journaux la criaient à Paris. Mes collègues devant qui je parle, savent le reste beaucoup mieux que moi ; ils connaissent toutes les tentatives qu'on a faites auprès d'eux pour préparer le succès d'un roman qui paraissait une nouvelle édition de celui de Louvet. Plusieurs pourraient rendre compte des visites imprévues qui leur ont été rendues pour les disposer à me proscrire. Enfin, on assure que l'on était prévenu généralement dans la Convention nationale qu'un acte d'accusation allait être porté contre moi ; on a sondé les esprits à ce sujet, et tout prouve que la probité de la Convention nationale a forcé les calomniateurs à abandonner ou du moins à ajourner leur crime. »
« Tous les fripons m'outragent ; les actions les plus indifférentes, les plus légitimes de la part des autres, sont des crimes pour moi. Un homme est calomnié dès qu'il me connaît. On pardonne à d'autres leurs forfaits ; on me fait un crime de mon zèle. [...] Je ne sais pas respecter les fripons : j'adopte bien moins encore cette maxime royale, qu'il est utile de les employer ; les armes de la liberté ne doivent être touchées que par des mains pures. Epurons la surveillance nationale, au lieu d'en pallier les vices. La vérité n'est un écueil que pour les gouvernements corrompus ; elle est l'appui du nôtre. »
« On veut détruire le gouvernement révolutionnaire, pour immoler la patrie aux scélérats qui la déchirent, et on marche à ce but odieux par deux routes différentes. Ici on calomnie ouvertement les institutions révolutionnaires, là on cherche à les rendre odieuses par des excès ; on tourmente les hommes nuls ou paisibles ; on plonge chaque jour les patriotes dans les cachots, et on favorise l'aristocratie de tout son pouvoir ; c'est là ce qu'on appelle indulgence, humanité. Est-ce là le gouvernement révolutionnaire que nous avons institué et défendu ? Non, ce gouvernement est la marche rapide et sûre de la justice, c'est la foudre lancée par la main de la liberté contre le crime ; ce n'est pas le despotisme des fripons et de l'aristocratie ; ce n'est pas l'indépendance du crime, de toutes les lois divines et humaines. Sans le gouvernement révolutionnaire, la République ne peut s'affermir, et les factions l'étoufferont dans son berceau ; mais s'il tombe en des mains perfides, il devient lui-même l'instrument de la contre-révolution. »
« Si l'on proposait ici de prononcer une amnistie en faveur des députés perfides, et de mettre les crimes de tout représentant sous la sauvegarde d'un décret, la rougeur couvrirait le front de chacun de nous : mais laisser sur la tête des représentants fidèles le devoir de dénoncer les crimes, et cependant, d'un autre côté, les livrer à la rage d'une ligue insolente, s'ils osent le remplir, n'est-ce pas un désordre encore plus révoltant ? C'est plus que protéger le crime, c'est lui immoler la vertu. »

Dans ce discours magnifique, Robespierre dévoilait tous les scandales, toutes les manœuvres de ses ennemis ; il rappelait ses positions modérées que, du reste, nul n’ignorait. Il mettait les révolutionnaires en garde à la fois contre le danger pour la Révolution de ne pas mettre eux-mêmes un terme aux excès et contre celui de le laisser seul les dénoncer. Il ne fut pas entendu. Passions, peurs et intérêts se mêlèrent pour l’immoler et, avec lui, la Révolution.

Rares sont les historiens qui ont relevé et senti l’importance d’une phrase qu’il avait écrite en juin ou juillet 1793  (après l'adoption de la constitution) dans son carnet et qu’il ratura aussitôt : « Quand leur intérêt [celui des riches] sera-t-il confondu avec celui du peuple ? Jamais. » Robespierre avait énoncé là une vérité qui lui apparut comme une impasse et qu'il raya comme pour la chasser de son esprit et ne pas se décourager lui-même. Inconsciemment, accidentellement, il avait mis le doigt sur le problème fondamental de la Révolution. Riches, pauvres : ces notions n’ont de sens que dans un système monétaire. Dans ce système, tout gravite autour de Largent, tout est façonné par lui. Qui ne court pas après est rattrapé par lui. Dans ce système, l’inégalité en fortune, et, partant, en droits, est une fatalité ; il y aura toujours des riches et des pauvres sous Largent. Jamais les « citoyens » ne seront donc égaux en droits dans un tel système, jamais les intérêts des individus composant la « société » ne seront confondus. Constat indéniable et inacceptable pour Robespierre, le champion de l’Egalité. Robespierre savait néanmoins que son rêve, dans ce monde-là, dans ce système-là, mais il n’en concevait pas d’autre, était une chimère ; il savait au fond de lui, même sans se l’avouer, que la Révolution était vouée à l’échec, qu’elle tournerait fatalement au profit des riches, au profit de l’aristocratie de Largent. L’Histoire l’a confirmé. Mais cette réflexion demeure la leçon essentielle de ce grand révolutionnaire pour les révolutionnaires futurs : l’Egalité, la Révolution sont une vue de l’esprit sous Largent (3). C’est donc Largent lui-même qu’il faut abattre, sous peine de tourner en rond. Robespierre qui était d’une logique implacable n’était pas parvenu à cette conclusion et, y serait-il parvenu, qu’il n’aurait rien pu faire. Mais ceci est une autre histoire.

Plongé dans l’action, Robespierre avait fait tout ce qui était au pouvoir d’un homme de bien, d’un homme honnête, raisonnable et généreux. Il n’était pas dans sa nature de baisser les bras. Il relevait les défis. Il finit néanmoins par désespérer. Les difficultés sans cesse renouvelées, des ennemis toujours plus nombreux, il sentait qu’au-delà des hommes une force mystérieuse s’opposait à la Révolution et l’emporterait. Sa confiance n’était plus que de façade. Alors, à disparaître, autant le faire avec panache. Tel était le sens de son discours du 8 thermidor.

Le 9 thermidor, il se débattit comme un diable à la Convention, par instinct de conservation.  Mais la foi n’y était plus. L’insurrection spontanée de la Commune à l’annonce de son arrestation le surpris mais ne le ranima pas. Libéré, disposant des moyens d’écraser ses ennemis, il n’en fit rien. Il suivit ses partisans qui s’étaient levés, prêts à donner leur vie pour lui et pour la cause, mais la cause était perdue. Une victoire ce jour-là n’aurait rien changé. Il temporisa, tergiversa et se tua. Presque. Il avait la mâchoire fracassée quand il fut repris.

Le 10 thermidor, il fut exécuté avec 21 de ses partisans et amis. Les deux jours suivants, 82 municipaux, administrateurs de police, cadres de la garde nationale et Robespierristes divers furent exécutés. La Commune était anéantie. La Révolution, au sens social du terme (mais en a-t-elle un autre ?), était terminée.



Philippe Landeux

Janvier 2011

 robespierre,histoire

TEMOIGNAGES POSTHUMES DE CONTEMPORAINS

De son vivant, Robespierre reçut d’innombrables lettres qui attestent son patriotisme, son humanité, sa sagesse, sa douceur, sa générosité et sa popularité. Il est cependant facile de les présenter pour de la flagornerie même lorsqu’elles sont totalement désintéressées. Les témoignages en sa faveur en un temps où il était impératif d’exécrer sa mémoire sont déjà plus difficiles à contester, et carrément impossible lorsqu’ils émanent d’hommes qui concoururent à sa perte et qui démentent les légendes qu’ils fabriquèrent eux-mêmes.

Barras qui, dans la nuit du 9  au 10 thermidor, commandait les troupes de la Convention, laissa des mémoires dans lesquelles il rétablit la vérité sur Robespierre et donc sur ses ennemis :

« Robespierre se prononça contre les pillards, contre les fournisseurs, contre les échafauds. Il voulut arrêter ces exécutions, il s’opposa à l’arrestation de plusieurs députés, de grand nombre de citoyens recommandables, il fit hommage à la divinité, il parla clémence, il périt pour le retour aux principes de justice. » Il écrit ailleurs : « Toujours prompt à voler au secours des vainqueurs et à se déchaîner contre les vaincus, Barère, au nom des Comités, présenta un rapport aussi cruel que mensonger contre Robespierre ; il se déchaîna avec fureur contre ceux qui ne pouvaient plus se défendre : il eût même l’impudence d’accuser Robespierre d’avoir voulu rétablir le fils de Louis XVI sur le trône, et d’avoir, pour son propre compte, projeter d’épouser Madame, fille de ce monarque (aujourd’hui Mme la duchesse d’Angoulême). » Il déclara en outre à Alexandre Dumas qui le rapporta dans ses mémoires : « Je n’ai que deux regrets, je devrais dire deux remords, et ce seront les seuls qui seront assis à mon chevet le jour où je mourrai : j’ai le double remords d’avoir renversé Robespierre et élevé Bonaparte par le 13 vendémiaire. » 

Barère avoua en 1832 :

« Depuis j’ai réfléchi sur cet homme ; j’ai vu que son idée dominante était l’établissement du gouvernement républicain, qu’il poursuivait en effet des hommes dont l’opposition entravait les rouages de ce gouvernement. Plût au ciel qu’il se trouvât actuellement dans la chambre des députés quelqu’un qui signalât ceux qui conspirent contre la liberté ! Nous étions alors sur un champ de bataille ; nous n’avons pas compris cet homme. [...] N’oubliez pas Robespierre ! C’était un homme pur, intègre, un vrai républicain. Ce qui l’a perdu, c’est sa vanité, son irascible susceptibilité, et son injuste défiance envers ses collègues... Ce fut un grand malheur ! »

Billaud-Varenne, membre du Comité de salut public, un des principaux adversaires de Robespierre le 9 thermidor, fut lui-même attaqué peu après et prépara un mémoire pour sa défense, dans lequel il rendit malgré lui hommage à Robespierre :  

« Sous quels rapports eût-il pu paraître coupable ? S'il n'eût pas manifesté l'intention de frapper, de dissoudre, d'exterminer la représentation nationale, si l'on n'eût pas eu à lui reprocher jusqu'à sa popularité même... popularité si énorme qu'elle eût suffi pour le rendre suspect et trop dangereux dans un État libre, en un mot s'il ne se fût point créé une puissance monstrueuse tout aussi indépendante du comité de Salut public que de la Convention nationale elle-même, Robespierre ne se serait pas montré sous les traits odieux de la tyrannie, et tout ami de la liberté lui eût conservé son estime. » « Nous demandera-t-on, comme on l'a déjà fait, pourquoi nous avons laissé prendre tant d'empire à Robespierre ? Oublie-t-on que dès l'Assemblée constituante, il jouissait déjà d'une immense popularité et qu'il obtint le titre d'Incorruptible ? Oublie-t-on, que pendant l'Assemblée législative sa popularité ne fit que s'accroître...? Oublie-t-on que, dans la Convention nationale, Robespierre se trouva bientôt le seul qui, fixant sur sa personne tous les regards, acquittant de confiance qu'elle le rendit prépondérant, de sorte que lorsqu'il est arrivé au comité de Salut public, il était déjà l'être le plus important de la France ? Si l'on me demandait comment il avait réussi à prendre tant d'ascendant sur l'opinion publique, je répondrais que c'est en affichant les vertus les plus austères, le dévouement le plus absolu, les principes les plus purs. » 

Banni de France et établi à Haïti, il se confia au docteur Chervin qui écrivit à son sujet : « La conversation de Billaud était riche de souvenirs nets et précis ; ses idées étaient originales, souvent bizarres, et quelques fois grandes et justes. Ses sentiments et ses opinions politiques n’avaient fléchi ni sur les hommes ni sur les choses, si ce n’est sur quelques points seulement. Par exemple, il avait changé d’opinion sur le 9 thermidor, qu’il appelait sa déplorable faute à lui, et il ajoutait : “Nous nous sommes bien trompés ce jour-là ! Nous avons recommencé, après cette journée, tous les chapîtres de la réaction anglaise ; on nous a infligé, comme on l’a fait à la mort de Cromwel, un système qui, sous l’apparence de la modération, nous a désignés comme des types de monstres, comme des loups à figure humaine, bons tout au plus à égorger. Ce système nous a conduits, à travers d’affreuses et implacables vengeances, des palinodies plus lâches encore, à la disette, la banqueroute, la vile banqueroute et les évènements du 1er prairial, à des torrents de sang patriote et pur !
« “Oui, c’est au 14 germinal, date de la condamnation de Danton, et au 9 thermidor, que les patriotes on fait les deux fautes qui ont tout perdu. Nos divisions ont brisé ces jours-là l’unité du système révolutionnaire ; vous avez vu aussitôt l’influence revenir à des misérables, écartés pour vol, enfin à tous les fripons, les briseurs (des scellés), les oligarques, les royalistes. Les amis de Tallien ne s’endormirent pas : ils avaient vendu notre cause, et nous firent dénoncer par Lecointre, qu’ils proscrivirent ensuite avec nous, par Saladin et Goupilleau, qui avaient été nos séides, et qui offrirent nos têtes aux royalistes et à l’Europe. Nous étions pour les royalistes de lâches stupides, bien que nos actes fussent là ; bien que tout rayonnant de l’éclat terrible de notre dictature et de nos batailles. Ainsi nous, pauvres jacobins, nous qui avions châtié l’orgueil des rois, nous ne fûmes vaincus que par nos fautes et nos frères ; alors, nous fûmes jetés par eux aux flots de la mer en fureur, triste concession de l’ambition, de la cupidité et surtout de la peur.
« “Je le répète : la Révolution puritaine a été perdue le 9 thermidor ; depuis, combien de fois j’ai déploré d’y avoir agi de colère ! Pourquoi ne laisse-t-on pas ces intempestives passions et toutes les vulgaires inquiétudes aux portes du pouvoir ? J’ai vu la réaction qui fit naître le 9 thermidor, c’était affreux ; la calomnie venait de partout. Cela dégoûte bien des révolutions. Nous, au moins, nous nous défendîmes avec dignité. Duhem leur tenait tête tous les jours. Les amis qui les secondaient étaient Lejeune, Fayau, Chasles, Goujon, Ruhl, etc., etc. Mais quelle tâche ! et puis nous avons disparu ! Mais l’ébauche révolutionnaire étaient sortie de nos mains et elle resta comme pierre tumulaire de l’ancien régime et plus forte que tous les partis réunis !
« Hélas ! disait-il souvent, j’y ai trempé trop directement et avec une haine affreuse. Le malheur des révolutions, c’est qu’il faut agir trop vite; vous n’avez pas le temps d’examiner; vous n’agissez qu’en pleine et brûlante fièvre, sous l’effroi de ne pas agir; sous l’effroi, je m’entends, de voir avorter vos idées. Danton et ses amis étaient d’habiles gens, des patriotes invincibles à la tribune ou dans l’action publique, et nous les avons massacrés ! Ils n’avaient pas, comme nous, excepté le brave Westermann, le Murat de la République, les mains pures de trafics et de rapines; ils aimaient trop le luxe, mais ils avaient le cœur noble et révolutionnaire ; vous saurez leurs services un jour, quand on fera l’histoire sincère de notre époque. Celle de M. Lacretelle n’est qu’une œuvre sans faits, une œuvre fardée de rhéteur. Je reste avec la conviction intime qu’il n’y avait pas de 18 brumaire possible, si Danton, Robespierre et Camille fussent restés unis aux pieds de la tribune. » 

Vadier retouva Baudot en exil. Ce dernier rapporta que « le seul acte qu’il [Vadier] se reprochait, était d’avoir pris un citoyen [Robespierre] pour un tyran. »

Sous le Directoire, Reubell confia à Carnot : « Je n'ai jamais eu qu'un reproche à faire à Robespierre, c'est d'avoir été trop doux. »

Choudieu qui, en l’an II, avait passé la plupart de son temps aux armées et qui y était encore le 9 thermidor écrivit dans ses mémoires :

« Robespierre est celui de tous les montagnards qui a été le plus exposé à des accusations de tout genre. Ses ennemis l’ont présenté comme un ambitieux sans talent. Il suffit de lire ses différents discours pour se convaincre combien il était supérieur à tous ceux qui l’accusèrent et qui n’ont pu le vaincre qu’en l’assassinant. Je n’aimais pas Robespierre parce qu’il n’était pas aimable, mais ce n’est pas une raison pour être injuste envers lui et pour me joindre à ses ennemis lorsqu’il n’est plus. Quant à son ambition, elle ne m’a paru jamais bien démontrée et je n’ai pu voir en lui pendant toute sa carrière politique qu’un républicain, trop austère peut-être, mais qui voulait sincèrement le triomphe de la liberté. [...] On aurait tort de croire que les hommes de cette coalition étaient dirigés par des vues d’humanité. Deux mobiles puissants les excitaient : la crainte d’expier eux-mêmes leurs forfaits sur l’échafaud et le désir de venger leurs amis. Et la preuve de ce que j’avance ici se voit dans leur conduite ultérieure. Après le 9 thermidor, ils continuèrent en effet le système de proscription auquel ils n’avaient jamais cessé de prendre part... » 

Levasseur (de la Sarthe) qui, le 19 mars 1794, avait été dépêché par Robespierre dans la Seine-et-Oise pour réprimer les abus sans pour autant faire preuve de faiblesse, écrivit dans ses mémoires :

« [...] Les deux premières pièces [Lettres de Cadillot et de Jullien fils] que je viens de citer démontrent, je pense, jusqu’à la dernière évidence, qu’à Robespierre et à la partie du Comité de Salut public et de la Montagne qui votait avec lui ne doivent pas être attribuées les fureurs de quelques proconsuls qui ont souillé les fastes glorieux de la République. La dernière prouve aussi qu’au milieu d’une anarchie nécessaire les hommes de tête et de cœur songeaient à jeter les fondements d’un régime heureux et tranquille, mais assis sur l’égalité la plus complète, sur la liberté la plus absolue. “Pour fonder la république, il faut la faire aimer”, disait souvent Saint-Just. Il ne voulait donc ni l’avilir, ni l’ensanglanter. [...] Certains actes ont été cependant l’ouvrage de Robespierre et de ses adhérents. Tous étaient inflexibles, quand ils croyaient voir compromis le salut de la cause sainte. Aucun ne reculait devant les conséquences de ses principes, quelque déplorables qu’ils pussent être transitoirement et quelques actes douloureux qu’ils pussent entraîner. Ainsi ils ont frappé les chefs de la Gironde, les députés constituants qui rêvaient de la Constitution de 1791, et les fougueux compagnons d’Hébert et les amis corrompus de Danton. Mais de ces vengeances légales dont la nécessité leur semblait démontrée, aux sanglants holocaustes qui effrayèrent la France, il y a une distance immense ; il y a toute la distance d’un jugement qui frappe le crime, à l’assassinat qui déchire l’innocence au milieu de sa famille. La différence qui existait entre Robespierre, Saint-Just et un Carrier, un Collot, un Le Bon était celle qui sépare le magistrat juste, mais inflexible, d’un bourreau teint du sang qu’on l’a payé pour répandre.
    « Robespierre et la Montagne excitaient, dit-on, aux excès. D’où vient qu’ils se sont séparés des vils et stupides démagogues de la Commune ? Robespierre et la Montagne brûlaient de répandre le sang. D’où vient qu’ils ont sévi contre un Vincent, un Ronsin et tant d’autres monstres sanguinaires ? D’où vient qu’à la tête des ennemis qui les ont renversés se sont placés les Collot-d’Herbois, les Billaud-Varenne, les Carrier, tous les hommes de meurtre, tous les tigres à face humaine de cette triste et glorieuse époque ? [...] »


Le docteur Souberbielle, juré au tribunal révolutionnaire, à la fois ami de Danton et intime de Robespierre :

« Pendant le procès de Danton, avec lequel j’étais très lié, je n’osai le regarder. J’étais décidé à le condamner, car j’avais la preuve certaine qu’il méditait le renversement de la République. Au contraire, j’aurais donné ma vie pour sauver Robespierre, que j’aimais comme un frère. Personne ne savait mieux que moi combien son dévouement à la République était sincère, désintéressé, absolu. Il a été le bouc émissaire de la Révolution ; mais il valait mieux qu’eux tous. »

Napoléon Bonaparte, Mémorail de Sainte-Hélène :

« Robespierre, disait Napoléon en présence de Gourgaud et de Mme de Montholon, a été culbuté parce qu'il voulait devenir modérateur et arrêter la Révolution. Cambacérès m'a raconté que, la veille de sa mort, il avait prononcé un magnifique discours qui n'avait jamais été imprimé. Billaud et d'autres terroristes, voyant qu'il faiblissait et qu'il ferait infailliblement tomber leurs têtes, se liguèrent contre lui et excitèrent les honnêtes gens soi-disant, à renverser le "tyran", mais en réalité pour prendre sa place et faire régner la terreur de plus belle. Le peuple de Paris, en jetant Robespierre à bas, croyait détruire la tyrannie, tandis que ce n'était que pour la faire refleurir plus que jamais. Mais, une fois Robespierre par terre, l'explosion fut telle que, quelque tentative qu'ils aient faite, les terroristes ne purent jamais reprendre le dessus. ». « Robespierre était incorruptible et incapable de voter ou de causer la mort de quelqu'un par inimitié personnelle ou par désir de s'enrichir. C'était un enthousiaste, mais il croyait agir selon la justice, et il ne laissa pas un sou à sa mort. Il avait plus de pitié et de conception qu'on ne pensait, et après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eu à combattre, son intention était de revenir à l'ordre et à la modération. On lui imputa tous les crimes commis par Hébert, Collot d'Herbois et autres. C'étaient des hommes plus affreux et plus sanguinaires que lui, qui le firent périr ; ils ont tout rejeté sur lui ». Selon Las Cases, Napoléon le pensait « le vrai bouc émissaire de la révolution, immolé dès qu'il avait voulu entreprendre de l'arrêter dans sa course (...). Ils [terroristes et thermidoriens] ont tout jeté sur Robespierre ; mais celui-ci leur répondait, avant de périr, qu'il était étranger aux dernières exécutions ; que, depuis six semaines, il n'avait pas paru aux comités. Napoléon confessait qu'à l'armée de Nice, il avait vu de longues lettres de lui à son frère, blâmant les horreurs des commissaires conventionnels qui perdaient, disait-il, la révolution par leur tyrannie et leurs atrocités, etc., etc. »

Nodier qui avait traversé la Révolution écrivit en 1829 dans la Revue de Paris : 

« La nouvelle du 9 thermidor, parvenue dans les départements de l’Est, développa un vague sentiment d’inquiétude parmi les républicains exaltés, qui ne comprenaient pas le secret de ces événements, et qui craignaient de voir tomber ce grand œuvre de la Révolution avec la renommée prestigieuse de son héros, car derrière cette réputation d’incorruptible vertu qu’un fanatisme incroyable lui avait faite, il ne restait plus un seul élément de popularité universelle auquel les doctrines flottante de l’époque pussent se rattacher. Hélas ! se disait-on à mi-voix, qu’allons-nous devenir ? Nos malheurs ne sont pas finis puisqu’il nous reste encore des amis et des parents et que MM. Robespierre sont morts ! Et cette crainte n’était pas sans motif, car le parti de Robespierre venait d’être immolé par le parti de la Terreur. »

Détenu sous la Terreur, le royaliste Beaulieu écrivit un essai sur les causes et les effets de la Révolution. Le volume publié en 1808 commence par ces pages :

« On a vu dans le cours de cet ouvrage, que ceux qui firent la révolution du 9 thermidor, étaient fort loin d’être à l’abri des reproches dont ils chargeaient la mémoire de Robespierre. Ce n’était point immédiatement celui qu’on venait d’immoler, mais Collot-d’Herbois qui avait porté le ravage dans la ville de Lyon ; ce n’était point immédiatement Robespierre, mais M. Barrère qui avait faire rendre les épouvantables décrets qui devaient métamorphoser en ruines nos plus belles, nos plus opulentes cités ; et MM. Barrère et Collot-d’Herbois se joignirent à ceux qui ont écrasé Robespierre ; ils le proclamèrent tyran. Ce ne fut point Robespierre qui imagina de faire de la France une nation de sauvages, sans religion et sans foi ; on a vu qu’au contraire il prit le parti des prêtres, qu’une secte d’athées, suivant l’expression de Clootz, voulait septembriser, d’un bout de la France à l’autre.
Une chose qui a été sue de tout le monde, c’est que, six semaines avant la révolution du 9 thermidor, Robespierre ne paraissait plus aux comités ; et c’est à cette époque que les arrestations furent plus multipliées, et les exécutions plus épouvantables. On dira que le génie de cet homme affreux continuait d’y dominer par la présence de deux personnages qui lui étaient restés fidèles, MM. Couthon et Saint-Just. Mais comment pouvait-il se faire que des hommes qui faisaient trembler l’Europe entière, fussent forcés par la terreur d’un absent, les propos d’un paralytique, et d’un polisson aussi près de l’enfance que de l’âge viril, à rester les ministres d’un système d’horreurs dont l’imagination ne peut se faire une idée ?
Quoi qu’il en soit, il reste pour constant que les plus grandes violences depuis le commencement de l'année 1794, ont été provoquées par ceux-là mêmes qui ont écrasé Robespierre. Uniquement occupés, dans nos prisons, à rechercher dans les discours qu'on prononçait, soit aux Jacobins soit à la Convention, quels étaient les hommes qui nous laissaient quelque espoir, nous y voyions que tout ce qu'on disait était désolant, mais que Robespierre paraissait encore le moins outré.
Après l’exécution de Chaumette et autres, M. Tallien proposa de donner une nouvelle activité aux mesures contre les suspects. [Erreur. Référence à la séance du 21 mars, ou celle du 14 mars, qui, dans tous les cas, eut lieu avant l’exécution de Chaumette, le 13 avril, et même avant cette d’Hébert, le 24 mars.] Robespierre l’interrompit, et lui déclara que ce n’était point les suspects qu’il fallait craindre, qu’il y avait des hommes autrement dangereux ; et le persécuteur des suspects garda le silence. Les recueils du temps sont remplis de preuves de ce que j’avance ici : je ne les rapporterai pas, pour ne pas trop charger cet ouvrage ; il est facile de les consulter.
Aussi, si après le 9 thermidor l’opinion ne se fût pas prononcé d’une manière irrésistible, si quelques députés repentans de leurs fautes, ou moins coupables que leurs collègues, ne se fussent pas déterminés à faire cesser la tyrannie qui nous accablait, il est certain qu’on eût continué le système de destruction dont on a voulu supposer que Robespierre était l’unique directeur, ou au moins qu’on l’eût essayé.
A peine ce malheureux, à qui l’on a voulu faire jouer le rôle du bouc d’Israël, est-il immolé, que les déclamations contre tous ceux qui n’appartiennent pas à la secte des Jacobins, recommencent avec une nouvelle fureur. M. Barrère tonne contre les prétendus contre-révolutionnaires avec la même violence qu’auparavant, et leur déclare qu’il ne faut pas qu’ils s’imaginent que la victoire remportée contre Robespierre sera leur triomphe ; et les malheureux attendent encore la mort dans leurs tristes retraites. »

Babeuf, le futur organisateur de la conspiration dite des égaux, qui était incarcéré au moment du 9 thermidor, écrivit à Joseph Bodsonl e 28 février 1796 (9 ventôse An IV) :

« Mon opinion n’a jamais changé sur les principes, mais elle a changé sur quelques hommes. Je confesse aujourd’hui de bonne foi, que je m’en veux d’avoir vu autrefois en noir et le gouvernement révolutionnaire, et Robespierre, et Saint-Just, etc. Je crois que ces hommes valaient mieux à eux seuls que tous les révolutionnaires ensemble, et que leur gouvernement dictatorial était diablement bien imaginé. Tout ce qui s’est passé depuis que ni les hommes ni le gouvernement ne sont plus, justifie assez bien l’assertion. Je ne suis pas du tout d’accord avec toi qu’ils ont commis de grands crimes et bien fait périr des républicains. Pas tant, je crois : c’est la réaction thermidorienne qui en a fait périr beaucoup.
Je n’entre pas dans l’examen si Hébert et Chaumette étaient innocents. Quand cela serait, je justifie encore Robespierre. Ce dernier pouvait avoir à bon droit l’orgueil d’être le seul capable de conduire à son vrai but le char de la Révolution.
Des brouillons, des hommes à demi-moyens, selon lui, et peut-être aussi selon la réalité ; de tels hommes, dis-je, avides de gloire et remplis de présomption, tels qu’un Chaumette, peuvent avoir été aperçus par notre Robespierre avec la volonté de lui disputer la direction du char. Alors celui qui avait l’initiative, celui qui avait le sentiment de sa capacité exclusive, a dû voir que tous ces ridicules rivaux, même avec de bonnes intentions, entraveraient, gâteraient tout. Je suppose qu’il eût dit : “Jetons sous l’éteignoir ces farfadets importuns et leurs bonnes intentions”, mon opinion est qu’il fit bien.
Le salut de 25 millions d’hommes ne doit point être balancé contre le ménagement envers quelques individus équivoques. Un Régénérateur doit voir en grand. Il doit faucher tout ce qui le gêne, tout ce qui obstrue son passage, tout ce qui peut nuire à sa prompte arrivée au terme qu’il s’est prescrit. Fripons, ou imbéciles, ou présomptueux et ambitieux de gloire, c’est égal, tant pis pour eux ! Pourquoi s'y trouvent-ils ? Robespierre savait tout cela, et c’est en partie ce qui me le fait admirer. C’est ce qui me fait voir en lui le génie où résidaient de véritables idées régénératrices. Il est vrai que ces idées-là pouvaient entraîner toi et moi. Qu’est-ce que cela faisait si le bonheur commun fut venu au bout ?
Je ne sais, mon ami, si avec ces explications-là il peut encore être permis aux hommes de bonne foi comme toi de rester hébertistes.
L’hébertisme est une affection étroite dans cette classe d’hommes. Elle ne leur fait voir que le souvenir de quelques individus, et le point essentiel des grandes destinées de la République leur échappe.
Je ne crois pas encore avec toi impolitique, ni superflu, d’évoquer la cendre et les principes de Robespierre et de Saint-Just pour étayer notre doctrine. D’abord nous ne faisons que rendre hommage à une grande vérité sans laquelle nous serions trop au-dessous d’une équitable modestie. Cette vérité-là est que nous ne sommes que les seconds Gacques de la Révolution française.
N’est-il pas encore utile de démontrer que nous n’innovons rien, que nous ne faisons que succéder à de premiers généreux défenseurs du peuple qui, avant nous, avaient marqué le même but de justice et de bonheur auquel le peuple doit atteindre ? et en second lieu, réveiller Robespierre, c’est réveiller tous les patriotes énergiques de la République, & avec eux le peuple, qui autrefois n’écoutait et ne suivait qu’eux.
Ils sont nuls et impuissants, pour ainsi dire morts, ces patriotes énergiques, ces disciples de celui qu’on peut dire qui fonda chez nous la liberté. Ils sont, dis-je, nuls et impuissants depuis que la mémoire de ce fondateur est couverte d’une injuste diffamation. Rendez-lui son premier lustre légitime, tous les disciples se relèvent et bientôt ils triomphent. Le robespierrisme atterre de nouveau toutes les factions ; le robespierrisme ne ressemble à aucune d’elles, il n’est point factice ni limité. Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante, et naturellement dans tout le peuple. La raison en est simple, c’est que le robespierrisme est la démocratie, et ces deux mots sont parfaitement identiques : donc en relevant le robespierrisme, vous êtes sûr de relever la démocratie. »

 

NOTES

(1) Dans ses Mémoires et Notes, Choudieu déclare : « M. l’abbé Georgel, qui présente rarement les choses sous leur véritable jour, dit, tome II, page 490 de son  “Histoire”, que les députés qui faisaient partie des Jacobins étaient obligés par les statuts de faire serment de porter à l’Assemblée nationale toutes les motions adoptées par la Société. J’ai fait partie de la société des Jacobins et je puis affirmer que je n’y ai jamais prêté aucun serment et qu’aucun de mes collègues n’eût voulu contracter une semblable obligation. Comment peut-on avancer de pareilles absurdités ? Les principes des sociétés populaires et leur raison d’être ont toujours été d’assurer les libertés publiques, et celle des opinions étant la première de toutes, comment peut-on supposer qu’on ait pu imposé de pareilles conditions à des hommes qui ont donné tant de preuves d’indépendance ? » (p. 463)

(2) Cet article fut adopté le 18 juin 1793. Un député Girondin interpella les Montagnards : « Vous flattez-vous d’être toujours victorieux ? Avez-vous fait un traité avec la victoire  ? » Basire lui répondit : « Nous en avons fait un avec la mort ! », et les Montagnards de se soulever en signe d’approbation. Robespierre intervint alors et la Convention adopta l’article. Il déclara : « Je n’aurais jamais cru qu’un représentant du peuple Français osât professer ici une maxime d’esclavage et de lâcheté. Je n’aurais jamais cru qu’il osât contester la vertu républicaine du peuple qu’il représente. Où a-t-il vu, cet homme, que nous fussions inférieurs aux Romains ? Où a-t-il vu, cet homme, que la Constitution que nous allons terminer fût au-dessous de ce Sénat despotique, qui ne connut jamais la Déclaration des Droits de l’Homme ? Où a-t-il vu que ce peuple qui verse son sang pour la liberté universelle, fût au-dessous des Romains, qui furent, non pas les héros de la liberté, mais les oppresseurs de tous les peuples ? Mais il n’y a rien à répondre à un tel homme. Nous décrèterons un article que nous sommes dignes de soutenir, en dépit de lui et de ses pareils. Qu’ils sachent, tous ceux qui ne savent pas deviner l’énergie d’un peuple libre, qu’ils sachent que cet article est l’expression de sa volonté. Un peuple qui traite sur son territoire avec les ennemis, est un peuple déjà vaincu, et qui a renoncé à son indépendance. Jamais le peuple français ne sera couvert de tant de honte qu’un homme qui, sous le despotisme, après avoir paru faire quelques pas vers l’avenir, rétrograde aujourd’hui. Que la liberté règne en France, cela est facile à concevoir : mais qu’il sache, cet homme, que non-seulement nous décrèterons l’article auquel il s’oppose, mais encore que nous le soutiendrons. » Un siècle et demi plus tard, le même jour, alors que la France était de nouveau envahie, le général De Gaulle affirma à son tour ce principe. Peut-être ignorait-il qu’il allait être à la Résistance ce que Robespierre avait été à la Révolution et qu’il ne faisait que marcher dans les traces de ce dernier. Dans des contextes différents, ces deux géants de l’histoire de France se ressemblent comme deux gouttes d’eau tant par leurs caractères, leurs idées, que par leur vision de la France. Tous deux étaient au-dessus des partis. Leurs noms furent en leur temps le cri de ralliement de tous les patriotes. Le gaullisme n’est jamais que du robespierrisme.

(3) Saint-Just en était inconsciemment arrivé à cette conclusion dans son rapport du 8 ventôse (26 février 1794) : « La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n’avons point pensé. L’opulence est dans les mains d’un assez grand nombre d’ennemis de la Révolution ; les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu’un empire puisse exister, si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement ? Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. » Tant que les révolutionnaires ne sauront ni ce qu’est exactement Largent ni comment l’abattre et élever à sa place l’Egalité, ils ne feront que des révolutions à moitié, vouées à l’échec.

12:52 Écrit par Philippe Landeux dans - REVOLUTION 1789-1794, 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : robespierre, histoire |  Facebook | |  Imprimer |

lundi, 02 mai 2011

PENSEE DU JOUR : gauchistes

Il y a deux sortes de gauchistes : ceux qui idéalisent une réalité qu’ils se gardent bien de côtoyer, en général les bobos, et ceux qui la côtoie mais ne voient qu’à travers leur idéologie, en général les cocos.

20:30 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG, 7.1. PENSEES DU JOUR | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gauchistes, bobos, cocos, landeux |  Facebook | |  Imprimer |

mardi, 26 avril 2011

PENSEE DU JOUR : la corde

Un capitaliste vendrait à son bourreau la corde pour le pendre ; un gauchiste la lui rembourserait.

ETRE FRANCAIS : 3 conditions fondamentales

1) Etre Français, c’est non seulement se sentir Français, peu importe le lieu de naissance personnel et l’origine des parents, mais encore passer pour tel aux yeux des Français.

Ce qui implique de :

- Parler français,
- Connaître au moins les grandes lignes de l’histoire de France et de faire sienne cette histoire,
- Admettre deux vérités : 1) la population de la France métropolitaine, depuis l’origine et jusqu’au milieu du XXe siècle, était européenne, donc blanche (Celtes, Gaulois, Romains, Francs, Germains, Vikings, immigrés ou réfugiés européens), et doit le rester majoritairement, 2) le Peuple français est marqué par une longue tradition chrétienne,
- Partager les valeurs humanistes de la France sans pour autant être naïf,
- Adhérer aux principes de démocratie et de laïcité,
- Considérer la femme comme égale en droits de l’homme,
- Vibrer en entendant la Marseillaise et en voyant un drapeau français,
- Se soucier des intérêts de la France d’un point de vue français,
- S’adapter, en tant qu’immigré, et non s’imposer,
- Ne pas importer et tolérer des us et coutumes étrangers à plus forte raison contraires à la loi,
- Ne pas insulter la France et les Français de quelque manière que ce soit et être outré par de tels propos.

Ce qui exclut de :

- Parler autre chose que le français avec d’autres Français ou supposés tels,
- S’appeler, de conserver ou de donner à ses enfants des prénoms manifestement étrangers à la culture française,
- S’habiller quotidiennement selon des modes culturelles ou religieuses typiquement étrangères,
- Mettre sans cesse en avant des origines personnelles étrangères,
- Considérer les problèmes internes ou externes d’un point de vue étranger ou autre que français.

2) Etre Français, c’est considérer le Peuple Français comme sa seule patrie en tant que citoyen, l’Humanité étant la patrie virtuelle de tout homme.

Ce qui implique de :

- Considérer la France comme sa maison, les Français comme sa famille, et agir en conséquence,
- Savoir distinguer, reconnaître honnêtement, ce qui est français de ce qui ne l’est pas,
- Considérer que, comme tout Peuple, le Peuple français est souverain chez lui,
- Etre dégagé de toute allégeance envers quelque puissance étrangère que ce soit,
- Servir la France,
- Etre prêt à défendre la France au besoin au péril de sa vie,
- Vouloir une France forte, grande et juste.

Ce qui exclut de :

- Avoir ou conserver une double nationalité,
- Se prétendre exclusivement européen ou citoyen du monde,
- Ne pas savoir faire ou nier la distinction entre être Français et être étranger.
- Insulter, dénigrer la France et les Français.

3) Etre Français, c’est faire honneur à la France en toutes circonstances, sur place comme à l’étranger.

Ce qui implique de :

- Etre fier d’être Français (ce qui n’a rien à voir avec la politique du gouvernement),
- Aimer la France et tout faire pour la faire aimer des gens respectables,
- Etre courtois envers les étrangers en France,
- Avoir un comportement irréprochable à l’étranger,
- Vouloir préserver et embellir le patrimoine français, local et national,
- Défendre, même seul contre tous, l’honneur et l’indépendance de la France,
- Etre terrible dans le combat, humain dans la victoire, debout dans la défaite.

Ce qui exclut de :

- Etre souillé de crimes,
- Se comporter comme un porc (du genre cracher ou taguer partout),
- Etre défaitiste.

 

Reprenons point par point, en commençant par les principaux.

« Etre Français, c’est non seulement se sentir Français, peu importe le lieu de naissance et l’origine des parents, mais encore passer pour tel aux yeux des Français. » Si l’on n’admet pas la logique de cette première condition — valable pour toute nation, sauf ajustements —, alors il faut raisonner par l’absurde. Remarquons tout d’abord qu’il est question ici d’être Français d’un point de vue officieux, d’après le sentiment des Français, et non d’un point de vue légal ou selon les dires de l’intéressé. Etre Français consiste donc, pour commencer, par se sentir Français. Cela pourrait-il consister à se sentir Espagnol ? Etre Espagnol pourrait-il consister à se sentir Français ? Non. Cela implique ensuite d’être considéré comme Français par les Français, donc de ne pas être perçu par eux comme un étranger. Cette perception repose sur des indices de diverses natures (attitudes, propos, accoutrements, croyances, etc.) qui heurtent la conception que les Français ont d’eux-mêmes et les empêchent viscéralement de voir l’intéressé comme un des leurs, ce que celui-ci ressent. Il ne suffit pas qu’un Français veuille être Espagnol et croit faire tout ce qu’il faut pour l’être pour que les Espagnols le considèrent comme tel si tel n’est pas leur sentiment. Dans ces conditions, un Français saura que quelque chose le sépare des Espagnols et qu’il n’en est pas un, même s’il l’est sur le papier.

Ce premier point était au départ complété par la mention « et des étrangers » (« passer pour tel aux yeux des Français et des étrangers »). Mais cet ajout n’était pas opportun et a été supprimé. Il est vrai que lorsqu’un individu passe pour un étranger à une nation auprès d’étrangers d’une autre nation, il y a de fortes chances pour que les nationaux dont il se dit le compatriote le considèrent également comme un étranger vis-à-vis d’eux. Si des Allemands voient un Français dans un individu, il est rare que les Espagnols le prennent pour un des leurs. Mais il se peut que des étrangers, moins sensibles que les nationaux, soient dupes ou que, considérant à tort un ex-compatriote comme un renégat, ils lui donnent du Français par mépris, ce dont les Français, eux, ne doivent pas être dupes. Il s’ensuit que le ressenti des étrangers compte moins que celui des nationaux, voire pas du tout, d’où l’inutilité de le mentionner.

« Etre Français, c’est considérer le Peuple Français comme sa seule patrie en tant que citoyen, l’Humanité étant la patrie virtuelle de tout homme. » Avant de considérer que le Peuple Français est sa seule patrie, la patrie à laquelle il appartient, il est nécessaire de reconnaître que l’Humanité est composée de divers Peuples, de diverses patries.

Tous les hommes font partie de l’Humanité, mais cela ne signifie pas que l’Humanité soit leur seule patrie. En fait, l’Humanité, en tant que patrie, est aujourd’hui un concept sans portée pratique. Ce concept n’aura éventuellement de sens que lorsque l’Homme aura essaimé dans l’Espace ou sera confronté à une civilisation extra-terrestre. Même alors l’Humanité ne sera pas uniforme. La Terre sera une fédération de Peuples, de nations ayant chacune des particularités héritées de leur histoire et conformes à leur développement. A moins bien sûr que le gouvernement mondial ne tiennent aucun compte de ces différences millénaires et impose en tout des normes universelles qui, du reste, n’élimineront pas les continents, les races et les climats (A un moindre niveau, l’Union Européenne suit déjà cette pente.). Le risque majeur d’un gouvernement mondial est cependant qu’il reconnaisse ces différences et, du coup, ne gouverne que dans l’intérêt ou selon les vues des nations (ou pire des entreprises ou des personnes) les plus riches, les plus puissantes. Le beau rêve de la patrie universelle est un piège. Le paradoxe de ceux qui nient les patries au nom de l’Humanité, des différences individuelles et de l’Egalité est que le monde qu’ils promettent serait soit plongé dans l’individualisme absolu, livré à la loi du plus fort, donc sans Egalité, soit écrasé par l’uniformité, donc sans respect des différences individuelles et collectives. En somme, ils veulent des choses qui conduisent à un résultat contraire à leurs aspirations.

Il y a bien sûr une certaine uniformité au niveau des nations, mais ce sont elles qui, de par leurs différences, font la diversité de l’Humanité. Faire sauter les barrières qui séparent les hommes en nations reviendrait en quelque sorte à jeter dans un même seau le contenu d’une multitude de pots de peinture. Le résultat prévisible est une couleur unie et infâme dans laquelle il est impossible de reconnaître les couleurs initiales... à moins que, de par leur densité, les couleurs se reforment après mélange, comme de l’huile dans de l’eau. Heureusement ! faire sauter ces barrières est une vue de l’esprit, d’un esprit occidental devrait-on préciser. Car ces « barrières », ces délimitations ne sont pas seulement administratives ; elles ne sont pas purement artificielles ; elles sont avant tout dans la nature des choses. Ce ne sont pas les nations qui font les races, les ethnies, les identités nationales, les cultures, mais l’inverse. Les races, les ethnies, les cultures précèdent la constitution des nations (modernes), même si une nation ne se réduit pas à cela. Rien ne peut effacer les points communs qui réunissent certains hommes et les distinguent des autres ; rien ne peut ôter aux hommes le sentiment d’être plus proches de certains que d’autres ; rien ne peut faire que des groupes humains n’existent pas ; rien ne empêcher que l’Humanité soit morcelée en Peuples, nations, patries, état, pays, villes, villages, tribus.

Les patries existent donc, qu’on l’admette ou qu’on le nie. Peu importe pour le moment de savoir ce qu’est la patrie France ; l’important est que des hommes considèrent le Peuple Français comme leur patrie.

Reste à savoir pourquoi être Français implique de considérer le Peuple Français comme sa seule patrie.

Tout d’abord, il est question d’être Français, pas d’être rien ou Espagnol ou Polonais. Celui qui ne considère pas le Peuple Français comme sa patrie, parce que l’idée de patrie lui fait horreur ou parce qu’il porte dans son cœur un autre Peuple n’est pas Français. Qu’il ne pense pas ou ne veuille pas l’être, personne ne l’y force et il ne l’est pas. Mais celui qui ne considère pas le Peuple Français comme sa seule patrie, qui pense en avoir plusieurs, ne l’est pas d’avantage. Quelle que soit la raison pour laquelle son cœur est partagé, il ne se sent pas Français à part entière et les Français perçoivent fatalement son côté étranger qui les empêche de voir en lui un des leurs, ne lui en déplaise. Etre Français, c’est ne pas être autre chose en tout ou partie. On l’est tout entier ou on ne l’est pas (aux yeux des Français et de la France). C’est un peu comme si un joueur, sous prétexte d’aimer les deux équipes, jouait pour et contre les deux équipes en même temps ; personne ne lui passerait la balle. 

Ceci nous amène à la seconde raison qui est qu’un Français a des devoirs envers le Peuple Français et des droits en France. Ces devoirs, liés à la Nationalité, sont censés témoigner de l’attachement sentimental à la France. Les droits qu’ils justifient sont censés être exercés dans l’intérêt exclusif du Peuple Français. Un individu en tout ou partie étranger ne mérite pas plus de jouir de ces droits, puisqu’on ne sait au profit de qui il les exercerait, qu’il ne mérite d’être autorisé à remplir ces devoirs, si tant est qu’il le veuille. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’il le puisse. Car toute Nationalité implique des devoirs et il n’est pas possible qu’un individu les remplissent dans deux pays en même temps. Il peut certes les remplir dans celui où il réside, ce qui est une trahison envers l’autre, ou s’absenter le temps de les remplir dans l’autre — si toutefois ils sont peu contraignants —, ce qui est une trahison envers le premier voire les deux. Ainsi, même si l’obstacle technique peut être éludé, l’obstacle moral demeure insurmontable. Une nation ne peut pas faire confiance en quelqu’un qui, au lieu de s’abandonner à elle, ne sait pas sur quel pied danser.

D’où la troisième est dernière raison. Dans la Cité, les notions de Citoyenneté et de Nationalité sont distinctes. Les droits fondamentaux, nécessaires au quotidien, sont liés à la Citoyenneté. Ceux liés à la Nationalité sont objectivement superflus et réservés, comme il a été dit, aux Citoyens qui se sentent particulièrement attachés à la Cité qui est pour eux leur patrie. Un Citoyen n’a pas impérativement besoin de la Nationalité, laquelle n’est pas imposée par la Cité (que ce soit en vertu du droit du sol ou du droit du sang) mais laissée aux choix des individus afin que, par ce choix et ce qu’il implique, ceux-ci indiquent pour quel Peuple bat leur cœur, à quelle patrie va leur allégeance. Les Citoyens peuvent donc choisir de refuser la Nationalité. En revanche, la Cité ne peut pas accepter qu’ils optent pour plusieurs Nationalités, ce qui revient à ne pas choisir, à ne pas prendre parti résolument pour elle.

« Etre Français, c’est faire honneur à la France en toutes circonstances, sur place comme à l’étranger. » Un individu peut penser de lui ce qu’il veut. Mais la Nationalité, par définition, dépasse l’individu. Elle signifie qu’il appartient corps et âme à un Peuple dont il est un représentant. Un individu peut donc penser qu’il appartient à un Peuple mais il ne peut lui appartenir officiellement sans son consentement. Etre Français est donc être admis dans l’équipe France par le Peuple Français. L’admission et l’appartenance à cette équipe impliquent d’être un bon élément et de lui faire honneur, du moins de ne pas la déshonorer, sous peine d’en être chassé, car ce que chacun fait peut rejaillir d’une manière ou d’une autre sur tous. Ce principe vaut pour tout groupe ; la nation ne fait pas exception. Que l’on soit Français de cœur et de papier ou qu’on le soit simplement en esprit, faute de reconnaissance, ce sentiment porte à faire aimer la France et le Peuple Français, à donner le meilleur de soi-même, à être exemplaire pour donner du Français la meilleure image. Quiconque se dit Français sans être animé de telles intentions est un imposteur.  

C’est par des propos ou des actes que l’on honore ou déshonore un groupe. Or l’honneur d’un groupe tient à la fois à la bonne opinion qu’il a de lui-même et à sa réputation auprès des étrangers. Il est donc deux manières d’honorer une nation : en respectant ses lois, en faisant quelque chose d’intrinsèquement bien ou de profondément agréable à la nation qui n’aura pas lieu de rougir voire se félicitera de posséder un tel individu, ou alors en étant correct et serviable envers les touristes ou en faisant quelque chose de profondément agréable aux étrangers qui donnera à ces derniers une bonne opinion des nationaux et les prédisposera favorablement à l’égard la nation. (Il va de soi que cette chose profondément agréable aux étrangers ne doit pas être contraire aux intérêts de la nation.) Il est donc également deux manières de déshonorer une nation : en étant parjure, en commettant une atrocité, en violant les droits sacrés d’individus, en trahissant les intérêts et la confiance de la nation ou en manquant de respect envers les touristes et, de manière générale, en suscitant le mépris des étrangers. Ceci étant, les actes en question, et à plus forte raison les propos, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, ne peuvent toujours être légalement constatés, donc loués ou sanctionnés par la nation. Il faut donc que la nation indique clairement les comportements qu’elle réprouve et ceux qu’elle attend de tout Français, afin qu’ils entrent dans les mœurs ou en soient bannis, de sorte que la pression de la morale publique suffise dans la plupart des cas à les rendre naturels ou à les proscrire.

Venons-en maintenant à ce qu’impliquent et à ce qu’excluent ces grands principes dans le cas particulier de la France.

Etre et se sentir Français implique de « parler français ». Bien que cela paraisse difficile, on peut peut-être se sentir Français sans parler cette langue ou en la maîtrisant mal. En revanche, on ne peut être perçu comme tel si on ne la parle pas, qui plus est correctement. Dans la même logique, ceci exclut de « parler autre chose que le français avec d’autres Français ou supposés tels ». Si des Français ne parlent pas Français entre eux, qui, dans le monde, parle Français ? Les Français qui connaissent l’anglais le parlent-ils entre eux ? Non. Pourquoi ? Parce qu’ils sont Français. Eh bien ! ceux qui parlent autre chose ne le sont ni de cœur ni d’esprit. Il va sans dire que cette réflexion concerne les immigrés, leurs descendants et les enfants issus de mariages mixtes. Eux seuls peuvent être tiraillés entre deux cultures. Eux seuls peuvent faire le choix d’adopter et de pratiquer la langue de la nation au sein de laquelle ils vivent s’ils veulent en faire partie pleinement. La nation n’est d’ailleurs pour rien s’ils sont confrontés à ce choix ; la responsabilité leur incombe ou en revient à leurs parents. Quoi qu’il en soit, des immigrés qui perpétuent et parlent entre eux une langue étrangère ne peuvent pas passer pour autre chose que des étrangers. Même s’ils ne la pratiquent qu’en privé — ce qui serait acceptable mais paraît difficile à faire —, ce n’est pas sans risque pour leurs enfants qui vont souvent tomber dans une crise d’identité et peut-être la transmettre à leur tour.

Etre Français implique de « connaître au moins les grandes lignes de l’histoire de France et de faire sienne cette histoire ». Une nation est unie par son passé et n’a d’avenir que dans l’union. Ainsi, une nation qui oublie son passé, dont les membres ne sont plus que des individus égoïstes et mous du bulbe, est condamnée à être dissoute ou à se raffermir violemment. Dans les deux cas, des jours sombres la guettent. Il y a donc deux bonnes raisons pour qu’une des conditions d’accès à la nationalité française soit de connaître dans les grandes lignes l’histoire de France : la première, c’est que tous les Français doivent participer à l’unité nationale et, par conséquent, être porteurs de ce qui fait cette unité ; la seconde, c’est qu’un Français aime la France et veut lui épargner des jours sombres.

L’histoire de France ou du Peuple Français est l’histoire de tous les Français, et vice versa. Chacun d’eux doit la faire sienne. Il est cependant évident que cette histoire commune n’est pas celle de chaque individu, de chaque famille. Ceci est d’autant plus évident concernant les immigrés récents et leurs descendants. Il doit donc être clair, pour ces derniers, que lorsque l’on dit, par exemple, nos ancêtres les Gaulois, « nos » ne renvoie pas à un nous individuel, c’est-à-dire à une somme d’individus, mais à un nous collectif, aux Français pris en masse, au Peuple Français. « Ancêtres » ne fait donc pas référence aux ancêtres de chaque Français, mais aux prédécesseurs des Français actuels, aux hommes qui ont vécu avant eux sur le même sol, qui l’ont arrosé de leur sueur et de leur sang, qui y reposent et où les occupants présents et futurs de la France reposeront aussi. Quant au terme « Gaulois », il est réductif, mais il symbolise tous les Peuples qui ont devancé le Peuple Français en terre de France et qui sont, de fait, le passé de chaque Français. Un Français, qu’il soit de vielle souche ou de jeune greffe, doit donc faire sien ce passé qui est, pour ainsi dire, le tronc commun. Il n’est pas déplacé que la Constitution le rappelle, car, ce faisant, elle trace à l’école son devoir et étouffe dans l’œuf les revendications communautaires. Ceci n’interdit pas pour autant aux écoles de donner aux élèves un aperçu de l’histoire d’autres Peuples, afin d’enrichir leur culture générale, mais non pour satisfaire la curiosité de certains au sujet de leurs origines personnelles. Il est du reste parfaitement légitime, quoique potentiellement dangereux, qu’une personne d’origine étrangère veuillent connaître l’histoire du Peuple dont elle descend réellement bien qu’elle ne fasse pas partie, mais elle n’a pas besoin de l’école pour cela, elle peut très bien s’instruire par elle-même et elle en apprendra probablement davantage de cette façon.

Par suite, être Français implique « d’admettre deux vérités : 1) la population de la France métropolitaine, depuis l’origine et jusqu’au milieu du XXe siècle, était européenne, donc blanche (Celtes, Gaulois, Romains, Francs, Germains, Vikings, immigrés européens) et doit le rester majoritairement, 2) le Peuple français est marqué par une longue tradition chrétienne. » Ces vérités n’offensent personne. Par contre, les nier serait une offense à la vérité. Or aucune politique raisonnable ne peut être fondée sur un mensonge ou un oubli de la vérité. Croire que reconnaître que les Français sont essentiellement blancs est un affront aux immigrés de couleur ou extra-européens (le nier étant en revanche en affront au sens commun et aux Français) est non seulement une absurdité mais encore une gaucherie. Les mêmes qui font à tort de ce sujet un tabou ne dénoncent-ils pas avec raison, quoique avec excès, la colonisation par les pays européens ? Or, qui peut soutenir que, dans les colonies, « Européens » n’était pas synonyme de « Blancs » et qu’il n’existait pas un contraste physique entre eux, très minoritaires, et les populations locales ? Les Blancs ne seraient-ils blancs qu’à l’étranger ? Les hommes, d’où qu’ils soient, seraient-ils incolores parce qu’ils viennent en Europe ? Pourquoi, alors, parler de minorités visibles s’il n’y a rien à voir ? (Dans Vers la libération nationale, ouvrage contre l’impérialisme européen écrit en 1947 mais  paru en 1962, le Dr. Kwame Nkrumah, d’origine africaine, comme son nom l’indique, note, page 16 : « Une colonie de peuplement est celle dont le milieu géographique et racial n’est pas très différent de celui de la « Métropole », tandis qu’une colonie d’exploitation comprend des hommes d’affaires, des consortiums, des cartels, des trusts, des administrateurs, des soldats et des missionnaires, tous plongés dans un milieu et dans des conditions tout-à-fait différents de ceux de leur pays d’origine. » Il reconnaissait donc les différences raciales et, partant, l’existence de races. Les Européens étaient racialement différents des colonisés. Pourquoi nier, aujourd’hui, la différence raciale entre les Européens et les immigrés provenant de ces ex-colonies ? Ce qui était vrai depuis toujours et jusqu’au XXe siècle est toujours vrai au XXIe ; ce qui était vrai dans un sens est vrai dans l’autre.)

Ce constat implique d’admettre que les Peuples européens, Français compris, étant blancs à l’origine, doivent s’assurer, en gérant l’immigration extra-européennne (et en tenant compte de la fécondité), que leur population reste majoritairement blanche. Sans même parler de problèmes culturels, il est évident que, lorsque la population d’un pays est remplacée par une population d’une autre couleur ou simplement d’une autre origine, il ne s’agit plus ni du même Peuple ni du même pays. Qu’un pays de Blancs soit essentiellement peuplé de Noirs ou de Jaunes ou qu’un pays de Noirs ou de Rouges soit essentiellement peuplé de Blancs, peu importe que le changement se nomme invasion, conquête, colonisation ou immigration, le résultat est le même, le pays change de face. Il se peut que le Peuple d’origine ne soit pas assez fort pour repousser une invasion, auquel cas il disparaît sous la masse, même s’il résiste. Mais lorsque le Peuple d’origine est fort, une invasion n’est pas une fatalité ; elle doit tout à sa faiblesse morale, en un mot à sa stupidité. Un Peuple qui n’ose pas être maître chez lui aura bientôt un autre pour maître. Ceci n’induit pas qu’il faille repousser toute immigration mais seulement qu’il faut la maîtriser et la gérer suivant l’origine des immigrés non seulement dans l’intérêt du Peuple autochtone mais aussi dans celui des immigrés. Car les capacité d’intégration d’un Peuple dépendent à la fois de ses caractéristiques propres et de celles des immigrés, liées à leurs origines. Certains immigrés peuvent s’assimiler facilement, passer inaperçus et être rapidement acceptés, tandis que d’autres ont par nature plus de difficultés à se fondre dans la masse, difficultés qui ne peuvent pas s’atténuer avec le temps si le nombre de ces immigrés, lui, augmente sans cesse. Ainsi, l’arrivée en France d’immigrés européens, comme cela a eu lieu au début du XXe siècle, ne peut honnêtement être comparée à l’arrivée d’immigrés extra-européens, comme cela dure depuis les années 1960. Les problèmes d’intégration de ces derniers et de leurs descendants, le rejet dont ils sont l’objet, ont avant tout des causes politiques, une absence totale de gestion, de prévision, une obsession de l’économique, un oubli de l’humain, le mépris du Peuple Français. C’est un fait : les immigrés, selon leurs origines et le pays d’accueil, rencontrent des difficultés spécifiques qui doivent être prises en compte dans la gestion de l’immigration. En la matière, le politiquement correct — du genre nous sommes tous des êtres humains —,  la langue de bois — comme refuser de parler de l’immigration dans le débat sur l’identité nationale tout en affirmant que la France est diverse, sous-entendu en raison de la présence d’immigrés —, et le double langage — comme crier un jour vive les différences ! et, le lendemain, tout est pareil !, nier les races et faire l’apologie du métissage, condamner la colonisation mais applaudir à l’immigration, nier la culture et l’identité françaises, traiter de xénophobes ceux qui veulent les préserver, mais s’extasier par ailleurs devant les cultures du monde et voir comme des héros ceux qui les défendent, bref juger les choses selon des principes opposés selon qu’elles concernent des étrangers ou les Français et les Européens en général — sont désastreux. Le législateur et ceux qui prétendent inspirer les lois doivent arrêter de prendre leurs inclinations pour des sentiments universellement partagés, leurs désirs pour la réalité, la bêtise pour de l’audace intellectuelle et la lâcheté pour de la politique. Limiter l’immigration extra-européenne n’est pas une attitude raciste, haineuse à l’égard des intéressés, mais une question de bon sens, puisque l’expérience et les lois aussi multipliées qu’inutiles attestent que le Peuple Français, dont les capacités d’intégration sont limitées comme toute chose, a de plus en plus de mal à la digérer.

La nécessité de reconnaître, en tant que Français, la longue tradition chrétienne du Peuple français découle de la même logique. C’est une vérité. Les églises qui s’élèvent dans chaque ville et village de France en attestent. Il ne s’agit pas pour autant d’exiger que tous les Français soient chrétiens ni d’imposer aux immigrés de se convertir au christianisme. Il s’agit simplement d’une part de reconnaître que, quoique la France soit un état laïque, elle ne peut ni ne doit rayer mille cinq cents ans de son histoire qui ont marqué sa culture et façonné son patrimoine, d’autre part de signifier aux immigrés d’autres confessions qu’il y a des bornes à ne pas dépasser s’il veulent être acceptés voire devenir Français. La laïcité consiste en la séparation de l’Eglise (et de tout culte) et de l’Etat, en la relégation des croyances et des pratiques religieuses ou spirituelles dans la sphère privée, en la prise en charge des cultes par les fidèles. Elle est faite pour assurer l’unité nationale, pour que nul ne trouble l’ordre public sous prétexte de religion et pour que chacun puisse vivre sa foi en paix. La présence séculaire d’églises et de croix un peu partout n’oblige personne à croire et ne heurte personne, tant il est naturel d’en voir en France. En revanche, vouloir les abattre, au nom de la laïcité, susciterait une vive réaction tant de la part des croyants que des athées attachés aux traditions et au patrimoine. La laïcité ne serait alors que le prétexte invoqué par des fanatiques d’un nouveau genre, athées ou religieux, pour étaler sinon imposer à terme leurs propres croyances. Il en est de même pour certaines fêtes locales ou nationales d’origines religieuses, en particulier Noël (qui est en réalité une fête païenne d’origine celte). En clair, la laïcité n’exclut pas que la loi d’une nation considérée jadis comme la fille aînée de l’Eglise fasse quelques exceptions bénignes pour la religion dont se réclament, par conviction ou tradition, la plupart des Français. Ces exceptions imposées par l’histoire doivent être défendues par les Français et admises par les immigrés afin que la laïcité ne devienne pas, entre les mains de ces derniers, un moyen légal de contester les traditions du pays dans lequel ils (ou leurs parents) ont choisi de venir ou d’exiger en faveur de leur religion le même genre d’exceptions. D’autant plus que les problèmes ainsi suscités concernent moins la laïcité que l’« intégration ». Les Français ne doivent pas être dupes des immigrés, notamment des Islamisntes, qui traitent tout d’un point de vue religieux, même ce qui n’a finalement rien à voir avec la religion. La croyance est intérieure et tout ce qui, dans une religion étrangère, participe du décor et étiquette les croyants comme des étrangers (arrogants) aux yeux des autochtones doit être abandonné par les intéressés ou proscrit par la loi. Placer les débats sur le voile, les minarets, les prénoms, la langue et toute ce qui concerne les immigrés sur le terrain de la laïcité, c’est tomber dans le piège tendu par les Islamistes et les communautaristes. Tous ces problèmes ne concernent ni la religion ni la liberté ni la laïcité, mais l’assimilation des immigrés et l’intérêt national du seul point de vue qui compte en France, celui des Français. Le but ultime de ce discours républicain est que les immigrés, comprenant où ils sont, ne provoquent pas le ressentiment des Français par maladresse — en admettant qu’il ne s’agisse que de cela —, se confondent avec eux et soient acceptés par eux de bon gré. Ce n’est pas en jetant sans cesse la pierre aux Français et en noyant systématiquement le poisson que l’on parviendra à ce résultat.

Ces explications anticipent le point suivant : Etre Français implique d’« adhérer aux principes de démocratie et de laïcité ». La France actuelle n’est pas une véritable démocratie, car la démocratie ne se résume pas au droit de voter de temps en temps pour de soi-disant représentants. On peut même dire que, dans ces conditions, voter est un leurre. Dans une véritable démocratie, le Peuple est réellement souverain ; rien ne se fait en son nom sans qu’il se soit exprimé sur le sujet ; les lois qui ne sont pas son ouvrage direct doivent néanmoins être approuvées par lui, elles sont littéralement l’expression de la volonté du Peuple ; les élus sont à son service et en son pouvoir et non l’inverse ; de véritables contre-pouvoirs populaires existent ; c’est au pied de la lettre le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple. Maintenant, si le Peuple Français n’est pas encore parvenu à la démocratie, il est néanmoins en marche sur la bonne voie. Les grands principes (Egalité, souveraineté du Peuple) sont foulés au pied, ils n’en sont pas moins reconnus et nul n’oserait les contester. Même les royalistes n’imaginent plus une monarchie féodale. En revanche, la France — après plus d’un siècle d’efforts, depuis 1789 jusqu’à 1905 — est bel et bien parvenue à la laïcité. Les Français sont partisans de la démocratie et de la laïcité. Or l’une et l’autre sont mises à mal par des immigrés, précisément par les Islamistes. Pour eux, la volonté du Peuple Français n’est rien, la loi coranique est tout. Si une telle logique ne débouche pas forcément sur une théocratie, elle oblige au moins à confondre le religieux et le politique. Et c’est au nom d’une religion étrangère, importée par des immigrés, que la démocratie et la laïcité, si difficiles à établir, sont attaquées en France, la première implicitement, la seconde ouvertement ! Comment les Français n’en seraient-ils pas outrés ? Comment les partisans de doctrines si contraires à la sensibilité française seraient-ils Français ?

Si l’on ajoute que les Français, aujourd’hui, considèrent « la femme comme égale en droits de l’homme » n’y a-t-il pas redondance ? Cela ne revient-il pas à jeter une fois de plus l’anathème sur les tenants du voile islamique, de la burqa, des mariages forcés, de la polygamie, de l’excision, en un mot sur des immigrés ? Toutes ces pratiques étrangères sont contraires aux mœurs et aux lois françaises. Qui peut dire sans rougir que leurs adeptes sont Français ou dignes de l’être ? On ne peut pas condamner ces pratiques sans dénoncer en même temps ceux qui les prônent. S’arrêter en chemin sous prétexte qu’il va être question d’immigrés et qu’il faut éviter les amalgames revient à faire de l’immigration un tabou et des immigrés un tout indivisible. Vouloir séparer le bon grain de l’ivraie est la seule politique raisonnable à l’égard des immigrés, et elle s’appuie sur l’affirmation de la France, de son identité, de son histoire, de ses valeurs, de ses traditions, de ses lois, afin que ceux qui les adoptent soient considérés avec raison comme Français, que ceux qui les respectent soient reconnus comme des étrangers honorables et que ceux qui les bafouent soient punis ou chassés. Ne pas faire d’amalgame suppose de faire honnêtement la part des choses, ce qui nécessite des références, françaises en l’occurrence, et exclut de prétendre toutes choses égales. Humanisme n’est pas synonyme d’aveuglement, d’angélisme, de laxisme ; il rime avec patriotisme. Un Français doit partager les valeurs humanistes de la France sans pour autant être naïf. Quelles que soient ses origines, il n’importe pas et ne tolère pas des us et coutumes étrangers à plus forte raison contraires à la loi. S’il est d’origine étrangère, il s’adapte au lieu de chercher à s’imposer ; il prévient les critiques au lieu de les susciter.

Un Français vibre « en entendant la Marseillaise et en voyant un drapeau français ». En y regardant bien, ceux qui ne vibrent pas ne se sentent pas Français ou ne le sont pas, qu’ils se disent européens, citoyens du monde ou qu’ils aient une autre nationalité — ce qui est la seule raison valable. Même s’ils sont Français sur le papier, même s’ils protestent qu’ils le sont dès lors que ce titre leur est contesté, leurs discours sur l’hymne national et le drapeau, sur le patriotisme, sur l’identité française, sur la France et les Français les trahit. C’est du reste leur droit de ne pas se sentir Français, de croire qu’ils ne sont que des individus ou que leur patrie est autre que la France. Mais au nom de quoi participeraient-ils à un débat sur l’identité française ? C’est aux Français de cœur de dire ce qu’il sont et ce qui les dérange, non à des Français de papier, à des étrangers réels ou virtuels, de leur dire ce qu’ils doivent être et ce qu’ils doivent tolérer. Le risque est grand que ces derniers, au lieu de s’exclure eux-mêmes du débat à défaut d’être honnêtes, donnent du Français une définition si large qu’elle s’appliquerait aussi à eux. Que vaudrait alors une pareille définition ? Rien.

On comprend que des individus qui se moquent de la France et de ses symboles mais prétendent qu’ils sont Français comme le premier venu ne sont pas Français dans l’âme et ne se soucient guère de défendre les intérêts de la France d’un point de vue Français, comme il est du devoir de tout Français digne de ce nom. Mettre sans cesse les intérêts des étrangers à la place des intérêts Français est une drôle de conception des intérêts de la France. C’est ainsi, par exemple, que, sous prétexte que les immigrés ont des raisons de quitter leur pays, certains prétendent que la France n’a pas le droit de maîtriser l’immigration, qu’elle est obligée de tous les accueillir, de les prendre en charge et de les supporter éternellement quoi qu’ils fassent, bref que les Français n’ont pas leur mot à dire à leur sujet. C’est simple, selon eux, la France n’a aucun droit vis-à-vis des étrangers, elle n’a que des devoirs et ceux-ci ont tous les droits ; elle doit avoir honte, ils peuvent être fiers ; les Français (les Blancs) ont toujours tort, les étrangers toujours raison ; ils sont bêtes, eux sont biens. Peut-on défendre les intérêts de la France, peut-on seulement être Français en ayant une pareille philosophie ?  Il n’y a bien que ceux qui la partagent qui peuvent le croire et le soutenir.

Etre Français, se sentir Français, implique « de ne pas insulter la France et les Français de quelque manière que ce soit et être outré par de tels propos ». Cela devrait se passer d’explication. Les insultes envers la France et les Français sont perçues par les Français dignes de ce nom comme des offenses personnelles et ne peuvent être proférées par des Français. Précisons cependant, pour les durs de la feuille et les idiots de service, que l’interdiction d’insulter n’a pas pour corollaire l’obligation de flatter. Etre correct n’est pas être servile. Interdire d’insulter la France et les Français n’interdit pas de penser d’eux ce que l’on veut, de les critiquer avec raison, de se moquer d’eux gentiment. Ce sujet est néanmoins sensible car autant certains mots sont des insultes en eux-mêmes autant d’autres ont une connotation différente selon qui les prononce. Seuls les Noirs peuvent dire certaines choses sur les Noirs. Les mêmes mots dans la bouche d’un Blanc peuvent faire de lui un raciste. De même, certains mots, certaines phrases dans la bouche d’un étranger ou d’un Français de fraîche date, qui seraient anodins ou considérés comme de l’autodérision dans la bouche d’un Français, peuvent être perçus comme une insulte par les Français incontestables. Il est donc impossible de dresser une liste de mots, d’expressions ou de phrases interdits puisque l’insulte peut prendre des formes infinies et que tout dépend de qui les prononce, dans quel contexte et à propos de qui. Disons simplement que, en France, les Français sont seuls jugent en la matière et que tout ce qu’ils perçoivent comme une insulte envers eux et leur pays en est une.

Etre Français, se sentir Français, exclut de « parler autre chose que le français avec d’autres Français ou supposés tels », de « s’appeler, de conserver ou de donner à ses enfants des prénoms manifestement étrangers à la culture française », de « s’habiller quotidiennement selon des modes culturelles ou religieuses typiquement étrangères ». Chacun de ces points tombe sous le sens. Tous sont des indicateurs de la communauté à laquelle un individu appartient. On peut donc discuter en vain de leur pertinence en détail mais force est d’admettre qu’une personne qui ferait tout ce qui est proscrit ici n’aurait rien d’un Français et que, si tous les habitants de France faisaient de même, il ne resterait rien de la France au bout de deux générations. Imaginons que tous les habitants d’un pays parlent entre eux allemand, portent des noms allemands et s’habillent en Allemands : quel pays serait-ce sinon l’Allemagne ? Mais serait-ce toujours l’Allemagne si ses habitants ne parlaient plus que turc, portaient des noms turcs, s’habillaient en Turcs et ne juraient plus que par la Turquie ? Non ! Ce n’est pas la géographie qui fait un pays mais sa population, laquelle s’identifie par des us et coutumes propres dont les principaux sont la langue, les noms et les vêtements. Les individus qui n’en adoptent aucun sont purement et simplement des étrangers ; ceux qui n’en adoptent qu’une partie suscitent le doute et peuvent à bon droit être considérés comme tels ; seuls ceux qui renoncent à tous les us et coutumes étrangers (ostentatoires) peuvent prétendre être Français sans conteste. Remarquons d’ailleurs que ce n’est pas stigmatiser les Français d’origine étrangère que de signaler leurs maladresses pour qu’ils les reconnaissent et y remédient puisqu’en les commettant et en s’entêtant à les commettre ils se stigmatisent eux-mêmes. Renverser les rôles pour faire passer les Français pour des xénophobes et les immigrés non entièrement assimilés pour des oies blanches est non seulement de la mauvaise foi mais encore un mauvais service à rendre à la France et aux immigrés. Et quand des immigrés ou des descendants d’immigrés recourent à ce procédé gauchiste, au lieu de comprendre le point de vue français et leur intérêt, ils se discréditent définitivement. Car ils font alors deux choses que se sentir Français exclut, à savoir « mettre sans cesse en avant des origines personnelles étrangères » et « considérer les problèmes internes ou externes d’un point de vue étranger ou autre que français ». En l’occurrence, ils mettent dans la balance leur vécu, leurs origines, leur amour propre et faussent les débats qui concernent les étrangers et les immigrés dont ils se sentent solidaires. Mais pourquoi sont-ils solidaires des étrangers, pourquoi se sentent-ils visés par un débat concernant directement ou indirectement ces derniers s’ils sont Français ? Pourquoi pensent-ils que les Français leur reprocheront quelque chose s’ils n’ont rien à se reprocher ? Pourquoi ont-ils peur des amalgames s’ils n’ont rien de commun avec des étrangers ? Les Français droits dans leurs botes, quelles que soient leurs origines, n’ont pas ce genre de dilemmes. En prenant le parti des étrangers, en affichant des craintes que seuls des étrangers peuvent éprouver, en  défendant des intérêts qui ne sont pas ceux de la France, en tenant des discours insupportables pour des Français, c’est eux qui, une fois de plus, tracent une ligne de démarcation et se stigmatisent.

Ainsi, dans le débat sur l’identité nationale qui est évidemment soulevé par l’immigration massive extra-européenne de ces quarante dernières années tous les Français sont globalement d’accord sur ce qu’est être Français et surtout sur ce qui est étranger à la France. Seuls les gauchistes et des descendants d’immigrés ergotent. Les premiers se voient en citoyens du monde et croient que la France n’est rien ou, pire, qu’elle est diverse ; les seconds qui se disent Français sont attachés à une culture étrangère et cherchent à faire croire que celle-ci peut faire partie de la culture française. Les uns et les autres, chacun à leur façon, les premiers par bêtise congénitale, les seconds par intérêt personnel, nient les spécificités françaises. Les seconds, en particulier, refusent certaines adaptations et, du coup, soutiennent que la France doit de fait s’adapter à eux, que les Français doivent les accepter tels quels. Quand Libération interrogent des « Français issus de l’immigration » sur le sujet, ils s’appellent Ali, Hassan, Fouziya, Taoufik, Douadi (N° 8885, vendredi 4 décembre 2009, p. 8). Comptons sur eux et Libération pour définir et sauvegarder l’identité française ! Certes, un prénom n’est pas tout, mais c’est à lui seul 90 % d’une identité, en raison de son impact sur la psychologie de l’intéressé et de sa perception par les autres. Un prénom est comme un écusson sur une épaule ; il indique à quelle communauté un individu appartient puisque la première chose que fait une communauté est de donner à ses nouveaux membres un nom conforme à sa culture. N’est-ce pas précisément ce que font les Musulmans sans se soucier du pays dans lequel ils se trouvent ? Malheureusement pour eux, ces pays ont aussi leur culture et l’appartenance à la communauté nationale passe par le port de prénoms conformes à la culture nationale. Il en est de même pour les vêtements. Prétendre, comme le fait Libération, qu’il suffit pour les Musulmans de « se couler dans les principes de la laïcité républicaine » (ibid, p. 2), autrement dit qu’il leur suffit d’adhérer à des principes universels qui, par définition, ne caractérisent pas la francité, même s’ils en font partie, est une plaisanterie. L’expérience a déjà prouvé que cela ne suffit pas. Par ailleurs, si l’on pourrait se réjouir que Libé reconnaisse que « la négation bien-pensante des difficultés ne sert à rien » (ibid), on déchante vite quand on lit (même colonne) que « La seule stratégie consiste à rechercher avec les minorités religieuses ou culturelles une indenté commune » (comme si l’identité commune des Français était inconnue, négociable et modifiable pour complaire à des adeptes d’us et coutumes étrangers ; comme si l’identité nationale était une question d’arrangement entre les politiciens et les minorités étrangères et non une question à trancher directement par les seuls Français !) et que « Les efforts [pour définir l’identité française] seront partagés » (comme si les Français, qui sont chez eux, devaient faire des efforts, c’est-à-dire renoncer en partie à ce qu’ils sont, pour que des immigrés, qui n’ont rien à exiger, en aient moins à faire, c’est-à-dire pour que leurs us et coutumes étrangers soient déclarés français). Quelle façon élégante de dire que les Français doivent baisser leur froc ! Car, c’est à n’en pas douter la philosophie de ce journal qui, quatre jours plus tôt, le 30 novembre, titrait à propos du référendum en Suisse interdisant les minarets : « Le vote de la honte ». Si les Européens, de tradition chrétienne, n’ont pas le droit d’interdire les minarets chez eux, symbole on ne peut plus ostentatoire et provoquant, symbole non pas d’une religion mais d’une hégémonie étrangère, quel droit ont-ils, d’après ce journal, de limiter les prétentions étrangères en général et islamiques en particulier ? Les minarets ne sont pas indispensables à la pratique de l’Islam qui, elle, est autorisée. Pourquoi serait-ce honteux de les interdire et de contrarier les Musulmans sur ce point ? Et si cette interdiction est honteuse, quelle interdiction concernant l’Islam (voile, burqa, mariages forcés, polygamie) ne le sera pas ? Inversement, toute obligation pour les immigrés de se conformer aux lois et à certains us et coutumes français ne sera-t-elle pas elle aussi qualifiée de honteuse par ce journal qui, fort heureusement, a abjuré la bien-pensance ? En clair, s’il est interdit d’interdire quoi que ce soit aux Musulmans et aux immigrés (pas même l’immigration clandestine et la présence illégale) ou de les obliger à quoi que ce soit, mais obligatoire pour les Français de ménager leur sensibilité et leurs intérêts aux dépens des leurs, donc de leur céder sur tout, où est le compromis ? La vérité est que, malgré les gesticulations politiciennes et la démagogie gauchiste, il n’y a pas de compromis possible sur ce qui, aux yeux des Français et du monde, est français ou étranger en France. Ce qui est typiquement Français ne deviendra pas autre chose, et ce qui est historiquement étranger ne deviendra pas Français même si les médias martèlent le contraire, même si les intéressés et leurs pseudo amis jouent les vierges effarouchées.

Un Français considère le Peuple Français comme sa seule patrie (en tant que Citoyen). Ceci implique qu’il considère « la France comme sa maison, les Français comme sa famille » et qu’il agisse en conséquence. Une nation s’appréhende et se gère de la même façon qu’un foyer. Ce qui est bon ou mauvais, raisonnable ou insensé, légitime ou injuste au niveau d’un foyer l’est tout autant à l’échelle de la nation — comme à celle d’un parti, d’une association, d’une commune, d’une région. Ceux qui n’appliquent pas les mêmes principes envers l’un et l’autre manquent de bon sens dans un cas. Or les hommes ont généralement du bon sens pour ce qui touche à leurs affaires : ils espèrent pour eux le meilleur : sécurité, liberté, ordre, confort, propreté ; ils sont prêts à défendre leur domicile et leurs enfants ; ils ne tolèrent pas que l’on s’invite chez eux et que des invités enfreignent leurs consignes, moins encore qu’ils prennent racine et vivent à leurs crochets ; ils savent ce qui leur appartient ; ils sont économes ou supportent bon gré mal gré les conséquences de leurs excès ; ils font avec ce qu’ils ont et ne sont pas généreux à leurs dépens. Etrangement, certains prônent pour la nation des politiques qui sont l’exact contre-pied de cette conduite et de ces objectifs, comme si elle était une abstraction au lieu d’être leur propriété et pouvait se gérer en dépit du bon sens, sans que cela prête jamais à conséquence, comme s’ils étaient étrangers à cette nation et ne partageaient pas ses intérêts. Alors la question se pose : sont-ils idiots ? sont-ils des traîtres qui s’ignorent ? sont-ils les agents de puissances étrangères ? sont-ils des étrangers ? Il n’est pas exclu que des Français soient idiots ou n’aient pas les yeux en face des trous à l’occasion. Il se peut également que, face à une situation complexe, des intérêts légitimes multiples et des solutions diverses, tous les Français ne placent pas la priorité au même endroit, si bien qu’ils en arrivent parfois à se combattre. Mais des patriotes français, quelles que puissent être les divergences entre eux, voient le Peuple Français comme leur patrie, leur famille, reconnaissent les traits qui le caractérisent, désirent tous préserver son identité, son patrimoine, ses traditions, ses symboles, son existence, s’accordent sur les règles de base que doivent suivre des immigrés pour en faire partie. C’est bien pourquoi le débat sur l’identité nationale dépasse le clivage droite / gauche. Si les réticences sont néanmoins plus fortes à gauche, c’est surtout parce que, de ce côté, le patriotisme y est depuis longtemps dénigré et que beaucoup sont tombés dans le gauchisme soit par calcul politique soit par conviction personnelle. Pourtant, tous les éléments du patriotisme sont à l’origine de gauche et hérités de la Révolution : l’idée de nation, la République, la devise, le drapeau tricolore, la Marseillaise, la souveraineté du Peuple, la démocratie populaire, le suffrage universel, l’égalité en droits, la primauté du politique sur le religieux (laïcité), l’unité de la langue… n’y manque que l’égalité en droits hommes / femmes. Même le concept droite / gauche vient lui aussi de la Révolution. Il est donc pour le moins cocasse de constater que la droite (du moins la droite nationale) qui médit souvent de la Révolution défend avec passion tout ce que la France en a hérité, et pour le moins dramatique de voir que la gauche qui la revendique est souvent indifférente voire hostile au patriotisme qu’elle a façonné. Fort heureusement, il existe des républicains de gauche. Mais les républicains, les patriotes français, se reconnaissent de moins en moins dans les partis politiques dits de gauche qui versent systématiquement dans la démagogie, portés en cela par un universalisme insipide et leur refus d’objectivité quant à l’immigration extra-européenne.

Au nom de l’universalisme, les gauchistes ne se connaissent de famille que le genre humain. Alors que l’œuvre est inachevée en France, ils veulent mettre la Terre en chantier. L’unité se fera un jour ; elle pour l’heure une chimère. (Déjà en son temps, Robespierre avait dénoncé les démagogues de cette espèce : « Et comment Cloots pouvait-il s’intéresser à l’unité de la République, aux intérêts de la France ; dédaignant le titre de citoyen Français, il ne voulait que celui de citoyen du monde. Eh ! s’il eût été bon Français, eût-il voulu que nous tentassions la conquête de l’Univers ? » Aux Jacobins, 12 décembre 1793) Ils reprochent aux curés de détourner les hommes des actions qui peuvent les sauver ici-bas au nom de leur salut dans l’au-delà, mais font la même chose en conspuant les patriotes qui soutiennent que chaque nation a le droit de penser à elle en premier lieu et de faire ce qu’elle croit être son intérêt, au nom de l’espèce humaine qui, qu’ils le veuillent ou non, est constituée de Peuples et divisée en nations qui n’ont que faire de leurs lubies. En somme, ils prétendent appartenir à une famille qui n’a aucune réalité mais à laquelle ils accordent toute leur attention et n’ont aucune considération pour la famille (ou sous-famille, composante de la famille universelle) à laquelle ils appartiennent concrètement et qui seule voit en eux ses enfants.

Leur refus d’objectivité quant à l’immigration extra-européenne procède du même raisonnement auquel s’ajoute l’irresponsabilité. Au nom de l’universalisme, ils ont négligé le fait que des immigrés extra-européens allaient fatalement rencontrer des difficultés d’intégration particulières en raison de la différence de leur couleur de peau et du fossé entre leur culture et celle de la France. Ils n’ont donc rien prévu pour forcer leur assimilation, croyant qu’elle s’accomplirait naturellement comme ce fut le cas pour les immigrés européens. Mieux, ils ont brisé les instruments intégrateurs (école, service militaire), suspendu les lois et coutumes assimilatrices (respect de l’autorité, prénoms, vêtement, patriotisme) et abreuvé d’insultes les partisans de l’assimilation (patriotes = xénophobes, racistes, populistes, fascistes). Dans le même temps, ils favorisaient l’immigration massive (regroupement familial, logement, soins, allocations, travail au noir, défense et régularisation de sans papiers), ils fermaient les yeux sur la pratique de coutumes étrangères contraires à la loi (polygamie, excision, mariages forcés), ils se pâmaient devant la diversité qu’apportaient les immigrés, ils décrétaient Français tout immigré qui posait le pied en France. Ce qui devait arriver arrive. Les Français, tolérants par nature, supportent de moins en moins que des immigrés ou leurs descendants de plus en plus nombreux ne fassent pas tout ce qu’ils doivent pour se fondre dans la masse et cherchent au contraire à s’en dissocier en toute occasion. Les faits sont là : ces immigrés ne forment pas une famille avec les Français, que ce soit parce qu’ils ne le veulent pas ou parce que trop de choses chez eux empêchent les Français de voir les choses autrement. Mais comment les gauchistes peuvent-ils, eux, ne pas voir cette fracture ? Parce qu’ils considèrent que les hommes forment une grande famille et que, si les pauvres immigrés sont rejetés par les Français, ce n’est pas que la politique qu’ils prônent s’est avérée catastrophique, c’est que ces derniers sont racistes ? Il est évidemment plus facile pour eux d’inculper les Français que d’admettre leurs torts. S’il ne s’agissait là que de mauvaise foi, s’ils reconnaissaient leurs torts sans oser les avouer publiquement, leur attitude serait compréhensible quoique criminelle, puisqu’ils sacrifieraient la France à leur amour propre. Mais lorsqu’ils sont de bonne foi, comme c’est généralement le cas, ils confirment leur ineptie et leur détermination à s’entêter jusqu’au bout, jusqu’à ce que la tragédie éclate et que leur crime soit consommé. (Rappelons-nous de Munich !) Dans les deux cas, qu’ils soient des traîtres par action ou par bêtise, qu’ils se disent Français ou refusent cette épithète, seuls les faits importent. Or ils n’agissent pas comme si la France était leur maison et le Peuple Français, leur famille. Ils ouvrent la première aux quatre vents et ne semblent avoir d’autre passion que sa ruine ; ils parlent du second comme s’ils  ne le connaissaient pas, comme s’ils n’en faisaient pas partie, comme s’ils ignoraient les problèmes qui le tourmentent, comme si leur but était de le rabaisser (la repentance perpétuelle, c’est eux), de le dissoudre, bref de l’anéantir, tout cela pour complaire à des immigrés dont ils se déclarent solidaires et auxquels ils prodiguent les pires conseils qui soient.

Nous avons déjà donné beaucoup d’éléments expliquant pourquoi considérer le Peuple Français comme sa seule patrie implique de « savoir distinguer, reconnaître honnêtement, ce qui est français de ce qui ne l’est pas » ou, inversement, exclut de « ne pas savoir faire ou nier la distinction entre être Français et être étranger ». Tout individu appartenant à une communauté est familiarisé avec ses spécificités et reconnaît à mille signes ce qui en fait partie — qu’il s’agisse d’autres individus ou de coutumes — et ce qui lui est étranger. L’appartenance à une communauté nationale, qui regroupe des individus provenant d’horizons très divers, repose cependant sur peu de choses, mais des choses essentielles à l’unité nationale et, partant, non négociables. Ce n’est donc pas quelque chose de subtil, de vague, d’incertain. Les critères sont clairs : le prénom de l’intéressé, la tenue vestimentaire quotidienne, la langue parlée ordinairement, l’amour du pays (qui se perçoit dans les discours et les actes), le respect de ses traditions, la connaissance au moins de l’hymne national, la fierté du drapeau. Une nation ne se résume pas à cela. (Appartenir à une communauté nationale suppose en outre de le vouloir.) Mais ces critères suffisent pour savoir instantanément de quelle nationalité est ou n’est pas un individu. Chacun d’eux est disqualifiant. Cependant, le mode actuel d’acquisition de la nationalité, fondé sur la naissance ou des subtilités administratives, permet à des individus qui ne satisfont pas tout ou partie de ces critères de l’acquérir, d’être Français sur le papier, alors qu’ils ne sont pas perçus comme tels par les Français entiers. Cette imposture est d’autant plus mal acceptée qu’elle en suscite une autre de la part des bien-pensants qui interdisent de parler des immigrés non-naturalisés en tant qu’étrangers sous prétexte qu’ils seraient généralement Français, comme s’il suffisait de poser le pied en France pour le devenir. Cette confusion est insupportable pour les Français et préjudiciable pour les immigrés eux-mêmes, surtout pour les immigrés dits visibles. Ces derniers se classent en trois catégories : ceux qui sont parfaitement assimilés et naturalisés à bon droit, ceux qui veulent être Français et le sont sur le papier, mais ne sont pas encouragés à faire tout ce qu’ils devraient pour l’être effectivement aux yeux des Français, et ceux qui n’aspirent pas à l’être, qui peuvent donc se comporter légitimement en étrangers (avec obligation néanmoins de respecter la loi), ce dont ils ne se privent pas, mais qui, ce faisant, discréditent tous leurs congénères aux yeux des Français qui, après tous les discours qu’ils ont subis, ne peuvent plus faire la différence entre les uns et les autres. C’est ainsi qu’est poussé à l’exaspération et à la légitime défense un Peuple réputé pour son ouverture et sa tolérance. Tout serait si simple si les choses étaient claires, si on appelait un chat un chat au lieu d’essayer de faire prendre aux Français, et aux immigrés par la même occasion, des vessies pour des lanternes, si les premiers n’étaient pas abreuvés de mensonges, et les seconds, bercés d’illusions. Les Français n’ont rien contre les étrangers ; ils les respectent en tant que tels et sont prêts à adopter ceux qui le méritent. Mais c’est tout l’un ou tout l’autre. Il n’y a pas de milieu. Ils n’acceptent pas que certains soient dits ou se disent autant Français qu’eux alors qu’ils les perçoivent à juste titre comme des étrangers. (Quand un ministre déclare que, pour être Français, les immigrés ne doivent renoncer à rien de ce qui fait leur identité d’origine, comment s’étonner que les Français voient en eux des étrangers ? Que sont-ils d’autre ?) D’après les critères posés, quiconque véhicule des us et coutumes étrangers, parle dans une langue étrangère, insulte la France, oppose à ses traditions des traditions étrangères dérangeantes, s’enflamme pour un pays étranger, ignore voire siffle l’hymne national, crache sur le drapeau ou le brûle, brandit des drapeaux étrangers, quiconque fait une ou plusieurs de ces choses ne peut pas être perçu de prime abord comme un Français et ne sera jamais vraiment considéré comme tel. Car, de deux choses l’une : soit ces comportements sont propres à des étrangers, soit ils constituent les critères pour être Français et peuvent donc se substituer au fait de porter un prénom français, de parler français, de ne pas s’habiller comme un étranger, d’aimer la France, etc. Un Français qui se respecte ne peut balancer. Ceci implique qu’il sache faire la différence entre ce qui est français et ce qui est étranger, ce qui en soit ne présente aucune difficulté. Quand des us et coutumes existent notoirement depuis toujours à l’étranger, entrent en France avec les immigrés et sont perpétués par leurs descendants, seule la mauvaise foi peut tergiverser sur leur nature étrangère. Cette mauvaise foi — quand il ne s’agit pas de stupidité à l’état pur ou d’une comédie destinée à détourner l’attention d’un but non avouable — trouve sa source dans la crainte de stigmatiser les intéressés. Mais c’est un mauvais calcul, puisque c’est le fait de ne pas y renoncer qui les stigmatise et qui leur sera tôt ou tard reproché, ouvertement ou insidieusement. Les responsables de cette situation (antiracistes, gauchistes, bien-pensants, immigrés) hurleront alors à la discrimination, à la xénophobie, au racisme, et feront un mauvais procès aux Français pour s’absoudre de leur propre culpabilité et persévérer dans leurs mauvais conseils.

Remarquons du reste que les critères susmentionnés n’ont rien d’exorbitant ni de discriminatoire. Ces exigences élémentaires sont même très favorables aux immigrés. Elles n’exigent pas qu’ils aient des connaissances pointues que seuls des natifs ou des individus instruits peuvent avoir. Elles n’ont d’autre but que d’assurer la nation des bonnes dispositions à son égard de ceux qui veulent l’intégrer, en s’assimilant, pour que les Français puissent reconnaître la sincérité de leurs désirs et acceptent de leur plein gré de les accueillir en tant que compatriotes. Toute autre conception de l’intégration est vouée à l’échec, car elle occulte le fait que les uns sont chez eux et que les autres sont des intrus qui imposent leur présence aux premiers et n’ont rien à exiger. Ce n’est donc pas la sensibilité des immigrés qu’une nation doit ménager, mais celle des nationaux. Ce sont les immigrés qui, pour s’intégrer, doivent faire les efforts attendus par les nationaux. On dira que les Français sont juges et parties dans cette affaire. Mais serait-ce aux immigrés à dicter leurs conditions ? Même un compromis est hors de question, car les concessions qui seraient arrachées aux Français (par qui ? au nom de quoi ?) constitueraient toujours des points de désaccord et des motifs de rejet des immigrés. Mieux, ces détails mobiliseraient toute l’attention, deviendraient des points de ralliement et ne feraient qu’accentuer les divergences, comme une réduction de diamètre augmente la pression. (Par exemple, il n’y a jamais eu autant de voiles en France que depuis l’adoption d’une loi qui, au lieu d’en interdire le port sur tout le territoire, l’a seulement interdit à l’école.) Les demi-mesures et les plans décousus ne satisfont personne. La loi doit affirmer la francité de manière claire et globale pour que ceux qui veulent être Français sachent quoi faire et le fassent et que ceux qui s’y refusent en tout ou partie se trahissent et n’aient pas les moyens de chicaner. Nous avons d’ailleurs vu que la France n’exige rien d’extraordinaire ; elle attend ce que toute nation attend logiquement de ses membres. Beaucoup d’immigrés satisfont sans peine ses conditions, excepté, parfois, la première : un prénom français. La France ne doit pas pour autant céder sur ce point. S’il est le dernier obstacle à l’assimilation parfaite de certains, c’est en le franchissant avec éclat qu’ils montreront qu’ils méritent d’être considérés comme Français à part entière, alors qu’un refus obstiné sur un sujet aussi symbolique ruine tous leurs efforts. Il serait d’autant plus mal venu de leur part de réclamer que les Français fassent des efforts de compréhension à leur endroit qu’il s’agirait surtout pour eux de renoncer au bon sens. Un prénom est le premier indice de la nationalité ou de l’origine de quelqu’un. Les Français ont des prénoms français ; les étrangers, des prénoms étrangers. Dès lors, comment considérer un immigré et surtout un descendant d’immigré (né en France) ayant un prénom étranger et refusant d’en changer ? S’il dit se sentir Français, les Français, eux, ont raison de le supposer étranger ou de douter de sa sincérité. Inversement, qui douterait de l’attachement au Peuple français d’un immigré portant ou choisissant d’adopter un prénom français ? Personne. De manière générale, s’assimiler, ne pas faire de vagues, faire taire les doutes par des actes éloquents au lieu de discuter, tels sont les seuls vrais bons conseils à donner aux immigrés.

Etre Français et considérer le Peuple Français comme sa patrie implique encore de « considérer que, comme tout Peuple, le Peuple français est souverain chez lui ». Les Peuples ont le droit de se gouverner eux-mêmes, comme ils l’entendent ; tel était le credo des Peuples colonisés luttant pour leur indépendance. Ils avaient raison. Ce principe est juste. Il est valable pour eux. Il est valable pour le Peuple Français. Cela signifie que les étrangers (touristes ou travailleurs) n’ont pas à faire la loi en France, que les immigrés (qui ne sont pas a priori des conquérants) n’ont pas à poser à imposer leurs us et coutumes — surtout lorsqu’ils sont manifestement dérangeants —, mais que les uns et les autres doivent se plier aux lois françaises et satisfaire les attentes du Peuple Français. Mais il y a aujourd’hui deux problèmes : 1) La France n’est pas une vraie démocratie, de sorte que les lois ne sont pas l’expression de la volonté du Peuple, 2) la nationalité française s’acquiert par droit du sol, de sorte que les descendants d’immigrés nés en France sont officiellement Français et font partie du Peuple. Ainsi, même si le principe posé était respecté son application serait encore faussée. L’expérience montre en effet que les soi-disant représentants du Peuple ne représentent qu’eux-mêmes. Ils confisquent la souveraineté nationale. Les lois sont l’expression de leurs opinions, de leurs intérêts, de leur lâcheté, mais pas celle de la volonté, du désir et des angoisses du Peuple qui n’est jamais consulté. Même sur les grands sujets de société qui le concernent au premier chef, il est tenu à l’écart. Les dossiers sont confiés à des commissions bidons pour qu’elles donnent un avis consensuel qui tiendra lieu de verdict officiel. Les décisions ainsi prises ont force de loi mais n’ont aucune légitimité. Si elles sont incomplètes, elles permettent aux immigrés d’être irréprochables d’un point de vue légal et d’abuser par ailleurs des libertés que la loi a eu la faiblesse de leur laisser et qui provoquent le courroux des Français. Ce courroux est d’autant plus intense que la loi qui devrait être leur œuvre leur interdit de protester. (L’affaire est jugée. Mais par qui ? Pas par le Peuple. Le jugement est nul.) Quant aux décisions avec lesquelles le Peuple est en total désaccord, les immigrés ont beau les respecter scrupuleusement, ils n’en sont pas moins hors la loi à ses yeux. De sorte que la loi écrite, ainsi élaborée, n’est qu’un couvercle posé sur une marmite ; elle empêche le Peuple de faire prévaloir sa volonté qui seule fonde la loi et exaspère d’autant plus celui-ci contre les immigrés que ceux-ci, se prévalant de lois nulles aux yeux des principes, ignorant ou pouvant prétendre qu’ils ignorent l’opinion du Peuple, en profitent pour le narguer de plus belle. Sous prétexte d’apaiser les tensions, ce système illusoire ne fait que les alimenter. Jusqu’au jour les antagonismes seront si violents, où la pression sera si forte que ce couvercle artificiel volera en éclats et que le Peuple français cherchera à recouvrir ses droits longtemps bafoués par un déchaînement de fureur.   

Etre Français et considérer le Peuple Français comme sa patrie implique naturellement d’« être dégagé de toute allégeance envers quelque puissance étrangère que ce soit ». Toute allégeance, légale ou morale, envers une puissance étrangère à la France, quelle soit politique ou religieuse, place continuellement ou potentiellement un « Français » en porte-à-faux, les buts et les intérêts de cette puissance ne pouvant être identiques à ceux de la France. Quiconque est ou se met dans une position pouvant l’amener à devoir choisir entre la France et une autre puissance et à prendre parti pour cette dernière contre la première, donc à commettre un acte de trahison ne peut être Français d’un point de vue moral, encore moins d’un point de vue légal. Si les intéressés ne savent peut-être pas quel parti ils prendront le cas échéant, la France ne le sait pas non plus et ne doit pas prendre de risque avec eux ; elle doit les tenir pour suspects. Tel est par exemple le cas des individus qui, aujourd’hui, disposent d’une double nationalité et qui, à ce titre, peuvent voter (ne serait-ce que pour les élections présidentielles) ou effectuer leur service militaire dans un pays étranger. Comment un pays ne se méfierait-il pas d’un individu qui, au lieu de le servir, a choisi d’en servir un autre et pourrait bien porter un jour les armes contre lui ? Comment un pays pourrait-il n’établir aucune différence entre des ennemis potentiels et des fidèles serviteurs ?

Ceci anticipe les deux points suivants selon lesquels être Français et considérer le Peuple Français comme sa patrie implique de « servir la France » et d’« être prêt à défendre la France au besoin au péril de sa vie ». Il va de soi que servir la France ne consiste pas seulement à vivre ou même à travailler en France, ce qui serait à la portée de n’importe qui et ne prouverait rien. Le service en question doit profiter directement à la France, comme l’exercice de fonctions publiques, et même si l’intéressé n’en tire, lui, aucun profit, comme ce peut être le cas lors d’un service national, militaire ou autre. Ce dernier est d’ailleurs une des rares formes de service permettant à tous les Citoyens de prouver concrètement à leur pays leur dévouement et de se lier les uns aux autres par cette commune expérience. Il n’y a pas de communauté sans tradition. Aucune tradition n’est plus forte, plus symbolique, plus utile pour souder une communauté nationale qu’un service national obligatoire. Sa suppression en France en 1995 fut le triomphe de l’individualisme et la porte ouverte au communautarisme (patriotisme ou nationalisme ayant pour objet une sous-communauté), un coup bas contre le patriotisme (le sens civique) et la nation. Ce fut peut-être une nécessité sur le plan militaire ; ce fut assurément une catastrophe sur le plan social. D’un côté, beaucoup de Français n’ayant rien donné à la France perdirent toute pudeur, succombèrent à la folie des grandeurs et ne se virent plus que comme européens ou citoyens du monde ; d’un autre, les immigrés, n’étant pas considérés comme Français faute d’assimilation et ne pouvant se payer ce luxe, perdirent une chance de plus de s’assimiler et se replièrent sur eux-mêmes.

Il est cependant un autre moyen de servir son pays : en œuvrant pour son prestige, sa gloire, sa grandeur, son honneur. Les possibilités sont infinies. Cette façon de servir son pays renvoie à ce que nous avons dit plus haut et à ce que nous développerons plus bas sur le fait qu’être Français implique de faire honneur à la France. Remarquons néanmoins que les services de ce genre n’ont rien d’officiel et que, pour la plupart d’entre eux, ils n’ont rien d’éclatant, aussi nobles ou héroïques soient-ils. N’écoutant que son patriotisme, faisant parfois d’une pierre deux coups, tout Français peut, selon ses capacités et les circonstances, faire certaines choses en ayant à l’esprit qu’il sert la France. Il ne s’agit plus ici d’être Français d’un point de vue légal mais d’un point de vue moral, ce qui est à la fois plus louable et moins vérifiable. Ainsi, tout en faisant son métier, Gustave Eiffel était incontestablement animé par des sentiments patriotiques quand il construisit pour la France le plus haut monument du monde d’alors. Les centaines de milliers de Français qui entrèrent dans la Résistance ou aidèrent modestement les résistants au péril de leur vie et qui parfois la perdirent en effet, torturés, déportés, fusillés, servirent tout autant leur pays. Mais ces exemples montrent que, quoique disposés à le faire, il est plus difficile au commun des mortels de servir leur pays en temps de paix.

Maintenant, il va encore de soi qu’un individu qui ne désire servir la France d’aucune manière, qui la dénigre, la ruine ou la pourrit, qui n’est pas disposé à faire pour elle le moindre sacrifice, qui ne l’aime donc pas, n’a rien d’un Français, même s’il l’est sur le papier, ce qui est alors une usurpation de nationalité. Un vrai Français, un Français de cœur et d’esprit est prêt à « défendre la France au besoin au péril de sa vie », et la France est en droit d’exiger de ses enfants, pour les reconnaître, qu’ils prêtent ce serment. Il est vrai, cependant, que le patriotisme est souvent un prétexte et l’anti-patriotisme, une posture. Combien ont invoqué le patriotisme pour se faire valoir et pousser la nation à agir dans le sens de leurs intérêts, mais ont fui le combat à l’approche du danger, voire collaboré avec l’ennemi triomphant ? Attitude classique des bourgeois. Inversement, combien ont pesté contre l’Etat, insulté la patrie au nom de l’internationalisme, mais furent les premiers à courir sus à l’ennemi et à sauver l’honneur de la France ? Attitude classique des gens du peuple. C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Il pourrait donc sembler inutile d’instituer un serment qui, au fond, ne prouve rien. Mais il ne faut pas oublier que la Cité est une véritable démocratie, que l’Egalité y règne, qu’il n’y a plus de bourgeois, de gens du peuple, qu’il n’y a plus que des Citoyens. Il n’y a plus cet antagonisme de classes qui aveugle et fait dire aux uns et aux autres le contraire de ce qu’ils ont dans le cœur. L’Etat, la patrie, le drapeau sont des biens communs. Tous les Citoyens peuvent jurer de les défendre sans craindre les manipulations d’une minorité. En revanche, gare aux parjures et aux prévaricateurs !

Enfin, considérer la France comme sa patrie implique de « vouloir une France forte, grande et juste ». Un vrai patriote regarde ses compatriotes comme ses frères, ses égaux, non comme des marchepieds ou de la chair à canon. Les patriotes sont donc les champions de l’Egalité sans laquelle la Justice est un vain mot, l’Egalité ne concernant évidemment que les citoyens et ne portant que sur les devoirs et les droits. Inversement, sans patriotisme, la lutte pour l’Egalité est perdue d’avance, car l’Egalité est elle-même dénaturée : n’étant plus circonscrite aux seuls citoyens mais étendue à tous les hommes, les droits ne peuvent plus êtres liés à la citoyenneté, donc à des devoirs, ce qui montre déjà le côté boiteux de sa conception, et la distribution de droits qu’elle occasionne s’accompagne de la destruction de la cité qui seule peut en reconnaître et en garantir, ce qui montre la naïveté, l’irresponsabilité voire la perfidie des promoteurs d’un édifice sans fondement. C’est encore sur cette question de l’Egalité que se révèle le fossé entre patriotisme et nationalisme malgré des signes extérieurs communs et leur synergie dans certaines circonstances. Le patriotisme qui est l’amour des siens porte à l’Egalité, tandis que le nationalisme motivé par la haine des étrangers s’accommode plus facilement de l’inégalité entre « citoyens » quand il ne la prône pas. Du moins les nationalistes préservent-ils quelque chose de la nation quand les droits-de-l’hommistes et autres citoyens du monde la détruisent de fond en comble. Du reste, la différence entre patriotisme et nationalisme sera encore plus mince dans la Cité où l’Egalité règnera en dépit des hommes et qui sera donc aussi juste que possible.

Ensuite, l’association politique ayant pour but d’assurer à ses membres la plus grande sécurité possible, laquelle est fonction de la force de l’association, il est dans la logique des choses qu’un Français aspire à une France forte, c’est-à-dire un pays où règne la loi et l’ordre, un pays dont l’armée et la cohésion nationale en imposent à ses ennemis potentiels, un pays capable de se défendre, de soutenir ses alliés et de compter sur la scène internationale, un pays fort et rayonnant dans tous les domaines : éducation, instruction, culture, architecture, philosophie, arts, science, recherche, médecine, industrie, économie, technologies de pointe, espace, autant de domaines dans lesquels l’Egalité confèrera à la Cité des avantages certains de par le patriotisme et le dynamisme qu’elle implique. Qui aime sa patrie la veut fleurissante, puissante, exemplaire et respectée. Sans patriotisme, un pays sombre dans l’indifférence pour le bien public, dans le dénigrement de soi, l’autosatisfaction injustifiée, les sophismes et la médiocrité. Seul le patriotisme peut pousser aux entreprises d’envergure et les soutenir. Car être patriote, ce n’est pas seulement être fier d’être né quelque part et d’appartenir à une nation par hasard, c’est tout faire pour que cette fierté soit fondée, donc espérer que sa nation poursuive des buts nobles et agir soi-même avec l’intention de lui faire honneur. En somme, le patriotisme se nourrit moins de passé ou de présent que d’avenir. Il doit moins à la réalité qu’aux espérances. Il puise moins dans ce que l’on est que dans ce que l’on fait. Ainsi, les patriotes français, attachés à la devise de la France, Liberté Egalité Fraternité, n’ont pas la naïveté de croire qu’elle traduit la réalité. Elle est pour eux un idéal à atteindre. Ils ne sont pas fiers de ce qui est mais de ce qu’ils veulent.

Vouloir une France forte pourrait cependant accréditer l’idée que le patriotisme pousse par nature à la guerre. C’est une fois de plus le confondre avec le nationalisme. L’amour des siens n’est pas la haine des autres. Les patriotes ne sont pas des va-t-en-guerre. Ils désirent que leur pays soit en état de défense (Cf. De Gaulle), condition de la protection des leurs, mais ne prônent pas la guerre préventive ou offensive. S’il advient néanmoins que leur pays soit plongé malgré eux dans la guerre, alors ils y consacrent toute leur énergie. Autant ils essayent d’épargner la guerre à leur pays (Cf. Robespierre, Jaurès), autant ils se battent jusqu’à la victoire ou la mort (Cf. les Jacobins, la Commune de Paris de 1871, les Résistants). Capitulation, collaboration, compromis, défaitisme sont des mots qu’ils ne connaissent pas. Ce sont les patriotes qui toujours sauvent l’honneur, et le patriotisme est dans le Peuple.

Enfin, un pays fort et juste atteint de fait la grandeur. La grandeur d’un pays n’est pas dans l’ampleur de son territoire mais dans la hauteur de ses vues et la chaleur de son souffle. Elle suppose des ambitions patriotiques et humanistes qui exigent des moyens. Elle implique que le Peuple ait foi en lui-même et croit en sa destinée, une destinée qui ne consiste pas à écraser le monde, mais à l’inspirer. Elle est tout le contraire de l’égoïsme national ; elle aspire à la fraternité universelle (ce que d’aucuns confondent aujourd’hui avec la naïveté absolue). Qui peut aimer son pays sans désirer tout cela pour lui ? Comment un Français pourrait-il ne pas vouloir que la justice (l’Egalité et la Liberté) règne en France, que la France soit au summum de ses forces ? Et comment la France pourrait-elle être une puissance sans compter dans le monde ? comment pourrait-elle être juste chez elle sans l’être envers les autres pays ? Etre Français, être fier d’être Français, vouloir une France juste, une France forte, une France grande, c’est la même chose.

Pour finir, dans la mesure où « Etre Français, c’est faire honneur à la France en toutes circonstances, sur place comme à l’étranger », ceci implique, pour commencer, d’être fier d’être Français. Nul ne peut chercher à honorer en permanence une patrie à laquelle il n’est pas fier d’appartenir. Etre fier n’est pas être chauvin. Le chauvinisme est arrogant, partial, stupide, opportuniste, oublieux, en un mot, vulgaire ; il dessert la cause qu’il invoque. D’ailleurs, il ne la sert pas ; elle n’est pour lui qu’un prétexte. La fierté, au contraire, est constante, prévenante, soignée, passionnée, ombrageuse, respectueuse, en un mot, exemplaire ; elle est inspirée par la cause dont elle se veut le digne instrument et qu’elle espère faire partager, ou du moins respecter. Etre fier d’être Français ne consiste donc pas à se gargariser de cette nationalité et à faire n’importe quoi mais à se comporter avec dignité au nom de la France, par amour pour elle et pour la faire aimer. Etre fier d’être Français sous-entend donc « aimer la France et tout faire pour la faire aimer des gens respectables », « être courtois envers les étrangers en France », « avoir un comportement irréprochable à l’étranger », « vouloir préserver et embellir le patrimoine français, local et national » et « défendre, même seul contre tous, l’honneur et l’indépendance de la France ». Il n’est sans doute pas nécessaire d’expliquer en détail pourquoi chacun de ces comportements fait honneur à la France et est par conséquent inhérent au fait d’être Français de cœur et d’esprit. Il suffit, du reste, de formuler les attitudes contraires pour réaliser qu’elles sont intolérables, tant elles sont nuisibles aux intérêts et à l’image de la France, et qu’il serait impossible de les prescrire à un Français.

Faire honneur à la France implique enfin d’« être terrible dans le combat, humain dans la victoire, debout dans la défaite ». Dès lors que la France lutte pour sa défense, pour défendre son sol, ses enfants, sa dignité voire son existence, la victoire est impérative et toutes les énergies doivent être tournées vers elle. C’est « la victoire ou la mort » au pied de la lettre. Il n’y a plus alors de place pour la pitié : pas de pitié pour les traîtres, pas de pitié pour les lâches et, bien sûr, pas de pitié pour l’ennemi. Etre inflexible, terrible, ne garantit pas toujours la victoire (Bien des Peuples décidés ont été vaincus.), mais être irrésolu et libéral dans ces conditions conduit inévitablement à la défaite. Le temps du combat n’est pas celui de la candeur. L’ennemi ne peut être ménagé qu’une fois vaincu partiellement ou globalement, qu’une fois les batailles ou la guerre remportées. Il est du reste dans l’idéal français d’être humain dans la victoire, comme en témoigne ce passage de la Marseillaise : « Français en guerriers magnanimes, portez ou retenez vos coups, épargnez ces tristes victimes à regret s’armant contre nous » « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières » ou encore ce slogan de la guerre 1914-1918 sur une carte postale montrant un soldat français donner à boire à un Allemand blessé et, à côté, un Allemand achever à la baïonnette un Français : « Générosité française / Barbarie allemande ». La guerre est cruelle et ceci n’est peut-être qu’un vœux pieux. Mais que vaut-il mieux ? Exalter l’humanité, appeler au respect des vaincus ou prôner l’amoralité et normaliser les crimes de guerre ?

Il en est de même en ce qui concerne le fait d’être debout dans la défaite. Telle est ou devrait être l’attitude des Français dignes de ce nom, conscients qu’ils incarnent la France, qu’ils défendent son honneur et sont le bras de sa liberté. Le défaitisme est humain, mais un homme qui se résigne à la défaite de la France, à son humiliation, à son asservissement, n’est pas Français. Une grande défaite peut plonger dans un grand abattement, mais un Français doit se reprendre et lutter pour la France par les moyens dont il dispose jusqu’à son dernier souffle de vie, comme le dit Le chant du départ : « La République nous appelle, sachons vaincre ou sachons périr, un Français doit vivre pour elle, pour elle un Français doit mourir ». Plus facile à dire qu’à faire, pourrait-on dire. C’est pourtant avec cette mentalité que les volontaires de 1792 ont couru sus aux austro-prussiens, que les Parisiens ont refusé la capitulation en 1871, que les Poilus ont tenu les tranchées en 1914-1918, que la France combattante et les Résistants ont défié les Nazis en 1940-1945. La victoire appartient généralement à ceux qui y croient le plus et ne s’avouent jamais vaincus. Ceux qui ne croient pas en la victoire sont vaincus avant même d’avoir combattu. Ils n’y croient pas parce qu’ils n’ont pas foi en leur Peuple, parce qu’ils pensent que tout le monde est aussi lâche qu’eux, parce qu’ils placent leurs intérêts personnels au-dessus de l’honneur de la patrie ou plutôt parce qu’ils n’ont ni honneur ni patrie. Mais un Français, mais un patriote, que peut-il faire si ce n’est rester debout et donner jusqu’à la dernière goutte de son sang, si besoin est, pour que vive la France ? et tant qu’il restera un Français de cette trempe, la France sera immortelle. Une fois de plus, cette attitude sublime ne peut être universelle. Mais comment l’inspirer sans la proposer pour modèle ? Que proposer d’autre qui ne soit une trahison envers la France ?

En résumé, être Français ne consiste pas simplement à être né quelque part en France, cela n’a même que très peu à voir avec la naissance et les ascendances. On ne naît pas Français ; on le devient. Théoriquement, n’importe qui peut devenir Français s’il fait siennes l’histoire, la culture et les valeurs françaises (d’où les conditions pour prétendre à la Nationalité), s’il voit la France, le Peuple Français, comme sa seule et unique patrie en tant que Citoyen et s’il leur fait effectivement honneur, avec toutes les conséquences que ces trois points impliquent. Inversement, quiconque ne satisfait pas ces trois points n’est pas Français ou, s’il l’est d’un point de vue administratif, ne l’est que par l’ineptie des lois d’après lesquelles être Français ne veut rien dire et peut s’appliquer à n’importe qui si le hasard le favorise.

Dans l’absolu, être Français est donc avant tout une question morale ; c’est un état d’esprit que certains ont naturellement, de par le contexte dans lequel ils ont grandi, que d’autres peuvent adopter s’ils le désirent. Cependant, en pratique, il est des limites à cette abstraction.
La France a une histoire, le Peuple Français a des traits caractéristiques et la Nation française, quoique étant un concept politique, doit en tenir compte. Autrement dit, on ne peut négliger la nature profonde de la France et du Peuple Français que jusqu’à un certain point.

La France est un pays européen et le Peuple Français fut jusqu’au XXe siècle une population exclusivement blanche. Qu’être Français ne signifie pas être blanc est une chose ; que la Nation française, à force d’intégrer des individus d’origines extra-européennes (donc également de culture non-européenne), ne soit plus une population majoritairement blanche en est une autre. Cela ne bouleverse pas seulement l’identité française du seul point de vue français, c’est-à-dire la perception que les Français de bonne foi ont d’eux-mêmes ; cela bouleverse aussi la perception que le monde a de la France et du Peuple Français. Le nom même de « France » vient des Francs qui étaient blancs, comme les Celtes et les Gaulois. S’il advenait que, sous la pression migratoire, la population française ne soit plus majoritairement blanche et qu’une autre race devienne majoritaire, le nom de France perdrait sa raison d’être et un autre plus en rapport avec la nature ou la culture de la nouvelle population dominante lui serait probablement substitué, officieusement puis officiellement, comme cela s’est toujours fait, comme cela se fait déjà pour certains quartiers (ex : Chinatown, Little-Italie, Londonistan). Un changement aussi radical, aussi symbolique et aussi funeste pour la France et le ci-devant Peuple Français aurait malheureusement le mérite de révéler à tous les sophistes et à tous les naïfs où conduisent l’immigrationnisme et les reculades en matière d’identité nationale pour complaire aux immigrés présents ou futurs.

Une nation qui accepte des immigrés doit les gérer afin qu’ils s’assimilent le plus rapidement possible et que l’immigration ne soit pas un fléau à long terme. Elle doit donc, dans son intérêt et le leur, en limiter le nombre selon leurs origines, leur fermer ses frontières au besoin, mettre en œuvre une politique draconienne d’assimilation (modèle républicain) et ne tolérer de leur part aucune atteinte à son identité, car, dans ce domaine, les faits comptent moins que les symboles. Tous les immigrés, hommes et femmes, doivent en outre être en état de travailler et travailler effectivement, afin d’être un plus pour la nation, non une charge injustifiable aux yeux des nationaux. C’est à ces seules conditions (nombre limité, travail et indépendance économique, volonté d’assimilation) que les immigrés peuvent se fondre dans la masse, être acceptés et devenir partie intégrante de la nation. Qu’une seule de ces conditions ne soit pas remplie, et l’immigration est un désastre tant pour les immigrés que pour la nation, quelle qu’elle soit.

Si l’immigration est massive et continue, la nation finit par manquer de logements et d’emploi — avec tous les problèmes annexes que cela suscite — et, même si tous les immigrés sont logés et travaillent, leur besoin de s’assimiler diminue, et, même s’ils s’assimilent de gré ou sous la contrainte de la loi, c’est à bon droit que les nationaux se sentent envahis, sentiment d’autant plus intense que les immigrés sont d’un autre type, donc voyants.

Si trop d’immigrés ne travaillent pas et ne sont donc pas indépendants économiquement, ils sont de fait une charge (logement, aides sociales, chômage, soins) pour une collectivité qui ne leur doit rien, à laquelle ils sont et resteront étrangers. C’est à bon droit que les nationaux les considèrent comme des parasites.

Si les immigrés ne s’assimilent pas, soit que la loi ne les y contraint pas soit qu’ils s’y refusent, ils sont perçus par les nationaux comme des étrangers, qui plus est des étrangers hostiles à la nation qui les a accueillis, ce qui n’est pas de nature à leur attirer la sympathie. Qu’ils se regroupent d’eux-mêmes ou qu’ils soient repoussés par les nationaux, ils sont de fait coupés de la communauté nationale.

Enfin, quand aucune des conditions requises n’est remplie, toutes ces conséquences sont accentuées et se cumulent, portant les nationaux au comble de l’exaspération tant contre les immigrés que contre l’Etat, véritable responsable de cette situation. L’immigration et les problèmes liés aux immigrés ne sont en effet que le symptôme d’une législation défaillante. Tout Etat peut maîtriser l’immigration et encadrer les immigrés s’il le veut. Il n’est débordé que s’il se laisse déborder, si, au nom de scrupules fondés sur des sophismes, il renonce aux moyens adéquats, donc légitimes, pour faire respecter par les étrangers son espace et ses lois, en un mot la souveraineté nationale dont il est l’instrument. Car des étrangers ne viennent légalement que s’il les y autorise et ne demeurent illégalement que s’il n’est pas terrible envers eux et leurs complices (passeurs, hébergeurs, employeurs, exploiteurs) ; des immigrés n’arrivent en masse que s’il le permet, s’il ne voit dans les hommes que des êtres humains, c’est-à-dire des unités sans caractéristiques propres, sans origine, sans passé, sans culture, sans désir, sans volonté, sans impact, interchangeables ou du moins modelables à volonté, s’il ne voit donc aucune différence entre les citoyens et les étrangers à la venue desquels rien ne s’oppose et s’il ne voit dans l’immigration qu’un acte individuel même lorsqu’il est confronté à un mouvement collectif ; ils ne chôment que s’il ne fait pas du travail une condition de leur séjour ; ils ne dépareillent que s’il ne leur impose pas d’être assimilés pour venir ou de s’assimiler une fois sur place et s’il les encourage par action ou omission dans cette attitude. 

On voit que l’assimilation, particulièrement liée à la question de l’identité nationale, française en l’occurrence, n’est qu’un des problèmes posés par l’immigration. Cependant, tout est lié. Adopter une politique efficace d’assimilation oblige à la fois à considérer l’immigration comme un problème et à cerner la francité et, plus encore, la non-francité. Assimilation, immigration, identité nationale sont les revers d’une même médaille : chacune de ces questions renvoie aux autres. On parle de tout ou on ne parle de rien. Le « débat » sur l’identité nationale a ainsi été lancé faute de pouvoir débattre directement d’immigration, thème considéré comme raciste. D’ailleurs, ceux qui décrètent ce débat honteux sont aussi ceux qui font de l’immigration un tabou et nient la gravité de la situation dans laquelle quarante ans d’inconséquence ont plongé la France.

Il aurait sans doute était plus clair de lancer un débat sur l’immigration et l’assimilation, mais, d’un autre côté, comment débattre de ces sujets de manière constructive sans avoir défini au préalable les bases de la francité ? Cependant, dans un contexte de forte présence immigrée, le risque est que la définition de la francité soit moins objective que politiquement correcte, que la volonté de ménager les immigrés, la crainte d’encourir l’accusation de racisme et le besoin d’occulter les errements passés l’emportent sur la vérité et le bon sens. Comme nous venons de l’expliquer, même si être Français est avant tout un état d’esprit, être perçu comme un Français, pour un immigré, peut aussi dépendre de ce qu’il est (sa race) et de ce que font ses congénères.

Il est certain que des immigrés qui ne font pas les efforts nécessaires pour se fondre dans la masse et qui s’affichent ostensiblement comme des étrangers ne seront jamais considérés comme des Français et seront rejetés, surtout s’ils n’assument pas ce qu’ils s’évertuent à être. Mais des immigrés, en particulier extra-européens, parfaitement assimilés individuellement peuvent être rejetés ou se sentir rejetés pour des raisons qui les dépassent, contre lesquelles ils ne peuvent rien. De par leurs origines raciales, ils sont liés — tant aux yeux des Français qu’à leurs propres yeux — aux immigrés de mêmes origines qu’eux. Quand ce ne sont pas les Français qui font l’amalgame, ce sont eux qui, souvent, le font en défendant inconditionnellement leurs congénères au lieu d’adopter un point de vue français ou impartial. Ainsi, un immigré assimilé, accepté par les Français qui le connaissent, sera souvent rejeté par les Français qui ne le connaissent pas si beaucoup de ses congénères ne font pas d’efforts d’assimilation. Maintenant, en supposant que tous les immigrés de même origine s’assimilent, ils peuvent encore être collectivement rejetés si leur nombre — en raison d’une immigration massive ou de leur taux de fécondité élevé — croît au point de donner aux Français l’impression que leur pays est envahi, que leur Peuple est en passe d’être submergé par une autre population. Il va de soi que cette impression sera d’autant plus forte et le rejet des Français d’autant plus radical que les immigrés en question ne s’assimilent pas.

Il est donc de la première importance que l’Etat admette l’évidence que le Peuple Français est historiquement blanc afin qu’il maintienne l’immigration extra-européenne dans des limites raisonnables, sous peine de placer ces immigrés et leurs descendants en éternel porte-à-faux vis-à-vis des Français. Un Etat est malvenu de s’ériger en pourfendeur du « racisme » quand son incurie en matière d’immigration est la cause essentielle du rejet des immigrés dont le nombre atteint des proportions alarmantes pour les autochtones. Dans ce cas, comme le dit le proverbe français, c’est la poule qui chante qui a fait l’œuf. Le rôle de l’Etat n’est pas de provoquer des difficultés, mais de les prévenir, surtout lorsqu’elles sont prévisibles.

Il importe tout autant que la loi impose aux immigrés de s’assimiler et que l’assimilation soit une condition de la naturalisation, afin que les Français ne se défient plus des immigrés, sachent que tous méritent d’être naturalisés, même ceux qui ne le désirent pas, et que quiconque a l’air d’un étranger est en effet un touriste. L’assimilation doit être générale ou le discrédit collectif des immigrés est fatal. Il n’y a rien que de légitime à ce qu’une nation exige des individus qui, de leur plein gré et en connaissance de cause, viennent vivre en son sein qu’ils s’alignent sur les nationaux, tandis qu’il n’y a aucune raison qu’elle leur accorde la liberté non seulement de se distinguer d’eux comme par mépris, mais encore de jeter la suspicion sur leurs congénères pleins de bonne volonté. Ces libertés sont des sophismes. Une nation ne doit rien aux étrangers, à ses ennemis ; elle n’a de considération à avoir qu’envers ses membres et ses amis.

Mais en quoi consiste exactement l’assimilation ? Au vrai, elle se réduit à peu de choses : 1) parler français, et ce quel que soit l’interlocuteur, 2) ne pas se vêtir de manière typiquement étrangère, 3) porter et donner à ses enfants un prénom français, 4) ne pas afficher sa religion (moins pour une question de laïcité que d’assimilation). Telles sont les règles élémentaires qu’un immigré doit respecter pour ne pas être perçu inévitablement comme un étranger et pouvoir devenir Français. Ces règles ne concernent que des aspects extérieurs ou immédiatement perceptibles suscitant une interprétation instantanée. Elles sont du domaine de l’apparence. L’habit ne fait pas le moine, dira-t-on ! Sans doute, mais l’apparence est une forme de communication ; c’est sur elle que se fonde l’opinion de tous ceux avec qui les rapports n’iront pas plus loin qu’un regard ; elle est en somme la première et, dans la plupart des cas, la dernière impression que l’on donne de soi... autant qu’elle soit bonne.

Ces règles pourraient néanmoins sembler insuffisantes à qui assujetti, avec raison, la francité à l’adhésion à des valeurs politiques, sociales, morales. Mais assimilation ne signifie pas naturalisation. Le but de l’assimilation (son but ne pouvant être atteint que si elle est générale) est que les immigrés, naturalisés ou non, se fondent autant que possible dans la masse, dans le décor, afin que les nationaux n’aient aucun motif d’hostilité à leur endroit et acceptent ou soient indifférents à leur présence. Ceci étant, des immigrés suivant à la lettre les règles ci-dessus sont de facto emportés par l’état d’esprit français. Quand sur des points aussi essentiels que le langage, l’accoutrement, les prénoms et la religion on pense et on se comporte en Français, c’est que l’on accepte et intègre ce qu’est la France (son histoire, sa culture, ses traditions, ses valeurs).

Mais, être Français est un tout : c’est une question à la fois d’apparence, de culture, de valeurs et de sentiment. Tous ces aspects, plus ou moins reliés entre eux, sont à la fois nécessaires et insignifiants par eux-mêmes par rapport à la francité.

L’apparence concerne l’origine ethnique et la tenue vestimentaire. Individuellement, l’origine ethnique quelle qu’elle soit n’est pas un obstacle pour être Français. Elle n’en devient un éventuellement que d’un point de vue collectif, en cas d’immigration massive (d’où la nécessité de gérer les des flux migratiores pour prévenir ce genre de dilemme). Les Français sont historiquement Blancs. On peut néanmoins être Français sans être Blanc, mais une France sans Blancs ou dans laquelle les Blancs seraient minoritaires serait-elle encore la France ? Inversement, tous les Blancs ne sont pas Français. La couleur de peau n’est donc pas un critère absolu de la francité, bien que toute couleur autre que blanc suscite immédiatement un doute. De même la tenue vestimentaire française n’a plus rien de typiquement français ; elle est commune à tous les Occidentaux. Une tenue occidentale n’est donc pas un critère absolu de la francité, tandis que le port d’une tenue traditionnelle non-européenne est a priori le fait d’étrangers.

La culture concerne la langue, l’habillement, l’Histoire, les histoires, l’humour, la cuisine, les sons, les chansons, les films, la littérature, l’architecture, les paysages, les traditions locales et nationales, etc. Elle touche à tant de domaines, englobe tant des choses, qu’aucun Français ne la possède ni ne l’apprécie en totalité et que tous, même les plus ignares, en sont imprégnés en partie. Mais des étrangers peuvent aussi l’apprécier et être connaisseurs, ce qui pour autant ne fait pas d’eux des Français. Une connaissance approfondie de la culture française n’est donc pas un critère absolu de francité, bien qu’une ignorance totale doive assurément disqualifier un candidat à la naturalisation.

Les valeurs concernent les idées politiques et sociétales : démocratie, souveraineté du Peuple, Egalité, égalité en droits hommes / femmes, laïcité, liberté individuelle, protection de l’enfance, etc. Tous les Français ne mettent pas la même chose derrière ces mots, mais aucun ne rejette (du moins ouvertement) les idées générales qu’ils véhiculent, qui font pour ainsi dire partie de la culture française et qui, là encore, sont partagées par tous les Occidentaux. Partager ces valeurs n’est donc pas typiquement français, n’est pas un critère absolu de la francité, même si dans un monde raisonnable leur rejet, donc la violation inévitable de certaines lois, devrait être un obstacle à la naturalisation et à l’immigration voire un motif de dénaturalisation et de bannissement.

Sur les deux derniers points, culture et valeurs, on voit que la francité est plus difficile à définir en elle-même que par défaut. La vie est constituée d’une variété infinie de choses. Certaines sont françaises sans discussion, beaucoup sont inqualifiables, si bien que, dans tous les cas, il est moins judicieux de se demander « est-ce français ? » que « est-ce typiquement étranger ? ». En cas de réponse positive, une autre question s’impose : « sa présence est-elle indifférente, tolérable ou inacceptable en France ? ».

Enfin, le sentiment concerne bien sûr l’appartenance à la nation française. Se sentir Français semble être la conséquence logique des prédispositions précédentes. Pourtant, cela ne va pas de soi. Combien d’individus ayant en tout point l’air de Français, étant d’ailleurs Français officiellement, déclarent-ils qu’ils ne se sentent pas Français mais tantôt Européens tantôt Citoyens du monde tantôt Bretons, Basques, Corses ou Alsaciens ? Combien d’autres soutiennent-ils qu’ils sont Français alors que leurs mœurs ou leurs idées prouvent qu’ils n’en ont pas l’état d’esprit, à tel point que les Français ne voient pas en eux leurs pareils ? La question du sentiment contient et complète les trois autres points. Une apparence, une culture et des valeurs françaises sont toujours nécessaires mais parfois insuffisantes pour se sentir Français. Le sentiment d’être Français, à ne pas confondre avec le fait d’être Français aujourd’hui d’un point de vue administratif, est une sorte de volonté dont l’authenticité est attestée par des indices sans équivoque. Sans ce sentiment, sans cette volonté, être Français ne veut rien dire. Ceux qui, même nés en France, ne veulent pas être Français ne devraient pas l’être, et ceux qui veulent l’être devraient en être dignes en satisfaisant les critères de l’apparence, de la culture et des valeurs.

Quand dans le débat sur l’identité nationale, certains, à la question « Qu’est-ce qu’être Français ? », répondent : « C’est avoir des papiers français », ils ont raison dans l’absolu, mais ils ont tord en regard du mode actuel d’acquisition de la nationalité : par hasard et par force, par alliance ou par calcul. Une nationalité n’a de sens que si elle est à la fois un choix et une attestation. Une nationalité qui, comme aujourd’hui, ne se choisit pas librement (quiconque né en France est Français d’office) et n’atteste pas une connaissance de la nation et un dévouement sans borne pour elle, qui confère des droits mais aucun devoir, qui ne permet pas de distinguer les défenseurs de la nation des étrangers, des ennemis et des profiteurs parce qu’elle les englobe tous, ne signifie rien. Que peut-il sortir de bon de pareille confusion ? Pourquoi d’ailleurs une telle confusion qui ne profite à personne ? Pourquoi surtout créer une confusion dont seuls les auteurs sont dupes ? Distribuer la nationalité et baisser les critères de la francité pour complaire aux immigrés est illusoire et en définitive criminel. Tout le monde sait ce qu’est être Français, et des Français au rabais ne seront jamais perçus comme des Français à part entière. Un débat sur l’identité nationale intéresse moins les Français que les immigrés ; il a moins pour but de définir la francité que de rappeler que certaines choses sont étrangères en France et stigmatisent les immigrés ; il n’aura donc d’utilité publique que s’il en sort un rappel des règles de base de l’assimilation : parler français en toutes circonstances, renoncer aux vêtements typiquement étrangers, porter et donner à ses enfants un prénom français, pratiquer discrètement sa religion et la franciser autant que possible.

Philippe Landeux

19:49 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : français, patriotisme, france, francité, landeux, assimilation |  Facebook | |  Imprimer |

lundi, 25 avril 2011

ROBESPIERRE ET LE LIBRE-ECHANGE

La 2 décembre 1792, Robespierre prononça à la Convention un discours contre le « libre échange », invoqué pour justifier l’accaparement des denrées.  Opposé d'instinct au capitalo-libéralisme, c'est-à-dire au libéralisme faussé par Largent, il était libéral au sens noble du terme.


« [...] Quel est le premier objet de la société ? c’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? celui d’exister.

« La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là ; la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes.

« Les alimens nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle, et qui soit abandonné à l’industrie des commerçans. Toute spéculation mercantile que je fais aux dépens de la vie de mon semblable n’est point un trafic, c’est un brigandage et un fratricide.

« D’après ce principe, quel est le problême à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence ; aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend par ce mot le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables. Comment donc a-t-on pu prétendre que toute espèce de gêne, ou plutôt que toute règle sur la vente du bled était une atteinte à la propriété, et déguiser ce système barbare sous le nom spécieux de la liberté du commerce ? [...]

« Sans doute si tous les hommes étaient justes et vertueux ; si jamais la cupidité n’était tentée de dévorer la substance du peuple ; si dociles à la voix de la raison et de la nature, tous les riches se regardaient comme les économes de la société, ou comme les frères du pauvre, on pourrait ne reconnaître d’autre loi que la liberté la plus illimitée ; mais s’il est vrai que l’avarice peut spéculer sur la misère, et la tyrannie elle-même sur le désespoir du peuple ; s’il est vrai que toutes les passions déclarent la guerre à l’humanité souffrante, pourquoi les lois ne réprimeraient-elle pas ces abus ? Pourquoi n’arrêteraient-elles pas la main homicide du monopoleur, comme celle de l’assassin ordinaire ? pourquoi ne s’occuperaient-elles pas de l’existence du peuple, après s’être si long-tems occupées des jouissances des grands, et de la puissance des despotes ? [...]

« Que la circulation dans toute l’étendue de la république soit protégée ; mais que l’on prenne les précautions nécessaires pour que la circulation ait lieu. C’est précisément du défaut de circulation que je me plains. Car le fléau du peuple, la source de la disette, ce sont les obstacles mis à la circulation, sous le prétexte d la rendre illimitée. La subsistance publique circule-t-elle, lorsque des spéculateurs avides la retiennent entassée dans leurs greniers ? Circule-t-elle, lorsqu’elle est accumulée dans les mains d’un petit nombre de millionnaires qui l’enlèvent au commerce, pour la rendre plus précieuse et plus rare ; qui calculent froidement combien de familles doivent périr avant que la denrée ait atteint le tems fixé par leur atroce avarice ? Circule-t-elle, lorsqu’elle ne fait que traverser les contrées qui l’ont produite, aux yeux des citoyens indigens qui éprouvent le supplice de Tantale, pour aller s’engloutir dans le gouffre inconnu de quelque entrepreneur de la disette publique ? Circule-t-elle, lorsqu’à côté des plus abondantes récoltes le citoyen nécessiteux languit, faute de pouvoir donner une pièce d’or, ou un morceau de papier assez précieux pour en obtenir une parcelle ?

« La circulation est celle qui met la denrée de première nécessité à la portée de tous les hommes, et qui porte dans les chaumières l’abondance et la vie. Le sang circule-t-il, lorsqu’il est engorgé dans le cerveau ou dans la poitrine ? Il circule, lorsqu’il coule librement dans tous le corps ; les subsistances sont le sang du peuple, et leur libre circulation n’est pas moins nécessaire à la santé du corps social, que celle du sang à la vie du corps humain. Favorisez donc la libre circulation des grains, en empêchant tous les engorgemens funestes. Quel est le moyen de remplir cet objet ? Or à la cupidité l’intérêt et la facilité de les opérer. Or, trois causes les favorisent, le secret, la liberté sans frein, et la certitude de l’impunité. [...]

« Je sais bien que quand on examine les circonstances de telle émeute particulière, excitée par la disette réelle ou factice des blés, on reconnaît quelquefois l’influence d’une cause étrangère. L’ambition et l’intrigue ont besoin de susciter des troubles : quelquefois, ce sont ces mêmes hommes qui excitent le peuple, pour trouver le prétexte de l’égorger, et pour rendre la liberté même terrible, aux yeux des hommes faibles et égoïstes. Mais il n’en est pas moins vrai que le peuple est naturellement droit et paisible ; il est toujours guidé par une intention pure ; les malveillans ne peuvent le remuer, s’ils ne lui présentent un motif puissant et légitime à ses yeux. Ils profitent de son mécontentement plus qu’ils ne le font naître ; et quand ils le portent à des démarchent inconsidérées, par le prétexte des subsistances, ce n’est que parce qu’il est disposé à recevoir ses impressions, par l’oppression et par la misère. Jamais un peuple heureux ne fut un peuple turbulent. [...]

« Et vous législateurs, souvenez-vous que vous n’êtes point les représentants d’une caste privilégiée, mais ceux du peuple français, n’oubliez pas que la source de l’ordre, c’est la justice ; que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c’est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les Etats ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l’égoïsme contre l’intérêt général ; de l’orgueil et des passions des hommes puissans, contre les droits et contre les besoins des faibles. »

 

Voir : Le vrai libéralisme :

http://philippelandeux.hautetfort.com/archive/2011/04/04/...

19:16 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |

vendredi, 22 avril 2011

LES COUILLES EN BANDOULIERE

La commission environnement du parlement européen a adopté hier, 19 avril 2011, contre toute attente un amendement imposant l’étiquetage aux viandes abattues rituellement. (Source : Fdesouche.com)

L’abattage sans étourdissement est illégal en France et en Europe. Une étiquette « Viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement » revient ni plus ni moins à légaliser une pratique illégale. Le courage n’est pas d’autoriser à bafouer les lois, mais de les faire respecter et de punir ceux qui les enfreignent. D’autant plus que les enfreindre sous des prétextes religieux va aussi à l’encontre de la laïcité, puisque cela sous-entend que les préceptes religieux sont au-dessus de la loi commune et que les croyants n'ont pas à s'y soumettre. La discrimination et la stigmatisation dont on nous rebat les oreilles  ne consistent pas à soumettre tout le monde à la loi commune, mais à faire des exceptions pour ceux qu'elle concerne au premier chef. Si les lois ne s'appliquent pas à ces derniers, si elles leur offrent elles-mêmes la possibilité de s'y soustraire, à quoi servent-elles ? à qui sont-elles destinées ? C'est comme si elles interdisaient le viol, sauf pour les violeurs.

Philippe Landeux

 

P.-S. : Ceci étant, aucune loi n'est actuellement légitime puisque aucune n'a jamais été ratifiée par le peuple, les commissions européennes ayant moins de légitimité encore à en promulguer que les parlements nationaux.

04:00 Écrit par Philippe Landeux dans 6. MON BLOG | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : abattage, halal, casher, illégal, discrimination, landeux |  Facebook | |  Imprimer |